Docteur Pim et moi

Docteur Pim et moi
Irène Cohen-Janca

Éditions du Rouergue, 2014

Nino et les docteurs clowns

par François Quet

9782812606847Nino est à l’hôpital, sérieusement malade. S’en sortira-t-il ? retournera-t-il au MacDo avec sa mère qui ne sait plus comment lui faire plaisir ? Ira-t-il jusqu’au Spitzberg avec son père ? Aura-t-il un jour le droit de finir sa lecture de Peter Pan dont le héros tient jusqu’au bout compagnie aux enfants qui vont mourir ?

Au début Nino ne supporte pas les plaisanteries des docteurs clowns. Il se plonge dans un jeu video, dédaigne les blagues douteuses du docteur Chipolata ou du docteur Ketchup. Pourtant, quand l’infirmière chef qu’on appelle Cruella interdit aux clowns de revenir, Nino s’investit dans la rébellion qui conduira au retour des clowns à l’hôpital.

C’est un bel et nécessaire hommage aux clowns qui, dans les services hospitaliers, travaillent à soulager par le rire la souffrance des petits malades. On aurait quand même aimé une histoire un peu plus inspirée. Si le portrait des deux parents est touchant et contrasté, les autres personnages sont un peu caricaturaux, et le suspense, qui tient à la seule méchanceté de Cruella, n’est ni complètement vraisemblable ni très convaincant.

 

L’Ogre au pull vert moutarde

L’Ogre au pull vert moutarde
Marion Brunet
Sarbacane (Pépix), 2014

Conte du « foyer »

Par Anne-Marie Mercier

Dans l’instituLOgre au pull vert moutardetion où se trouve le dortoir des jeunes héros, on ne rit pas tous les jours, alors quand il s’agit de faire une farce à un nouveau, comme ce veilleur de nuit tout juste arrivé, il faut en profiter. Oui, mais imaginez que celui-ci soit « pire » que ceux qu’il doit garder, « lie de la société », « graines de délinquance », mal-aimés ?

C’est ainsi que le narrateur, Abdou, présente ses camarades, mêlant ce qu’il sait d’eux avec les propos méprisants du directeur de l’institution. Les héros de l’histoire sont des enfants retirés à leurs parents pour diverses raisons, tous malheureux et perdus, même ceux qui font semblant du contraire, durs entre eux. Mais ce tableau ne s’arrête pas à la tristesse et à la dénonciation. Abdou livre dans quelques chapitres des conseils de survie pour affronter les éducateurs, psychologues, etc. et arriver à mettre un peu de joie dans son existence. Enfin l’histoire de l’ogre, dont le lecteur demande pendant un temps où elle va le mener, est délirante à souhait, comme une explosion d’énergie positive.

Un joli « Pépix« : humour aventures, irrévérence », le contrat est rempli !

On a toujours besoin d’un rhinocéros chez soi

On a toujours besoin d’un rhinocéros chez soi
Shel Silverstein

Grasset Jeunesse, 2015

Indispensable !

par François Quet

On a toujours besoin d'un rhinocéros chez soiVoici un petit guide indispensable pour qui voudrait adopter un rhinocéros. Les dessins de Shel Silverstein montrent efficacement que cet animal de compagnie vous servira aussi bien de camarade de jeu, que de lampe de chevet, de charrue ou de gratte-dos. Ceux qui, parmi mes lecteurs, douteraient de l’utilité d’un pareil animal dans leur trois pièces-cuisine se laisseront aisément convaincre par le plaidoyer de l’auteur. Celui-ci s’amuse à habiller son animal de compagnie avec les vêtements les plus respectables, enfile des bagels autour de sa corne ou le fait flotter à l’envers dans l’eau du bain.

On comprend mieux, après avoir lu cet album, ce que c’est que l’imagination burlesque et plus largement, la créativité. Le crayon de Shel Silverstein n’a rien à faire de la réalité. Il s’inspire de la forme (colossale) de l’animal, et de sa corne, puis le déplace, le travestit, rend possible par le dessin ce que le monde réel ne saurait concevoir. Ce faisant, il invente un monde parallèle au nôtre, beaucoup plus drôle et qui est une véritable invitation à la fantaisie. Un livre pour les enfants ? sans doute… Un livre pour tous ceux qui ne se satisfont pas du monde tel qu’il a l’air d’être.

 

Le Fils des géants / La Princesse et le dragon

Le Fils des géants
Gaël Aymon, Lucie Rioland
Talents hauts, 2013

La Princesse et le dragon
Robert Munsch, Michael Martchenko
Talents hauts, 2014

Deux illustrations du talents de Talents hauts

Par Anne-Marie Mercier

Le Fils des géLe Fils des géantsants est d’abord une histoire d’abandon (le roi et la reine trouvent leur enfant trop minuscule) et d’adoption (de pauvres géants recueillent l’enfant qui ne pourrait survivre sans leur force et surtout leurs mots et leur amour), elle mêle différents thèmes : ceux que l’on vient d’évoquer mais aussi richesse et pauvreté et genres de famille. A la famille composée d’un père et d’une mère, qui ne donne rien à l’enfant avant de voir quel intérêt il pourrait représenter s’oppose la famille homoparentale, généreuse et qui n’enferme pas.

La fin édifiante de l’histoire est certes un peu simpliste (l’enfant préfère sa famille d’adoption et la vie simple au destin princier qu’on lui propose), mais certaines vérités édifiantes sont bonnes à entendre et nécessitent, pour être entendues, que l’on y mette peu de nuance. Les illustrations dramatisent les points de vue (notamment celui de l’enfant) et grossissent les caractères, donnant du relief à cette fable.

L’ouvrage est soutenu par Amnesty international.

La Princesse et le dragonLa Princesse et le dragon est devenu un classique, à juste titre. Publié en Amérique du Nord en 1980 sous un titre plus original (« The Paper bag princess ») mais peu transposable en France où les sacs en papier de super marché sont peu répandus, il a été repris par la maison d’édition Talents hauts qui a fait de l’anti-sexisme sa principale ligne éditoriale. En 2014, on en est à la 4e édition. Pour moi, le charme principal de l’album réside dans l’illustration, subtilement cocasse, jamais trop caricaturale, tout un art…

 

Le pirate et l’acrobate

Le pirate et l’acrobate
Valie Le Gall et Alex Cousseau (Ill. Max de Radiguès)

Éditions du Rouergue, 2015

Doux comme une plume

par François Quet

couv-pirate-ok.inddC’est l’anniversaire de la maman de Noé. Il sait déjà ce qu’il lui offrira : une boite à trésor, comme dans les films de pirate. Et dans cette boite il cachera ce qu’il y a de plus doux : une plume. Seulement voilà… où trouver une plume ?

L’aventure de Noé, c’est cela : trouver une plume avant le retour de sa maman, quitter l’appartement où il passe seul sa journée pendant qu’elle travaille aux conserveries, échapper aux dangers ordinaires qui attendent un enfant rêveur dans la circulation des engins de chantier, croiser une photographe qui ne prend en photos que les détails : « ce que les autres ne voient pas », suivre un chat, pister un goéland…

Au fil de la matinée, la boite se remplit de trésors minuscules (un bout de filet vert, un caillou beau comme une pépite…) et l’enfant-pirate au foulard rouge se laisse guider par le chat acrobate qui semble savoir où se cachent les objets précieux qui combleront sa maman.

Une histoire toute en douceur (sous les cris perçants des goélands) dont on apprécie particulièrement qu’elle mette en scène un enfant ordinaire dont la mère n’est ni écrivain ni journaliste, qu’elle valorise une piraterie aussi commune dans la vraie vie qu’elle est absente dans les romans : celle qui consiste à faire des trésors avec des bouts de ficelle

Dragon de glace

Dragon de glace
George R. R. Martin
Illustrations de Luis Royo
Traduit (anglais) par P. P. Durastanti
Flammarion, 2015

L’enfant des neiges

Par Anne-Marie Mercier

La littératudragondeglacere de jeunesse profite des modes de tous les secteurs, et notamment ici de celui de la fameuse série télévisée, « Le trône de fer » (Game of thrones) de George R. R. Martin, auteur de ce petit conte. Les amateurs de la série seront peut-être déçus (mais est-ce le même public ?), même si le monde dans lequel se déroule cette histoire est assez proche de celui qu’ils connaissent : des dragons, des armées qui se font la guerre et des paysans qui n’en peuvent mais, et l’hiver qui s’est installé, tout cela nous rapproche de l’univers de sa grande saga romanesque.

Une petite fille est au cœur de l’histoire. Née un jour de grand froid, provoquant la mort de sa mère, elle a elle-même un corps et un cœur froids. La froideur de son corps lui permet de jouer dans la neige avec les animaux de l’hiver et de lier amitié avec un dragon de glace. La froideur de son cœur lui fait quitter sa famille au moment où celle-ci est menacée, mais que l’on se rassure, il se réchauffera. La fin de l’histoire est à la fois un dénouement heureux et une explosion grandiose en forme de lutte entre le feu et la glace : on retrouve le souffle épique de l’auteur, fort bien traduit dans un récit en phrases courtes et simples, mais précises et souvent belles.

C’est une réédition, parue chez actuSF en 2011, le livre sera en librairie à partir du 14 octobre.

Une Chanson pour l’oiseau

Une Chanson pour l’oiseau
Margaret Wise Brown, Remy Charlip

Didier Jeunesse, 2013

Requiem pour un oiseau

par François Quet

1396829-gfUn oiseau est mort. Des enfants organisent un rituel pour l’ensevelir. On pense  à l’album d’Elzbieta, Petit lapin Hoplà (Pastel 2001) : « Qui chantera pour Petit Lapin Hoplà ? C’est moi dit l’alouette, du haut des nuages, tout au long du chemin, je chanterai pour Petit Lapin Hoplà ». Mais ce n’est pas la forme de la comptine qui est adoptée par les auteurs d’Une chanson pour l’oiseau. Le chant funèbre est un élément du récit parmi d’autres. On suit les enfants, de la découverte de l’oiseau jusqu’au réconfort que procure l’oubli. Etape après étape, on les voit célébrer l’oiseau « comme font les adultes quand quelqu’un meurt ». La chanson intervient à un moment du rituel au même titre que l’ensevelissement, le lit de fougères et de fleurs, la pierre qui portera une inscription, les violettes et les géraniums qu’on apportera pour garder en mémoire aussi longtemps que l’on peut le souvenir d’une vie éteinte.

Le chant, le requiem, tient plutôt à autre chose : le texte ne dramatise rien (« ils étaient contents de l’avoir trouvé, puisqu’ils pouvaient maintenant lui creuser une tombe »), il énonce ce que font les enfants, avec respect : « Ils l’ont emporté dans le bois/ Et ils ont creusé un trou dans la terre » et la succession des actions, sans aucun pathos, se déploie en un lent cérémonial, impression renforcée par l’alternance très régulière des doubles pages tantôt consacrées au texte et tantôt à l’illustration. Le format à l’italienne favorise lui aussi la dimension chorale du livre : un oiseau, un groupe d’enfant où nul ne se différencie, un environnement végétal, d’autres oiseaux dans le ciel, une histoire simple et naturelle qui par la discrétion même avec laquelle elle est traitée ajoute à la sérénité une forme de majesté rassurante.

Il s’agit, nous dit l’éditeur, d’un album publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1958. Bravo à Loïc Boyer (et à la collection Cligne Cligne) pour avoir donné un peu d’éternité à ce petit livre si juste et si beau.

Intemporia Le Trône du prince

Intemporia – Tome 2 : Le Trône du prince
Claire-Lise Marguier
Rouergue 2015

Une longue marche aux nombreux périls 

Par Michel Driol

intemporia-2On avait lu et apprécié le Tome 1 (notre chronique est ici). Voici la suite… Dans la communauté de la Plaine, Yoran est devenu père de deux fillettes. Mais il décide de repartir, avec trois amis,  retrouver les rebelles hors de la protection du bouclier, afin d’essayer de sauver le peuple des pouvoirs accrus qu’il a donnés à la reine. Tout a empiré, l’armée se montre de plus en plus agressive. La poignée de rebelles, autour du fils de la reine, Tadeck, retrouve dernier descendant de l’ancien roi, et tente de l’emmener dans une cité aux confins du royaume, essayer le siège du roi, afin de voir s’il est l’héritier attendu. Marches épuisantes dans des déserts, traversées de montagnes enneigées, combats acharnés, ce volume raconte le trajet de la troupe jusqu’à la cité fantôme de Terendis.

L’épopée continue, avec tous les codes de l’heroic-fantaisie : pouvoirs étranges de ceux qui ont le « sceau », trône reconnaissant l’héritier, paysages sauvages et cités, autrefois splendides, désormais à l’abandon, lac de pierre au milieu desquelles est cachée la pierre magique. Le lecteur continue sa découverte du royaume, monde imaginaire aux noms exotiques et poétiques : Terendis, Estanguil, Cabrestan… Les combats se multiplient contre une armée de plus en plus nombreuse. Yoran, qui a muri depuis le premier tome, ne se bat plus simplement pour lui et sa famille, mais pour le peuple tout entier, pour tenter d’expier sa faute. Il fait l’expérience douloureuse de la mort d’amis, et prend de plus en plus de l’ascendant sur les rebelles : c’est désormais lui qui prend les décisions importantes. Tadeck reste fidèle au personnage de l’ami parfait et sage, prévoyant tout, mais on le sent de plus en plus menacé. Au-delà de l’épopée, l’un des intérêts de ce roman est de montrer les relations humaines au sein du groupe d’insoumis et les doutes et les fragilités qui minent les héros, de mettre en évidence les valeurs qui les forcent à agir et à faire des choix.

Près de 400 pages pour ce deuxième volume qui se lisent d’une traite. Si l’on peut anticiper sur le contenu du dernier tome, la victoire et la restauration de l’ordre et de la prospérité, on s’interroge désormais sur le destin de Tadeck.

Une (ou deux) fois n’est pas coutume

Une (ou deux) fois n’est pas coutume :

C’est la deuxième fois que nous postons un texte d’actualité non strictement littéraire, peut-être y en aura-t-il d’autres?

Brigitte Morel Éditions des (Grandes Personnes), nous écrit :  » Le livre de Janne Teller paru en 2012 est malheureusement d’actualité.
Et d’une grande efficacité pour expliquer aux adolescents ce que peuvent endurer les migrants… » Oui, je pense à ce livre constamment, le connaissez vous? Si non, voici la recension que j’en avais faite, « avant ».

Guerre. Et si ça nous arrivait ?

Guerre. Et si ça nous arrivait ?
Janne Teller
Illustré par Jean-François Martin
Traduit (danois) par L W. O. Larsen
(Les grandes personnes), 2013

Comment peut-on être réfugié ?

Par Anne-Marie Mercier

Guerre-GP« Et si aujourd’hui il y avait la guerre en France… Où irais-tu ? » Tout ce petit livre est dans cette question-programme.

Imagine, dit le livre au lecteur, imagine la France gouvernée par un régime autoritaire et tentant d’imposer sa loi à l’Europe. Imagine les démocratie libres du nord liguées contre elle et ses alliés du sud, la guerre, les maisons détruites, des personnes emprisonnées, le pays déstructuré, la terreur, le froid et la faim : où aller ? Le récit raconte au lecteur son itinéraire possible. Réfugié avec sa famille au Moyen Orient, mal accepté dans un pays dont il ne parle pas la langue, d’une culture et d’une religion différente, qui se méfie de la sienne, il ne peut pas faire d’études, doit se résigner à des emplois qui le rebutent ; il rêve de retour, mais le pays qu’il a quitté ne veut plus de lui.

Janne Teller a transposé le quotidien banal d’un réfugié en se contentant de décaler les situations et de faire vivre (par le tu et le vous : le texte est écrit du début à la fin à la deuxième personne) cela par ceux qui regardent les choses de l’extérieur. La forme du livre est-elle même exemplaire : il imite le format et la couverture d’un passeport européen ; les dessins stylisés illustrent la simplicité et la rigueur de la situation.

Un tout petit livre, un grand choc et une belle leçon.

Voir la présentation par l’auteur 

Louison Mignon cherche son chiot

Louison Mignon cherche son chiot
Alex Cousseau, Charles Dutertre

Éditions du Rouergue, 2015

Le grand secret

par François Quet

 

61Mh-5yulyLLouison, six ans et demi, parle à son chiot qui n’est pas encore né, en même temps qu’elle le recherche. Elle lui parle des tomates et des aubergines, des nuages, des ronces ou des orties. Car c’est à la campagne que se déroule cette histoire, entre jardin et forêt : où peut bien se cacher la chienne pour faire ses petits ? La réponse, qu’on se rassure, est donnée à la dernière page (mais dans l’illustration, pas dans le monologue de la fillette).

Le texte d’Alex Cousseau donne une belle profondeur à cette quête enfantine : « Tu dors là où il fait encore nuit. Tu dors avant la vie », dit Louison au petit chien « pas plus gros qu’un cornichon », bien à l’abri, caché dans le ventre de sa maman. Et le décor champêtre accentue le caractère fondamental de ces interrogations puisqu’il convient d’arroser les légumes et leur chuchoter des secrets comme le fait le grand-père de l’enfant et comme elle-même le fait à ce petit chiot qui n’a pas encore vu le jour, pour les faire mûrir avant de les cueillir, et que d’autres encore viennent au jour. Les illustrations de Charles Dutertre renforcent encore cette impression de décalage entre l’histoire minuscule et et l’ampleur cosmique des questions qu’elle pose : d’un côté, les visages simplifiés à l’extrême (une bouille ronde, quelques traits et points pour dire les yeux ou la bouche, quelques aplats orangés pour signifier des cheveux) ou l’emploi de cette seule couleur pour signaler une guirlande de tomates ou les ailes d’un papillon ; de l’autre, l’entrelacs compliqué de lignes noires et épaisses, encre de chine ou feutre, très décoratif, pour insérer les personnages dans le mystère des bois ou des champs. Les motifs floraux ou les touches répétées prolifèrent et dessinent autour de l’enfant, avec une grande sobriété de moyen, un univers merveilleux et joyeux.