L’Arche que Noé a bâtie

L’Arche que Noé a bâtie
Henri Galeron
Les Grandes Personnes, 2022

Et tous ses animaux

Par Anne-Marie Mercier

L’Arche que Noé a bâtie est un petit bijou qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques des lieux où il y a des enfants. D’abord parce que c’est un album du merveilleux Henri Galeron, qui fait de si belles images. Ensuite, parce que c’est un livre total, tout en étant très court : un livre objet à rabats, montrant la même image de l’arche dans toutes ses pages, mais chaque fois en ajoutant un nouvel animal, et s’achevant sur une foule d’animaux faisant une grande fête pour oublier leur dispute. C’est aussi une histoire, des chamailleries qui commencent avec le rat qui veut grignoter le riz que Noé va embarquer, chahuté par la chouette, qui elle-même est chassée par le chat ; le pélican pique le chat, etc. Jeu d’assonance, texte à empilement, proche de la comptine et du poème, différents animaux qui vont entrer dans l’arche y apparaissent, plus ou moins par ordre de taille.
Et tout se termine en chansons, avec Noé à la batterie, avant le grand départ, dans une image saturée de détails.

Voir l’animation sur le site de l’éditeur.

 

 

 

 

C’est ce soir

C’est ce soir
Clémence G
A pas de loups 2022

Objectif lune

Par Michel Driol

Une poule pleine d’entrain part à la rencontre de ses amis, 1 oie, 2 ours, 3 cochons… jusqu’à 12 lapins, sans oublier une centaine de fourmis et leur donne rendez-vous ce soir. Mais pour quoi faire ? Pourquoi, dans leurs galeries, les fourmis transportent-elles des tubes plus longs qu’elles ? Et quel est le rôle de cet oiseau fantaisiste qui fait l’acrobate d’une page à l’autre sur les fils électriques ? Tout ce petit monde se retrouve donc le soir, pour un compte à rebours suivi d’une magnifique pyramide d’animaux en direction de la lune, les tubes des fourmis servant à construire l’échelle.

C’est d’abord un album à compter les animaux jusqu’à 12, mais aussi jusqu’à 100 pour les fourmis. C’est ensuite un album en randonnée et à énigme, invitant le lecteur à se questionner sur ce qui va se passer ce soir, secret partagé par tous, sauf le lecteur ! C’est enfin un album  sur l’entraide qui permet grâce à l’union de réaliser ses rêves et de tenter de toucher la pleine lune. L’album est porté par un graphisme plein de couleur, de vie et de fantaisie. Les doubles pages en format paysage regorgent de détails à découvrir, comme ce minuscule escargot récurrent. Il faut enfin déplier un volet pour découvrir dans son ensemble la majestueuse pyramide. Le style plutôt naïf de la représentation des animaux, les paroles sagement enfermées dans des bulles donnent à lire une sorte de bande dessinée au dénouement inattendu, poétiquement absurde.

Autour d’un personnage exalté, un album qui suit le rythme d’une journée, joue sur les variations des modes d’invitation, sur l’attitude des différents animaux, pour célébrer les plaisirs de l’entraide et rendre hommage à la nature.

Tous les chiens savent nager (ou presque)

Tous les chiens savent nager (ou presque)
Gauthier David
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand Papi jette la chienne à l’eau

Par Michel Driol

Mika dore passer ses vacances chez Papi Bouli, où il peut jouer avec Morille, la petite chienne. Jusqu’au jour où le grand père, pour prouver que tous les chiens savent nager, jette la petite chienne à l’eau. Celle-ci regagne bien la rive, mais ensuite boite et gémit. Et le grand père ne veut rien savoir, si bien que Mika se sauve avec Morille pour trouver un moyen de la guérir.

Voilà un roman qui tranche avec les représentations des relations grands-parents / petits-enfants en littérature pour la jeunesse. Le geste imbécile du grand-père, sa volonté de ne pas le reconnaitre, de ne pas s’excuser, conduisent son petit-fils à le voir autrement, comme un monstre d’abord, puis comme un homme qui a vécu et a, sans doute, son histoire à raconter. C’est là l’intérêt de ce petit roman de poser des questions d’ordre psychologique. Les adultes aussi peuvent se conduire comme des enfants. Il est bien difficile de reconnaitre ses torts. Mais, bien sûr, l’amour finit par tout arranger !

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui permet d’aborder la question du comportement de tous et de chacun, et la notion de responsabilité

Si loin de Noël

Si loin de Noël
Baum-Dedieu
Seuil Jeunesse 2021

Tristes tropiques !

Par Michel Driol

Sur une ile du Pacifique vivent quatre amis, Crabe, Pélican, Nasique et Tortue. Comme tous les ans, ils s’activent fin décembre dans l’attente du Père Noël qui semble ne pas connaitre leur ile. Cette année-là, Nasique voit s’échouer un coffre sur une plage, rempli de choses diverses : casque, bottes, lunettes, qu’il emballe soigneusement pour signifier à ses amis que le Père Noël est passé. C’est alors que tombent du ciel quatre flocons…

Les deux auteurs signent ici un joli conte de Noël loin de l’imagerie traditionnelle des lutins et du grand Nord. Il dit l’attente d’un moment exceptionnel, capable de rompre la monotonie des jours, avec ses préparatifs. Il dit l’amitié entre quatre animaux, bien différents mais, en même temps, aux caractères indistincts, petite communauté ilienne agissant ensemble. Il dit l’amitié, le don, la volonté de faire plaisir aux autres, voire l’altruisme. Il dit la enfin la magie de Noël, avec ce coffre mystérieux, et surtout les quatre flocons, quatre comme les quatre personnages. Le texte sait se faire discret, quasi minimaliste, mais aussi adopter le point de vue des personnages. Il laisse la place à de grandes illustrations en double page, à des images très colorées, aux couleurs des tropiques, bleu turquoise, avec des animaux très peu anthropomorphisés, parfois par une pose, ou un accessoire, représentés avec réalisme.

Un bel ouvrage pour toucher à l’essence de Noël : la générosité, la magie, la surprise, les cadeaux, le plaisir. Comme dans Un Noël pour le Loup, Dedieu continue de tourner autour de ce thème afin de le détourner, de le revisiter avec bonheur.

Le printemps des oiseaux rares

Le Printemps des oiseaux rares,
Dominique Demers
Gallimard, scripto, 2021

Des oiseaux pour références

Maryse Vuillermet

Un roman à deux voix, les voix des deux héros, deux adolescents : lui, Jean-Baptiste, dit JB, surdoué, passionné, d’oiseaux et de tous les animaux, solitaire, gentil, gaffeur, vivant à Montréal dans une famille nombreuse de catholiques pratiquants, elle, Mélodie, vit seule avec sa mère et se remet très difficilement de son premier amour qui s’est terminé par un viol.

JB rédige un mémoire sur les oiseaux pour intégrer un cursus universitaire d’exception et obtenir une bourse. Dans les extraits de son travail, on apprend avec émerveillement combien les animaux sont communicants, intelligents, fidèles et amoureux; Ils aiment passionnément et fidèlement, « 90% des oiseaux sont monogames, les chardonnerets échangent des baisers passionnés, les albatros sont unis pour la vie. ».  Ils sont aussi capables de jouir d’un acte gratuit comme certains vautours qui s’élèvent à 10 000 mètres d’altitude par gout de l’ivresse.  Ses connaissances, il va les partager avec Mélodie et avec nous. Mais aussi ses découvertes, une nichée de renardeaux, un rassemblement de sitelles, trois mésanges, un écureuil, il passe le plus clair de son temps sur le Mont Royal à Montréal à observer. Mélodie y fait beaucoup de sport, et c’est donc là qu’ils se heurtent et se rencontrent.
Tous deux ont un quotidien difficile, JB est en opposition avec la religion de son père qu’il juge intransigeant et peu aimant, Mélodie ne comprend pas ce que sa mère lui cache de sa relation avec son père, et d’un petit frère mort bébé dont elle trouve des photos cachées.  Tous deux sont à fleur de peau, écorchés et, de rebondissement en rebondissement, on s’attache à ces héros.
Beaucoup de thèmes sont abordés, l’existence de Dieu, le monde animal, la différence, la mort, le viol, ça parait beaucoup, mais tous sont abordés avec délicatesse et par la voix de ces deux jeunes intelligents et en recherche. Et les références constantes au monde des oiseaux les aident dans leur réflexion et leur combat et guident notre lecture, JB est un albatros, « ses ailes de géants l’empêchent de marcher, » ; JB surnomme tendrement Mélodie « Sauterelle » ; les autres personnages, les parents, les adultes en général, ne sont pas stéréotypés, tous ont leur part d’ombre, leurs doutes et leurs échecs.
Le titre original est « l’Albatros et la mésange », je le préfère, pour ce roman très original, profond et émouvant.

Raymond la Taupe, détective

Raymond la Taupe, détective
Camilla Pintonato
Seuil Jeunesse 2021

Plus fort que Sherlock !

Par Michel Driol

Cuisinier de renom, Raymond la Taupe a envie de devenir détective. Et voilà qu’un premier cas se présente : Papy écureuil a disparu. Portrait-robot, recherche d’indices, suspects, le détective suit toutes les phases classiques de l’enquête, et résout le cas, un peu par hasard !

Bien sûr, l’album plein d’humour est à prendre au second degré. On s’en doute dès l’association improbable entre l’animal-héros, une taupe, et ce métier de détective. L’habit ne fait pas le moine, et il ne suffit pas de revêtir le costume de Sherlock Holmes pour égaler le maitre. Humour dans le texte, qui évoque aussi bien les ingrédients – tous plus répugnants les uns que les autres – de la soupe de punaises de lit. Humour surtout dans la relation entretenue par le texte et l’illustration. Tantôt celle-ci obéit au texte, et révèle le monde de Raymond, de son terrier, de son environnement, avec une précision géographique. Mais le plus souvent, elle en dit plus : qu’il s’agisse des lectures de polars de Raymond, de sa maladresse à dessiner un portrait-robot, de montrer les indices – ou les malfrats – qu’il ne voit pas. Le texte prend à partie le lecteur, comme s’il s’agissait d’un manuel pour devenir un bon détective privé en lui donnant les conseils de base – ceux précisément que Raymond ne suit pas dans son aveuglement. Ce polar animalier – qui évoque  par certains côtés les Canardo de Sokal – est tout à fait réjouissant : illustrations dans lesquelles chercher des traces de ce que l’enquêteur ne voit pas, traitement vivant évoquant la bande dessinée, multiples clins d’œil (dont celui à Romeo et Juliette).

Un album qui ne manquera pas de ravir les amateurs de second degré, de polar, et d’humour !

Déjà

Déjà
Delphine Grenier
Didier Jeunesse, 2016

On n’y voit pas que du bleu

Par Christine Moulin

La couverture est « déjà » magique. D’un magnifique bleu, celui de tout l’ouvrage, elle présente les personnages de ce récit de randonnée cumulatif, emportés en un bond particulièrement dynamique vers ce qui ne peut être que poésie: deux ennemis héréditaires, visiblement réconciliés, une mignonne souris et un chat tout doux (Félix-Minou à qui est dédié ce livre?). Souris réveille Chat pour un voyage nocturne qui permet de découvrir sur chaque page de droite un animal endormi, fragile et émouvant, serein, plongé dans des rêves qu’interrompent nos deux héros, suscitant le refrain ensommeillé : « déjà? » C’est l’occasion, à  chaque fois, de découvrir un lieu précis (sous les feuilles du platane, au fond du jardin, etc.) et une splendide couleur qui tranche sur le bleu velouté de la nuit. Mais quand apparaît le lapin, tout change: le fond de la page s’éclaircit et le lapin s’écrie, occasionnant une rime: « enfin! » Il a d’ailleurs l’œil « déjà » ouvert. Une double page, selon les lois du genre, récapitule les animaux rencontrés et les emmène, en une ascension mystérieuse, vers la splendeur que révèlent deux rabats, celle de l’aube. La jolie chute incite alors le très jeune lecteur à rejoindre son lit pour y poursuivre la promenade… Un splendide album, en forme de célébration.

Bienvenue

Bienvenue
Marta Comin
Les Grandes personnes, 2021

Less is more

Par Christine Moulin

L’objet, avant même qu’on ne le découvre, est un chef d’œuvre de mignonitude, comme on dit maintenant, parfois: c’est un carré tout blanc avec deux trous qui figurent des yeux, bleus, et un petit museau rose (on comprendra plus tard que ce sont ceux d’un lapin). La lecture déroule ensuite, sur la page de gauche, colorée en jolies teintes pastel, une douce litanie, rythmée par le mot « bienvenue » et par l’adresse à l’animal que nous sommes invités à découvrir en dépliant la page de droite. Les pliages sont toujours très simples et parfaitement évocateurs: que ne peut-on faire avec du papier blanc et une minuscule touche de couleur! C’est à l’émerveillement qu’invite ce beau livre, dont la dernière phrase célèbre la vie et la naissance: « Bienvenue courageux petit oiseau ». C’est un beau cadeau, somme toute.

Taupe et Mulot : Tome 3 – Notre part de ciel

Taupe et Mulot : Tome 3 – Notre part de ciel
Henri Meunier illustrations de Benjamin Chaud
Hélium 2020

Amitié, poésie et fantaisie

Par Michel Driol

Trois histoires indépendantes pour ce tome 3 des aventures de Taupe et Mulot. L’un n’y voit pas beaucoup, l’autre est aux petits soins pour son ami. Comment se baigner quand on a oublié son maillot ? Comment faire le nettoyage de printemps en aout  sur des airs de Django Renard ? Comment repérer tout ce qu’il y a sur le chemin et faire l’inventaire de tous les cailloux qu’on nomme et qu’on reconnait intimement ?

Trois histoires et trois personnages qui font penser à l’univers d’Arnold Lobel par la façon de révéler une vision et une approche poétiques du monde, pleine de fantaisie. D’abord, on a l’amitié indéfectible entre deux animaux de race différente, et pourtant liés par ce qu’ils ont en commun et ce que chacun peut apporter à l’autre : une vision du monde particulière, un enthousiasme et un souci de l’autre. Car, si Taupe y voit peu, il poétise le monde qui l’entoure, et a une attention particulière pour tous les petits riens. Il vit à son rythme et a sa façon bien à lui de profiter de chaque instant. Le calendrier du cœur compte plus pour lui que le calendrier des autres. Ces deux personnages sont dépeints avec humour, à travers des dialogues savoureux, dans une écriture pleine de malice. Les illustrations, aux couleurs chaudes, donnent à voir deux animaux très anthropomorphisés, d’emblée sympathiques pour le lecteur, dans des décors soignés, qu’il s’agisse de la nature luxuriante ou de la maison très confortable de Taupe.

Trois histoires courtes, enlevées, pleines d’optimisme et de joie de vivre pour conforter le sens de l’amitié et aiguiser le regard sur le monde.

Les Chinchillas dorment énormément

Les Chinchillas dorment énormément
Joëlle Ecormier – Brunella Baldi
Editions møtus 2020

Ainsi va la vie…

Par Michel Driol

Ce matin-là, Achille, le chinchilla de Lili-Rose, a une drôle de façon de dormir. Il est parti, lui dit son grand frère… mais il ne reviendra pas, il est mort. Après une saison de chagrin, Lili-Rose pousse la porte du marchand d’animaux qui lui avait vendu Achille pour adopter un autre animal,  un qui ne meure pas… Mais, à part les jouets mécaniques, tous les animaux proposés  ont un défaut. Ils vivent trop peu, ou  sont invisibles, ou trop rugueux, ou trop grands… C’est finalement avec un autre chinchilla que repart Lili-Rose.

Voilà un nouvel album pour parler de la vie et de la mort aux enfants, du travail du deuil aussi, avec sensibilité dans une langue pudique et métaphorique. Après le temps du deuil vient une autre saison, qui permet de penser un autre futur. Mais nul animal ne répond aux désirs de la fillette, ni dans la réalité, ni dans l’imaginaire, jusqu’à la conclusion qui pose le retour quasi identique du même, l’acceptation finale d’un destin, une façon à la fois de continuer le passé et de le changer en passant d’un chinchilla mâle à un chinchilla femelle. L’album se présente donc comme une leçon poétique de vie, la compréhension que la mort en est partie intégrale. Mort d’un animal familier, certes, mais mort quand même.

Dans des couleurs claires et vives, les illustrations entrainent dans un univers assez fantastique, peuplé de jouets mécaniques, de grenouilles qui font la course ou de fillettes volantes. C’est dire que les illustrations mettent l’accent sur la force vitale,  incitent à s’émerveiller devant le monde, et non à se complaire dans le chagrin.

Un album qui réussit le tour de force de reprendre avec beaucoup de légèreté la thématique baroque de l’universalité de la mort.