Les Amours de Zeus

Les Amours de Zeus
Soledad Bravi – avec la complicité de Jean Boutan
Rue de Sèvres 2021

La jalousie d’Héra et autres histoires amusantes

Par Michel Driol

Héra, Métis, Séléné, Lamia, Alcmène… On ne compte plus les « conquêtes féminines » de Zeus. Sous forme de bande dessinée, cet album en présente une dizaine, en mettant l’accent sur la façon dont Héra se venge de ses « rivales » et de leur descendance.

Ce sont des dieux et des déesses de la mythologie grecque dont il est question ici, et pourtant l’album met bien en évidence leur comportement dans ce qu’il a de plus humain. D’un côté, la volonté de séduire, conquérir plutôt, suivre ses désirs sans limitation, de l’autre le sentiment de trahison et le besoin irrépressible de se venger. Avec une grande légèreté de ton, et un humour souvent décalé, l’album permet au lecteur contemporain de découvrir ou redécouvrir quelques-uns des grands mythes de l’Antiquité. Chaque épisode est simplifié, et traité en une quarantaine de vignettes expressives, dans lesquelles les personnages parlent  (ou commentent l’action) une langue familière très contemporaine.

A l’heure de Me Too, de « Balance ton porc », peut-on avoir le même regard sur Zeus, premier prédateur sexuel ? Faut-il chercher des circonstances atténuantes dans sa famille : tout commence par son père Cronos, qui mange ses enfants, et dont Zeus veut se venger, continue par le viol de sa mère Rhea, puis l’inceste avec  sa sœur Héra. Tout cela est raconté dans une langue simple, permettant au lecteur de prendre conscience de la monstruosité des personnages évoqués. On apprécie que le mot « viol » soit utilisé, sans que les aventures sexuelles de Zeus ne soient édulcorées. De la même façon, l’image n’hésite pas à montrer, avec décence toutefois, les relations sexuelles et l’horreur des meurtres.  Ces mises à distance, par l’image, le ton, le vocabulaire, permettent au lecteur de mesurer ce qu’il y a d’humain dans ces histoires divines, mais aussi, sans doute, de relire ces mythes au regard de notre actualité.

Un ouvrage plein d’humour et d’allant, à réserver sans doute aux plus grands, pour mieux questionner nos rapports avec les mythes fondateurs.

Le Poil de Baribal

Le Poil de Baribal
Renée Robitaille, Oleysa Schukina (ill.)
Planète rebelle, 2020

Tours et retours du conte

Par Anne-Marie Mercier

La maison d’édition Planète rebelle existe depuis 1997. Fondée au Québec par un conteur, André Lemelin, elle se consacrait au renouveau du conte et à l’oralité ; cette mission se poursuit aujourd’hui, avec l’éditrice Marie Fleurette Beaudoin qui a jouté à son catalogue des collections destinées aux plus jeunes et a invité la jeune conteuse Renée Robitaille à livrer en livre et en CD un conte truculent, fantaisiste et militant (féministe).

Il démarre au quart de tour avec une scène inattendue en littérature de jeunesse : un baiser entre deux inconnus, qui dure à l’excès. Puis c’est la femme qui demande à l’homme non pas de l’épouser mais de lui faire un enfant, sur quoi il s’endort profondément et ce sommeil dure à l’excès…
« La femme » (on ne saura pas son nom) va voir une sorcière qui l’envoie accomplir un exploit pour réveiller l’homme endormi : arracher un poil de l’oreille de Baribal, terrible ours noir. Il s’ensuit de multiples tentatives ingénieuses, de plus en plus dangereuses, extravagantes et drôles, au bout desquelles la femme revient victorieuse et va voir la sorcière pour réveiller le bel endormi.
Or, comme chacun le sait, dans les contes modernes, les sorcières n’ont pas de vrai pouvoir magique… Alors, que va-t-il se passer ? « La femme » arrivera-t-elle à se faire faire un enfant par « son homme » ? Tout cela vous sera raconté, en texte, en images (très parlantes elles aussi) et en CD.
Pour écouter l’histoire et entendre la conteuse R. Robitaille

 

 

La Baignade

La Baignade
Emilia Lydia Squillari
Grasset jeunesse, 2021

Plouf !

Par Anne-Marie Mercier

Dans cet album, tout le monde peut être ami : l’oie Odile partage sa vie avec Charlot le chat, mais pour aller se baigner à l’étang elle appelle ses copines, Coco le cochon et Pattie le merle (ou le corbeau ?), plus attirées par l’eau. Une fois arrivées, chacune s’adonne à l’un des plaisirs de l’été au bord de l’eau : dormir, trainer ou (pour Odile) se baigner vraiment. Odile croit voir un monstre sous l’eau, cela donne lieu à un peu d’émotion vite dissipée.
L’intérêt de l’intrigue est un peu caché : il réside dans la déception d’Odile qui imaginait une « journée parfaite », ses amies et elles se baignant ensemble alors qu’elle doit jouer seule dans l’eau, les autres ayant choisi de rester sur la plage. La journée ne devient parfaite qu’après la perturbation introduite par le monstre : de quoi réfléchir sur ce que l’on attend de nos amis et des journées parfaites.
Les illustrations sont délicieuses de drôlerie ; ces animaux très anthropomorphisés avec leurs petits maillots de bain ont des expressions passant par toutes les émotions, de l’ennui à l’effroi, de la jubilation à la contrariété. Tous cela est joliment dessiné et mis en couleurs, très frais. Et c’est une agréable évocation des après-midis d’été sous les frênes et les saules et les trajets entre amis à bicyclette.

Un Trésor lourd à porter

Un Trésor lourd à porter
Maxime Derouen
Grasset jeunesse, 2021

Petit trésor

Par Anne-Marie Mercier

Il est rare de trouver une réécriture de contes qui ne tombe pas dans le contre-stéréotype facile ou l’affadissement. Voilà une belle histoire de dragon et de princesse, qui renouvelle les possibles de ce duo sans tomber dans ces travers. Tout d’abord parce que le dragon en question s’ennuie et n’a rien à faire du trésor qu’il doit garder. Ensuite, parce que c’est la princesse qui se présente devant sa grotte, et non un preux chevalier censé venir à bout du monstre (comme le fameux Siegfried qui fera une apparition intéressante et mélancolique à la fin du livre). Enfin, parce que cette princesse est en fuite, porteuse d’un don maudit (héritage détourné du conte de Perrault « Les Fées ») et que sa méchante belle-mère la recherche.
Ajoutons à tout cela les dessins très particuliers de Maxime Derouen, rugueux et doux comme toute l’histoire, les traits bellement animalisés de tous les personnages, la grande fantaisie qui règne dans toute l’histoire, et le ton délicieux du narrateur, le dragon. On découvre ainsi comment les dragons sont élevés, quelles histoires terrifiantes on leur raconte et le conseil donné par toutes les mères : ne jamais au grand jamais croiser la route d’une princesse.
C’est un beau livre sous tous ses aspects, publié dans la collection des « P’tits reliés », « collection unique de romans soignés et très illustrés », et proposant des œuvres originales et attachantes (La Boulangerie de la rue des dimanches, Le Yark, Vladimir et Clémence, Les animaux de l’arche…)

La Longue route de Little Charlie

La Longue route de Little Charlie
Christopher Paul Curtis
Ecole des loisirs – Medium – 2021

Le chemin se construit en marchant

Par Michel Driol

Caroline du Sud, 1858, Fils d’un métayer pauvre, à 12 ans, Little Charlie voit son père mourir sous ses yeux en abattant un arbre. Le contremaitre de la plantation, Captain Buck, vient réclamer de l’argent que lui devait le père, et  l’oblige à l’accompagner dans le nord, à Detroit, rechercher un couple d’esclaves fugitifs.

C’est d’abord un roman historique, qui retrace avec réalisme la situation des Etats Unis au milieu du XIXème siècle. D’un côté les Etats du Sud, esclavagistes, de l’autre les Etats du Nord, qui ont aboli l’esclavage, et où nombre de Noirs vont se réfugier sans y être forcément bien accueillis. Au-delà, le Canada, terre d’exil et d’accueil. C’est un roman qui parle aussi des pauvres blancs, obligés de travailler sans posséder leurs terres, qui ne bénéficient d’aucune instruction. Le roman est très documenté et très précis sur les conditions de vie, les supplices infligés aux esclaves, le racisme ambiant et sa façon d’imprégner les mentalités, les jugements, la vision du monde. C’est ensuite un roman d’initiation, au cours duquel Little Charlie découvre le monde qui l’entoure loin de sa ferme natale : la grande ville, Detroit, mais aussi le chemin de fer, la réalité de la vie des Noirs de cette époque, la cruauté des possédants et de certains représentants de la loi, qui l’amèneront peu à peu à changer sa conception du monde pour une vision plus humaniste et fraternelle. C’est enfin un roman psychologique, qui fait le portrait sans concession d’un des personnages les plus sombres de la littérature de jeunesse, la contremaitre, Captain Buck. Raciste, sadique, sans parole, menteur, on cherche quelle qualité il peut avoir… Il incarne à l’outrance la violence avec laquelle les Blancs ont traité les Noirs tant dans son comportement que dans ses pensées. Cette violence, omniprésente dans le roman, rend encore plus sensible le côté odieux du racisme. Un mot sur l’auteur,  Christopher Paul Curtis, premier homme Afro-américain à avoir remporté la Médaille Newbery, prestigieux prix littéraire américain de littérature jeunesse, pour son second roman, Bud, Not Buddy.

Un roman historique qui se lit d’une traite, et sait rendre sensible la condition des Noirs et des pauvres Blancs du Sud des Etats Unis au milieu du XIXème siècle.

Nao et ses origamis

Nao et ses origamis
Céline Lavignettte-Ammoun, Baptistine Mésange
Editions Akinomé, 2020

Pliages en pages

Par Anne-Marie Mercier

Fondée en 2016, la maison d’édition Akinomé s’est spécialisée dans la publication de livres de voyages et a développé une collection de littérature de jeunesse qui reprend ses orientations générales, vers l’Asie et l’écologie.
Dans cet album, l’essentiel n’est pas dans l’intrigue, assez sommaire (un enfant s’ennuie et tente de communiquer avec sa voisine à travers des pliages dits origamis en japonais)   mais dans la présentation des origamis et le travail sur les motifs des pages.
On retrouve en fin d’ouvrage un guide en images pour réaliser Les six figures vues (grenouille, chat, oiseau, poisson, papillon, éléphant) et six pages en papier plus fin orné de motifs qui correspondent à chaque animal, à découper pour les réaliser. Une belle idée pour initier les enfants à cette pratique.

Retour vers l’Antiquité (une aventure du chevalier Courage et de la princesse Attaque)

Retour vers l’Antiquité (une aventure du chevalier Courage et de la princesse Attaque)
Delphine Chedru
Hélium, 2021

Arts antiques en jeux

Par Anne-Marie Mercier

Dans ce nouvel album des aventures du chevalier Courage auquel s’est adjoint une princesse (parité oblige !) on retrouve le principe de l’album « dont tu es le héros » : à chaque étape le lecteur doit choisir entre deux options qui l’envoient à des pages différentes. Mais toutes amènent à la conclusion de l’intrigue ; il s’agit de rendre une amulette trouvée dans leur jardin à son propriétaire qu’ils finiront par trouver dans la civilisation olmèque. Il s’agit d’un voyage dans l’espace et le temps : Égypte antique, Grèce, Rome, Étrurie, Mésopotamie, Yémen, Mexique…
Si l’aventure n’est pas ce qui sous-tend le livre, la découverte est ancrée dans les arts de ces civilisations : chaque double page réinterprète des motifs plus ou moins connus, avec la très jolie palette de Delphine Chedru et de belles nuances, des perspectives étonnantes, et un brin d’humour.
Enfin, selon la règle du livre jeu, chaque double page propose un jeu, une énigme, un mystère à résoudre. On pourrait passer des heures à faire tous les parcours, relever tous les défis. Et pour les paresseux, il y a les solutions à la fin…
Il peut pleuvoir, on va voyager et ne pas voir passer le temps ni la pluie.

 

Le matin/ le repas/Le bain/ Le soir

Le matin/ le repas/Le bain/ Le soir
Jeanne Ashbé
L’école des loisirs (Pastel, « des images pour se parler »), 2021

Lisons, causons

Par Anne-Marie Mercier

Petits recueils d’ « images pour se parler », ces quatre imagiers sans texte proposent en page de gauche des situations du quotidien et en vis-à-vis des images montrant un objet extrait de la scène. Si les situations sont banales, le personnage du doudou de Lou, Mouf, introduit un peu de narrativité et de fantaisie.
Ainsi, l’on peut décrire ces scènes simples, inscrites en gros traits noirs et souples et joliment colorées de motifs divers et de ton harmonieux ; on peut rire des bêtises du doudou et parfois de Lou, et évoquer tous ces plaisirs du quotidien vécus ensemble ou à distance. Ce sont de jolis supports pour l’élaboration progressive du langage d’évocation, si important pour le développement des tout petits, et une belle introduction à l’art graphique de Jeanne Ashbé, bien connue pour ses petits albums inscrits dans le quotidien des tout petits (comme le célèbre À ce soir, par exemple) .

Pour aller plus loin : le Monde de Jeanne Ashbé.

Comme il est difficile d’être roi

Comme il est difficile d’être roi
Janusz Korczak, Iwona Chmielewska
Traduit (polonais) par Lydia Waleryszak
Format, 2021

Korczak en images

Par Anne-Marie Mercier

Souvent adapté au théâtre et au cinéma, Le Roi Mathias 1er, célèbre (et gros) roman d’apprentissage interrogeant les questions de pouvoir et de gouvernement et la place des enfants dans la société n’avait pas eu autant d’échos dans le genre de l’album : comment résumer en effet des notions si complexes comme celles concernant des guerres, des révolutions, des réformes indispensables et impossible, l’économie, l’information, et nombre d’autres sujets tout aussi importants, en peu de pages et avec des images.

Les illustrations d’ Iwona Chmielewska réussissent ce pari : elles présentent un petit roi qui a le visage de Korczak à l’âge de Mathias, 10 ans, avec un air grave et préoccupé, mais parfois narquois, et une couronne qui, sous ses différentes formes, est toujours encombrante.
Entre modernité des cadrages et classicisme des collages reprenant d’anciennes gravures, elles placent cette fable dans une atemporalité parfaite, et sont belles, en plus.
Le texte reprend des passages du roman, très brefs, ce qui donne une impression de succession rapides d’épisodes très divers et ôte certes un peu de profondeur à la réflexion. Mais c’est une belle introduction à cette œuvre importante, ou un bel accompagnement pour ceux qui l’auront déjà lue ou vue.

 

Odyssée

Odyssée
Peter van den Ende
Sarbacane, 2021

Tour du monde sans escale

Par Anne-Marie Mercier

Un format adapté et 96 pages, voilà de quoi déplier un beau voyage imaginaire, sans texte, mais avec de nombreuses péripéties. Peter van den Ende propose une succession d’images en noir et blanc, tracées à l’encre et ombrés de multiples dégradés de gris. Elles se déploient sur chaque double page, proposant à chaque tourne de page un moment différent, avec de nouveaux lieux et de nouvelles rencontres fantastiques.
L’Ulysse de ce voyage semble être un petit bateau de papier, issu d’un pliage fait moitié par un diable cornu, moitié par un humain ordinaire ; ou bien serait-ce l’ombre qui s’en extrait à la fin du livre, un génie maritime élégant ? Le petit bateau fragile est ballotté en tous sens, rencontre de nombreux obstacles, part dans les airs, plonge au fond des abysses. Une carte en fin d’ouvrage montre le trajet parcouru, comme dans les éditions de l’Odyssée d’Homère, mais avec un monde plus vaste, du Pacifique au Golfe persique, de l’Antarctique à l’Écosse, doublant le Cap Horn et le Cap de Bonne espérance. Mais cet ancrage dans le réel est bien sûr fantaisiste : à travers lui, c’est surtout l’univers mythique de la mer que l’on rencontre, avec ses monstres, ses plantes, ses machines étranges aussi. Chaque page est pleine de détails curieux, drôles ou inquiétants. En somme ça vit, ça coule, c’est merveilleux.
On peut voir quelques images sur le site de l’éditeur.

Peter van den Ende est aussi, dans une autre vie, guide naturaliste sur les îles Caïman. La précision de son trait en témoigne. Odyssée est son premier album, fruit, on le devine, d’un long travail.