Enfant de la jungle

Enfant de la jungle
Michael Morpurgo
Gallimard jeunesse (folio junior), 2012

Mowgli du XXIe siècle

Par Anne-Marie Mercier

enfantdelajungleMichael Morpurgo sait réactualiser les mythes. Comme auparavant il avait mêlé dans Le Royaume de Kensuke, robinsonnade et souvenirs d’Hiroshima, il réactualise Le Livre de la jungle de Kipling en proposant des variations tirées de l’histoire de notre siècle. La guerre en Irak cause la mort du père du jeune Will, le tsunami qui tue sa mère et l’isole du monde, alors qu’il était parti en promenade à dos d’éléphant durant des vacances en Indonésie, évoque les images de la catastrophe de décembre 2004, tandis que ses démêlés avec des chasseurs d’Orangs Outans font référence au massacre des grands singes, toujours d’actualité, décrit par de nombreux films (dont Gorilles dans la brume (1989) de Michael Apted où Sigourney Weaver incarnait la célèbre éthologue Dian Fossey, assassinée en 1985).

Sauvé par une éléphante, accepté par les orangs outans, pourchassé par les chasseurs et réfugié dans une réserve (dont le modèle a été pris dans la réalité) animée par une femme au grand cœur, Will se trouvera devant un dernier dilemme : doit-il rentrer en Angleterre chez ses grands parents qui n’ont plus que lui ? ou entendre sa propre voix qui lui dit que le monde des humains ne vaut pas qu’on s’en occupe ?

La réponse de Morpurgo est à la hauteur de ces questions. Au XXIe siècle, Mowgli serait devenu tout autre que celui imaginé par Kipling.

Cet ouvrage reprend le grand format publié en 2010.

La Drôle De Vie de Bibow Bradley

La Drôle De Vie de Bibow Bradley
Axl Cendres
Sarbacane (Exprim’), 2012

Chienne de vie

Par Anne-Marie Mercier

ledroledeviedebibowDestiné aux grands adolescents (la collection Exprim’ s’est débarrassée du label de la loi de 1949 sur les productions pour la jeunesse), ce livre raconté à la première personne par le roi des tocards – qui devient à la fin un total clochard – est aussi drôle que tragique. Mal aimé, fils et arrière petit fils de ratés alcooliques, Bibow est engagé dans la guerre du Viet Nam. Par lassitude plus que par conviction, il massacre ses propres camarades, mais échappe au tribunal militaire car il est recruté par la CIA à cause de son talent particulier et exceptionnel, découvert au moment de son interrogatoire : il est incapable de ressentir la peur et est donc capable de tout et de n’importe quoi.

Dans cette histoire d’espion, c’est surtout le n’importe quoi qui domine, des opérations absurdes, en Amérique chez les Hippies ou en URSS, qui laissent toujours le roman en deçà de la réalité: celle-ci est représentée par les personnages de William Colby (directeur de la CIA de 1973 à 1976, il causa la mort de dizaines de milliers de personnes au Viet Nam) et de Richard Helms, son prédécesseur. Bibow les décrit comme « juste deux psychopathes qui avaient le pouvoir de faire tout ce qu’ils voulaient ». Le héros est donc un double burlesque des grands personnages.

Malgré cela, le roman n’est pas totalement nihiliste : peu à peu (et il y met le temps), Bibow découvre l’amour, l’empathie, la compassion et offre un portrait d’homme sans foi ni loi, mais libre et lucide. C’est une belle lecture, souvent drôle, et toujours édifiante par les réalités qu’elle révèle ou rappelle.

Chroniques du Graal

Chroniques du Graal (Lancelot, Perceval, Yvain)
Anne-Marie Cadot-Colin
Hachette, 2012

Et propter fidem (1)

Par Christine Moulin

5300742-7909627Quelle belle adaptation ! Sans gras, moderne sans racolage, elle raconte la geste du roi Arthur et de ses chevaliers, en respectant sans servilité mais avec fidélité (l’auteur enseigne depuis plus de trente ans la langue et la littérature du Moyen Âge à l’université de Bordeaux, ceci explique sans doute cela) l’œuvre médiévale, ou plutôt les œuvres médiévales: cette version se réfère, en effet, à Chrétien de Troyes, le thème de la culpabilité en moins, mais aussi au Lancelot en prose, du XIIIème siècle. Ainsi, il n’est pas rare d’avoir l’impression d’avoir affaire à une traduction. C’est particulièrement vrai dans les scènes de combat (« Lancelot le frappa alors si durement qu’il lui fendit la tête en deux jusqu’aux dents, le laissant mort au milieu de la chaussée ») mais toute l’atmosphère est délicieusement arthurienne: les caractères sont généralement dessinés à gros traits tandis que certaines réactions laissent place à une grande subtilité psychologique; les chevaliers, condamnés à l’errance, sont mus par leur impétuosité, leur sens de l’honneur et vivent toutes leurs émotions de manière superlative; ce n’est que reconnaissances, rencontres hasardeuses, magie, « nigromance », amour, combats, vengeances, exploits…

Toutefois il n’est pas rare que le texte soit « monté » (comme on parle de montage au cinéma) de façon très contemporaine: la narration adopte le rythme d’un jeu vidéo, avec ses « niveaux », ses obstacles à franchir pour triompher de l’épreuve (cf. « La mauvaise coutume », p.58) ou bien on assiste à un montage alterné du plus bel effet (lors de l’enlèvement de Gauvain, par exemple). Les épisodes, brefs, s’enchaînent avec rapidité et détermination. Tout cela n’empêche pas qu’il y ait des passages plus didactiques, qui donnent sans pesanteur les clés culturelles aux lecteurs qui n’auraient pas baigné dans la littérature du moyen-âge depuis leurs plus tendres années: c’est ainsi, par exemple, que dès les premières pages, on découvre les fondements de la chevalerie. Cela permet de connaître les valeurs qui fondent l’univers des histoires que l’on va lire. Même équilibre entre modernité et tradition sur le plan de l’écriture: le style est clair, facile, presque transparent, avec de ci de là, quelques mots surannés pleins de charme: « Ainsi fut fait le premier accordement de Lancelot et de la reine. Il fut l’œuvre de Galehaut. »
De plus, au-delà des épisodes « obligés », que l’on a plaisir à retrouver, on en découvre d’autres moins rebattus, comme celui de la fausse Guenièvre.
On ne peut donc que conseiller cette version des aventures arthuriennes aux jeunes lecteurs qui voudraient s’y initier sans pour autant affronter les textes originaux (toutefois, pour des élèves de cinquième, un accompagnement est sans doute nécessaire, Montella étant plus accessible en lecture cursive, il me semble : voir Graal noir et  Le chevalier sans nom).

(1) et à cause de sa fidélité

Blackzone

Blackzone
Philip Le Roy
Rageot, 2012

Bottero like

Par Christine Moulin

36279_Brigadedes Fous.inddOn ne compte plus les bandes d’adolescents dotés de superpouvoirs, tels que les héros de la trilogie L’Autre de Pierre Bottero ou de Phaenomen (Erik L’Homme) ou d’Instinct (Vincent Villeminot) ou de… Cette fois, l’auteur n’a pas hésité: ce sont les aventures d’un clan de six « phénomènes » que nous allons partager, l’originalité résidant dans le fait que ce sont en fait des handicaps (autisme, trisomie, dépendance aux jeux video, etc.) qui les rendent invincibles – ou presque -. Sinon, l’intrigue, sur fond de lutte écologique, multiplie les bagarres, les rebondissements, plus ou moins vraisemblables. Mais cela va vite et bien, on ne s’ennuie pas, on tourne les pages, on sourit parfois, car les dialogues sont incisifs, presque « américains » (euh… c’est un compliment). La fin n’en est pas une, bien sûr. De fait, il y a une suite: http://www.philipleroy.com/ Notons qu’il s’agit là d’une première œuvre pour la jeunesse d’un auteur confirmé, qui écrivait jusque là « pour adultes seulement » (c’est là le titre d’une de ses œuvres).

Ava préfère les fantômes et Ava préfère se battre

Ava préfère les fantômes
Maïté Bernard
Syros, 2012

et Ava préfère se battre
Syros, 2013

Le fantôme d’Alice?

Par Christine Moulin

avaOn dirait que ce serait « un » Alice, oui, Alice, de Caroline Quine (d’ailleurs, Ava/Alice… Non? Je vais trop loin? Bon…) Et alors, on aimerait bien.

Beaucoup de ressemblances, en effet, peuvent faire songer, en plus moderne, bien sûr, à l’indestructible succès de la Bibliothèque Verte.  Sans avoir perdu sa mère, l’héroïne, solitaire, est en butte à l’indifférence de ses parents qui se débarrassent d’elle pour mieux divorcer et l’envoient à Jersey, chez son oncle (qui, lui, ressemble beaucoup au père du Club des Cinq). Elle se trouve alors mêlée à une aventure rocambolesque: toutefois, comme les enfants sont plus « solides » de nos jours, ce ne sont pas les vols qui se multiplient mais les meurtres, sur fond de secret de famille, de plans indiquant un trésor viking, de grottes reliées à un château par de sombres souterrains plus glissants les uns que les autres, de croix qui bougent de place, d’empoisonnements divers et variés, etc.

L’intrigue, pleine de rebondissements, est compliquée, pour ne pas dire touffue, pour ne pas dire difficile à comprendre, pour ne pas dire invraisemblable. Toutefois, l’intérêt est ravivé par la particularité d’Ava: elle voit les morts et découvre, dans ce premier livre d’une série (dureté du marketing oblige…), qui elle est vraiment. Ce qui nous promet un tome 2, joliment annoncé, il faut le dire: « Mais elle était là maintenant, modeste, curieuse, travailleuse, et bientôt elle ferait partie de ceux grâce à qui tout est à sa place dans le monde ». Phrase révélatrice du caractère de notre héroïne: timide, embarrassée de son don, elle n’est pas du tout une « supergirl » mais bien plutôt une jeune fille de bonne volonté, ce qui la rend plutôt sympathique. Enfin, quelques trouvailles stylistiques, dont on aimerait qu’elles soient plus nombreuses, réveillent parfois le lecteur: « […] on m’a raconté que tu t’étais battue bec et ongles, ou plutôt petites assiettes et vases, pour nous défendre ».

Sans attendre avec une très grande  impatience de lire la suite, on s’y résout volontiers.

(Quelques jours plus tard)

liv-2631-ava-prefere-se-battreEh bien, voilà qui est fait et ce deuxième tome est une bonne surprise: il comporte encore une intrigue policière mais l’enquête se déroule uniquement dans l’univers des fantômes car c’est sur eux, leurs mœurs, leur organisation, leurs rivalités, leurs luttes pour le pouvoir que se focalise le roman. Ce qui le rend à la fois plus original et plus alerte que le premier. De plus, Ava mûrit et assume son rôle de « Consolatrice » : cela laisse place à des dialogues intéressants où elle essaye, telle une « psy », de comprendre ce qui bloque les fantômes et les empêche de mourir en paix et de trouver les mots qui pourraient les délivrer. A cela s’ajoutent le récit d’une mignonne amourette et l’évocation de Jersey (et de Victor Hugo : on comprend pourquoi il a cessé de faire tourner les Tables à Guernesey et qui a véritablement écrit « Au Lion d’Androclès« , le poème qui se termine par:  « Et, l’homme étant le monstre, ô lion, tu fus l’homme. ») : que souhaiter de plus ? Peut-être lire le tome 3 : La mort préfère Ava…, d’autant que d’après les on-dit, l’action se déroule à Guernesey!

Sous haute dépendance

Sous haute dépendance
Ursula Poznanski

Traduit (allemand) par Sylvie Roussel
Bayard Jeunesse, 2013

Pour la horde !

Par Christine Moulin

9782747034357Encore un ! Un livre inspiré de l’univers des jeux video. A priori, le message est le même que celui souvent véhiculé par les romans à destination des adolescents: les jeux video sont dangereux, ils provoquent une addiction qui fait qu’on s’isole, qu’on laisse tomber les parents et même les copains, qu’on néglige le travail à l’école, tout cela pour le plus grand profit de sinistres manipulateurs. Ne manquent même pas les nombreuses allusions à la mythologie grecque, qui dispensent, en passant, quelques éléments culturels…

Mais ce propos un peu trop moralisateur est ici tempéré par deux facteurs: le premier, et non des moindres, c’est que, visiblement, l’auteur connaît l’univers des MMORPG (1) . Elle en décrit bien les phases, les règles, les usages (par exemple, le mépris affiché par certains joueurs experts pour les débutants) et surtout, (c’est d’ailleurs ce qui rend son propos convaincant) le plaisir qu’ils procurent. Elle arrive notamment à présenter le jeu en tant que tel, là où d’autres racontent ce qui arrive à l’avatar du joueur, faisant du jeu une histoire dans l’histoire, sans les distinguer l’une de l’autre. Par ailleurs, loin d’être stigmatisée, l’addiction (le terme est-il exact? on peut en douter) est finement analysée: le héros, Nick, se prend à penser à Erebos, à se demander ce qu’il s’y passe pendant son « absence » ; quand il doit se déconnecter, il ressent comme une impression de vide, si bien que la vie réelle et la vie « en ligne » sont inversées, la deuxième, plus intense,  prenant le pas sur la première :  » Je récuse la réalité. Je lui refuse mon concours. Je me soumets aux tentations de la fuite hors du monde et me voue corps et âme à l’éternité de l’irréel » (citation qui permet de vérifier, encore une fois, que lecture et jeu peuvent être perçus comme finalement assez proches…!).

Le deuxième facteur qui fait sortir ce roman du lot, c’est que le thème, souvent décliné, des risques que font courir les jeux video aux adolescents laisse place, dans la deuxième partie, à un thriller bien mené, à un suspense bien tenu, dont le dénouement n’est pas décevant. Thriller qui, mine de rien, amène à réfléchir sur la place du choix et de la liberté dans les décisions que chacun peut être amené à prendre et ce, dans un monde où les adultes, comme souvent aujourd’hui dans les ouvrages pour la jeunesse, sont dans l’ensemble défaillants, impuissants ou absents.

(1) l’acronyme en anglais de « Massively Multiplayer Online Role-Playing Game »

Cherub encore (8 1/2)

Cherub, vol. 81/2 : Soleil Noir
Robert Muchamore

Traduit (anglais) par Antoine Pinchot
Casterman, 2012

Personnages mécaniques pour lectures univoques

Par Matthieu Freyheit

CherubSoleil NoirDans un billet publié le 22 février 2012 sur ce même site, Anne-Marie Mercier s’interrogeait sur le succès de cette série « enfin » publiée chez Casterman. À mon tour aujourd’hui de demander sobrement : pourquoi ? Des raisons, il y en a sans doute à foison, mais peu que nous ayons envie de prendre en compte, peu dont nous voudrions bien nous satisfaire, quitte peut-être à passer pour de vieux réactionnaires…

Cherub, pour les non initiés, désigne un département particulier des services de renseignements britanniques. Particuliers parce qu’il regroupe des agents mineurs (de 10 à 17ans) choisis dans les orphelinats du pays et soumis à un entraînement intensif. Les jeunes agents sont sensés intervenir lors de missions au cours desquelles des agents adultes ne pourraient passer inaperçu. Cet univers, qui caresse dans le sens du poil la part la moins riche de la culture des jeux vidéo, tente de se rendre fascinant – dans son absence de complexité – aux yeux de lecteurs et lectrices auxquel(le)s on n’explique pas que les enfants-soldats, ça existe, au sein d’une réalité nettement moins reluisante.

Bref, si le succès de cette série revient à révéler les désirs adolescents de violence, de guerre, de journées passées à l’apprentissage d’une multitude d’armes et de techniques de combat (c’est tellement plus fun que l’école…), alors oui : inquiétons-nous. Car Cherub, dans ce volume en tout cas, ne pose aucune question, n’autorise aucun autre degré de lecture, et ne sert finalement que son propre système : l’univocité. Le mauvais goût commun aurait-il lui aussi son idéologie ? En découlent des personnages mécaniques, surentraînés et inintéressants. Greg et Andy, dans cette mission 81/2, sont mis sur la piste d’une organisation criminelle appelée Soleil Noir. Objectif : se faire inviter chez un copain de classe de Greg (pour l’occasion infiltré dans un établissement classique) afin de pouvoir enquêter sur le père de celui-ci. Entre alcool, jeux vidéo et arts martiaux, l’auteur propose des personnages physiquement précoces mais intellectuellement et surtout émotionnellement retardés. Rien, on ne ressent rien. « Bien joué ! », s’amuse finalement l’un d’entre eux lorsque la nouvelle bibliothèque du campus de Cherub, à l’instant de son inauguration, est partiellement détériorée par de jeunes agents en mal d’action.

Pour les fans, tout de même, le site internet très complet comporte des interviews de l’auteur (« Ten minute guide to become a literary genius »…), un lexique spécifique à l’univers de Cherub, un descriptif des personnages, des cartes, des bonus, et autres goodies.

Par ailleurs, la série des Cherub se prête fort bien à la multiplication de fanfictions, i.e. écrits de fans qui visent à compléter une œuvre et ses personnages, en leur ajoutant des épisodes, des annexes. Une bonne manière, pour le coup, de réinvestir la série avec peut-être plus de sensibilité que l’auteur lui-même, et de prêter à l’ensemble un peu de cette humanité et de cette complexité qui lui font gravement défaut.

 

Chevalier d’Eon agent secret du roi, t. 4

Chevalier d’Eon agent secret du roi, t. 4 : le pacte
Anne-Sophie Silvestre
Flammarion, 2013

Le travesti dévoilé

par Anne-Marie Mercier

ChevalierdEon4Le secret est découvert ! La jeune lectrice française favorite de la tsarine, blessée à mort (ou presque !) et inconsciente s’avère être un homme… Heureusement, seuls la tsarine, son médecin et une femme de chambre fidèle  sont au courant. Le personnage de Lia de Beaumont va reprendre des forces et revenir sur la scène, non pas le devant de la scène mais les coulisses de l’histoire où les agents secrets font merveille.

Chargé par l’impératrice Elisabeth d’une mission spéciale et secrète auprès de Frédéric de Prusse (où il rencontre Voltaire) et auprès du Pape, porteur de lettres secrètes pour Louis XV cachées dans un volume de l’Esprit des lois, débarrassé-e de ses vêtements féminins, d’Eon parcourt l’Europe, en traineau, en calèche, ou à cheval mais toujours à fond de train. Et le lecteur est entrainé à sa suite, pris par l’histoire mais aussi par le style, coulant et enlevé, parfois brisé par un trait d’humour, ou ralenti par une brève pause méditative.

Ce quatrième volume est composé de deux moitiés très contrastées : la première, en chambre, est occupée par la lente guérison d’Eon, entre douleurs et délires, puis longues conversations et réflexions. La deuxième, faite de longues chevauchées entrecoupées d’entrevues secrètes nous ramène dans le rythme habituel de la série.

Mais la fin se clôt sur un suspens sentimental et politique : d’Eon abandonne-t-il définitivement son rêve amoureux ? Verra-t-il le Pape ? (à suivre !)

La mystérieuse histoire de Tom Coeurvaillant, aventurier en herbe (t. 1)

La mystérieuse histoire de Tom Coeurvaillant, aventurier en herbe
Ian Beck
Mijade, 2012

Enquête au pays des contes

Par Anne-Marie Mercier

TomcoeurvaillantDans le monde des contes, chacun a sa place : les aventuriers vivent les aventures, les princesses les attendent, les grenouilles se transforment… Tout cela grâce au contrôle du bureau des contes qui répartit les rôles. Mais voilà, l’un de ses membres, met la pagaille et tous les héros, membres de la famille Coeurvaillant, se retrouvent coincés dans des histoires inachevées. Du coup, c’est leur plus jeune frère qui part à leur recherche et qui remet en route chaque récit.

C’est ainsi un parcours pédagogique des thématiques des contes. Mais les promesses du début, inventif, ne sont pas tenues sur la longueur du récit. Il manque un peu de rythme et  de fantaisie, « coincé » qu’il est par les parcours obligés dans les différents types d’histoires.

Ian Beck est d’abord illustrateur (et de fait, les silhouettes noires sur blanc du livre sont tout à fait charmantes) ; la série de Tom Coeurvaillant (3 volumes parus entre 2006 et 2010) est son premier roman.

L’oiseau noir (La maison sans pareil, 1)

L’Oiseau noir (La Maison sans pareil, 1)
Elliot Skell
traduit (anglais) par Alice Marchand
Flammarion (grand format), 2012

Maison, douce maison?

Par Anne-Marie Mercier

lamaisonsanspareilLa thème de la maison en littérature de jeunesse mériterait une étude poussée – et pourquoi pas une thèse –, tant il est riche, surtout depuis quelques années. Il surprend par sa plasticité et sa richesse, de la maison qui s’envole, mais juste déplacée, du Magicien d’Oz (1900) à celle, beaucoup plus complexe, du Château de Hurle (1986, superbe roman de Diana Wynne Jones qui a inspiré Le Château ambulant de Murakami), aux maisons à géométrie variable de Coraline (2002) de Neil Gaiman et des Olivia Kidney d’Ellen Potter (publiés en français au Seuil, 2006, 2007), ou aux maisons ouvrant sur une infinité de mondes, dans la trilogie de Pierre Bottero (L’autre, 2006-2009), ou la maison fermée de celle d’Yves Grevet, (Méto, 2008-2009), dont le premier volume est intitulé « La maison »… On peut trouver de multiples raisons à la récurrence de ce thème : la maison est ce qui structure le dehors et le dedans, la famille et l’étranger, ce qui protège mais aussi ce qui cache : on y vit en famille, entre voisins, on s’y aime ou on se déteste, il y a des « cadavres dans les placards », des trappes, des caves et des greniers… La maison est sans doute le premier « monde » qu’un enfant explore, avec ses lieux réservés, espaces interdits ou dangereux, ses zones d’intimité et de collectivité, les lieux pour être ensemble et pour être seul.

La maison sans pareil, château bizarre et pseudo-gothique est presque une ville entourée d’une enceinte : tours, cours, couloirs et coursives, ailes abandonnées, jardins ou forêt intérieurs, rivière souterraine, parc… jusqu’au cimetière appelé le Champ des rêves. « Au delà des tours, des grandes salles, et des longues ailes des bâtiments occupés par les Capelan, il y avait encore d’autres tours, d’autres salles et d’autres ailes qui n’avaient jamais été habitées, et certains endroits bâtis par le Capitaine étaient encore des sortes de pays attendant d’être découverts. Il y avait des centaines, sinon des milliers de pièces dont on n’avait jamais ouvert la porte. »

Les Capelan, une famille devenue elle aussi tentaculaire l’habite depuis deux cents ans. On y vit en autarcie : la fortune léguée par le fondateur, le Capitaine, est si grande que chacun peut satisfaire tous ses désirs sans travailler, faisant venir de l’extérieur ce qu’il lui faut sans rien avoir à débourser. On s’occupe cependant : chacun développe un talent ou un goût qu’il a choisi (artisanat, inventions, sciences et littérature, collections…). Les Capelan adorent les fêtes et il y en a souvent. L’école, qui se déroule dans le Hall des inclinaisons (au lieu de « inclinations », erreur qui détermine l’architecture…) n’est pas obligatoire, mais tous les enfants y vont avec plaisir car les cours sont faits de façon très variée – ils portent d’ailleurs tous sur la Maison car aucun autre savoir n’est nécessaire. On y est gourmand aussi et des banquets délicieux se déroulent dans la Nef mauve ou dans le Hall des humeurs, immenses salles qui font penser au réfectoire de Harry Potter. Le service est assuré par les domestiques de la ville la plus proche qui s’est vidée de ses habitants au profit de la maison et eux mêmes se sont reproduits et occupent des fonctions héréditaires.

Personne ne sort de la Maison : pourquoi partir d’un lieu si parfait ? Mais parfois des personnes extérieures arrivent de loin pour épouser l’un des Capelan et y restent à tout jamais. Le début se rapproche d’un lieu utopique, parfait pour les citoyens à part entière. Mais bien vite, c’est la dystopie qui l’emporte, au moment de la mort du chef de la tribu, le « capitaine » (on devine qu’il a été assassiné) qui ne désigne pas de successeur affirmant : « Je suis mort, maintenant, alors je me fiche de ce qu’il va se passer. Je n’en ai jamais aimé un seul d’entre vous de toutes façons. » Dans ce temps d’incertitude quant à la légitimité du pouvoir, l’héroïne, Omnia Capelan, découvre par hasard des vérités cachées et sa curiosité (caractéristique étrange pour une Capelan) l’amène à explorer la Maison et son histoire, beaucoup plus noire qu’elle ne l’imaginait. Le roman devient alors une enquête policière labyrinthique et passionnante, sur fond de complot. Le côté sombre est souvent désamorcé par des scènes comiques, sans doute pour ménager les plus jeunes lecteurs qui auraient l’âge de l’héroïne (douze ans et quart), ce qui fait du roman un mélange un peu curieux : je partage l’avis de Sophie Pilaire dans Ricochet quant à la dispersion des effets tout en étant impressionnée par le monde inventé.

Les noms des personnages est une autre trouvaille : les noms des hommes commencent tous par Eter : Etergrand, Eterpiaf, Etersonge… ceux des femmes imitent le latin : Artésia, Basilica, Pedagogia… Et une question, posée deux fois à Omnia, propose une énigme : « est-ce le nom qui fait la personne ou la personne qui fait le nom ? » Question qui est ici davantage de l’ordre de la fabrique littéraire que de l’être. Vu le nom de l’héroïne (féminin pluriel de « tout » en latin, toute chose, toutes les choses) fait augurer pour elle un grand destin, à suivre dans les prochains volumes (le prochain est annoncé pour mars 2013).