Lillelu et Bulibar

Lillelu et Bulibar
Svein Nyhus,

Traduit (norvégien) par Jean-Baptiste Coursaud
La joie de lire, 2014

Vers la joie

par François Quet

lileluDe l’apparence de Lillelu, on ne connaitra pas grand chose exceptée sa petite taille, et en particulier on ignorera jusqu’au bout s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille[1]. En revanche, le lecteur ne quitte jamais les pensées du personnage, tout au long de son voyage et de son apprentissage chez le magicien Bulibar.

D’une certaine manière, le petit livre de Svein Nyhus raconte une histoire assez classique, fortement ancrée dans l’univers des contes et légendes. Les héros habitent le Linderland, un pays « situé loin, loin, loin » et vivent dans un âge de fantaisie où l’on se déplace à pied ou bien dans des charettes tirées par des bœufs ; les magiciens savent écarter les éclairs et accomplir des prodiges, les lin-détaleurs sont de petits animaux que discipline un air de pipeau et si des « volatiles croasseurs » peuvent s’en prendre aux voyageurs solitaires, il suffit de les éblouir avec des miroirs de poche pour les mettre en fuite. Lillelu rencontrera vite Bulibar qui l’emploiera comme commissionnaire et au fil des pages Lillelu va gagner en indépendance et en maturité, comme l’étoile « devenue son amie », autrefois « minuscule, presqu’invisible », et qui brille « avec intensité » à la dernière page, parce qu’elle a grandi. « Peut-être que moi aussi j’ai grandi », se dit alors Lillelu.

On aime, bien sûr, le propos de Svein Nyhus, ce récit plein de confiance qui conduit un être enfant vers un devenir adulte ; on aime aussi l’invention de ce monde mystérieux, la ville de Ba, au-delà de la forêt des brumes, et les magiciens aux noms bizarres : Pamprecreux ou Grandgrandpapa… Mais on aime surtout l’extrême douceur de l’univers et de l’aventure racontés par Nyhus.

Les forêts que traversent les personnages ne sont pas très dangereuses et toute l’intensité du récit ne passe pas par la volonté de vaincre l’hostilité d’agresseurs insaisissables. Lillelu, c’est un des charmes du roman que de mettre en scène un personnage appliqué, appliqué à bien faire, appliqué à trouver sa place, ne manifeste jamais le moindre désir de révolte, même quand son patron le rabroue assez injustement ou lui donne pour tout logement une place sinistre à la cave. On peut sans doute trouver cela agaçant, regretter cette soumission et que Lillelu se satisfasse de l’idée qu’un jour lui aussi comme Bulibar pourra se faire servir par un petit commisionnaire. On peut aussi lire les choses autrement.

Lillelu et Bulibar est une leçon de sérénité qui enseigne la patience et l’émerveillement. L’apprenti(e) regarde le monde et son maitre avec innocence ; s’intéresse à tout, s’étonne, se montre discrètement curieux. Il s’acquitte avec modestie de son travail obscur ; il observe, il accepte de ne pas comprendre, il admire.

Les tours de magie s’exécutent mezzo voce bien loin des effets spéciaux du genre ! On ne dira rien du tour accompli par Lillelu, pour venir à l’aide de son maitre à la fin du récit, mais le seul autre tour qui soit véritablement décrit se résume à la transformation d’une racine en un bois bourgeonnant, ce qui fait penser à notre personnage que « rendre vivantes les choses mortes, ça c’est merveilleux ». Quant à la vieille femme triste et grise qui s’en revient de sa consultation ayant retrouvé ses couleurs et sa joie de vivre, elle ne doit pas tant sa guérison à la magie qu’à la compagnie affectueuse d’un animal. Certes le lecteur se demande parfois si l’admiration de l’élève pour son maitre est vraiment méritée ou justifiée, et il peut sourire d’une tentative ratée de saisir au filet le chant de la lune. Mais ce n’est pas le propos. La présentation un peu comique et assez loufoque de Bulibar est plus poétique qu’ironique et ne fait pas oublier la fraicheur du regard de l’enfant sur son maitre.

Bref, on pourra trouver que ce conte est un peu mièvre et manque de piment ou de quelques un des condiments sulfureux à la mode, mais on pourra aussi penser, et c’est mon cas, que la montée vers la joie « débordante » de Lillelu, vers cette vie qui répond à ses rêves même « s’il faut travailler dur et si c’est très fatiguant » (p.203), est une jolie leçon, appuyée sur une vision du monde tendre et généreuse.

[1] Pourtant, page 136, (est-ce une négligence du traducteur ?) : Lillelu après avoir pris une grande bouteille, « la range dans le sac qu’il met sur son dos ».

rouge chaperon petit Le

rouge chaperon petit Le
Marien Tillet, Marine Cros

Collectif des métiers de l’édition (CMDE), Dans le ventre de la baleine, 2012

Au commencement était la fin…

Par Anne-Marie Mercier

rouge_chaperon_petit_leCommencer par la fin, quelle bonne idée lorsque le conte est déjà bien connu ! Cela a l’avantage de dramatiser encore chacune des étapes, de reprendre le fil à rebours pour frémir davantage. Et l’on frémit d’autant plus que le texte choisit la version la plus traditionnelle, avec la scène de cannibalisme, ici à peine suggérée, et que les images en encre de chine associent, au dessin à la plume et aux masses sombres, sur le blanc de la page, des rouges inquiétants.

Enfin, le graphisme est extrêmement intéressant. Loin de tout réalisme, il suggère plus qu’il ne montre un monstre-loup formé de feuilles que l’on peut interpréter de différentes façons et dont l’explication ne se révèle qu’en reprenant l’histoire à son début : elle tient dans les propos du chaperon rapportés à la première page (donc en conclusion à l’histoire, vous me suivez ?) : « Mamie ? Pourquoi, en automne, les feuilles elles tombent des arbres ? […] Mamie ? Pourquoi tu as de grandes dents ».

Le conte prend alors une signification nouvelle : la grand-mère et le loup ne sont qu’un seul et même danger qui guette l’enfance, celui du temps qui passe, de l’automne qui flétrit toutes choses. « L’hiver vient », comme on le répète dans une série à la mode aujourd’hui, formule qui résume toutes les catastrophes, mais aussi la catastrophe initiale qui touche tout être vivant : la fin est inscrite dès le commencement, tout le monde est mortel, même le chaperon petit… Mais souhaitons que ce soit seulement quand il sera grand !

Pour en savoir et voir plus sur l’ouvrage

et sur le collectif

Le Fil rouge

Le Fil rouge
Géraldine Collet, Cécile Hudrisier

Philomèle, 2011

Au fil des contes

Par Anne-Marie Mercier

maquette-fil.inddL’expression « fil rouge », est prise ici au pied de la lettre comme au sens figuré : c’est celui qu’une petite fille tire, faisant apparaître des personnages de conte, puis le Père Noël, dont le pull se détricote. C’est aussi celui de la fantaisie, de l’accumulation joyeuse, de la juxtaposition des contraires, du jeu avec l’imaginaire et l’image.

Fondées en 2009, les éditions Philomèle publient des albums pour les jeunes enfants qui jouent sur les mots et les situations, avec simplicité et originalité.

 

 

Le Conte du prince en deux ou l’histoire d’une mémorable fessée

Le Conte du prince en deux ou l’histoire d’une mémorable fessée
Olivier Douzou, Frédérique Bertrand
Le Rouergue, 2014

Pour ou contre la fessée ?

Par Anne-Marie Mercier

conteduprinceendeuxVoilà une histoire en deux moitiés, l’une englobant l’autre et toutes deux tournant autour de la même question : que penser des châtiments corporels infligés aux enfants par leurs parents – et plus précisément de la fessée ?

Le conte inséré répond catégoriquement : un jour un roi fessa si fort son fils qu’il le fendit en deux moitiés, de part et d’autre du sillon fessier. L’une des moitiés, qui se révoltait, fut enfermée dans une tour et l’autre, docile, tint le rôle du prince en tentant de masquer qu’il n’était que la moitié de lui même. On devine tout ce qu’il peut y avoir comme sous-entendus à une situation que le dessin montre de façon littérale, si l’on peut dire cela d’un dessin : les princes sont effectivement comme une pomme coupée en deux.

L’autre histoire est celle d’un débat, qui commence par un micro trottoir dans lequel une mère condamne ces pratiques, disant que « en Suède par exemple… » et se poursuit à l’intérieur de la classe par un échange entre les enfants, puis à la sortie d’école où la même mère se contredit de façon spectaculaire.

On ne copie pasC’est donc bien un album doublement double, porteur d’une certaine ambiguïté pour ne pas dire duplicité. On retrouve donc ici le duo d’auteurs du merveilleux album On ne copie pas, au mieux de sa forme !

Hansel et Gretel

Hansel et Gretel
D’après les frères Grimm, illustré par Sophie Lebot
Flammarion, Père Castor, 2014

Le conte est-il soluble dans le mignon ?

Par Anne-Marie Mercier

Hansel et GretelLe conte des Grimm (connu aussi en France sous le nom de « Jeannot et Margot ») est suivi ici de façon relativement fidèle, légèrement simplifiée et édulcorée : les éléments les plus effrayants sont gommés, de même que les références religieuses. Les illustrations concourent au même effet, elles sont colorées, douces, ajoutent du pittoresque : la pauvreté des enfants n’empêche par la rondeur de leurs joues, et le rapiéçage de leurs vêtements est une élégance de plus sur hanselgretelcouvleur costume.

L’ensemble est charmant, un peu trop peut-être. Tout dépend de l’idée qu’on se fait du conte : une histoire qui doit faire juste un tout petit peu frémir ou bien un récit archétypal, un mythe, la mise en mots de terreurs enfantines, c’est-à-dire tout ce qui a fait le succès de ce conte. Pour ceux qui préféreront ce versant, on conseille la version de Susanne Janssen aux éditions Être. Les autres auront le droit (enfin, le leur) pour préférer cette version.

L’Homme à la peau d’ours. Un conte de Grimm

L’Homme à la peau d’ours. Un conte de Grimm
Ann Jonas, Sébastien Mourrain
Seuil jeunesse, 2013

GRRR !

Par Anne-Marie Mercier

hommealapeaudoursC’est un conte bien étrange que celui de L’Homme à la peau d’ours, des frères Grimm : Au début de l’histoire, on voit que la paix est un malheur… pour les soldats qui ne savent rien faire d’autre et que la société abandonne. A la fin, deux des personnages se suicident (certes, il s’agit des méchantes sœurs de l’héroïne). Au milieu, un pacte avec le diable : le héros accepte de revêtir une peau d’ours et de ne pas se laver ni se couper les ongles et les cheveux et ainsi de provoquer le dégoût chez ses semblables, malgré sa bonté. C’est une sorte de métamorphose réaliste qui oppose apparence animale d’une part, bonté et … richesse d’autre part, le second étant le plus souvent plus efficace que le premier.

Le mélange est curieux, entre obsession de l’argent et fantastique. Les dessins stylisés et sobres Le-Vaillant-Petit-Tailleurde Sébastien Mourrain. Le texte d’Anne Jonas suit fidèlement l’original.

Pour écouter le conte: http://www.youtube.com/watch?v=5CV87WJoM88

ET… puis, pour les adultes qui auraient envie de rire un peu des frères Grimm, lisez Le Vaillant petit tailleur d’Eric Chevillard, il existe en plus maintenant en version poche, un régal !

Turandot, princesse de Chine

Turandot, princesse de Chine
Dedieu

Hong Fei, 2013

Album Opéra

Par Anne-Marie Mercier

turandotAdapté de l’ « Histoire du prince Calaf et de la princesse de la Chine » de Pétis de La Croix » (Contes des mille et uns jours, 1710-1712), cet album qui s’inscrit dans la suite de plusieurs versions célèbres (dont l’opéra de Puccini), propose cette histoire mi tragique mi héroïque à un jeune public, mais aussi à tous ceux que le style chinois de Dedieu enchante.

Après avoir été le savant professeur Tatsu Nagata et avoir raconté plusieurs belles histoires autour de l’art chinois (Le Maître des estampes (Seuil 2011), Dragons de poussière (Hong Fei, 2012)), il monte ce récit comme un opéra en plusieurs actes, chaque chapitre étant séparé par une page-rideau rouge avec des personnages qui semblent inspiré de marionnettes ou de papiers découpés orientaux.

Le texte, bref, parfois elliptique, respecte la langue du dix huitième siècle autant qu’il est possible sans trop gêner la compréhension d’un jeune lecteur. Les dessins à l’encre, colorés, s’inscrivent sur un fond blanc, espace symbolique d’une scène presque vide de décors et d’accessoires et les angles choisis magnifient la geste héroïque du prince, la beauté de la princesse et sa cruauté. Mais tout cela avec un clin d’œil faussement naïf, la grandiloquence étant toujours montrée comme un jeu d’acteurs.

Le format étonnant, haut et étroit (22×38 cm), se déplie en doubles pages généreuses, tant pour le texte, en gros caractères, que pour l’image qui s’inscrit sur des fonds blancs larges.

Voir l’entretien avec Thierry Dedieu à propos de ce livre sur le site de Hong fei.

 

 

L’Escargot et l’éléphant

L’Escargot et l’éléphant
Manfeï Obin, Lionel Le Néouanic
Seuil Jeunesse (Les Contes du tapis) 2011

Magnifique conte étiologique dans une collection originale et intelligente

par Sophie Genin

LEscargotetEnvie de savoir pourquoi l’escargot porte sa maison sur son dos ? Suivez le conteur ivoirien Manfeï Obin grâce au conte étiologique proposé au dos du grand album cartonné de la collection «Les contes du tapis » ! En effet, même si vous ne maniez pas cet art oral ancestral, vous vous en sortirez car Lionel Le Néouanic a prêté son univers coloré fait de bouts de papier et autres créations, sculptures plastiques associant des éléments variés et des couleurs éclatantes et contrastées qui rappellent les pochettes des albums ou les couvertures de magazines illustrées par les Chats Pelés dont l’illustrateur fait partie !

Grâce à la quatrième de couverture dépliée au dos des pages sans paroles, vous ferez suivre cette aventure à vos spectateurs et, le temps d’une histoire du soir, vous serez dans la peau de celui qui tient en haleine son public ! Jubilatoire !

Et si vous avez apprécié cette expérience, vous pourrez la renouveler avec d’autres conteurs et illustrateurs (et vous pourrez le faire les yeux fermés : la collection est toujours de très grande qualité dans les deux domaines concernés) en allant découvrir Pourquoi la carapace de la tortue n’est plus lisse du tout, Le Petit chacal et le vieux crocodile ou encore des contes traditionnels tels que Les Musiciens de Brême, Le Petit bonhomme en pain d’épices ou La Petite poule rousse.

Le roi et le joueur de doudouk (français-arménien oriental)

Le roi et le joueur de doudouk (français-arménien oriental)
France Verrier, Thomas Anglaret, Christine Dinounts
L’Harmattan, 2013

Défis logiques et poésie narrative

Par Dominique Perrin

doudDans un « pays de montagnes et de terres brunes » – l’Arménie -, des hommes tentent de défier l’orgueil du roi : celui-ci a cru bon de promettre la moitié de son royaume à qui parviendrait à lui faire croire un mensonge. Les deux premiers champions galéjeurs ont du charme : le berger évoque un bâton à remuer les étoiles, le tailleur sa tâche de rapiéceur de nuages. La version présentée ici, conformément à l’esprit de la collection, est concise : arrive donc promptement le joueur de doudouk, qui attaque le monarque au défaut de la cuirasse, en affirmant sans ambages que celui-ci lui doit une jarre d’or. A partir de là s’enclenche un casse-tête logique qui peut évoquer celui de Minos roi des menteurs…

L’Araignée, le Roi et le Tigre / Anainsi, Kownu anga Bubu.

L’Araignée, le Roi et le Tigre / Anainsi, Kownu anga Bubu. Conte de Guyane, ndyuka-français
Miefi Moese, Sess (ill.)

L’Harmattan, 2013

« Nous allons raconter… »

Par Dominique Perrin

« Un jour l’Araignée se rendit au palais, et dit :

L’Araignée : Mon Roi, je peux conduire le Tigre. »

« Wan dey, Anainsi go na Kownu osuu, a taki :

Anainsi : Mi kownu, mi poy tii Bubu. »

 

araAinsi commence le conte, et voici l’amateur transporté un peu plus, un peu plus vite qu’il n’en a pourtant pris l’habitude avec l’immense répertoire du conte. On entre ici sans apprêt dans l’univers de la transmission orale, quitte à hésiter un peu sur le sens précis à donner au défi lancé de but en blanc par l’araignée (« Je peux conduire le Tigre »). Tout indique qu’un conteur, autrement dit une communauté, habite magiquement cet album très léger à la main ; dès lors, foin des explications et fioritures que les mimiques et les gestes précèdent, ainsi bien sûr qu’une culture tout entière, capable de s’offrir comme instantanément sur le théâtre de ses récits.

Culture transcontinentale du conte, car le lecteur européen sait, d’une certaine manière, que Monsieur l’Araignée est un Tartarin qui a les moyens de sa forfanterie, mais aussi culture Ndyuka à découvrir, à l’intersection d’un certain génie narratif, d’une langue manifestement chantante, et d’une illustration vivante, décomplexée, à l’égal d’un créole iconographique.

Et le catalogue des contes bilingues de l’Harmattant compte ainsi 158 titres de tous les continents !