Sabotages en série à Versailles

Sabotages en série à Versailles
Arthur Ténor

Seuil jeunesse, 2011

Versailles hélas

Par Anne-Marie Mercier

sabotages en série.jpgVoilà une tentative pour mêler roman historique (pâle copie des Colombes du roi soleil, version garçons), « collège novel » (il y aurait eu une « prestigieuse école » de pages sous Louis XIV…?) et roman policier. C’est souvent des mélanges que viennent les surprises et certains succès (l’exemple Harry Potter). Ici, le résultat est bien décevant, sur tous les points. Il faut noter tout de même une originalité : le cadre des jardins de Versailles est bien utilisé et les prouesses techniques des fontaines et grandes eaux bien documentées. Hors cela, l’imitation de langue ancienne dans les dialogues est artificielle et le récit sans allant.

 

Caché pas caché dans le sable

Caché pas caché dans le sable
Michelle Daufresne
Seuil Jeunesse, 2011

Une aventure à la mer

par Sophie Genin

51+edQUxgPL._AA115_.jpg   Cet album en accordéon recto-verso proposé dans la série « caché pas caché » permet aux très jeunes lecteurs, côté recto, narratif, de s’identifier au petit crabe à la recherche de son papa (suffisamment original pour être souligné : pour une fois, il n’est pas en quête de sa maman !) ou, au verso, plus « documentaire », d’observer les animaux du bord de mer.

Les illustrations, mêlant éléments naturels et créations de papiers collées faisant songer à Eric Carle, facilitent la recherche, pas toujours évidente, des éléments demandés par le texte (« Qui nage dans l’eau ? Où est passé le chien ? »). Tout cela donne envie d’accompagner le jeune enfant et de s’enthousiasmer avec lui de ses premières découvertes.

Malédiction du sang

Malédiction du sang
Celia Rees

Seuil, 2011

La Marie Curie de la « bit-lit »

par Christine Moulin

vampire,fantastique,celia rees,bit litCe roman se remarque d’abord par sa couverture, non pas par l’illustration, banale, mais par sa texture : lisse, douce au toucher, veloutée. Du noir tactile…

Mais comme un livre n’est pas fait uniquement pour être caressé, parlons du reste. L’auteur le fait assez bien elle-même, dans un passage « méta » plutôt ironique : « En 1878, on ne pondait pas encore à la chaîne romans et films d’épouvante ». En effet, nous avons affaire à un roman de vampires on ne peut plus classique, qui ressemble a priori aux « produits » qui s’empilent sur les tables des libraires. Cela se passe dans une vieille maison victorienne, sise à côté d’un cimetière plein de tombes délabrées. Tous les éléments de la légende sont là : peur de l’ail, du crucifix, absence de reflet, pieu, étrange beauté des hommes vampires, etc.

Mais ce qui fait l’originalité du roman, c’est que l’héroïne, Ellen, qui souffre d’une maladie de sang mystérieuse, monte au grenier de la maison de sa grand-mère, où elle trouve un vieux coffre, rempli de manuscrits : le journal d’une de ses ancêtres, qui s’appelait également Ellen. Bien sûr, au début du premier cahier, figure cet avertissement : « Ce livre appartient à Ellen Laidlaw, 1878. […] Malheur à celui qui y jettera les yeux ». Grâce à cette mise en abyme, l’on est sans cesse pris dans un jeu de miroirs (ce qui est un comble quand il s’agit de vampires !) entre l’histoire qui s’est déroulée au XIXe siècle, dont on sait très vite qu’elle a eu une issue heureuse (si bien que le suspens tient plutôt à la question : « Comment a-t-elle fait pour s’en sortir? ») et l’histoire qui se déroule de nos jours. Reflets, ressemblances sont alors intéressants à traquer. L’auteur1 a assez astucieusement résolu le problème de l’alternance entre narration en « je » (celle du journal) et narration en « elle » (celle de l’histoire cadre), ce qui anime le récit et le rend plus inquiétant.

Autre originalité : on sait aussi très vite que l’ancêtre en question a été médecin et qu’elle a contribué à la découverte du facteur rhésus.

Voilà donc un roman qui se lit d’une traite (on pourrait, si on était pointilleux, relever quelques invraisemblances mais basta !) et qui renouvelle, malgré les craintes que l’on peut nourrir au départ, le genre très encombré des histoires de vampire.

(1) à qui l’on doit Le Journal d’une sorcière. 

Le Maître des estampes

Le Maître des estampes
Dedieu
Seuil, 2010

Intermittences de l’art

par Anne-Marie Mercier

lemaitredesestampes.jpgCarnet de croquis précédé d’une fable chinoise, cet album propose en deux leçons une vision profonde du travail de tout artiste, celui du peintre, comme celui des autres : acteurs, interprète, auteurs… La formule placée en conclusion de la première partie concentre bien le propos : « Des deux vies du papillon, ce n’est pas celle de la chenille que l’on retient, mais celle du papillon ».
Première partie, la fable, pseudo chinoise. Mais on sait, depuis qu’il a incarné le japonais Tatsu Nagata (qu’on adore !), que Dedieu est le roi du pastiche décalé. C’est un pastiche par la forme et le fond : un récit qui met en scène un maître de l’estampe et un mandarin dans une histoire d’apparence anodine et close par une chute qui dit une vérité profonde. Le dessin est tracé à l’encre sur un beau papier crème, aquarellé (ou encré à l’eau) sur certaines zones de différents tons de bruns et ocre (les vêtements, aux motifs géométriques traditionnels). Le texte, au rythme lent, très court et simple mais précis, dans une belle typographie à empâtements, est centré au-dessus ou au-dessous du motif, mais placé dans le cadre de l’image, ce qui fait de lui un élément graphique.
Le décalage vient de la représentation des personnages en animaux (le mandarin est un cochon gras, le peintre un renard élancé) qui évoque le monde des fables et éveille ainsi l’attention du lecteur. Et c’est bien une leçon que livre Dedieu, ou plutôt une parabole c’est à dire un récit qui permet de faire comprendre ce qu’un raisonnement ne pourrait faire saisir : la création demande du temps, non seulement celui de la réalisation effective, mais celui de la recherche de l’idée, de la forme, de son expérimentation, des brouillons au chef-d’œuvre. Et le public ne voit que le résultat, au mieux le geste final et, comme le mandarin, s’étonne de devoir payer six mois pour ce qu’il croit n’être qu’une seconde de travail.
Le carnet de croquis est la réponse du peintre au mandarin : il montre, sur un beau papier blanc de texture différente, quelques-unes des étapes qui permettent d’arriver à l’image finale, superbe encre que l’on retrouve en petit format et en couleur sur la couverture.
Un album à méditer, à savourer, à faire circuler et à offrir à tous ceux et celles que le travail de l’artiste passionne, grands et petits.

Charles à l’école des dragons

Charles à l’école des dragons
Alex Cousseau et Philippe-Henri Turin

Seuil Jeunesse, 2010

Variante esthétique sur un lieu commun

par Christine Moulin

 charles.jpgDès qu’on le voit sur la couverture, on a envie d’aimer Charles, le petit dragon qui naît dans « un parfum de fin du monde […], au sommet d’une montagne, sur un nid de graviers » : ses yeux émouvants, implorants, pleins de tendresse et de tristesse, rappellent ceux du Chat Potté de Shrek. Bref, on fond… Tout comme ses parents qui trouvent qu’il est le plus beau dragon du monde.

Les illustrations, somptueuses, ne nous détrompent pas. Seulement, voilà : Charles, à l’école, au lieu d’apprendre à voler et cracher, écrit des poèmes (enfin, plutôt des vers de mirliton, si on en juge par sa production). On devine la suite : de marginal, il deviendra admiré de tous ; d’ « intello » souffreteux, dragon majestueux.

Le propos est donc connu, voire ambigu (l’humour noir de Les Trois loups, du même auteur, était plus revigorant !). Mais le format, les couleurs, le dessin, les cadrages, tout fait quand même de cet album un plaisir… pour les yeux.

Gutenberg : le rêveur de livres

Gutenberg : le rêveur de livres 
Elisabeth Laureau-Daull

Seuil jeunesse (« Coup de génie ») 2010

Biographie rêvée

Par Anne-Marie Mercier

Gutemberg - le rêveur de livres .jpgToute une vie à rêver d’un livre multipliable et diffusable à l’infini, telle est la vie de Gutenberg présentée ici. On le voit enfant, dégouté par le seul livre de son école, usé et passé de mains en mains, adolescent commençant à imaginer une solution, adulte expérimentant les types de caractères, les encres et les papiers, entrepreneur en butte aux problèmes financiers… enfin vieillard, contemplant son œuvre achevée. Cet album n’est pas une biographie à proprement parler mais, comme tous ceux de cette collection, il cherche à montrer l’histoire et les difficultés d’une invention majeure. Chaque double page en montre une étape (avec les illusions et fabulations de la biographie du découvreur, comme si l’idée de l’invention future l’avait guidé depuis toujours).

Les illustrations sont parfaites, faussement naïves, reprenant des éléments du style médiéval sans aller jusqu’au pastiche, se limitant à la citation avec beaucoup de liberté et d’expressivité. Le jeune lecteur peut y rechercher l’oie qui accompagne Gutenberg (allusion à son nom complet), ou bien les petits caractères d’imprimerie qui sont comme autant de petits personnages. Pâles d’abord, puis de plus en plus affirmés, ils se glissent partout. Différentes techniques sont mélangées : bois gravés, gravure, gouaches…

Le lecteur plus curieux de cet art découvrira les différents aspects de l’imprimerie, ses étapes, ses outils, aussi bien par le texte que par l’image. Plus qu’un documentaire, cet album est une rêverie qui invite à aller plus loin.

Compte avec moi

Compte avec moi
Philippe-Henri Turin,
Seuil, 2011

 Conter ou compter ?

par Christine Moulin

charles.jpg Revoilà Charles, l’adorable dragon. Il nous est revenu grâce à un album à compter, conçu sous forme d’un accordéon dont les deux faces peuvent s’explorer (c’est le principe de la collection « Clac book », nom qui va faire frémir les adversaires de l’invasion anglaise…). Sur une face, Charles compte jusqu’à 10, comme le veut le genre ; sur l’autre, on retrouve les éléments dénombrés dans un « tableau » d’ensemble.

Charles a toujours la même bonne « bouille ». Mais il est toujours aussi ambigu : est-il vraiment très judicieux de présenter le fait de n’avoir « que » huit doigts (quatre à chaque patte) comme une catastrophe ? Compter, c’est alors, enfin, être conforme à la norme…

Allez, ne « chipotons » pas : souhaitons simplement que Charles ne devienne pas un produit qui se vende sur T-shirt, trousse, gomme ou autres gadgets.

La nuit

La Nuit
Olivier Charpentier,
Seuil (Clac book), 2011

Dormir, c’est rêver un peu

par Christine Moulin

Dans la même collection que l’album de Philippe-Henri Turin, la collection « Clac book », voilà un ouvrage bien plus abouti. Il raconte, par le seul truchement de l’image, gaie, dansante, fantasque et colorée (ce qui est un comble puisque tout se passe la nuit !) le voyage d’un petit loup dans ses propres rêves. Il est accompagné d’un doudou lapin (rouge), qui le rassure, ce qui est la moindre des choses pour un doudou, mais va également gagner du galon et devenir un personnage à part entière.
On pouvait a priori douter que le fantastique pût se décliner pour les tout-petits : et pourtant… A la fin de son périple, le héros rapporte des contrées qu’il a visitées, présentées comme imaginaires, une rose, bien réelle, elle (tel le grelot de Boréal Express, de Chris Van Allsburg), qu’il offre, petit prince plein de tendresse, à sa maman.

Mistigri, mon ami

Mistigri, mon ami
Elisabeth Partridge, Lauren Castillo
traduit (anglais) par Fenn Troller
Seuil jeunesse, 2011

Dire le chagrin

par Christine Moulin

elisabeth partridge,lauren castillo,fenn troller,seuil,deuil,chat,christine moulinCet album est, en apparence, modeste et par là même, touchant. Il ne cherche pas à donner de la mort et du deuil une vision originale ou poétique ou profonde. Non, il dit tout simplement, avec des phrases très courtes, de celles que saurait écrire un enfant, les sentiments qui peuvent unir un chat, un petit garçon et sa maman. Il dit la rupture que provoque la maladie. Il dit la tristesse.

Les illustrations sont à l’unisson : réalistes mais délicates. Tendres (bouleversant, le dessin que dépose l’enfant sur la tombe de Mistigri, bouleversant le « petit menton » du chat…)

Dommage que la deuxième partie laisse place à une vision plus traditionnelle. Certes, il y a de la justesse dans la façon qu’a le petit garçon de chercher son ami perdu « tout là-haut, heureux parmi les oiseaux » puisque sa maman lui a dit qu’il était au ciel… Mais l’optimisme final  (« nous serons amis pour la vie, rien ne nous séparera jamais ») semble un peu forcé et débouche sur une sentimentalité que le reste de l’album avait su éviter avec beaucoup de pudeur.

Monstres et Dragons

Monstres et Dragons
Matthiew Reinhart, Robert Sabuda

Seuil 2011

pop-up monstre !

Par Anne-Marie Mercier

Monstres et Dragons.gifL’édition française de ce pop-up justement qualifié de « spectaculaire » en quatrième de couverture a été rapide puisqu’il a été publié la même année en Grande-Bretagne, et c’est tant mieux. On a rarement vu un pop-up aussi généreux, à tous points de vue : l’inventivité des montages la variété des papiers, l’humour, la présence d’images annexes dans les marges, cachés sous des rabats et enfin la quantité  et la qualité des textes.
Le livre convoque plusieurs mythologies, européennes ou asiatiques, anciennes et modernes. Dans ses pages sages au format carré, il propose de frémir devant le surgissement du calmar géant, l’éveil du vampire, le saut du yéti, et de réfléchir aux origines des croyances et à leur impact sur les civilisations. Ainsi, à propos du Dragon, se côtoient une légende, une réflexion sur le kung-fu et une évocation des fêtes du nouvel an chinois.