Des Yeux dans le ciel

Des Yeux dans le ciel
Jean-Marc Ligny

Syros (Soon), 2012

I see you. Or not

Par Matthieu Freyheit

desyeuxdanslecielAux allergiques d’Avatar et des créatures bleues qui disent I see you dans une planète où tout vous agresse, aux agacés des clichés sur Mère Nature et sur ces horribles occidentaux qui n’aiment rien mieux que détruire les arbres-maison, ne posez surtout pas vos yeux sur la quatrième de couverture, qui risquerait de vous faire fuir comme elle a failli me repousser. Ah, et tant qu’on y est, n’allez pas vous aventurer à lire la présentation de l’auteur. Quand on s’empresse de préciser qu’il « vit avec une licorne et plein d’animaux », je vis, je meurs, je me brûle et me noie. Ou, pour les mélomanes, je frémis, je chancelle. Bref, je craque.

À tous ceux-là donc, méfiance, car malheureusement l’éditeur ne rend pas justice à un livre étonnamment réussi. Oui, oui, mon introduction n’avait pas pour but de vous décourager définitivement, mais plutôt de rappeler que les éditeurs ne savent pas nécessairement trouver les mots pour nous convaincre, ou mettre en valeur les atouts des romans qu’ils publient.

Après quelques appréhensions, il m’a soudain semblé que Des yeux dans le ciel tenait davantage de Pierre Boulle que de James Cameron. Et c’est, eu égard à ma fascination immodérée pour La Planète des singes, un vrai compliment. Dans Des Yeux dans le ciel, l’humanité, après l’âge des machines, est retournée à un  mode de vie pastoral, dédiant un culte à la fois poétique et violent à Mère-Nature. Dans ce « nouveau » monde, chacun porte un nom de végétal, de Buis à Genêt en passant par Nénuphar et, enfin, Jasmin, le héros. Tout change pour ce dernier lorsqu’un inconnu, tout droit sorti des Âges machiniques de l’humanité, sorte de George Taylor (cf. La Planète des singes, le film), le sauve des griffes d’une panthère. Oui, d’une panthère. Et quand on le lit, c’est même pas ridicule. Quoi qu’il en soit, Jasmin est obligé de fuir – je vous laisse découvrir pourquoi –, de traverser la jungle qu’est devenue la Terre, et j’en passe. Un périple qui le mène jusqu’à… la planète Mars, où se développe une société hyper-technologique. Rien que ça.

Inutile que je vous en dise davantage. Si ce n’est que Jean-Marc Ligny porte fort bien son récit et échappe à nombre de clichés du genre, refusant le simplisme des utopies, quelles qu’elles soient. On lui en sait gré. Une très bonne surprise, en somme, que ce roman-là, à défendre dans le vaste paysage science-fictif destiné à la jeunesse – ou aux adultes, d’ailleurs.

Remontants et ricochets

Remontants et ricochets
Jean-Claude Touzeil, Valentine Manceau

Soc et foc, 2012

Ricochets avec les mots

Par  Maryse Vuillermet

remontants et ricochets image Les plantes remontantes sont celles qui fleurissent plusieurs fois dans l’année et les ricochets sont les bonds que les pierres lancées avec adresse font sur l’eau. Ce titre illustre parfaitement  l’univers  de ce poète. Un recueil plein de fantaisie, où  plantes,  arbres,  oiseaux,  poètes  constituent la matière vivante de poèmes courts  et drôles la plupart du temps. Les jeux de mots, « les abeilles ont le blues pour ne pas dire le bourdon », succèdent aux jeux de sonorité, poèmes en «  t », « la myrthe de Marthe est morte », poèmes en « ch »,  « Dans la forêt de Conches »… . L’humour est le plus souvent tendre mais il frôle le noir comme dans  Rites, « Elle a coupé le cou de l’oie ». La forme est très variées, cela va du court récit, « le geai a cogné la vitre », aux petites leçons citoyennes, dans Relativité, aux listes de ce qu’on voit dans le marais… Deux poèmes évoquent Villon et Soupault. Les illustrations de  Valentine Manceau, collages et dessins,   sont drôles, elles ne copient pas le texte, elles présentent un léger décalage, un monde juste à côté et plein de surprises, de mouvements et de couleurs.

Ces poèmes seront parfaits à faire lire et étudier à des petits  car c’est une poésie vivante, vibrante même, moderne et accessible.

ABC bestiaires

ABC bestiaire
Janik Coat
Autrement Jeunesse, 2012

D’Antonin à Zadig

Par Christine Moulin

45239L’abécédaire est un genre ancien… Nous voilà loin, ici, des merveilles victoriennes, aux illustrations chargées. Tout est épure, à commencer par les pages de garde, qui montrent des dessins en noir et blanc, aux douces formes arrondies. La courbe, tel semble le parti pris de cet album, en effet, ainsi que les aplats de couleur, qui ne pourront que réjouir les yeux enfantins. Mais les parents et les plus grands pourront aussi apprécier la discrète originalité qui donne son prix à ce moderne imagier. La structure, accumulative, permet d’aboutir à une image foisonnante, une fois le « z » atteint. Mais surtout, ce qui est à la fois ludique et instructif (le mot est lâché…!), c’est que les mots écrits à chaque page n’indiquent pas le nom du nouvel animal représenté, mais lui associent un prénom. C’est ainsi que la baleine, semble-t-il, s’appelle Barbara. On s’imagine les jeux linguistiques qui peuvent alors naître spontanément: Didier le dindon, Florimond le flamand, Gaby la grenouille…  Pour vérifier si « l’on a juste », si l’on a bien identifié le nouvel animal, il faut se reporter à une liste, à la fin de l’ouvrage ou sur la quatrième de couverture, liste qui, en elle-même, est déjà jubilatoire, comme l’ensemble du livre, dont on peut présager qu’il sera longtemps et souvent feuilleté.

Voir aussi l’enthousiasme de nos amis de Ricochet.

L’Ecole du soir

L’Ecole du soir
Elzbieta , Vincent Tessier
Rouergue, 2010

Qui sont les bébés ?

par Anne-Marie Mercier

L’Ecole du soir.gif Une lune, des animaux, un arbre, tous en pâte à modeler brune (la couleur qui finit par dominer quand on a trop mélangé les couleurs), un fond de ciel bleu orangé, la tombée de la nuit. C’est le moment où les animaux se rassemblent, parlent à la lune et l’écoutent.

Comme à l’école maternelle, l’un d’eux commence en évoquant une découverte et les autres enchaînent : il a rencontré un être tout nu, vêtu d’une couche, un bébé. Chacun parle et interroge la lune sur ce sujet (est-ce que c’est gentil ? pourquoi ça crie, pourquoi ça court…) ; un petit frisson avec les déclarations du lion. Jusqu’au moment où la lune déclare qu’il est l’heure d’aller se coucher.

L’ensemble est charmant. Cela n’a pas la profondeur d’un autre album d’Elzbieta où des ours (en peluche) s’interrogeaient sur les bébés (Où vont les bébés ?). Mais les tout petits aimeront sans doute voir que les animaux s’interrogent sur eux, exactement comme les enfants s’interrogent sur les animaux.

Le Cochon magique

Le Cochon magique
Dorothée de Monfreid

L’école des loisirs, 2010

La magie est dans tout, et réciproquement

Par Anne-Marie Mercier

cochonmagique.gifJosette rencontre un cochon, forcément magique, du moins c’est ce qu’elle décide. Si ce cochon n’est pas très loquace (il ne sait dire que « Groooïnk ») pas très propre et pas du tout habillé, perchée sur son dos , Josette rencontre différents animaux plus civilisés : un lapin lecteur, un chat mangeur de sandwich, un chien guitariste en tricot rayé… Chacun porte un rêve qui se réalisera à la fin, un peu par hasard, en tout cas pas vraiment grâce au cochon magique.

Quant au rêve de Josette, il se réalise aussi, on le découvre à la fin. Preuve que le rêve entraine la satisfaction. Celle du lecteur aura été de suivre ce récit jubilant d’optimisme et de simplicité. Tout peut être magique, quand on le veut vraiment… dans cet espace rose et rond.

Petit poisson veut voler

Petit poisson veut voler
Wang Yi
HongFei Cultures, 2011

Quand Plouploufski s’envole…

Par Dominique Perrin

Les éditions HongFei et l’illustratrice Wang Yi proposent ici de revisiter une fable que la littérature de jeunesse nous a rendue familière – de Grain d’Aile de Paul Eluard et Jacqueline Duhême à Remue-ménage chez Madame K de Wolf Erlbruch : celle de celui-ou-celle-qui-veut-voler, et chez qui la fidélité au désir, moyennant folies mais aussi travail sur soi, évolution et apprentissages, permet finalement l’envol. Envol physique, envol symbolique, la question n’est pas là et chacun peut défendre son interprétation, dans la réécriture de Wang Yi comme dans les autres versions qu’on peut avoir aimées. On peut ici rêver à juste titre sur les avatars mondiaux, asiatiques en l’occurrence, de cet éternel rêve d’envol, qui ont pu animer la création de ce Petit poisson veut voler entre Chine et France.
Plein de traits originaux aux plans thématique – onomastique – et syntaxique, cet ouvrage appelle à être présenté, par-dessus tout, comme une œuvre visuelle, qui suit avec justesse les appels d’un imaginaire plastique qui s’empare sobrement de la typographie même.

Ouille ouille ouille le zèbre

Ouille Ouille Ouille le zèbre
Edouard Manceau

Frimousse (La p ‘tite Etincelle), 2011

Un nouvel animal dans le zoo à ciel ouvert d’Edouard Manceau !

par Sophie Genin

51slJ7rYaeL._SL160_AA160_.jpgQuoi ? Vous ne connaissez pas Frout-Frout le cochon, Chtok-Chtok le chameau ou Badaboum le lion, encore moins Hop le mouton, Toc la poule ou Couic le pingouin ? Heureusement, la ménagerie d’animaux tous plus étonnants les uns que les autres, toujours curieux et drôles, vient de se doter d’un nouvel arrivant : Ouille ouille ouille le zèbre.

Comme tous ses prédécesseurs, il lui manque l’essentiel : ses rayures. Un jour, il trouve un feu sur lequel il souffle mais trop fort : il disparaît derrière un rideau de fumée. Heureusement pour lui, comme pour ses amis, un humain vient l’aider (ici, une dame pompier) mais tout ne se passera pas comme prévu…

Les éditions Frimousse dédient la collection de « la P’tite Etincelle » à un auteur illustrateur de grand talent, Edouard Manceau, qui cherche à oublier sa technique pour se mettre au service de l’émotion des plus jeunes (voir article dans Spirale, 4/2010 n°56, p. 81-82 intitulé  « Le Cheval de M. Baran ») et, encore une fois, il y parvient à merveille : nous sommes touchés par le héros zébré et nous sourions à ses mésaventures mais nous nous réjouissons que tout se termine bien : il est maintenant le plus beau de ses congénères !

Grâce à une structure répétitive d’album en album et à un dessin faussement simpliste (trait noir et aplats de couleurs unies, sourire en coin et deux traits pour les yeux), Edouard Manceau nous invite à ses côtés pour un voyage dans l’imaginaire enfantin où les mots collés au derrière deviennent queue en tire-bouchon, les lunes défenses, les nuages toison et les pétales pansements pour coeur brisé.

Quelle culotte !

Quelle culotte !
Yumiko Imai

Ecole des loisirs (Pastel), 2011

Une histoire de culotte au goût de déjà vu

par Sophie Genin

9782211203777.gifLa couverture est attirante et son illustration, représentant une petite fille (reconnaissable uniquement à la barrette qu’elle a dans les cheveux !) qui court toute nue avec une culotte à petites fleurs rouges dans les mains, fait très envie ! Mais, par la suite, les hypothèses faites par les différents animaux qui trouvent cette culotte (bonnet pour lapin, couverture pour oisillons ou drapeau pour queue de souris), si elles font sourire dans un premier temps, n’empêchent pas l’impression de déjà vu.

En effet, d’autres ont fait des propositions de ce genre mais plus originales dans Le Machin de Stéphane Servant et Cécile Bonbon chez Didier Jeunesse ou encore dans Qu’est-ce que c’est que ça ?, de Pascal Teulade et Jean-Charles Sarrazin à L’Ecole des Loisirs, qui ne parle pas de culotte mais de pot en inventoriant la même suite d’hypothèses incongrues des animaux de la ferme. Peut-être que le choix du titre, trop explicite, participe au fait qu’on préfère les autres…

Mais où est- donc le lapin ?

Mais où est- donc le lapin ?
Chun- Liang Yeh, Sophie Roze

HongFei (en quatre mots), 2010

Fables à la chinoise

par Chantal Magne-Ville

Mais où est- donc le lapin.gifPar son format étroit et vertical, cet album se rattache immédiatement à l’esthétique chinoise pour mettre en scène deux « chengyu », proverbes très connus, dont la morale se décline en quatre mots en chinois : « attendre le lapin sous un arbre » et « un lapin malin a trois terriers ». Ces deux fables ont en commun l’attente et le jeu de cache-cache avec le paysan ou avec les chiens. L’illustratrice fait des collages où domine la texture des papiers et des tissus, mais l’expression des sentiments est toujours très raffinée, les postures et les mimiques extrêmement suggestives et empreintes d’humour. Autour des principaux protagonistes que sont les lapins et les chiens, les autres animaux de la forêt ou bien des villageois forment une espèce de chœur antique, avec une grammaire des visages qui figure en contrepoint, l’inquiétude, la déploration, l’incompréhension ou la moquerie, ce qui en rend la compréhension aisée même pour les plus petits. Les plus grands seront sensibles aux valeurs explicitées par l’histoire.

Dans la petite maison verte

Dans la petite maison verte
Marie-France Painset, Marie Mahler
Didier Jeunesse, 2010

 Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour toi

par Christine Moulin

marie-france painset,marie malher,didier jeunesse,album répétitif,enchâssement,comptine,nursery rhyme,maison,couleurs,animaux,christine moulinLes auteurs nous offrent une très jolie variation sur les albums et poèmes répétitifs fondés sur l’enchâssement, à l’image du célèbre poème d’Eluard, « Dans Paris ». La couverture, découpée, ouvre une fenêtre en forme de cœur sur l’image d’une maison, fil directeur de cette comptine. Comptine ? Non, pas vraiment, et on se prend à le regretter car le nombre des habitants aurait pu augmenter ou diminuer au fil de l’album. Mais peut-être cela aurait-il été trop évident, trop « instructif ». Seuls les couleurs sont au rendez-vous et les animaux et peuvent donc, avec les tout-petits, faire l’objet de découvertes. Et ce qui est vraiment très amusant, c’est de repérer les différents procédés utilisés dans l’illustration pour insérer les maisons les unes dans les autres. La chute de cette « nursery rhyme », reste dans la tradition  mais la réinterprète subtilement, en usant de la magie des répétitions. Cet ouvrage est la preuve que le petit bruit discret d’un cœur qui bat peut grandement réjouir les lecteurs.