Croque-Cochon

Croque-Cochon
Henri Meunier
Rouergue, 2022

Qui craint le grand méchant loup?

Par Anne-Marie Mercier

Ça commence comme un livre pour apprendre à compter : on prend cinq pommes (l’oiseau sait bien compter et il le dit d’emblée), on met trois cochons devant, que se passe-t-il ? Eh bien ils disent n’importe quoi, comptent de deux en deux, à l’envers… et mangent chacun une pomme, jusqu’au moment où un loup arrive, qui veut aussi jouer. Mais le jeu s’appelle à présent « croque-cochon » et le loup joue finalement en comptant deux pommes et trois chapeaux de cochons : 1, 2, 3, 4, 5, Bravo !

Le chapitre suivant propose d’apprendre les couleurs avec une poire, un bonbon bleu, des cerises… le suivant porte sur les formes géométriques, mais tout s’achève par un même résultat, avec l’arrivée du loup qui met fin au joyeux n’importe quoi des petits cochons roses, devant le regard accablé de la maitresse oiseau.
Ignorant tout de leur futur tragique, les cochons sont très gais, écorchent joyeusement la langue, feignent de parler anglais, chics et cools, enfin, on s’amuse bien avec eux !
Henri Meunier, auteur de la série Taupe et Mulot, met ici son humour au service des apprentissages fondamentaux, belle mission!

Les Flamboyants

Les Flamboyants
Hubert Ben Kemoun
Sarbacane 2022

Quatre kids et un mort

Par Michel Driol

Ils sont quatre, quatre pensionnaires des Flamboyants, une institution d’enfants que la vie n’a pas particulièrement gâtés. Il y a le narrateur, Samuel, prompt à simuler des crises d’épilepsie pour se protéger, Claudius qui joue aux billes avec son œil de verre, et dont la prononciation n’a rien de canonique, Kenny aux diarrhées pathologiques, au passé compliqué, et Martial qui, pour sauver sa mère atteinte d’un cancer, a décidé de ne plus grandir…. Et lorsqu’on découvre le corps de leur éducateur écrasé sur la terrasse en contrebas, les voilà sommés de répondre aux questions d’un policier qui a l’air d’avoir du mal à les comprendre. Heureusement que la psychologue est là pour les écouter et les entendre.

Dans cette unité de lieu et de temps, moins d’une demi-journée, se succèdent trois actes narratifs, Il y a un corps sur la terrasse en bas, il y a un homme qui a des questions à nous poser, il y a des réponses qu’on n’attendait pas. Le roman réussit le tour de force d’être drôle par sa langue, par ses situations, par le regard à la fois naïf et averti que portent les enfants sur le monde qui les entoure tout en parlant d’une réalité sordide (viols d’enfants, violences, pères en prison, familles qui se déchirent, abandon dans ce centre…) sans rien édulcorer de cette réalité, tout en préservant les plus jeunes lecteurs qui ne décoderont pas forcément tous les implicites du texte. Chacun des quatre protagonistes est une victime, en quête d’amour, écorché vif, mais terriblement attachant dans ses blessures, dans ses façons de se défendre contre la vie… Le policier en fera les frais ! Toutefois, au travers de cette enquête, en répondant aux questions de l’enquêteur, les enfants, et particulièrement Samuel révèlent leur passé, leurs failles. Ce dernier s’engage sur la voie où il pourra parler de ce que lui a fait subir son beau-père. C’est sur cet espoir d’une parole – c’est-à-dire d’une guérison possible – que se termine le roman, qui vaut aussi par les figures d’adultes présentées avec humour et sans complaisance. Cela va du directeur à sa secrétaire, à certains éducateurs dont celui qui est décédé. Chacun se voit affublé par les enfants d’un surnom pittoresque. Ces personnages plus ou moins négatifs, ridicules, servent de faire valoir à deux figures féminines de qualité, l’institutrice et la psychologue, adorées des enfants, en particulier pour leur patience, leur façon de ne jamais se mettre en colère. Tout ce petit monde forme un microcosme clos, avec ses rituels attendus, comme un condensé d’humanité dans lequel se retrouvent toutes les valeurs humanistes de l’auteur. Il n’est que de voir, dans les dernières lignes, les réactions du personnage du policier, qui s’humanise soudain au contact de ces enfants qui sont, comme le dit la psychologue, les véritables flamboyants. Le sous-titre « nous, on n’a tué personne » inscrit le texte dans la catégorie du roman policier, dont il reprend les codes (une victime, des témoins bien particuliers), mais il renvoie aussi à l’innocence fondamentale des enfants dans un monde où domine le mal.

Ecrit dans une langue pleine de saveur, de jeux avec les mots, ce huis-clos plein de vie se lit d’une traite, et dessine des figures de personnages maltraités par l’existence que le lecteur ne sera pas près d’oublier.

Les Choses à se dire

Les Choses à se dire
Pei-Chun Shih, Amélie Carprentier
Hongfei, 2022

Ce que vivent les roses…

Par Anne-Marie Mercier

Dans un jardin, chacun vaque à ses occupations : une abeille butine de fleur en fleur, un escargot passe de feuille en feuille, jusqu’au soir où il rencontre une fleur, si belle qu’il veut la maintenir éveillée pour pouvoir lui parler.

La fleur elle, regrette le départ de l’abeille, à qui elle avait encore tant à dire. Elle se réjouit de l’arrivée de l’escargot, mais il est tard et elle a tant à dire… Elle perd ses pétales un à un, tandis que l’escargot la rassure : « il est temps encore »… et il promet de recueillir ses mots pour les transmettre à l’abeille.
Ce joli récit nostalgique qui évoque le départ de ceux à qui on n’a pas assez parlé, que l’on n’a pas assez écouté, évoque l’écoute et la transmission. La dédicace à une grand-mère y prend tout son sens. Les abeilles et les escargots montrent deux façons de se mouvoir dans la vie et d’aborder les autres, quant à la fleur elle est la sédentaire qui attend… et contemple les belles abeilles tourbillonnantes.
Mais les images restent gaies, colorées, en gros plan sur les personnages et ceux-ci ont une bonne figure toute ronde et souriante, évacuant toute tristesse.

Le mystère Orwitz

Le mystère Orwitz
Rachel Corenblit et Cécile Bonbon
Rouergue dacodac 2020

Pas plus haute qu’un pouce…

Par Michel Driol

Une nouvelle locataire bien mystérieuse vient de s’installer dans l’immeuble de Nola, Louis et Amadéo. Lors de la fête des voisins, la bande décide de visiter son appartement, Nola en tête. Un appareil étrange les miniaturise, et les voilà menacés par des gros rats. Retrouveront-ils leur taille normale ?

Un récit enlevé, avec des personnages hauts en couleurs, Nola qui sait parler à son chat Dago (clin d’œil au Club des Cinq ?), Louis, fils intelligent de parents anglais, et Amédeo, le garçon le plus gentil au monde. Le récit, dont la narratrice est l’héroïne, est construit à partir de la réduction de taille de Nola d’un retour en arrière qui explique comment on en est arrivé là, façon de plonger le lecteur dans le cœur de l’action. L’intégration des illustrations y est très poussée, puisque celles-ci contribuent à faire avancer l’action, et n’ont pas qu’une fonction illustrative. L’ensemble est plein d’humour, plein de vie, de rebondissements, de surprises. Ce court roman permet aux héros de côtoyer des animaux soit pleins de sollicitude, soit adversaires redoutables, des appareils de science-fiction, une savante en exil : autant d’éléments du récit d’aventure destiné aux plus jeunes qui sont des incitations à lire et à se plonger dans un univers à la fois étrange et familier, tout en se demandant si la curiosité est ou pas un vilain défaut, et si science sans conscience n’est que ruine de l’âme….

Une bande sympathique, des péripéties à la fois attendues et inattendues, le cadre d’un immeuble familier : de quoi procurer le plaisir d’avoir un peu peur, et de sourire !

Violette Hurlevent et les fantômes du jardin

Violette Hurlevent et les fantômes du jardin
Paul Martin, Jean-Baptiste Bourgois (ill.)
Sarbacane, 2022

Le Jardin du temps perdu

Par Anne-Marie Mercier

Violette Hurlevent, qui nous avait tant charmés dans le premier tome est de retour. C’est une bonne nouvelle car ce Jardin Sauvage est un lieu infini de possibilités et d’aventures (voir la recension du premier tome) et Violette, accompagnée de son chien Pavel est une héroïne attachante.

Seulement voilà : Violette aborde ces nouvelles aventures sans son chien, et elles sont inextricables sans lui, ce qui fait que l’action piétine autour de plusieurs énigmes avant de pouvoir lancer enfin l’héroïne à l’assaut des obstacles, une fois son chien retrouvé/ ressuscité.
En « réalité », tout est difficile : Pavel est mort. Violette, la petite fille terrorisée du premier volume, a grandi, s’est affirmée, elle a vécu d’autres drames et la voici âgée, perdant sans doute un peu la tête d’après ses enfants et son petit-fils, et cherchant à retrouver le havre de son imaginaire d’enfant. Sautant dans le jardin, elle retrouve son corps de fillette et toute son énergie ; hors du jardin, rattrapée par la fatigue de l’âge, elle reste capable de lutter  pour convaincre, réparer, protéger : elle est en effet la « Protectrice » du Jardin et de ses habitants, plantes, animaux, « jardiniens », et jusqu’aux humains du monde ordinaire qui, comme elle, s’y sont incrustés.
Imaginaire, vie fantasmée ou réalité ? Tous ces niveaux sont entremêlés, à l’image de la ronce géante qui menace le Jardin. La tentation de fuir le réel et de réparer les pertes passées pour construire un « Jardin Parfait » que le temps n’atteindrait pas, attitude que refuse Violette, est incarnée par la présence inquiétante d’un adulte appelé le Baron, qui, monté sur un grand cheval noir, a mis le Jardin en coupe réglée et réduit ses habitants en servitude volontaire. Face à lui, Violette incarne l’acceptation du temps, de ses blessures, le pardon et l’amour de la vie, donc du désordre.
L’auteur fait ici le portrait d’un réel complexe qui imbrique différents niveaux de réalité et propose une réflexion sur les frontières du temps et de l’espace. Mais il y a aussi de beaux combats, des voyages qui donnent le vertige, des trouvailles originales, des êtres fantastiques hostiles, à qui Violette sait parler et dont elle arrive à capter les secrets.

L’Honneur de Zakarya

L’Honneur de Zakarya
Isabelle Pandazopoulos
Gallimard Scripto 2022

L’Etranger aux autres et à lui-même ?

Par Michel Driol

Zakarya, entre adolescence et âge adulte, est accusé du meurtre d’un autre boxeur, Paco. Il se mure dans le silence. Entre scènes d’audience du procès et retours en arrière, entre le Morvan natal et la région parisienne, entre la mère aimante et les bandes de banlieue, entre enfants de l’immigration et bobos, c’est toute la courte vie de cet antihéros que raconte ce roman noir.

Qui est Zakarya, qu’est-ce qu’un individu ? De lui, on ne perçoit que des éclats, des fragments, une personnalité qui se difracte selon les époques, selon les situations, selon celles et ceux avec qui il est en présence. Il semble absent à sa propre histoire. Est-ce lui l’assassin ? Certes, il a eu maille à partir avec la police, a été violent, incontrôlable, mais par ailleurs tout le montre attentionné, sensible, altruiste… Ce sont là différents aspects de ce personnage qu’il est difficile d’assembler, comme un puzzle aux pièces trop nombreuses. C’est la force de ce roman de mettre le lecteur en position de juge, en lui révélant petit à petit des bribes d’un passé qui s’entremêlent, et donnent du personnage principal des visions contradictoires. C’est aussi un roman qui vaut par l’arrière-plan social sur lequel il s’inscrit, qu’il s’agisse de la condition des femmes immigrées, en province ou en région parisienne, de  la bourgeoisie de province, de toute une sociologie banlieusarde, entre club de boxe comme une planche de salut et grands frères islamistes, caïds mêlés à tous les trafics. Personne – pas plus le lecteur que les personnages –  ne sort indemne de ce roman, qui célèbre pourtant l’amour inconditionnel d’une mère pour son fils, ou l’empathie sans faille d’une avocate. Tous les personnages semblent dans l’excès, excès d’amour, excès de silence, excès de sensualité, excès de timidité, excès de désir. Comment trouver sa voie, se construire, se repérer, en particulier au moment de l’adolescence, des premiers émois amoureux, des grandes rebellions, lorsque l’on a été coupé de ses racines dans le Morvan ? Mensonges, faux-semblants, paraitre, tout cela forme comme un engrenage qui va broyer le héros, dont on sent bien que son silence – et le sacrifice – ne sont  là que pour protéger quelqu’un. Mais qui ? Rarement la forme du roman noir aura été si bien utilisée pour dire les ombres qui planent sur nos destinées, quand il est difficile de trouver une place, sa place, dans le monde, en particulier lors que l’on n’a pas de père reconnu et qu’on porte un nom à consonance maghrébine. Disons enfin que ce roman  – comme souvent les romans de l’autrice – donne la parole à ceux qui sont d’ordinaire sans voix, qu’on n’écoute pas, en raison des préjugés trop nombreux ou de leur difficulté à se dire. Il tente de faire comprendre comment de petit garçon morvandiau on devient ado à problème, dans une perspective finalement assez rousseauiste : l’homme nait bon, c’est la société qui le corrompt. Au fond, telle est bien l’essence du polar, d’interroger et de montrer le mal à l’œuvre dans la société.

Un roman noir et sombre, fait d’allers et retours pleins de sens entre le présent et le passé,  qui parle sans faux-semblants de notre société, sans donner de leçons,  et de la difficulté d’être juste quelqu’un de bien quand tout s’y oppose.

L’été dernier

L’été dernier
Jihyun Kim
Seuil Jeunesse 2022

Là tout n’est qu’ordre et beauté…

Par Michel Driol

Pas de texte dans cet album, mises à part quelques lignes en fin d’album, dans lesquelles l’auteure explique avoir passé quelques jours dans un village au bord d’un lac, l’été dernier. Elle évoque alors les moments privilégiés qu’elle a passés dans la nature, et son désir de vouloir partager ce sentiment de quiétude.

Album sans texte, L’été dernier évoque une journée d’été inoubliable dans des tableaux de toute beauté, presque monochromes, sublimés par le grand format de l’album. On part d’une ville, que l’on quitte, pour arriver dans une maison à la campagne, celle des grands-parents, possiblement. Puis c’est la promenade de l’enfant seul avec son chien, dans la forêt, son bain dans le lac, seul face à l’immensité du ciel, et le retour à la maison. Cette simple promenade, d’une après-midi, terminée par la vision d’un ciel nocturne rempli d’étoile, a des vertus apaisantes.

En double page, les illustrations sont superbes, remplies de détails montrant la vie quotidienne (dans la chambre en ville du garçon), l’histoire familiale (dans les photos chez les grands-parents) mais surtout le plaisir de la liberté en pleine nature, que ce soit dans la forêt ou sous l’eau. L’album inscrit magnifiquement le temps qui passe sur une journée bien particulière – au travers de l’horloge dans la chambre de l’enfant, des ombres qui s’allongent, de la nuit qui tombe, des lumières et des étoiles.   Ce récit sans texte est construit à partir d’illustrations pleines de poésie, qui magnifient la nature  et les plaisirs du jeu, des rencontres avec les arbres tous différents à celles des poissons sous l’eau.

Un magnifique album à contempler, pour lequel les mots sont inutiles, qui semble figer le temps de vacances au sein d’une nature immuable et éternelle. Zen…

10 petits lapins

10 petits lapins
Vanessa Hié
Seuil Jeunesse

Un livre à décompter en clin d’œil à Agatha Christie

Par Michel Driol

Ce sont dix petits lapins sur le chemin de l’école. Mais, à chaque page, l’un d’eux disparait, tandis que rôdent par là des dangers comme le renard, le loup, le blaireau ou le vieux bonhomme. Finalement un seul des lapins, un peu paniqué, arrive à l’école … où l’attend une surprise !

Construit comme un conte en randonnée, cet album nous emmène sur le chemin de l’école où nous suivons ces dix petits lapins dont le nombre diminue au fil des pages. A gauche, sous un rabat, on découvre une vérité, des indices : une belette et des souliers, une immense chouette, une belette et un mouchoir… Autant de signes que, comme dans les Dix petits nègres d’Agatha Christie, une disparition a eu lieu, dont les autres n’ont pas conscience… Rassurez-vous, lecteurs, rien de tragique dans cette histoire de disparitions progressives. Une chute en happy end révèle la clé du mystère, sous forme d’une fête bien carnavalesque, avec force déguisements ! L’album est tout-à-fait réjouissant, avec son texte bien emporté, empli de marques d’oralité, d’adresses au lecteur, d’interrogations, d’exclamations, bref, de vie ! Les illustrations montrent des petits lapins très anthropomorphisés, en vêtements d’écoliers, cartables sur le dos, dans une perpétuelle course de la gauche vers la droite. Les « survivants » ne voient pas qu’ils sont de moins en moins nombreux, et ils se précipitent, de la gauche à la droite de la page illustrée, vers l’école, jusqu’à ce que le dernier lapin arrive, un peu paniqué de se retrouver seul, à l’école… Cette randonnée sur le chemin de l’école est superbement illustrée, avec de nombreux détails croustillants à regarder tant dans les attitudes de ces petits lapins (j’ai un faible pour la page où ils boivent directement l’eau de la cascade !) que dans le décor fait d’immenses fleurs, fraises… un vrai pays de cocagne !

Un album à décompter plein de surprises, avec une chute inattendue, que l’on sent vraiment conçu pour le plus grand plaisir du lecteur !

 

 

Les Poupées savantes

Les Poupées savantes
Arthur Ténor
Le Muscadier 2022

Alter poupée…

Par Michel Driol

Dans un futur proche Lilibellule reçoit pour son anniversaire une poupée savante, réplique exacte de son visage, qui doit l’aider dans son travail scolaire. Surviennent deux événements. Lilibellule est renversée par une voiture, et la poupée est enlevée par un gang de trafiquants de poupées  et robots. Comment la récupérer ?

Dans ce roman de science-fiction, Arthur Ténor propose une société dans laquelle s’affrontent les cyberprogressistes, partisans de développer au maximum toutes les formes d’intelligence artificielle, et les humaniloves, qui pensent qu’il faut rejeter l’usage des humanoïdes dans la vie quotidienne. Ces deux causes sont incarnées par Lillibellule, dont les parents gèrent une start-up consacrée au développement de robots et Cléon, qui semble épouser la cause humanilove. C’est à une réflexion sur le thème de l’intelligence artificielle que conduit ce roman. Représente-elle un danger pour l’humanité, en termes de perte de contrôle sur sa destinée, voire sur sa nature même ?  Les scènes finales confrontent les héros à eux-mêmes, aux envies de pouvoir absolu, à l’usage d’armes à distance, façon de se sentir tout puissant, mais aussi responsable. La vie et la mort ne sont pas des jeux vidéo, et le sens de la mesure, de la raison doivent l’emporter face à toutes les tentations.

Un roman de science-fiction qui pose des questions bien actuelles, aborde la question de ce qui fait notre humanité, celle de notre dépendance aux différentes formes d’intelligence artificielle, et touche aussi certains points sensibles pour les ados comme leur relation aux réseaux sociaux et aux fake-news.

Un autre rivage

Un autre rivage
Chloé Alméras
Gallimard Jeunesse 2022

Quand la mer a monté…

Par Michel Driol

Après que la mer a monté, tout un village se retrouve sur des bateaux en quête d’un lieu pour aborder et refaire sa vie. Racontée à la première personne par une enfant, cette histoire montre le village en butte aux puissants qui ne veulent pas l’accueillir, jusqu’à ce qu’un oiseau blanc prenne ces réfugiés climatiques sur ses ailes et les transporte dans une ile où ils pourront retrouver une vie normale.

Comment aborder, à destination des plus petits – à partir de 4 ans – ces problématiques de migration climatique, d’exil, d’inhospitalité de nos sociétés, sans les traumatiser ou les désespérer ? Cet album réussi tient cette gageure, par ses choix narratifs d’abord. C’est une enfant qui raconte, une enfant avec une famille, dont une petite sœur qu’elle protège, avec laquelle elle invente des histoires, de façon à permettre l’identification de l’enfant lecteur. Par son écriture, qui utilise les métaphores pour dire le monde hostile de ceux qui refusent d’accorder l’hospitalité. Par ses techniques d’illustration ensuite. Si la mer envahit tout, les bateaux constituent des espèces de cellules closes, protectrices, ovales, dans lesquelles se serre la famille – à l’image de ces enfants qui se précipitent, le dimanche matin, dans le lit des parents. Enfin par le recours à l’imaginaire, qui ouvre la voie à une fin heureuse quand le lecteur adulte sait que la fin est souvent tragique. Cet oiseau blanc qui sauve les naufragés, après que plusieurs ont refusé l’asile aux réfugiés, renvoie aussi à la colombe de la paix, à une puissance protectrice, et le texte a l’intelligence de laisser le lecteur l’identifier. Je l’ai reconnu, dit sobrement la narratrice… Cet imaginaire, c’est aussi celui des sources d’inspiration des illustrations, qui semblent plonger à la fois dans les cultures polynésienne, aborigène et sud-américaine. L’album se clôt sur une utopie, peuplée de gens accueillants, vivant en lien avec la nature, comme la promesse d’un lieu où les exilés pourront à nouveau s’enraciner, à l’image des arbres évoqués dans la dernière phrase.

Un album empli de délicatesse et d’émotion, qui sait conjuguer la magie et l’humanité pour souhaiter qu’un autre futur soit possible sur la terre, notre maison commune.