Au fil de l’eau

Au fil de l’eau
Julia Billet illustrations de Célia Housset
Editions du Pourquoi pas ? 2019

Comme un remake du conte du petit poisson d’argent

Par Michel Driol

L’histoire est toute simple : un enfant et son Papé sur une barque libèrent un petit poisson emprisonné dans un sac plastique.

Edité dans la collection Pourquoi pas la Terre, cet album met bien sûr l’accent sur les menus gestes du quotidien qui polluent, détruisent la vie dans les rivières et les océans, mais aussi sur les actes minuscules d’attention à la nature qui peuvent y remédier. Le tout sans moralisation, sans didactisme, simplement par le constat et dans une langue particulièrement poétique et travaillée. C’est bien cette langue qui fait le charme de cet album et lui permet d’échapper à une vision du monde trop simpliste, en rapprochant l’histoire du conte poétique.

On suit ainsi au début et à la fin du texte l’anaphore au fil de l’eau, introduisant à  une vision quasi idyllique de la nature et de la rivière. Quant au milieu du texte, il est constitué par le sauvetage du poisson, traité sous forme d’injonctions adressées par l’enfant à son grand père. Ces injonctions, si elles donnent à voir en la commentant l’action sont aussi écrites dans une langue qui fait appel aux répétitions, aux jeux sur le lexique et les sonorités (Poche, pochon, piège à poisson), aux questionnements de l’enfant face à l’indifférence de ceux qui ont pu ainsi mettre en danger la vie du poisson. Ce dispositif met aussi l’enfant au cœur de l’action, non pas comme étant celui qui agit directement, mais celui qui a le pouvoir de faire agir les adultes. Les illustrations de Célia Housset, souvent en double page, utilisent des couleurs très vives, dans des dominantes bleues et rose/rouge, avec une force qui fait penser à l’expressionnisme – voire au néo-expressionnisme – allemand, comme une façon de lancer un cri d’alerte.

Un album qui s’adresse aux plus jeunes, pour montrer que nous pouvons tous, à notre niveau, agir pour la planète.

Nip et Nimp en voiture

Nip et Nimp en voiture
Lionel Serre
Les fourmis rouges, 2019

« Deux amis » en 2020 : des écolos urbains

Par Anne-Marie Mercier

Nip et Nimp sont deux amis qui vivent dans la ville tranquille de Normal et ont pourtant bien des aventures. Ici, c’est avec trois histoires à bord d’une voiture qui s’appelle, évidemment, Simone.
Au volant de Simone, Nimp défie Frim qui terrorise et assourdit la ville avec son bolide. Nip le sauve du ridicule dans une morale proche du lièvre et de la tortue mais qui met à jour le système « frime », qui a tant de place aujourd’hui.
Les deux amis luttent contre la nouvelle autoroute qu’ils n’ont pas vue venir. Pour sauver leurs ami/es les bêtes transformées en crêpes par les bolides, grâce à une astuce toute simple (vive le bricolage !), ils transforment l’asphalte en espace piétonnier.
Partis pour la mer, ils vivent le cauchemar des bouchons, des parkings bondés et découvrent la présence de Frim, partout : la solution sera dans l’abandon au hasard et à la générosité discrète de la nature.
Ces fables écolos sont portées par un rythme endiablé, un dessin aux contours arrondis et aux couleurs qui flashent, proches (en moins complexe, tout de même) des dessins de style psychédélique. Le grotesque des dessins comme des situations dévoile avec humour la folie de notre temps.
Ces histoires reprennent les personnages d’un premier volume, intitulé La Journée de Nip et Nimp en s’adressant à des enfants légèrement plus âgés, avec des récits plus développés.

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Phalaina

Phalaina
Alice Brière-Haquet
Rouergue, 2020écologie

Thriller écologique : le dépassement de Darwin

Par Anne-Marie Mercier

Le début de Phalaina a des allures de « dormeur du val » : une gracieuse enfant marche seule dans une belle lumière d’automne, mais petit à petit des indices d’une catastrophe récente et d’un danger proche émergent et voilà un engrenage implacable lancé. Des assassinats violents se succèdent, générant autant de fuites de la fillette.  On est donc dans un thriller, et celui-ci est très réussi : le suspens est permanent, très efficace, et les rebondissements de l’intrigue sont souvent inattendus.

La petite fille, orpheline et muette, a des allures d’Oliver Twist. Il est question de détournement d’héritage, de savants un peu fous… La fillette se cache et est enfermée dans divers lieux, dont un horrible orphelinat dirigé par des religieuses. Elle y endure de nombreuses souffrances et apprend qu’elle ne peut se fier à personne ou presque : l’amitié et la bienveillance qui finissent par émerger dans cette noirceur sont incarnées par de magnifiques et étranges personnages, autre originalité du livre. Enfin, on découvrira seulement à la fin du roman, comme il se doit, de qui elle est la fille.
Enfin, l’arrière-plan du roman et sa thèse est celle d’une réflexion sur la cohabitation des humains avec les animaux et d’une condamnation de la prédation générale menée par l’humanité. Des métamorphoses, l’idée de l’existence d’une espèce intermédiaire entre l’homme et l’animal, d’une hybridation possible, ouvre ce beau roman sur la voie du fantastique et de la poésie.
Le récit est entrecoupé de lettres que le savant (dont on a découvert le corps assassiné au premier chapitre) avait écrites à son ami Darwin, qu’il avait accompagné dans son voyage à bord du Beagle. Chacune de ces lettres est une invitation à la réflexion :
« Chaque espèce, chaque race, possède  son propre système de survie adapté à son environnement. Certains choisissent l’attaque et deviennent des prédateurs. […] D’autres espèces préfèrent s’économiser et adoptent un comportement défensif. Ils sont a priori plus fragiles, mais la nature leur propose d’autre armes. Le camouflage, par exemple ».
Ainsi en va-t-il du phalène, papillon de nuit qui donne son titre au roman. La réflexion sur l’animal débouche sur une réflexion large sur la « sélection naturelle » théorisée par Darwin appliquée aux humains. La société est devenue l’environnement naturel des humains, au point que la mode peut y jouer le rôle du camouflage ou de son inverse : « la sélection est devenue culturelle. Elle n’en est pas moins impitoyable ».

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Vert. Une histoire dans la jungle

Vert. Une histoire dans la jungle
Stéphane Kiehl,
De La Martinière jeunesse, 2019

La couleur de l’espoir ?

Par Anne-Marie Mercier

Au commencement, dans l’album et dans les mots, il y a le vert, du vert partout. Le narrateur, un enfant, arrive du « nord » pour s’installer avec sa famille dans la jungle. Il découvre un pays merveilleux où la nature s’offre à eux, menaçante parfois, mais toujours belle et vivante, parcourue par les éléphants, mais aussi les tigres. Les pages sont couvertes de ce vert qui couvre le blanc de la page : ne reste que l’espace nécessaire au texte.

L’album est le récit d’une déforestation, lente au début avec l’arrivée d’autres habitants, la création d’un village. Le blanc gagne progressivement l’image ;  il laisse aussi la place au noir, celui des souches des arbres que l’on a abattus. Si le vert revient, c’est sous la forme du fantasme, à travers le personnage du tigre, revenu grâce au récit de l’enfant devenu adulte: les couleurs reviennent, présentes dans l’image mais absentes dans le réel décrit par un récit plein de nostalgie.

C’est un bel album, elliptique, qui dit la fragilité de notre monde sans dogmatisme, à travers un simple exemple. Il laisse aussi de la place à l’imaginaire à travers la force de l’évocation par les mots et les images d’un paradis à jamais perdu : le nôtre, demain ?

La Forêt d’Alexandre

La Forêt d’Alexandre
Rascal
A pas de loups 2017

Etre un glaneur de rêves (Patti Smith)

Par Michel Driol

Comptable de profession, Alexandre rêve de planter un arbre dans un terrain aride. Si tous le prennent pour un fou, Alexandre persévère et voit grandir son arbre, à force de soins et d’attentions. Alexandre n’est plus, mais son arbre est toujours là, dans une forêt qui porte son nom désormais car son exemple a été suivi.

On pense bien sûr au Giono de L’Homme qui plantait des arbres.  Mais, à la différence d’Elzéard Bouffier, Alexandre ne plante qu’un arbre. Le texte, plein de sobriété, prend son temps pour raconter cette histoire d’amitié entre un homme et un arbre en jouant d’une vaste gamme de temps du passé, depuis le plus que parfait jusqu’à l’imparfait et au passé simple, qui installent avec poésie la narration dans la durée, alors que la fin au présent ouvre sur le monde actuel.  Ainsi la vie avance petit à petit, le rêve devient réalité, et l’arbre se métamorphose en abri, en rendez-vous pour les amoureux, ou en terrain de jeu pour les enfants, au point que l’arbre est un témoignage d’une foi et d’une action et qu’il survit à son « créateur ». Les illustrations, pleines de douceur dans leurs teintes pastel semblent pour nombre d’entre elles inclure une texture d’écorce. Elles évoquent sans doute aucun Magritte : silhouettes, pipe, tendance au surréalisme comme cette pelle dont le manche est un arbre… Elles introduisent dans l’univers poétique du rêve où tout devient possible et ouvrent à un autre monde possible.

Un bel album qui parlera à certains d’écologie et de la nécessité de replanter des forêts, et qui dira à d’autres qu’il faut réaliser ses rêves, quoi qu’on puisse en penser autour de soi.

 

Tout ça tout ça

Tout ça tout ça
Gwendoline Soublin
Editions espaces 34, 2019

Face au chaos du monde

par Anne-Marie Mercier

Le catastrophisme ambiant, qui dit que la planète est perdue que les guerres se font de plus en plus cruelles, et que les hommes sont de plus en plus malheureux atteint également les enfants : confrontés au flux incessant d’informations, ils désespèrent… ou bien ils agissent.

Chalipa (huit ans), constatant avec la baby-sitter que son frère Eshan (12 ans) n’est pas dans sa chambre, hésite entre deux hypothèses. La première, confortée par le petit Nelson (4 ans) qui passait par là, serait que Eshan s’est enfermé dans le bunker de survie créé par leur père au fond du jardin. Sam, la baby-sitter, en a refermé par mégarde la trappe d’accès : seul Eshan peut l’ouvrir, de l’intérieur.

Après l’arrivée de Salvador (14 ans), chacun, avec son âge et son caractère veille devant cette trappe pour faire sortir le garçon et parle pour le convaincre de sortir, lui dire que la vie est pourtant belle aussi, qu’on l’aime et le comprend. Les dialogues brefs et toniques du début (hurlements de solitude et de colère de Chalipa, bredouillements de Nelson, agacement de Sam) laisse la place à un temps de monologues croisés, avec une belle disposition sur la page, en colonnes aérées ponctuées parfois de silences chez l’un ou l’autre.

La solution du mystère arrive par les informations télévisées : on y découvre qu’Eshan s’est rendu tout seul en Normandie où il a commencé à creuser une tombe pour une baleine qui s’y était échouée : il a donc décidé d’agir, sinon pour ‘sauver la planète’, du moins pour faire réagir les adultes. Cette pièce tombe à point nommé; elle prend en considération l’angoisse de nombreux enfants face à un flux d’informations qui donne à voir un « chaos du monde  » (propos de l’auteure dans une interview où elle explique la genèse de son projet et le travail fait avec des enfants sur ce thème). Elle traite le problème sans dogmatisme, avec sensibilité, à travers des personnages bien typés, tant par leur langage que par leur comportements.

L’Arbre boit

L’Arbre boit
Christophe Tostain
Espace 34 (Théâtre jeunesse), 2015

Le théâtre des saisons

Par Anne-Marie Mercier

Deux « personnages », deux conteurs, pour cette courte pièce en trois saisons (printemps, été, automne) précédées d’un prologue et suivies d’un épilogue (l’hiver). Les deux voix sont celles de Vieille Racine et de Jeune Branche.
La première est soucieuse : elle sait les dangers qui guettent l’arbre et qui l’attaqueront : incendie, orages, sècheresse, hiver… Elle tente de répondre aux demandes de tous, feuilles et branches, tout en mettant un peu d’eau de côté pour les temps difficiles. La deuxième est l’insouciance même, elle attend l’hirondelle, le vent, le soleil, rêve de voyages…

Tout en mettant en scène un dialogue entre un être âgé et une jeune tête brûlée, cette fable est aussi une image de la vie végétale, une « leçon de choses », donc, simple et tragique.

L’île aux panthères, La presqu’île empoisonnée

Les Jaxon, t. 2: La presqu’île empoisonnée
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Les Jaxon, t. 1: L’île aux panthères
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Comment décoiffer le club des cinq

Par Christine Moulin

La quatrième de couverture de l’opus 1 l’indique clairement: « Signant le renouveau du polar de clan, en version 2.0, L’île aux panthères jette cinq adolescents au destin singulier dans les sous-sols obscurs d’un monde contemporain dangereux et réaliste ». De fait, ce roman, tout comme le second, met en scène une bande de collégiens dotés de pouvoirs extraordinaires mais pas surnaturels (l’un est un hacker surdoué, l’autre est hypermnésique, etc.). Et elle les plonge dans des complots qui leur font affronter la mafia calabraise, les Triades chinoises, des trafiquants en tout genre, des  spéculateurs immobiliers, j’en passe et des meilleurs.

Le premier tome se déroule à Nantes, le deuxième à Lyon : les deux villes sont mises à l’honneur et jouent un grand rôle dans l’intrigue. Pour ceux qui les connaissent bien, il est très réjouissant de voir comment l’auteur en fait le cadre de luttes souterraines et impitoyables. D’une manière générale, les deux histoires sont en prise directe avec le réel et évoquent, sans faux semblant et avec une grande précision, nombre de problèmes politiques contemporains (notamment l’environnement: le désherbant Cleanfields, au cœur du problème à résoudre dans La Presqu’île empoisonnée, cache mal sa ressemblance avec le Roundup, par exemple). Cela dit, ces deux romans restent des romans car nos cinq héros, malgré leur âge, accomplissent des exploits que ne renierait pas un agent aguerri du FBI et la vraisemblance est sans cesse oubliée: l’une des héroïnes n’est-elle pas engagée dans un combat « visant à abattre le système de prédation financière et écologique imposé par certaines multinationales »? Et en gros, elle revient pour le goûter…

L’invraisemblance ne touche pas, toutefois, les relations entre les membre du groupe qui sont finement décrites et ressemblent, finalement, à ce que vivent des jeunes « normaux ». Ce qui fait qu’on s’attache aux héros et que la lecture est très agréable, voire, par moments, addictive, du moins celle du tome 2 car l’intrigue du premier ouvrage est un peu embrouillée.
Mais surtout, surtout, c’est le style qui est remarquable (là encore, sans doute plus nettement dans le second opus): il y a de l’humour, beaucoup d’humour, fondé notamment sur des formules surprenantes (exemple: « Xavier l’attendait porte ouverte avec, sur le visage, un air qu’Oscar ne lui avait jamais vu. Une boule de papier journal chiffonnée qui essaierait de sourire était ce qui s’en rapprochait le plus »). Mais il y  aussi des descriptions fortes et frappantes, comme dans cette évocation de Lyon: « Et autour de tout ça, la main invisible et puissante de l’argent toxique et l’énergie brute des quartiers sous pression dont la rage pulsait dans la ville comme des vibrations sorties d’un caisson de basses. Lyon était opulente, baroque, géniale, vulgaire, industrieuse, moderne, expansive, gourmande, explosive et dangereuse ».  Il y a souvent, enfin, des passages d’écriture quasi fragmentaire particulièrement bien venus: « Lucas avait appris cette histoire par hasard – porte mal fermée, mère tourmentée « ce n’est pas cet homme que j’ai épousé », lui réveillé… ».

Bref, si l’auteur s’en était tenu au premier volume, on aurait pu penser qu’il s’était contenté de revisiter (avec talent) le club des cinq, en ciblant, il est vrai, un lectorat plus âgé. Mais le deuxième volume, à l’intrigue épurée, séduit par son rythme et par son écriture et acquiert une tout autre dimension : vivement la parution des Jaxon 3!

Happa No Ko Le Peuple de feuilles

Happa No Ko Le Peuple de feuilles
Karin Serres
Rouergue 2018

Dystopie et main verte

Par Michel Driol

Dans un futur où les hommes n’ont qu’à jouer, où les machines contrôlent tout, où la ville est omniprésente, Madeleine, du quartier France 45-67, découvre que ses mains sont devenues vertes. Au Japon, Ken fait la même découverte. Les mains vertes donnent le pouvoir de voyager dans l’espace (ainsi Ken peut venir en France et Madeleine aller au Japon) ou dans le temps (ainsi on pourra retrouver le grand-père de Ken qui avait aussi les mains vertes). Ils découvrent d’où vient le sentiment de bonheur de leur monde : de l’exploitation à outrance des Happa no ko, le peuple de feuilles, créatures constituées d’énergie, communiquant par télépathie, capables de se transformer, et de se rendre visibles sous une sorte de pelage fait de feuilles.

Comme nombre de romans de science-fiction actuels, celui-ci confronte le lecteur à une dystopie : un univers urbain, d’où la nature est absente, et où l’on croise des machines-docteurs, des machines-police, des machines-repas. Bien sûr, et c’est l’un des ressorts des dystopies, il est nécessaire que des individus, d’une façon ou d’une autre, prennent conscience de la réalité du monde sous ses apparences et tentent de changer quelque chose. Dans cet univers totalitaire, on n’a plus besoin de travailler : l’école survit, mais c’est une école où on apprend à jouer. Gare aux dissidents : un couvre-feu est instauré, les machines-police surveillent tout car les moindres faits et gestes sont enregistrés. Loin de cet univers, les deux ados découvrent un autre monde, celui du passé, et cette relation particulière avec la nature, sous la forme du peuple de feuilles, capable de redonner de l’énergie, un bonheur non artificiel. Le roman conduit donc à s’interroger sur notre futur : est-ce vers un monde de plus en plus virtuel, artificiel, dans lequel le jeu devient une aliénation, la seule obsession des individus que nous souhaitons aller ? On ne révèlera pas bien sûr la fin du livre : on dira simplement qu’elle est forte et qu’elle reste heureusement ouverte.

Une fable poétique, inspirée de la culture japonaise, à la fois légère et grave, pour retrouver le plaisir d’une promenade en forêt et l’odeur des champignons dans un monde qui tend, de plus en plus, à les oublier.

Pour l’honneur de la tribu

Pour l’honneur de la tribu
Wendy Constance (traduit de l’anglais par Marie Leymarie)
Gallimard jeunesse, 2015

Jusqu’au bout du monde

Par François Quet

Un gros roman (328 pages), une histoire indienne d’avant l’histoire, deux points de vue (celui de Cheval Sauvage, un jeune garçon, et celui de Mésange bleue, une jeune fille), deux aventures qui n’en font bientôt plus qu’une, une trajectoire épique qui conduit les héros à travers forêts, montagnes et rivières jusqu’au bout du monde. Il ne fait aucun doute que l’histoire plaira : l’auteur a fait ce qu’il faut pour cela. Les héros ont tous deux rompu avec leurs tribus et leurs poursuivants ne sont jamais loin. Un bébé tigre est leur compagnon de route, mascotte assez peu commune pour éveiller l’intérêt et dotée d’une toison assez douce pour inspirer l’affection. Le froid, la neige, la faim, les loups, les rivières ou la tempête sont des obstacles saisissants dont les jeunes héros finissent par triompher.

L’auteur s’est appliquée à rendre la violence tolérable et les héros ne se rendent directement coupables d’aucun crime, même pour se défendre. On imagine qu’aucun animal n’a eu à souffrir de mauvais traitement pendant l’écriture du roman. Et l’auteur a bien pris garde à ce que l’héroïne soit aussi vaillante que son compagnon : les efforts de Cheval Sauvage pour laisser Mésange Bleue s’activer près du feu quand il va chasser s’arrêtent vite lorsqu’il découvre que la jeune fille peut chasser aussi bien que lui, et qu’à deux on obtient de meilleurs résultats.

On l’aura compris, il s’agit d’un bon livre, bien fait et très « politiquement correct ». Trop peut-être. On aimerait parfois que sa sagesse laisse davantage parler l’humour ou la fantaisie et qu’une part d’imprévu vienne dérégler le déroulement parfait d’une aventure un peu trop irréprochable.