La Grande Escapade

La Grande Escapade
Clémentine Sourdais
Seuil jeunesse, 2021

Là-haut sur la montagne…

Par Anne-Marie Mercier

« Livre randonnée », ce livre à découpes mérite bien son nom : nous suivons l’itinéraire d’une jeune fille, Brume, partie au matin en laissant un mot sur a table « pour dire qu’elle reviendra » : on traverse la forêt, les champs de fleurs, l’alpage, on découvre les sommets, à la fois proches et lointains, et puis on redescend, le cœur plus léger qu’à la montée : Brume s’est disputée la veille avec sa mère, et toutes deux ont fait la même chose, chacune de leur côté.

Une journée seule, à côtoyer les animaux, les plantes, à manger des myrtilles et rêver, et tout s’arrange. Pour le lecteur aussi cette promenade pleine de fraicheur est un parfait dépaysement. Les rabats, nombreux, lui font découvrir la faune et la flore, ouvrent les perspectives, déploient les nuances en pages composées en camaïeux. C’est une belle promenade, pleine de surprises.
C’est aussi une petite encyclopédie sur la montagne : on trouve en fin d’album quatre doubles pages qui reprennent en les nommant les animaux et plantes rencontrés dans l’album. Certains sont accompagnés d’un court texte explicatif.

 

Rêves d’une étincelle

Rêves d’une étincelle
Mélusine Thiry
HongFei 2022

Mon Dieu mon Dieu cela ne s’éteint pas

Par Michel Driol

Cet album est la réédition de Si je grandis (HongFei 2009), dans une mise en page remaniée. Ce texte subtil et poétique, permet à Mélusine Thiry d’évoquer à travers de nombreuses images, dans une forme simple, ce qui sépare et réunit l’enfance et l’âge adulte. Que garde-t-on de son enfance quand on est adulte ? Qu’est-ce qui est propre à l’enfance ? Ce sont ces questions, à la fois simples et complexes, que soulève cet album.

La langue sait être accessible à tous, et pourtant métaphorique. Autant le titre initial « Si je grandis » reprenait les incipits de plusieurs des quatrains qui composent l’album, le nouveau titre, « Rêves d’une étincelle » donne comme un avant-gout de la fin, où il est question de l’étincelle de vie qui perdurera, et ouvre au riche l’imaginaire du rêve et des espoirs. L’étincelle devient ainsi une belle métaphore de l’enfance, dans son jaillissement, sa brièveté, sa fulgurance, sa petitesse aussi.  Certes grandir c’est perdre : ne plus se cacher dans les fleurs, ou ne plus se reposer dans la main de la mère… Mais c’est conserver de l’enfance le gout des fleurs, qu’on fera pousser dans un jardin, ou avoir un enfant dans sa propre main. On passe ainsi d’un univers terrien et minuscule à un univers céleste et immense. La mise en page souligne ce contraste entre enfance et âge adulte, coupant souvent chaque proposition sur deux pages : l’enfance d’abord, l’âge adulte ensuite, laissant comme en suspens le devenir. D’autres pages, au contraire, associent enfance et âge adulte en un seul regard. Pour ce « je » qui s’exprime à toutes les pages, grandir est un avenir qui se semble se situer à mi chemin entre l’option (Si je grandis) et l’inéluctable (Lorsque je serai grande). L’autrice, qui travaille avec la lumière, propose des illustrations de toute beauté, dans lesquelles les couleurs et les ombres chinoises jouent un rôle fondamental. Elles utilisent en particulier le flou dans les ombres, qui donne une impression de mouvement et de vie, et subliment le contraste entre le minuscule et l’infini du ciel et des étoiles, comme autre lumière vers lesquelles s’envoler, à la manière de l’enfant-libellule de la dernière page. Les éléments naturels (animaux parfois, mais le plus souvent végétaux, fleurs, plantes, arbres) figurent sur toutes les pages, aussi souvent en ombres posées sur des textures colorées, façon d’inscrire cette permanence de la nature comme cadre de vie.

Un magnifique album poétique pour rêver et se projeter dans l’avenir, ou évoquer les plaisirs de l’enfance, comme une leçon de vie…

 

Magma

Magma
Marine Rivoal
Rouergue, 2022

Big Boum

Par Anne-Marie Mercier

Le premier héros de notre monde, celui qui a tout déclenché, doté de super pouvoirs extraordinaires a enfin son album et son récit : voila Magma. Au début, tout est noir (magnifiques noirs de Chine de Marine Rivoal), puis Magma s’éveille, il façonne la terre tandis que la vie éclot, les mammouths se promènent, les océans se peuplent…
Il « remue ciel et terre », parcourt le monde, explose lorsque les hommes ne le laissent pas assez respirer, se rendort…

Les noirs et l’orange se côtoient sans se mélanger, formant des arabesques, des flèches, des blocs… et font de cette histoire un beau conte épique sur les origines du monde, sa fin possible et ses recommencements.

Kissou

Kissou
Angèle Delaunois – Jean Claude Alphen
D’eux 2022

A tous les petits qui ont dû abandonner leurs rêves en cours de route

Par Michel Driol

Kissou, c’est le nom du doudou d’Amina. Une nuit, sa mère la réveille, lui demande de préparer quelques vêtements et objets, car elles vont fuit leur ville où sévit la guerre. C’est le début d’un long exode, Amina serrant toujours Kissou contre elle. Après le campement de réfugiés, c’est la traversée à bord d’un bateau trop petit, et le naufrage au cours duquel Amina perd Kissou. Amina est sauvée, et Kissou, découvert par un autre homme, est donné, dans un autre camp de réfugiés, à un garçon solitaire et handicapé.

Sur la page de titre, des jouets abandonnés sur l’ocre d’une sorte de plage donnent le ton de cet album. Comment parler de l’exil, de la guerre, des réfugiés à des enfants ? Par le biais du doudou que l’on serre contre soi, signe du passé, porteur d’odeurs, rassurant. Aucune complaisance dans ce album : c’est la réalité des migrants qui est montrée, l’attente dans des camps, cette attente interminable qui fait perdre à Amina toute notion de temps. La dignité et le courage sont mis en avant : Amina ne pleure pas, ne se plaint jamais, malgré les dures conditions de vie. L’évocation de la traversée en bateau, au cours de laquelle beaucoup n’ont pas la chance d’être sauvés, est marquée du sceau du réalisme, avec une conclusion « heureuse » pour Amina et sa maman. Mais peut-on parler de bonheur quand on a perdu le dernier lien avec la vie d’avant ? Le texte dit la peur, la souffrance, la solitude, à hauteur d’une enfant dont il épouse le point de vue. C’est un album sur la perte, perte symbolique du doudou, perte de l’innocence, perte de l’espoir, perte des repères, perte du pays natal. C’est aussi un album sur la passation : Kissou – comme dans l’album d’Ungerer Otto – va continuer sa vie de doudou, consoler un autre enfant qui a besoin d’affection. C’est un récit sur la guerre, sur la résilience et sur la force morale de celles et ceux qui ont tout perdu, notamment des enfants qui ont dû affronter des dangers redoutables pour tenter de survivre. L’empathie de l’autrice et du dessinateur envers leurs personnages est fortement communicative. Les illustrations, très dépouillées, disent l’essentiel en quelques lignes : une ville qui brule, une foule de réfugiés au bord de la mer, la petite lumière devant une tente, ou encore Naïm, l’enfant unijambiste, muni d’une pauvre béquille en bois, serrant contre lui Kissou.

Un album dur, bien sûr, mais sensible et juste, à l’image de la réalité contemporaine des migrations, des exils, qu’il ne cherche pas à édulcorer, et qui permettra à des enfants plus heureux d’avoir une vision qu’on espère aussi empathique que celle des auteurs.

Rouli Rouli Roulette

Rouli Rouli Roulette
Cécile Bergame, Magali Attiogbé
Didier jeunesse, 2021

La victoire du petit pois

Par Anne-Marie Mercier

La fameuse galette de Roule Galette s’est ici transformée en petit pois et cette forme et cette couleur permettent de belles variations : pourchassé par la souris, puis le chat, le lapin, le cochon, etc., jusqu’au loup, le « petit pois sauvage » qui a échappé aux mains de Fillette a traversé la maison, puis la ferme pour arriver dans la forêt, revenir par le chemin… et se glisser dans un trou, où il germera et où Fillette le trouvera.

Le texte est idéal pour la lecture à voix haute, enchainant les lieux et les actions de façon dynamique. Les images sont vivement colorées, jouant sur les couleurs complémentaires, elles sont simples, tout en combinant différentes techniques dont certaines imitent les bois gravés.
C’est un album carré (forcément !) qui reprend joliment un grand classique. Et en plus l’histoire ici finit bien !

Mon frère s’appelle Raymond

Mon frère s’appelle Raymond
Florent Marchet
Thierry Magnier – petite poche 2022

Dur, dur, d’avoir un petit frère !

Par Michel Driol

Depuis que Raymond, le petit frère, est arrivé dans la maison, il n’y en a que pour lui. Les parents bêtifient. Les routines ont dû changer. Voilà qui déplait beaucoup à la narratrice, une fillette de 6 ans, déjà dotée d’un plus grand frère.

Ce court roman propose quelques scènes de la vie de famille, dans une langue familière et vivante, à la limite de l’oralité, bon reflet de la personnalité de la narratrice. On ne révèlera pas ici la chute, pourtant bien préparée par le texte, ses situations, son vocabulaire. On dira simplement qu’elle jette un regard nouveau sur les familles contemporaines, sur nos petits et grands travers, et incite à relire le roman d’un œil nouveau. Ah ! Le plaisir d’avoir été trompé par une narratrice participe aussi des découvertes à faire dans l’univers de la littérature!

Un court roman, destiné à des lecteurs débutants, qui invite à se questionner sur ce qu’on aime et comment on l’aime, la jalousie et la vie de famille.

Le Cerisier de Grand-Père

Le Cerisier de Grand-Père
Anne-Florence Lemasson et Dominique Ehrhard
Les Grandes personnes, 2020

Un album aérien pour toutes les saisons

Par Anne-Marie Mercier

Un scénario tout simple sert cet album pop-up qui parvient à être magnifique et surprenant tout en étant lui aussi marqué par la simplicité.
Grand-père a un cerisier. Au printemps les oiseaux y chantent et font leurs nids, des oisillons naissent, les fruits murissent, mais voilà les cerises grignotées : Grand-Père sort l’épouvantail. Les feuilles jaunissent, arrivent les premiers froids (des flocons même sur l’image, ce qui est un peu tardif, mais c’est bien joli comme ça aussi), les oiseaux s’en vont.
Les oiseaux tout ronds et colorés sont charmants, le système les anime de diverses façons, fait éclore les oeufs, fait voleter les oiseaux (et les papillons); on les voit pointer le bec, s’agiter en tous sens.
Le décor est constitué comme il l’aurait été pour un un leporello : la première page montre le bout des branches de la moitié gauche de l’arbre, puis la suite de ces branches attachées au  tronc, puis l’autre moitié de l’arbre. Et ainsi on passe du printemps à l’été, puis à l’automne, puis à l’hiver.
Les tirettes sont simples à actionner, l’ensemble est solide et un enfant même petit (3 ans) peut s’en régaler, avec une aide au début pour voir comment éviter de maltraiter le livre; c’est si joli que les adultes ne manqueront pas de vouloir participer à ce parcours.

L’Agence Pendergast : Le Prince des ténèbres

L’Agence Pendergast : Le Prince des ténèbres
Christgophe Lambert
Didier Jeunesse 2019

Les mystères d’Ellis Island

Par Michel Driol

New York, 1893. Lorsque Sean, petit voleur à la tire sous les ordres de Bill le Boucher dérobe la montre de M. Pendergast, il ne sait pas où il a mis les pieds. Car M. Pendergast le retrouve, et lui propose, au vu de sa débrouillardise, de rejoindre son agence. Installée dans les sous-sols d’Ellis Island, doté de tout le matériel moderne (électricité, téléphone…), cette agence gouvernementale a pour charge de détecter les créatures paranormales qui transitent par Ellis Island. Dans le premier tome de cette série, c’est  Dracula lui-même que Sean devra combattre.

Ce récit plein de dynamisme plonge le lecteur dans un univers à la fois historique (le New York de la fin du XIXème siècle, avec ses taudis, ses immigrants…) et fantastique (avec des baguettes de sorcier et des monstres que l’on dirait sortis de la série Harry Potter). Les personnages sont bien dessinés : un orphelin débrouillard, un indien garde du corps, un inventeur que aurait tout à fait sa place dans les James Bond, une jeune métisse pour qui Sean ne se sent pas indifférent, et deux figures antagonistes, Bill le Boucher, roi sans scrupule de la pègre locale, et M. Pendergast, plein de sollicitude. Ce premier tome d’une série qui s’annonce prometteuse plante surtout le décor : visite des locaux de l’agence, de sa redoutable prison, mais il ne manque pas non plus d’action : courses poursuites dans les rues de New York mais aussi dans les airs. Bref, de la littérature populaire (on songe à Eugène Sue), au bon sens du terme, avec ses passages attendus, ses personnages et ses situations un peu stéréotypés (Sean à l’heure du choix entre le bien et le mal…), et cet élan narratif qui pousse à tourner les pages tant on attend la suite.

Une série bien inscrite dans son contexte historique qui deviendra sans doute addictive pour de nombreux jeunes lecteurs et lectrices.

Un chien dans un jardin

Un Chien dans un jardin
Patricia Storms et Nathalie Dion

Traduit de l’anglais par Christian Duchesne
D’eux, 2022

« Manquer la joie, c’est manquer tout »

Par Matthieu Freyheit

Stevenson rendait hommage à la joie, cette forme économe du bonheur qui parvient à être à la fois contentement et étonnement. C’est ici une leçon de joie à laquelle invite Patricia Storms par l’entremise du chien César, auquel l’illustratrice, Nathalie Dion, prête à chaque instant un regard vif et satisfait. Il fallait bien le regard d’un chien pour donner à contempler le plaisir pris aux choses simples : entendre sa maîtresse se lever et faire mine de dormir encore, attendre sa voix qui l’appelle, partager son petit déjeuner et, surtout, franchir avec elle la porte de la maison pour l’accompagner au jardin, où attendent les haies, les feuilles, la terre à creuser et les fleurs à aimer, l’eau du tuyau d’arrosage…
Faut-il un esprit simple pour apprécier les choses simples ? Non, mais la non-parole du chien donne à cette journée au jardin une dimension contemplative et sobre que traduit volontairement la palette de Nathalie Dion. Une contemplation active, cependant, la vie de César au jardin se mêlant joyeusement aux activités de l’industrieuse jardinière.
Au bout du jour a été donné au chien César ce qui revient au chien César : la beauté, ici-bas partagée. Un album pour celles et ceux qui savent que cultiver son jardin – cette image qui n’est pas d’aujourd’hui – fait aussi le bonheur des autres.

Un parfum de bruyère

Un parfum de bruyère
Françoise Legendre
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Cauchemar ou réalité ?

Par Michel Driol

Louis passe ses vacances dans la maison de sa grand-mère, en Bretagne. Cette année-là, il fait de façon récurrente le même rêve, dans lequel il offre de la bruyère à Anna, tandis que pèse la menace de Raymond.

Bruyère, lande, petite maison, sculptures sur le lit, c’est tout l’imaginaire un peu fantastique de la Bretagne qui est convoqué dans ce roman. Le rêve est-il réalité ? Les choses sont-elles doubles à l’image de la grand-mère qui se révèle avoir un double prénom, et que le rêve de Louis renvoie à son propre passé ? On se sent à la fois plongé dans le monde contemporain, et dans les légendes bretonnes où rôde la mort. Ce roman signe la fin d’une époque, celle des vacances chez la grand-mère, et peut-être aussi la fin de l’innocence. C’est en tous cas une belle façon de faire entrer les enfants au cœur de l’écriture fantastique dans ce qu’elle a de plus authentique et de plus envoutant.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, dont l’imaginaire s’accorde tout à fait à la Bretagne et aux interrogations des enfants sur le passé de leurs grands-parents.