L’Énigme du Rubis Une enquête de Prospérine Cerisier

L’Énigme du Rubis Une enquête de Prospérine Cerisier
Jennifer Dalrymple
Scrineo 2024

Les Mystères du Paris haussmannien

Par Michel Driol

A 15 ans, Prospérine vit avec son père, commissaire adjoint de police après avoir été médecin, dans un Paris qui subit les transformations du Second Empire. Elle est orpheline et vient de Touraine. Son père mène l’enquête sur l’assassinat d’un charbonnier, près de chez elle,  mais se voit vite déchargé de cette affaire au profit d’un autre, sans doute plus enclin à ne pas trop chercher la vérité. Prospérine va aider une bande de jeunes ramoneurs à faire innocenter leur protecteur, accusé à tort, et aider son père, quitte à explorer les toits et les bas-fonds de Paris, au grand dam de sa tante !

Voilà un roman policier historique bien ancré dans une période de profondes transformations de la ville et de la société. La ville de Paris, cadre du roman est bien décrite, dans ses ruelles non encore transformées, héritage du Moyen Age, dans les luxueux appartements des Grands Boulevards, dans les faubourgs encore plus sordides, mais surtout dans cet entre-deux, les chantiers en cours, signes d’une modernisation qui ne se fait pas simplement. A la façon des romans populaires (on songe à Eugène Sue, bien sûr), on traverse les couches de la société. On rencontrera donc des aristocrates ruinés, des bourgeois en pleine ascension sociale, et toujours dans l’entre deux, Prospérine et son père, bons bourgeois de province, quelque peu déclassés dans ce Paris dont ils ne maitrisent ni l’accent, le parler, ni les codes.

Prospérine est peut-être plus une héroïne féministe du XXème siècle que du XIXème, dans son féminisme adolescent, entre-deux entre l’enfance et l’âge adulte  Elle rêve de devenir médecin, comme son père, ne désire pas aller au pensionnat, et continue de s’instruire, en lisant aussi bien les philosophes que les romans contemporains. Ouverte, empathique, intelligente, indépendante et audacieuse, elle se révèle intrépide et sans préjugés, au contraire de sa tante. Cette dernière se révèle en fait plus complexe que les apparences ne le laissent entrevoir, et saura tempérer l’enthousiasme de sa nièce. Autre entre-deux, entre les convenances et le désir d’émancipation.

Le roman décrit bien la violence sociale de ce Second Empire. Violence à l’égard de « ceux qui ne sont rien » : les enfants exploités comme ramoneurs, rachitiques, les jeunes prostituées, la police plus encline à chercher les coupables du côté des classes populaires que des puissants… Violence aussi à l’égard des celles et ceux, comme certaines familles nobles, victimes d’escrocs sans scrupules. On est tout à la fois dans le roman historique et dans le roman populaire, pour lequel les revers de fortune sont une des ressors dramatiques.

Un roman qui se lit d’une traite, aborde les questions du deuil, de la famille, de l’amitié, de l’éducation des filles, en sachant toujours se situer dans les entre-deux féconds et dramatiquement riches… On espère que l’autrice fera vivre de nouvelles aventures à son héroïne !

Le Jour où le monde est devenu bizarre

Le Jour où le monde est devenu bizarre
Marie Pavlenko
Flammarion Jeunesse 2024

Rentrer dans son corps

Par Michel Driol

Un beau matin le narrateur, Aaskell, se réveille collé au plafond et voit son propre corps couché dans son lit. Il comprend qu’il n’est plus que gaz, tandis qu’un autre habite son corps, et se fait passer pour lui. Avec la complicité de son chat, d’une amie de sa sœur, de sa propre sœur, qu’on croyait atteinte d’une maladie mentale, et de quelques tonnes de côtes de blettes, il va réussir non seulement à réintégrer son corps, mais aussi à sauver la planète ! Rien que ça !

Dans sa note d’intention, Marie Pavlenko évoque Roald Dahl, et elle nous propose bien ici un univers à la hauteur de cet auteur. Tout est délicieusement fantaisiste, farfelu. Les péripéties s’enchainent, toutes plus loufoques les unes que les autres.  Laissons au lecteur le soin de découvrir un chat tapant sur les touches d’un ordinateur, feuilletant pour le héros les livres de la bibliothèque, ou encore les innombrables nuances de vert dont l’une de personnages se vernit les ongles ! Tout ceci est agréablement déjanté et diablement agencé.

Pour autant, cette légèreté, qui s’inscrit dans la parodie des romans de science-fiction mettant en scène des extraterrestres, ne manque pas de fond. Aaskell est un adolescent seul, mélancolique, depuis qu’il a perdu la complicité de sa sœur, qui vit recluse dans sa chambre, après un séjour en hôpital psychiatrique.  Il est victime de harcèlement au collège. Mais ce n’est pas l’essentiel. Il est question de santé mentale et d’intime, voire d’intimité. La vie serait-elle supportable si nous ne pouvions cacher nos émotions, nos sentiments ? Quel lien entre le corps, manifestation physique, et l’esprit ? Pourrait-on cohabiter à deux dans le même corps, partageant ainsi une intimité forcée ? Quelle est la part de notre quant-à-soi ? Autant de questions qui traversent l’adolescence et qui sont abordées ici comme en passant, sans s’y appesantir.  Il est question aussi des filles et de la physique, du rapport entre le corps et les ongles vernis et l’intelligence profonde. On y parle aussi d’amitié et de confidences…

On se demandera enfin, non sans ironie, quel rapport l’autrice entretient avec les côtes de blettes : l’ouvrage sert-il à redorer le blason de ce légume aqueux, ou à lui régler son compte ?

Un roman plein de fantaisie, d’humour et d’entrain, avec une bande de personnages pleins d’énergie confrontés à des situations incroyables au milieu des champs de tulipes !

Prelude of a Queen

Prelude of a Queen
Lili Miller – Zoé Crevette
Eidola 2025

L’enfant oiseau

Par Michel Driol

Ugo, qui nait au printemps, dès son plus jeune âge, est attiré par les oiseaux.  Il grandit différent, fille-garçon, garçon-fille, solitaire et isolé à l’école. Lorsque des plumes colorées poussent sur son corps, sa mère les arrache, pour le rendre semblable aux autres. La peau d’Ugo n’est plus que plaie, tandis qu’on se moque toujours de lui. Sa mère alors renonce à le déplumer. De retour au collège, avec son amie Lisa, enfin lui-même, il peut inventer un  nouveau monde, sous le regard médusé des autres.

Sujet  – oh combien délicat !  – celui des drag queen, de la transidentité, abordé avec un tact et une poésie magnifique, tant dans le texte que dans les illustrations.  Cela vient d’abord du déplacement opéré des problématiques de trans identité homme-femme vers un être mi enfant mi oiseau, situation qui renvoie aussi bien à la mythologie qu’à d’autres albums de jeunesse.  Ce pas de côté vers l’imaginaire rend ainsi acceptable pour tous la vraie problématique portée par l’album, sans la nommer explicitement. Chacun aura ainsi son niveau de compréhension, en fonction de ses intérêts, de son vécu, de son âge. En revanche, il est question explicitement de différence, différence qui marque le corps, différence qui isole, qui laisse la place aux harcèlements, et de la volonté maladroitement protectrice d’une mère aimante. La poésie, c’est aussi celle du texte, de l’usage qui est fait ici de la langue. Une langue qui fait la part belle au lexique des oiseaux, dans ses comparaisons et ses métaphores. Une langue particulièrement travaillée dans ses reprises et ses anaphores, dans le rythme des phrases. Une langue qui sait suggérer plus que nommer explicitement, et laisse chacun rêver, en s’appuyant peut-être sur le magnifique travail graphique proposé par Zoé Crevette. Ses illustrations proposent un univers, dans lequel les oiseaux – et leurs plumes – ont toute la place. Des images en teintes froides pour montrer la solitude, des images aux teintes chaudes pour montrer la métamorphose de l’enfant en oiseau, aux plumes chatoyantes, aux ailes déployées, prêt à prendre son envol, créature hybride et fantastique, danseur qu’on dirait sorti de l’oiseau de feu !

Ajoutons que l’album se présente en version bilingue, français et anglais, et que des qrcodes permettent d’écouter trois compositions de Franky Gogo ajoutent une dimension musicale à ce conte.

Rêve, émotion, souffrance, découverte d’un autre monde et de sa véritable identité, beauté… Voilà ce dont parle cet album tout à fait remarquable avec, répétons-le, des mots qui ne choqueront personne, mais sauront ouvrir l’esprit et le cœur.

L’Arbrophone

L’Arbrophone
Donatienne Ranc – Barim
Editions du Pourquoi pas ?? 2025

Parler avec les arbres…

Par Michel Driol

A l’aide d’Amandine, Lou s’est construit une cabane dans son châtaigner préféré, Châty.  Une nuit, elle entend de drôles de bruits dans l’arbre, dont elle note le rythme sur son carnet. Comprenant que c’est l’arbre qui lui parle dans une sorte de morse, elle se débrouille pour le décoder, et, à l’aide d’Amandine, construit à partir d’un vieux gramophone un traducteur instantané. Les deux fillettes invitent tout le village à venir écouter ce que l’arbre a à dire.

Voilà un texte qui hésite entre le conte et le cri d’alerte. Du conte, on retient la cabane, le lien mystérieux qui unit la fillette et un élément de la nature, l’arbre. Du conte, on retient aussi l’utilisation poétique des vieux objets, comme un vieux gramophone, et non un banal ordinateur, pour transformer en paroles les signaux de l’arbre. Du conte, on retient aussi que les arbres peuvent parler le langage des hommes, et même le français ! Le cri d’alerte, il est porté par la voix de l’arbre, qui s’adresse aux hommes, à leur hubris, dans leur volonté de tout surexploiter, et dans la façon dont l’arbre fait connaitre son cahier de doléances. Face à l’urgence, le texte se fait alors moins poétique et plus militant. Cette hésitation est-elle la marque des limites du conte, de la poésie, du rêve pour dire l’urgence ? L’arbre qui parle un langage clair, explicite, argumenté et grave dit l’urgence dans laquelle nous sommes, et les impasses où nous conduit un certain type de rapports avec la nature.  Le récit se clôt par une fin heureusement ouverte, laissant entrevoir différents scénarios, différentes réactions pour sauver la nature, qui peuvent donner à réfléchir le lecteur.

Comme toujours, la langue de l’autrice est une langue de conteuse, une langue faite pour l’oral, avec sa respiration, son jeu sur les sonorités. C’est elle qui reprend les paroles de Châty, dans un discours indirect qui autorise les anaphores, les énumérations, lui donne du souffle. Les illustrations de Barim, dans des dominantes complémentaires de rouge et de vert, sont pleines de gaité et de fantaisie.

Un récit dont les hésitations, la double appartenance générique, disent bien les questions que se posent aujourd’hui les autrices et auteurs de littérature jeunesse face aux messages environnementaux à faire passer aux jeunes générations ? Quelle place y donner à l’imaginaire ?  Quelle place y donner au cri d’alarme ?

Mon petit sapin de Noël

 Mon petit sapin de Noël
Jane Chapman
L’Elan vert 2024

Un Noël dans la forêt

Par Michel Driol

Les blaireaux, les lapins, Papa Ours et Petit Ours cherchent des sapins de Noël dans la forêt. Pour Petit Ours, ce sera le petit sapin qui l’a retenu après une cabriole dans la neige. On déracine les sapins, on les conduit chez les uns et les autres,  et on assiste à la décoration de Petit Sapin dans la famille ours. Quand, après Noël, il faut tout ranger, Petit Ours est triste, mais on replante les 3 sapins dans le jardin… et on attend l’année suivante !

L’album évoque avec tendresse la préparation des fêtes de fin d’année, l’excitation qui règne, le plaisir de la décoration du sapin, dans une perspective durable, puisque le sapin sera replanté et resservira l’année suivante. Le texte, qui fait la part belle au dialogue entre Papa Ours et Petit Ours, est simple à comprendre. Il montre l’amour et la complicité entre les deux personnages, complicité qui se retrouve entre Petit Ours et Petit Sapin. Le premier parle au second, le décore, se prend d’affection pour lui. Façon de dire et de montrer que le sapin est vivant…

Les illustrations s’inscrivent pleinement dans toute une tradition qui anthropomorphise les animaux. Certes, ils sont pour l’essentiel nus, à l’exception de quelques accessoires, comme le bonnet de Noël de Papa Ours, mais leurs terriers sont de véritables maisons, meublés sommairement, mais on voit tout de même un poêle, un fauteuil, et surtout tous les accessoires de Noël : guirlandes, rubans… donnant l’impression des intérieurs « cosy ». d’un cottage anglais. En filigrane, c’est aussi un album qui parle du temps qui passe, de l’attente, de ce que représente une année à hauteur d’enfant, et de la séparation…

Un album de Noël tout en douceur qui fait l’impasse sur le père Noël pour mettre l’accent sur le bonheur d’être ensemble et de préparer la fête rituelle.

Loups

Loups
Elena Selena
Gallimard Jeunesse 2024

Au royaume des loups

Par Michel Driol

Deux petits louveteaux explorent la forêt, la nuit, sensibles aux bruits et aux senteurs, percevant la présence d’autres animaux, avant de retrouver leur meute et de chanter sous la lune.

En cinq pop-up, Elena Selena retrace ce voyage initiatique des deux louveteaux, leur liberté dans ce monde nouveau qu’ils découvrent  au cœur d’une nature pleine de vie. Le texte, pris en charge par les deux loups narrateurs, est d’une grande concision, mettant l’accent sur les plaisirs de la vie au sein de la forêt. Dès lors, il laisse les lecteurs découvrir les nombreux détails qu’il n’évoque pas, détails représentés par les illustrations.  Les animaux, par exemple, parfois subtilement cachés, aussi bien les insectes que les mammifères. Les végétaux, depuis les grands arbres jusqu’aux petites fleurs. C’est ainsi tout l’univers de cette forêt qui est évoqué.

Les pop-up sont d’une grande beauté, donnant naissance à de véritables théâtres de papier très variés.  Cinq scènes se succèdent ainsi : une forêt, découpée en plusieurs plans, au milieu desquels se faufilent les louveteaux. Des feuillages dont leurs têtes surgissent à l’ouverture de la page. Une cascade qui s’étage sur trois niveaux. Les retrouvailles avec la meute, au milieu d’arbres  de toutes couleurs. Et enfin un paysage dominé par la lune, sur laquelle se détachent les silhouettes des deux frères.  L’ensemble forme une ode à la nature, à sa diversité, à sa beauté, avec, comme guides, les deux louveteaux admirablement croqués, les yeux toujours ouverts, signes de leur découverte du monde, de leur curiosité juvénile. Comment ne pas éprouver pour eux tendresse et sympathie ?

Une fois de plus, Elena Selena s’affirme comme une des grandes conceptrices actuelles de pop-ups, proposant des albums toujours en lien avec la nature qu’elle sait magnifier afin qu’on la respecte dans toute sa diversité.

Tout ce que le Père Noël ne fera jamais

Tout ce que le Père Noël ne fera jamais
Noé Carlain – Ronan Badel
L’élan vert 2024

Père Noël à contre-emploi

Par Michel Driol

Voilà un album qui propose une série de situations dans lesquelles le Père Noël ne se trouvera jamais.  Faire sa tournée en skate, se tromper de cadeaux, déballer les cadeaux et jouer avec ou encore confondre Pâques avec Noël.  En contrepoint se dessine la figure d’un père Noël exact, infaillible, parfait !

Chaque page place le Père Noël dans une situation inattendue, burlesque, et drôle, en opérant un renversement  et en désacralisant la figure du père Noël, pour en faire un personnage carnavalesque. Un personnage qui perd son pantalon, fait sentir ses orteils, adopte des comportements enfantins en se situant dans l’excès…  Chaque page présente donc le père Noël – ou les autres personnages – avec beaucoup d’humour dans des attitudes pleines de vie et de mouvement. Parmi les personnages, les rennes occupent une place particulière, prompts à se moquer des bêtises du Père Noël, prompts à jouer des tours, à être surpris… On trouvera aussi les lutins, la mère Noël et ses sept enfants, et enfin les enfants humains, destinataires des cadeaux, impatients, inquiets, et surtout le lecteur de l’histoire qui en assure la chute, qualifié de cadeau dans un ultime renversement !

Un album qui renouvelle le genre des albums de Noël avec drôlerie, en jouant sur un personnage archétypal qu’il prétend rabaisser pour mieux l’ériger en modèle.

 

Si j’étais un oiseau

Si j’étais un oiseau
Barroux
Little Urban 2025

Pour faire le portrait d’un enfant

Par Michel Driol

Le texte de chaque double page commence par l’anaphore Si j’étais un oiseau… Puis, au conditionnel, s’affirment les propositions. Il y est question de bonne humeur, de voyage, d’émerveillements, de fruits à manger, de temps passé  à observer les libellules, ou les grenouilles, de vie en lien avec la nature, porté par les vents. Puis les références se font autres : survoler les murs, les frontières et les barbelés,  être moins méfiant envers les autres, accueillir du monde chez soi, ne pas se laisser enfermer. Vient alors la chute. Mais je suis un enfant… le nez au vent et la tête dans les nuages !

Nombreux sont les textes, les poèmes, qui associent l’enfant à l’oiseau. On songe à Prévert, bien sûr, à Hugo aussi, et, dans un autre genre, à la chanson de Marie Myriam. C’est dans cette tradition là que s’inscrit de recueil de Barroux, construit autour d’une solide anaphore qui invite à se projeter dans un autre monde.  Monde de découvertes, de plaisirs, dans lequel on peut s’affranchir des contraintes. On retrouve bien là l’oiseau symbole de liberté, liberté d’aller et venir, oiseau qui se refuse à toute cage qui l’emprisonnerait. Mais cette liberté s’associe avec une curiosité, curiosité envers les autres, par-delà la barrière des espèces, curiosité envers les plaisirs de toute sorte. C’est un recueil à la fois plein d’hédonisme et de sens du partage, écrit dans une langue d’une grande simplicité, très concrète dans ses notations, précise dans son lexique, dans sa façon d’évoquer les vents, la rosée ou les ronces piquantes…   La chute, attendue, clôt cette série d’anaphores avec malice, montrant à quel point l’enfant et l’oiseau partagent en commun , sur un plan métaphorique cette fois, deux qualités fondamentales,  le nez au vent et la tête dans les nuages. Si j’étais un oiseau fait, en fait, le portrait d’un enfant libre, curieux, ouvert, rêveur, attentif.

On apprécie le grand format de cet album, qui permet aux illustrations de Barroux  de se déployer dans des doubles pages pleines d’imagination et de poésie. Voyez, par exemple, comment le chant de l’oiseau semble repris par toute une chorale de chats citadins. La nature, représentée à toutes les saisons, de jour comme de nuit, affiche sa luxuriance, ses tendres couleur pastel, dans des cadrages toujours surprenants et inattendus. Si l’on suit de page en page un oiseau rose, toujours tourné vers la droite, vers le futur,  les oiseaux y sont multicolores, comme les fleurs.

Un recueil de poésie qui parle de liberté, de fraternité, d’ouverture aux autres et d’espoir dans l’avenir et dans les enfants. Du grand Barroux !

Vivre la ville

Vivre la ville
Pauline Ferrand
Grasset Jeunesse 2024

Quand on explore la ville…

Par Michel Driol

Il faut d’abord explorer le coffret, et en extraire un leporello imprimé recto verso, représentant  une foule de gens actifs, qui à pied, qui en vélo, qui en voiture ; des scènes urbaines animées, colorées, vivantes.  Puis 18 cartes, imprimées recto verso, des cartes de trois couleurs, comprenant à la fois du texte et une étrange découpure. Enfin une carte mode d’emploi, indiquant comment superposer les cartes, dans l’ordre, sur le leporello, pour donner naissance à 6 histoires.

Six histoires aux titres évocateurs : coup de foudre amoureux, les joggeurs, les bonjours de mauvaises journées, ode à la distraction, la révolution des enfants, mamie et Colette. Six histoires qui tantôt évoquent le temps long d’une histoire d’amour, ou le temps court de la promenade d’une vieille dame et de sa chienne.  Six histoires pour parler des rituels urbains, le bonjour obligatoire quand on voudrait le silence, ou les multiples choses à observer dans la ville. Six histoires pour parler des enfants dans la ville, de leur destin tracé ou pas selon leur genre, et de la destination de tous ceux qui courent.  Six regards pour explorer les multiples facettes de la ville, de ses habitants qui s’y côtoient sans se connaitre et y mènent des vies parallèles

Le dispositif est original et signifiant.  D’un côté, il y a comme une sorte de réalité urbaine, désordonnée, fouillis, incompréhensible dans sa diversité et son foisonnement. De l’autre, il y a le récit qui en isole des facettes, l’organise, lui donne sens grâce au langage.  Chaque panorama peut ainsi être éclairé de façon différente, invitant à aller au-delà des apparences pour lui donner du sens, le sens de l’existence de ces individualités qui se croisent, et dont on connait, ou pas, les buts, les ressorts, les destins.

Vivre la ville, un livre objet qui s’apparente à un livre d’artiste, un livre dont la structure est porteuse d’un regard poétique plein d’humanité sur celles et ceux qui se croisent, sur les vies minuscules qui forment un grand tout.

Lire aussi la chronique d’Anne Marie Mercier 

Amie

Amie
Icinori
La Partie 2024

Le sommeil de la raison…

Par Michel Driol

Que se cache-t-il sous la couverture intrigante ? Un doudou ? un animal ? Un fantôme ? Une ombre qui rôde, inquiétante, démentant le titre, amie ? Les pages de garde présentent un paysage urbain aux maisons bien uniformes, tandis qu’un adulte entraine un enfant. Question de l’enfant : Qu’y a-t-il là-bas, au–delà des montagnes ? Réponse de l’adulte : Viens, la nuit tombe. Puis les images montrent l’animal de couverture, une chauvesouris, pénétrer dans la chambre de l’enfant, et l’emmener dans une grotte, dans un paysage peuplé d’étranges animaux,  dans un somptueux palais habité par un singe géant, et c’est le retour au petit matin, au petit déjeuner.

Très concis, minimaliste, le texte joue à la façon des cartons des films muets, posant quelques repères temporels, des paroles, des indications de lieu. Mais l’essentiel est dans les illustrations très oniriques, aux dominantes rouges et vert, qui disent le pouvoir de l’imagination de s’affranchir des limites pour aller dans un monde fantastique qui n’a rien d’effrayant. C’est un enlèvement, mais tout est bienveillant. Pas de maxi monstres dans le pays que l’on parcourt, mais une sorte de grâce animale, florale, où rien n’est ce qu’il semble être, à bien y regarder de près. Les pattes d’un animal sont des mains humaines, les têtes sont des fleurs. Le serpent menaçant a deux jambes humaines… Cet imaginaire envoie aussi à des images connues des adultes au moins : images du paradis terrestre, de certains tableaux de la Renaissance évoqués par la perspective des colonnes ou les paysages bucoliques visibles à travers les arches, singes aveugles, muets et sourds…

Cette ode à l’imagination, qui invite à aller au-delà des montagnes, au-delà de la nuit, protégé par cette amie qui sert de guide, de passeur se déroule dans un univers graphique bien particulier. On y trouve à la fois des lignes rouges et vertes, très géométriques, tantôt droites, tantôt courbes  mais aussi des formes plus fluides. Chaque image est construite à partir d’une profusion d’objets, de techniques qui introduisent vraiment dans un autre univers mystérieux, bien loin de la sagesse monotone des petites maisons des pages de garde.

Icinori, un duo d’artistes composé de Mayumi Otero et de Raphaël Urwiller, propose ici un rêve insolite, merveilleux, pour donner envie de s’évader loin du réel terne, fade et ennuyeux.