Mistigri, mon ami

Mistigri, mon ami
Elisabeth Partridge, Lauren Castillo
traduit (anglais) par Fenn Troller
Seuil jeunesse, 2011

Dire le chagrin

par Christine Moulin

elisabeth partridge,lauren castillo,fenn troller,seuil,deuil,chat,christine moulinCet album est, en apparence, modeste et par là même, touchant. Il ne cherche pas à donner de la mort et du deuil une vision originale ou poétique ou profonde. Non, il dit tout simplement, avec des phrases très courtes, de celles que saurait écrire un enfant, les sentiments qui peuvent unir un chat, un petit garçon et sa maman. Il dit la rupture que provoque la maladie. Il dit la tristesse.

Les illustrations sont à l’unisson : réalistes mais délicates. Tendres (bouleversant, le dessin que dépose l’enfant sur la tombe de Mistigri, bouleversant le « petit menton » du chat…)

Dommage que la deuxième partie laisse place à une vision plus traditionnelle. Certes, il y a de la justesse dans la façon qu’a le petit garçon de chercher son ami perdu « tout là-haut, heureux parmi les oiseaux » puisque sa maman lui a dit qu’il était au ciel… Mais l’optimisme final  (« nous serons amis pour la vie, rien ne nous séparera jamais ») semble un peu forcé et débouche sur une sentimentalité que le reste de l’album avait su éviter avec beaucoup de pudeur.

Max et son art

Max et son art
David Wiesner

Circonflexe, 2011

Arthur, c’est quoi, l’art? Arthur?

par Christine Moulin

Avec David Wiesner, on peut toujours s’attendre à une forme de magnificence visuelle généreuse et débordante, fondée aussi sur la précision du trait et l’abondance des détails: on n’est pas déçu! Les deux « monstres » protagonistes de l’histoire, préhistoriques caméléons, ont des attitudes, des expressions particulièrement éloquentes. Tous les registres de l’émotion se lisent dans leurs yeux et leurs mimiques. Toutes les mises en pages sont convoquées. Les doubles pages sont particulièrement efficaces mais laissent parfois la place à des vignettes empruntées à la bande dessinée. Les couleurs, qui sont aussi le thème de l’histoire, sont subtiles et signifiantes (regardez donc l’épisode de la colère, de la rage d’Arthur, mais aussi le bleu délicat de son absence…)

La richesse du propos n’est pas en reste: on peut lire dans cet album une fable sur les rapports parents-enfants, père-fils, en particulier. Certes, Max n’est sans doute pas le fils d’Arthur mais c’est en tout cas son fils spirituel. Il veut faire comme lui: peindre. Mais la transmission est difficile, laborieuse, elle demande du temps et de la patience, qualité dont Arthur, un peu égocentrique (voire vaniteux) n’est guère pourvu, pas plus que Max, bouillant, fougueux, dérangeant, maladroit, étourdi. Un gosse, quoi… Arthur devra s’effacer, au sens strict du terme, pour que Max puisse trouver sa place, sans prendre celle de son père, sans le faire disparaître, sans le tuer, comme il l’a d’abord fait, par une maladresse oedipienne.

Mais, bien sûr, le livre parle aussi de la création: le travail qu’elle requiert (peut-être ne faut-il pas vouloir tout de suite peindre; peut-être faut-il passer par l’étape plus ardue mais plus féconde du dessin), la part du hasard qu’elle recèle, l’humilité qu’elle exige (Arthur est un peintre « arrivé », on le voit bien mais n’a-t-il pas perdu son âme et n’a-t-il pas besoin qu’on le « secoue » un peu pour qu’il renouvelle son inspiration et ose des « gestes » bien proches de ceux de l’art contemporain?), les liens entre le réel et l’art (faut-il faire « ressemblant »? peut-on ne peindre que dans le cadre étroit de la toile?). Le rôle du langage et des ses ambiguïtés est également souligné: car au fond, ce qui est l’élément déclencheur, c’est l’erreur féconde de Max, encore englué dans le réel, sur l’expression « tu pourrais me peindre ».

Une question non résolue (parmi d’autres): pourquoi voit-on la couverture du disque des Pink Floyd, Atom Heart Mother,  dès la première page? Simple hommage? Manière de laisser à penser que ce qui va être dit de l’art pictural concerne tous les arts?

Peu importe: comme tous les chefs d’oeuvre, cet album renouvelle à chaque lecture les questions qu’il nous pose.

Le Duc aime le dragon

Le Duc aime le dragon
Chun-Liang Yeh et Valérie Dumas

HongFei, 2011

Chengyu

par Christine Moulin

 chun-liang yeh,valérie dumas,dragon,chine,fable,art,réalité,philosophie,christine moulinUn chengyu est une formule de quatre mots, une expression proverbiale porteuse de sagesse. Dans cet album, nous avons le droit à deux histoires, deux fables, qui illustrent deux chengyu, sur le thème des dragons. L’un, « Duc Ye aime le dragon », nous parle de l’opposition entre l’image que nous nous faisons de quelque chose et ce qu’elle est vraiment; l’autre, « peindre la pupille sur l’oeil du dragon », nous parle de la puissance de l’art, du risque que doivent savoir prendre les génies; les deux réfléchissant aux rapports entre le réel et sa représentation.

Dans notre époque qui privilégie les illusions de l’apparence, qui nous pousse parfois à nous laisser nous aveugler par la séduction de nos chimères, mais qui en même temps foule aux pieds la grandeur de l’art et de la culture, leur refuse toute efficacité, tout poids concret dans nos vies, nous avons besoin de cette philosophie décalée dans le temps et dans l’espace, de sa fausse simplicité, du message qu’elle nous apporte, qui retentit en nous, une fois le livre refermé. Les illustrations riches, colorées, drôles parfois, participent de ce dépaysement salvateur.

C’est avec ce genre de lecture que l’on expérimente ce que c’est que de s’enrichir au contact d’une autre culture et en quoi il est vital de permettre aux civilisations de se rencontrer.

Contre Dieu

Contre Dieu
P
atrick Senégal
Coups de tête, 2011

Ouaou…

par Christine Moulin

contre dieu.jpg Avertissons le lecteur : ce livre n’est pas pour les enfants. On peut même se demander s’il est pour les adultes tant il est violent, non pas  à cause des événements qui s’y déroulent (il y a bien des meurtres, une forme de crucifixion…), mais à cause de son écriture: le roman n’est qu’une longue phrase qui ne s’arrête jamais. On est donc sommé de le lire d’une traite et on se retrouve, au bord de l’asphyxie, happé dans une spirale descendante qui mène un homme aux enfers.

Surtout qu’il est écrit en « tu »: on comprendra pourquoi lors de la chute, terrible. Cela renforce, bien sûr, l’identification au héros, un homme ordinaire, auquel il arrive quelque chose d’ordinaire, hélas, qui peut nous arriver à tous, un jour: il perd dans un accident sa femme et ses deux enfants. Les conséquences effrayantes de cette fracture s’enchaînent alors inexorablement.

Si le péché suprême est le désespoir, alors, le lecteur pourrait bien, en lisant ce livre, perdre son âme…

Cou-ci, cou-ça

Cou-ci, cou-ça
Anne Louchard
Minedition, 2010

Eh oui, au fait…

par Christine Moulin

anne louchard,minedition,girafeParfois, on se pose des questions absurdes. Généralement, le soir, avant de s’endormir, dans la brume du premier sommeil. Voici un album qui va favoriser ce phénomène chez les tout jeunes enfants, en leur soumettant le problème suivant : « Comment les girafes font-elles pour dormir avec ce cou interminable planté sur leurs épaules ? ».

La réponse, mignonne à souhait, est donnée à la fin de cet ouvrage à rabat, comme l’exige le sujet traité. Le chemin qui y mène est celui d’un album répétitif classique, mais amusant, dans la lignée du vénérable Il ne faut pas habiller les animaux. C’est dire que le texte sert surtout à introduire l’illustration mais il le fait très bien en variant les formules et en titillant la curiosité.

Une réussite charmante, même si elle n’est pas bouleversante.

Plouf

Plouf
Emile Jadoul

Casterman, 2011

Narratologie pour les 2-3 ans

par Christine Moulin

plouf.jpgVoilà un mignon petit livre cartonné qui raconte ce qui peut bien se passer dans une baignoire. Au début, on pense que ce sera un album à compter comme les autres, sauf que dès la deuxième péripétie, ce sont deux animaux, et non pas un seul, qui se présentent pour faire trempette. Ensuite, on pense à Eléphant bleu, (Hirotaka Nakano, Flammarion, Père Castor) et puis … non. Et du coup, on se voit initié à la notion de « chute », mine de rien. Et puis, surtout, on rit ou on sourit, selon l’âge et c’est tout ce qui compte !

Lettres à plumes et à poils

Lettres à plumes et à poil
Philippe Lechermeier et Delphine Perret

Thierry Magnier, 2011

Les liaisons dangereuses

 par Christine Moulin

plumes.jpgPour s’initier au genre épistolaire, cet ouvrage est parfait : la variété des tons et des registres fait merveille.

La première série de lettres, du renard à la poule, ne peut que ravir le lecteur grâce aux sous-entendus, à l’implicite et à l’élégante cruauté qui rappellent, toutes proportions gardées, ceux des maîtres du XVIIIème siècle. Le style, quelque peu suranné, sent son boudoir plus que sa basse-cour : « Pourtant, je vous en conjure, n’en faites rien ». « je sais qu’il ne sera pas facile de vous convaincre de la sincérité de mes intentions » : ne croirait-on pas entendre Valmont qui, lui aussi, en quelque sorte, aimait « croquer les poulettes » ?

« Les lettres de la fourmi à sa reine » opèrent un contraste saisissant. C’est une « simple fourmi de la fourmilière de la forêt » qui prend la plume pour exposer son problème à sa souveraine : « J’en ai assez de cette routine qui recommence chaque matin, trimballer des morceaux de macchabées  de scarabées ou des restes de sauterelles qui ont rendu l’âme, ça va cinq minutes mais là, ça commence à me courir sur le kiki, ça m’fout le bourdon, tout ça ». Saura-t-elle trouver le bien-être ?

A cela s’ajoutent de savoureux jeux sur les mots. Ainsi, les poulets sont, bien sûr, des gardiens de l’ordre à qui le corbeau écrit pour dénoncer tout ce qui le contrarie, dans un bel élan de fureur sécuritaire : « Le monde dans lequel on vit est de plus en plus dangereux, moi j’vous l’dis. On est plus [sic] en sécurité nulle part, la canaille vient vous trouver jusque dans votre foyer, crottedediou ! ».

Mais il n’y a pas que le style : les missives, telles des fables, débouchent souvent sur une « leçon » amère et drôle, tout à la fois, mais assez complexe pour susciter l’activité interprétative. L’aventure de l’escargot amoureux d’une limace en est un exemple terrible…

Les illustrations de Delphine Perret, croquées avec un crayon simple, mutin et tendre, ajoutent au charme de cet ouvrage.

Pandemonium cité

Pandemonium cité
David Bergeron

Coups de tête, 2011

Mouais…

par Christine Moulin

david bergeron,coups de tête,satan,messe noire,secte,fantastique,christine moulinAvertissons le lecteur : ce livre n’est pas pour les enfants. Il a été publié par le même éditeur que Contre Dieu, dans la collection « Fantastique noir », au lieu de « Suspense ».

Cela démarre plutôt bien : le héros, Philippe Moreau, brisé par une rupture amoureuse, est parti en Europe cuver son chagrin (quoique, à la différence de son ami, Vlad, il « carbure » plutôt au shit qu’à l’alcool). Le roman commence le jour de son retour. Déphasé, notre héros contemple la nuit de sa fenêtre: l’orage gronde. Il aperçoit alors des silhouettes inquiétantes, celles, nous l’apprenons quelques pages plus loin, des membres d’une secte satanique.

Avec Vlad, il va se mettre en tête de défendre sa cité contre ces suppôts de Satan. Le roman bascule alors dans la description, souvent sanguinolente, de cette lutte, qui, entrecoupée de visions provoquées par la drogue, culmine avec une messe noire du plus bel effet. Il faut vraiment être amateur du genre, je crois. Visiblement, en ce qui me concerne, c’était une erreur d’aiguillage…

Celui qui voulait changer le monde

Celui qui voulait changer le monde
Juliia, Célia Chauffrey
Auzou, 2010

« Trouver la voie de son royaume »

Par Christine Moulin

 changer monde.jpgCet album aux belles dimensions attire par sa couverture, envahie par un immense cœur rouge, sur lequel est juché un petit garçon à l’allure décidée. Le titre est celui d’un conte et de fait, on a bien affaire à un conte, initiatique. Le héros, qui a la beauté de sa mère et la force de son père, a malgré tout reçu d’eux en héritage un certain désabusement : sa mère chante, sans se lasser, il est vrai, la venue toujours repoussée du roi qui va changer le monde. Son père, qui a voyagé, ne lui cache pas l’horreur des « hommes qui se battent », des « femmes qui pleurent » et des « enfants qui ont faim ». Alors, les poings du jeune garçon, Simon, restent serrés. Jusqu’à ce qu’arrive un oiseau, qu’il va suivre et qui le mènera vers la seule véritable quête qui vaille.

Le propos, poétique, humaniste, optimiste ne peut qu’ouvrir à la discussion : on pourrait craindre qu’il célèbre une forme de repli sur soi. Mais, en fait, on comprend qu’il s’agit de hiérarchiser ses efforts : inutile de vouloir changer le monde, si on ne fait pas sur soi le travail nécessaire, si on ne s’ouvre pas à l’autre. Et surtout, il vaut peut-être mieux habiter le monde que le changer. Reste à savoir si ce message ne paraîtra pas un peu trop réformiste à certains.

Le site de Célia Chauffrey.

Ma Soeur-Etoile

Ma sœur étoile
Alain Mabanckou, Judith Gueyfier
Seuil Jeunesse, 2010

Dessine-moi un Petit Prince

par Christine Moulin

soeur étoile.jpgAu milieu des avatars médiatiques plus ou moins réussis du Petit Prince, cet album fait chaud au cœur. Le format en est conforme au propos : généreux. Les illustrations, aux riches couleurs nocturnes, font la part belle aux doubles pages et permettent de pénétrer dans un univers onirique peuplé de moutons. C’est qu’en effet l’intertexte de l’ouvrage de Saint-Exupéry est très présent : en dehors du célèbre ovidé, on retrouve l’Afrique (mais pas celle du désert), l’étoile et au-delà, la célébration de la foi en l’amour, qui triomphe du deuil, le mépris des richesses matérielles, le pouvoir de l’amitié. Seule manque au rendez-vous « l’absente de tout bouquet », la rose… A peine peut-on regretter un début un peu lent : mais c’est que cet album est sans doute plus poétique que narratif, au fond.

Vous pouvez aller visiter le site de l’auteur.