L’enfant, le libraire et le roi

 L’enfant, le libraire et le roi
Thierry Maricourt, Ill. François Place,
Rue du monde, 2021

 

 Un voyage au pays des livres

 Maryse Vuillermet

 

C’est une courte nouvelle et de minuscules dessins et pourtant une immense réflexion sur un univers infini, celui des livres, de tous les livres, et de la soif de lire.

Un petit garçon entre dans une librairie et farfouille, en fait, il ne peut s’offrir les quatre volumes de l’histoire du roi du lac gelé.  Le libraire le bouscule, l’enfant hésite entre acheter les trois premiers et ne pas connaître la fin, ou acheter les trois derniers et ne pas comprendre l’histoire pour ne pas avoir lu le début.  Un dialogue s’instaure entre le libraire qui peu à peu s’adoucit et l’enfant.  Ils échangent sur le plaisir de lire, la soif inextinguible de livres mais aussi ce que ça implique d’activités fatigantes pour le libraire.

Dans les interstices du dialogue, se glissent des morceaux de l’histoire du roi du lac gelé et on ne sait plus qui invente la fin, si c’est l’enfant ou l’auteur.

Une lecture pour tous les amoureux des livres petits et grands.

 

Ma Matriochka

Ma Matriochka
Anne Herbauts
Casterman

Dans ma matriochka, il y a…

Par Michel Driol

Un album tout cartonné, qui a la forme d’une matriochka. En guise de pages, on soulève la tête ou la base, et on découvre un autre visage, ou d’autres pieds. Se succèdent ainsi un gros chat, une souris, un biscuit, un noyau d’abricot, un arbre. Puis les éléments se croisent, reviennent : le chat, la galette… De surprise en surprise, ce livre méli-mélo livre peu à peu les secrets de cette matriochka peu ordinaire.

C’est un album plein de la tendresse et des petits riens qui font l’enfance. Il y a d’abord ce qui se mange et qui se boit, des cerises et de la galette au chocolat chaud, comme un souvenir des gouters de l’enfance. Il y a aussi les animaux familiers, ceux des contes et des histoires plus que de la vraie vie, le chat et la souris, un chat gourmand et câlin, une souris aux bas gris, figure de la petite souris qui échange les dents contre de la monnaie ? Il y a enfin la nature, l’arbre, la lune… Tous ces éléments se conjuguent, à la fois à la manière d’un inventaire ou d’une recette du bonheur. La Matriochka, nom qui, en russe, étymologiquement, vient de mère, devient ainsi le symbole de cet amour maternel et la dédicace, aux mamans, sonne comme un hommage à leur inventivité, leur imaginaire,  leur tendresse.  L’album représente ainsi à la fois la clôture de l’univers maternel, et son ouverture vers le monde extérieur qu’il renferme, en un cercle infini. Dans la matriochka, il y a la lune et dans la lune, li y a la matriochka…

Un album plein d’originalité et de douceur pour lister les ingrédients d’une enfance simple et heureuse…

Pas chez nous !

Pas chez nous !
Yaël Hassan
Le Muscadier – Collection Rester vivant – 2022

Bienvenue à B* ?

Par Michel Driol

La préfecture décide d’ouvrir  à B*, bourgade du Var, un foyer pour accueillir une quinzaine de migrants, au grand dam de son maire, d’extrême droite. Plutôt que de résumer le roman, afin de laisser à chaque lectrice et lecteur le plaisir de suivre l’intrigue, on va en donner la liste des principaux personnages. D’abord l’héroïne, Amélie, fille du maire, qui rêve de liberté, et est tombée amoureuse d’Anton, un néofasciste violent. Sa principale amie, Clara, bien différente d’elle, fille du directeur du journal, élève sérieuse et ouverte, qui rêve de devenir journaliste. Issam, un jeune migrant dont toute la famille a péri en Syrie. Et, du côté des adultes, le père et la mère qu’Amélie, que tout oppose (l’un d’extrême droite, hostile aux migrants, l’autre de gauche, favorable), Crystel qui a monté une association pour le vivre ensemble, et la grand-mère d’Amélie, ancienne institutrice fortement opposée aux idées de son fils.

Ecrit en suivant au plus près le point de vue d’Amélie, le roman ne se refuse pas à une certaine polyphonie, en prenant en compte différents regards sur l’accueil des migrants et demandeurs d’asile, mettant en particulier en évidence, au-delà du refus idéologique de l’extrême droite, cette peur de l’inconnu qui disparait lorsque l’inconnu devient connu. Le roman s’inscrit dans un espace géographique bien délimité, le Var, pour une intrigue pleine – hélas- de réalisme, dans une petite communauté où tout le monde se connait. Dans ce quasi huis-clos en plein air, il montre surtout que les certitudes peuvent vaciller, et que tout le monde peut évoluer dans le bon sens, et prendre conscience, à son rythme, des dangers que représente l’extrême droite, dangers que le roman expose sans fard : tags sur les murs, certes, mais surtout haine des juifs et des étrangers, violence sans limite et incontrôlable. Les deux adolescentes, Amélie et Clara, sortent grandies et transformées des événements qu’elles traversent. A un certain moment, il faut savoir dire non, ce que font, petit à petit, tous les personnages que Yaël Hassan traite avec empathie – à l’exception des néonazis. Avec une mention spéciale pour le personnage du père d’Amélie, véritable caricature du politicien récupérant tout à son avantage, sans grande conviction au fond. Malgré son côté sombre, c’est un roman optimiste, dont l’auteur indique que le déroulement et le dénouement lui ont été inspirés par la réalité.

Un roman qui résonne avec l’actualité récente, comme de nombreux autres ouvrages de littérature jeunesse qui n’hésitent pas à s’engager au nom des valeurs d’hospitalité et d’ouverture aux autres, comme ces auteurs à laquelle la bibliothécaire jeunesse que rencontre Amélie rend hommage, comme un clin d’œil adressée par Yaël Hassan à celles et à ceux qui, comme elle, croient que la littérature pour la jeunesse peut ouvrir les yeux sur le monde contemporain et faire changer les représentations et préjugés.

Le transsibérien, départ immédiat pour l’autre bout du monde

 Le transsibérien, départ immédiat pour l’autre bout du monde
Alexandra Litvina, Anna Desnistskaïa
Rue du monde, 2022,

 

 Un voyage pour rêver et apprendre

 Maryse Vuillermet

 

 

Difficile de rendre compte de ce beau livre dans le contexte actuel mais essayons!

Cet immense album est une invitation à découvrir le Transsibérien, ce train mythique, cette ligne créée en 1916 qui parcourt 9288 km, 140 gares de Moscou à Vladivostok.  On pense à Cendrars, à Sylvain Tesson et on rêve.

L’originalité de cet album et dû à plusieurs choix :

–– le parti pris d’un voyage en famille, ce sont des adultes et des enfants qui se retrouvent dans les wagons et les lits à étage, jouent aux cartes, regardent par la fenêtre, organisent les repas…

––le côté guide pratique, comment réserver, se préparer, quoi emporter, etc. etc.

–– les dessins de Anna Desnistskaïa pleins de vie, souvent drôle, mais également précis, dans les croquis de bâtiments, d’animaux, de plantes…  et extrêmement pédagogiques

–– les témoignages des enfants rencontrés tout au long du trajet et qui donnent une idée de la Russie d’aujourd’hui

–– les nombreuses informations dans tous les domaines, géographiques bien sûr mais aussi historiques, architecturaux, culinaires.

Ce livre est une véritable mine d’informations, une encyclopédie sur rail, un livre-événement sorti dans un contexte très malheureux pour les auteurs et pour tous.

 

La Conquête du cosmos

La Conquête du cosmos
Alexandre Fontaine Rousseau, Francis Desharnais
Pow Pow, 2021

Et tout là-haut… un estifi de gros dépotoir

Par Anne-Marie Mercier

D’octobre 1957 (le premier Spoutnik) au 22 juillet 1969 (suite des réactions sur terre à l’annonce des premiers pas d’un homme sur la lune, en passant par la chienne Leika, Gagarine, Kennedy, et Michael Collins (le troisième homme du vol Apollo 11), les deux auteurs nous racontent les grands moments de la conquête spatiale. Grand sujet, mais  il la traitent par son petit côté et avec drôlerie : a-t-on demandé son avis à la chienne Leika ? Et Gagarine : par quels arguments a-t-il été convaincu ? à quoi pensait-il lors du défilé triomphal à Moscou ? Tout cela n’a-t-il été que des images truquées ?
Tout est extrêmement drôle, aussi bien par les dessins, montrant avec talent et peu d’effets l’attente, la perplexité, l’immensité, que par le texte ; il est aussi très drôle d’entendre tous les protagonistes parler avec des mots et des expressions québécoises.
Mais il y a aussi un peu de sérieux et les questions de la recherche scientifique, du rôle de la politique, et de la réception des nouvelles sont légèrement posées.

Voir quelques pages sur le site de l’éditeur.
Au passage, vous pouvez visiter l’article de Benoit Mélançon consacré au spatio-joual.

 

Un Palais d’épines et de roses

Un Palais d’épines et de roses
Sarah J. Maas
traduit (USA) par Anne-Judith Descombey

De la Martinière jeunesse, 2017

Épines nombreuses, roses en sucre

Par Anne-Marie Mercier

A priori, il y avait une belle idée – que l’on ne découvre qu’en lisant les premiers chapitres (plagiat inavoué, ou bien les futurs lectrices sont elles censés être incultes ?) : réécrire La Belle et la Bête en version fantasy pour jeunes adultes.
La famille est ruinée. La mère est morte. La plus jeune des trois filles se bat pour faire vivre la famille qui se trouve dans une misère noire, affamée et privée de tout. Elle chasse pendant que les deux autres se prélassent et que le père rêvasse. Pas très crédible, le conte l’était davantage. En chassant pour les nourrir, elle tue un énorme loup, qui s’avère être un « immortel » (?) métamorphosé. Elle doit en payer le prix et se livrer aux ennemis des humains, les Grands Fae. L’un d’eux, un très grand seigneur qui a pris l’allure d’une horrible bête, l’enlève et l’accueille dans son palais.
On devine très vite le jeu d’attraction – répulsion auquel l’auteure se livre. Des mystères, des monstres qui rôdent… Mais rien de tout cela n’est bien original et rien ne permet d’éviter les écueils d’une écriture lâche, bavarde et souvent niaise – et l’infortunée traductrice qui a fait ce qu’elle peut n’y est pour rien – : certes, c’est un roman écrit à la première personne, mais on aimerait  accorder davantage de crédit au personnage, qui ne cesse de préciser quelle expression elle prend, quel soupir elle pousse, quel ton elle adopte : c’est au mieux un scénario pour un film qui se permettra bien des longueurs.
C’est le premier tome d’une trilogie. L’auteure a publié auparavant Keleana, série en 5 volumes, traduite en 23 langues).

Pour revisiter le conte de La Belle et la Bête version ado ou même jeunes adultes, mieux vaut revenir à la très belle trilogie de La Passe-Miroir de Christelle Dabos.

Les rois mages

Les rois mages
Kochka
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand il faut raconter sa naissance

Par Michel Driol

Raconter le début de sa vie. Tel est le devoir que Melchior doit rendre le lendemain. Comment raconter cette histoire personnelle et intime quand on est enfant trouvé dans une boite où les mères abandonnent leurs bébés dans le mur d’un hôpital allemand ? Heureusement passait par là Gaspar, qui se décide de l’adopter. Est-ce une histoire triste ou une histoire merveilleuse ?

Avec beaucoup de pudeur et de tendresse, Kochka raconte cette histoire inhabituelle, celle d’une famille qui réunit un père adoptif, brisé par l’accident qu’il a causé au cours duquel une jeune fille est morte, et un enfant, qui redonne sens à sa vie. C’est donc une ode à la vie, qui se termine par les remerciements de Melchior à sa mère biologique et à son père adoptif, une façon de ne pas désespérer dans un monde pourtant bien sombre.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui aborde la question de la vie et de la mort, qui pose la question de ce qu’est une famille et du rôle des enfants comme moteurs de vie.

Mes Comptines, 1, 2, 3 Mes Berceuses jazz

Mes Comptines, 1, 2, 3

Mes Berceuses jazz
Elsa Fouquier
Gallimard jeunesse (Mes imagiers sonores), 2021

Musique et gestes pour les petits

Par Anne-Marie Mercier

Ces deux nouveautés d’une collection qui plait beaucoup aux enfants, proche de la collection de Didier, propose l’un certains grands classiques de la culture d’enfance, l’autre des titres moins connus de ce public. Les deux livres sont des rééditions de 2016 et 2017.
Les comptines rassemblent, entre autres, « un petit pouce qui danse », « quand trois poules vont aux champs », « un petit cochon pendu au plafond », tous très présents dans le répertoire des crèches et écoles maternelles. Les chansons sont interprétées par des enfants, accompagnés de façon simple (guitare, banjo, xylophone…).
Les berceuses rassemblent des voix d’artistes connus : Ella Fitzgerald, Bing Crosby, Sarah Vaughan, Billie Holiday, Ann Richards et des berceuses célèbres, bien sûr toutes en anglais.
Selon le principe de ces collections, une pastille facilement repérable permet d’actionner le son ; les livres sont en carton fort, conçus pour résister à de nombreuses manipulations.

 

 

 

 

 

Collection Mon petit livre sonore

Oh ! Qu’est-ce que c’est ?

Oh ! Qu’est-ce que c’est ?
Ramadier et Bourgeau
Ecole des loisirs 2021

La chose qui venait du ciel…

Par Michel Driol

Deux chiens, Jack et Georges, tranquillement assis à l’ombre d’un arbre. Et soudain l’arrivée d’une grosse boule tombée du ciel. Et les deux amis de s’interroger sur cet étrange objet, trop mou pour être un rocher, mais boule qui roule et les entraine vers un précipice, qui les sauve en se transformant en parachute, puis en radeau, en couverture, avant de repartir vers le ciel.

Absurde et rebondissement, comique de répétition, voilà un album qui n’engendre pas la mélancolie ! La question du titre, posée à de nombreuses reprises par Georges, attire à chaque fois la même réponse de Jack : Je ne sais pas… Peut-être un…  A la fin de l’album, après de nombreuses péripéties, et transformations de l’objet, on n’en sait pas plus qu’avant, et les deux amis, comme deux personnages de Beckett, dont les rôles sont bien définis, celui qui questionne, celui qui répond, n’auront pas de réponse et continueront d’attendre qu’il se passe quelque chose. Mais quoi ? Illustré sans doute à partir de papiers découpés, avec de grands aplats de couleurs vives et gaies, en doubles pages, l’album donne à voir un monde lumineux, dans lequel s’exprime la curiosité de ces deux amis qui se laissent entrainer par cette chose venue d’ailleurs dans un voyage qui les ramène à leur point de départ. Le plaisir est dans le voyage, dans l’aventure. On ne sait pas ce que c’est, concluent les deux amis, mais c’était merveilleux. N’y a-t-il pas là comme une leçon de vie, une façon de se laisser emporter par ce qui vient sans forcément chercher à le rationnaliser ?

Une histoire pleine d’originalité, de surprises, de péripéties, qui surprendra le lecteur qui s’amusera autant des rebondissements que de l’impassibilité et du flegme des deux chiens dans toutes les situations.

Moon

Moon
Agnès de Lestrade / Stéphane Kiehl
Sarbacane 2022

Sac de nœuds !

Par Michel Driol

Le héros, Moon, est présenté comme un petit sac de nœuds, avec des parents qui l’aiment tel qu’il est, tout emberlificoté. Mais les autres enfants ne l’acceptent pas, ne comprennent pas qu’il aime leur caresser les joues. Lorsque Moon prend le chemin de la forêt, un oiseau prend ses nœuds pour des vers, un chat pour une pelote de laine, mais lorsqu’il parvient, grâce à ses nœuds, à sauver de la noyade une petite fille, le voilà reconnu et aimé par tous, tel qu’il est.

Un corps efflanqué, long, entouré de traits et de boucles jaunes, tel est Moon sur l’illustration, comme un enfant maladroit, incapable de maitriser ses gestes, sans cesse en mouvement. Moon est différent, incompris des autres qui ne l’acceptent pas, et il se sent exclu et inutile. C’est par la métaphore du sac de nœuds, de l’enfant emberlificoté dans ses problèmes que l’album évoque cette question de la différence, pour montrer finalement qu’elle n’est pas une faiblesse, mais peut devenir une force. La force de l’album est de partir dans l’imaginaire sans chercher à évoquer de façon précise un trouble précis du comportement. Cela lui donne une portée bien plus grande, car ce sont toutes les différences qui peuvent ainsi être imaginées par le lecteur. Imaginaire aussi dans la représentation de ce sac de nœuds sous la forme de traces jaunes qui envahissent l’espace, jusqu’à ce que, dans la dernière page, le jaune soit la couleur du fond de page, et que le rouge aux joues, symbole habituel de l’amour ou de l’affection, devienne aussi du jaune. Façon de montrer que c’est la différence qui enrichit si on la laisse s’exprimer. Imaginaire enfin par ce personnage complètement lunaire – d’où son nom – sautillant, bondissant, acrobate aérien auquel on s’attache, personnage en quête de sa propre identité dans la forêt. S’il n’est ni vers, ni pelote de laine, qui est-il ? Comment se libérer de ses problèmes, qui le nouent au propre comme au figuré, qui l’emprisonnent ?

Un bel album pour évoquer, par l’émotion, l’exclusion et l’inclusion, un album tout en finesse et suggestion construit autour d’un personnage touchant.