La Princesse aux petites noix

La Princesse aux petites noix
Émilie Chazerand, Stéphane Kiehl
Sarbacane, 2024

Genre troublé

Par Anne-Marie Mercier

Un roi et une reine ont un fils, pour leur plus grand bonheur. Mais, comme souvent, l’enfant ne se développe pas comme ils l’auraient souhaité ; dans ce cas précis, la virilité du prince est très peu affirmée. Tout en ayant hérité d’un féroce aïeul le nom d’Otto, le prince n’a aucun goût pour les armes et adore s’habiller en princesse. Si son père accepte tout cela (l’enfant n’est-il pas honnête, gentil, en bonne santé, ce qui seul importe ?), sa mère s’inquiète, puis tout le royaume s’alarme après en avoir ri, car Baldur, le brutal fils du roi voisin vient un jour défier le prince (qu’on surnomme « la princesse aux petites noix ») dans un duel pour lui ravir le royaume.
La fin est surprenante (et heureuse).
Baldur est comme Otto, malgré leurs caractères opposés. Il est perçu par les autres comme étrange. Il dérange. Il n’a pas d’ami. Les deux princes, par un coup de théâtre amusant, se découvrent des points communs, et c’est le début d’une grande amitié.
Tout l’album fait l’éloge de l’acceptation de la singularité et remet en question les stéréotypes de genre des contes d’autrefois (on aura reconnu le détournement du titre de la « Princesse au petit pois ») et de la vie d’aujourd’hui. L’utilisation fine du bleu et du rose, de façon discrète, lui donne une belle cohérence graphique.

Max et les presque chevaliers. T. 2, La bataille des doubles

Max et les presque chevaliers. T. 2, La bataille des doubles
Lincoln Peirce
Seuil jeunesse, 2024

Par Anne-Marie Mercier

Lincoln Peirce, créateur des tribulations du collégien catastrophique Big Nate et de sa bande de copains, transpose de plusieurs façons son feuilleton. En gardant la formule du roman graphique et son style quasi enfantin (comme si les héros avaient dessiné eux-mêmes leur aventures – ce qui se confirme à la fin de l’histoire), il transforme l’univers du collège en école de chevaliers qui accueille exceptionnellement une fille, nommée Max, après que celle-ci a, dans le premier volume, sauvé le roi et le royaume. Elle fait l’objet de brimades de la part de leur instructeur qui n’accepte pas qu’une fille participe à cette formation et elle souffre d’un cruel manque de confiance en elle. Avec sa bande de copains, un gros, fou de lecture, une apprentie magicienne et un garçon en formation aux écuries royales, l’histoire démontre que chacun a son talent particulier et que en s’unissant on est plus fort.
Quant à l’intrigue, elle est pleine de rebondissements. Encore une fois, les forces du mal tentent de prendre le pouvoir et il faut toute l’habileté et l’intelligence des jeunes héros pour en venir à bout et restaurer l’ordre. Malgré le suspense et l’aspect souvent dramatique des événements, l’humour est constant, aussi bien dans les dialogues que dans les relations entre personnages ou les dessins. Le sort fait aux livres est particulièrement savoureux et l’on a hâte de voir ce que deviendra la bibliothèque de Gontran, les chevaux de Simon et la magie de Mélie…

 

Pagaille en pagaies

Pagaille en pagaies
Marie Dorléans
Sarbacane, 2024

Une médaille d’or en mosaïque

Par Anne-Marie Mercier

Après Course épique, Marie Dorléans reprend le même format à l’italienne très allongé pour s’amuser d’un autre sport, ici l’aviron. Les doubles pages proposent une vue très panoramique de la rivière, dans un décor presque immuable : en haut le ciel bleu, puis la pelouse, couverte au début de pique-niqueurs, et enfin la rivière, vide au début et qui se couvre de canoés à deux rameurs. Certains rameurs sont bien maladroits et l’on découvre différentes manières de ne pas avancer, mais le problème est plus grand encore et les suspenses s’accumulent.
Une première énigme nous était proposée dès le début : parmi les pique-niqueurs, il y a Sophia qui vient de recevoir un cadeau ; il faut la trouver dans l’image et comprendre ce que c’est que cet objet qu’elle tient dans ses mains.
C’est un masque de plongée et un tuba. Elle l’inaugure quand la course commence, et nous découvrons avec elle l’envers de la compétition. Parmi ces rameurs il y a des tricheurs. Le point de vue descend un peu plus bas, suivant Sophia en plongée : le ciel a disparu du tiers supérieur de la page, c’est la pelouse qui occupe sa place et l’on voit la rivière occuper toute la moitié inférieure, sur toute sa profondeur. On découvre alors avec Sofia ce qui se trame sous les bateaux : certains se font remorquer par des poissons, d’autres par des scaphandriers, etc., d’autres ont des jambes, des poissons font la course… Les situations absurdes s’accumulent. Tout cela est très drôle, servi par un dessin à la ligne claire, une grande sobriété, et beaucoup de sérieux apparent.
Tout s‘achève dans un grand désordre, et une course où, chacun ayant voulu battre l’autre, personne ne gagne : il faut partager la médaille d’or en petites miettes. Une leçon de sportivité?

En voir un peu plus sur le site de l’éditeur

Lettres des îles Baladar

Lettres des îles Baladar
Jacques Prévert, André François
Gallimard jeunesse (1952), 2024

Iles, éternels refuges

Par Anne-Marie Mercier

On ne raconte pas les Lettres des îles Baladar. D’abord parce que c’est un album bien connu (qui méritait amplement d’être réimprimé, merci Gallimard !), ensuite par ce que l’argument en est très simple et que sa saveur tient au rythme, au style, à sa gravité et à sa légèreté.
Un archipel ignoré du grand continent vit heureux, en autosuffisance,  jusqu’au jour où sur le « Grand Continent » on apprend qu’il s’y trouve de l’or. Invasion, destruction, soumission, révolution et enfin expulsion rythment l’histoire. C’est le modèle de bien des histoires coloniales, à ceci près qu’ici la fantaisie, la drôlerie et l’optimisme gagnent toujours. Le mal y  est défait pour toujours. De tous les apports des colons, seul le cinéma est gardé, et encore, un cinéma que les habitants font eux-mêmes et non celui qu’on leur vend.
Les dessins en bichromie d’André François accompagnent parfaitement le style de Prévert. Proches du graffiti, ils dressent des portraits savoureux des personnages, du grand méchant (le Général Trésorier de Tue Tue Paon Paon) à son adversaire, le singe Quatre-mains-à-l’ouvrage, le balayeur de l’île qui devient son sauveur.

Pépite à lire et relire et à offrir à tout âge, pour tous les âges.

 

À l’aise, Blaise !

À l’aise, Blaise !
Claude Ponti
L’école des loisirs, 2024

Poussin explosif

Par Anne-Marie Mercier

Pour les fanatiques de Claude Ponti, et surtout les accros à Blaise, voilà un festival de prouesses du poussin masqué : faire pipi sous un parapluie sans que le pipi se mélange à la pluie, jongler avec les pieds avec des éclairs au chocolat, soulever des poids incroyables, voler plus vite que tout, se baigner dans une mare de chocolat, fêter de manière géante son anniversaire…
Mais aussi du Blaise pur Blaise derrière le sourire crispé de son masque : un Blaise narquois, dérangeant, narcissique, pas vraiment gentil… Un Blaise tonique, et qui ne laisse jamais l’Amer gagner (voir ma chronique du 1er juillet) :

« L’Amer, Blaise ne le laisse jamais faire.
Car l’Amer trouve toujours quelque chose de désagréable à dire : « Ça sent mauvais. C’est trop chaud à gauche. Il pleut alors qu’il devrait faire beau. […]  Je n’aime pas. Je n’ai pas envie. Je ne vois pas pourquoi je devrais aimer. De toute façon c’est nul ».

Blaise joue à tout, avec tout, se téléphone (« pour savoir s’il est là. Il est là »), joue à faire peur aux apeurés… Il invente des centaines de jeux incroyables. Il fait voler en éclat le réel pour mieux le reconstruire ensuite, mais différent.

 

Sarbacane fait du sport

Les Œufs z’olympiques
Ludivine Nouguès, Émilie Gleason
Sarbacane, 2024

Qui est le plus beau ?

Par Anne-Marie Mercier

Le jeu de mot du titre semble avoir généré l’histoire : les volatiles sont conviés à un concours dans lequel on désignera le plus bel œuf. Ils accourent pour proposer l’œuf le plus gros (l’autruche), le plus prometteur (le colibri), le plus couvert (le pingouin), etc., en passant par le kiwi, le flamant rose, la poule, le dodo, l’aigle royal… D’autres sont disqualifiés d’emblée, comme Marguerite la chocolatière, ou le coucou (parce qu’il n’est pas sympa mais aussi parce qu’il évoque une horloge – le texte et l’image ne disent ici pas la même chose). La fin en catastrophe qui voit tous les œufs éclore en même temps met fin à la compétition générale, même si pour chaque parent son petit reste définitivement le plus beau.
Les images, explosent elles-aussi de couleurs, de détails, d’idées et de formes grotesques. C’est jouissif, cumulatif, et cela met un peu de ridicule bien venu sur toute idée de compétition. On peut être tout simplement… différent, et pareil à la fois.

Il va y avoir du sport !
Philippe Nessmann, Laura Lion
Sarbacane, 2024

Qui est le plus fort?

Par Anne-Marie Mercier

Même si l’approche des jeux olympiques en crée sans doute l’occasion, ce grand album ne parle pas que des jeux, et en parle même assez peu directement, en dehors d’une double page consacrée à Olympie et l’olympisme. Cette page arrive à aborder de nombreux sujets et même à avoir un début de regard critique sur cet événement.

Les sports, tous les sports sont évoqués, y compris les plus bizarres, décrits dans une vignette récurrente intitulée « Le sport trop bizarre » : elle décrit successivement le pato, la soule, la boccia, le pancrace, le fierljeppen….
On y développe les valeurs du sport (dépassement de soi, esprit d’équipe…) comme ses aspects économiques. On y traite aussi bien d’autres questions très diverses comme celles des règles, de l’entrainement, des vêtements, du dopage, des dangers… Le regard est souvent historique, à travers une réflexion sur l’évolution des sports, de leurs règles et de la place du sport et des sportifs et sportives dans la société.
Les illustrations pleines de détail sont un régal d’humour et de stylisation. Elles sont aussi un support agréable à toutes sortes de courts textes intéressants présentés sur l’image dans des encadrés. L’un d’entre eux est consacré à des expressions ayant un rapport avec le sport (c’est ainsi qu’il faut comprendre le titre, expliqué à l’intérieur de la première page, aussi bien en contexte sportif que dans la vie quotidienne). On y trouve l’origine de « jeter l’éponge », « faire un sans faute », « avoir une longueur d’avance », etc.
C’est un joli parcours historique et sociologique qui n’oublie pas que le sport est d’abord un jeu, un plaisir et une aventure.

 

Pio

Pio
Émilie Chazerand, Marie Mignot
Sarbacane, 2024

Grand petit

Par Anne-Marie Mercier

Pio est un enfant.
Il est très grand, si grand qu’il dépasse l’album pourtant de grand format : on ne voit pas sa tête sur le portrait « en pied » de la couverture. Pour sa mère il reste son tout petit. Pour les autres, il est une calamité, comme Gulliver au pays des Lilliputiens. Lui-même s’en rend à peine compte et le texte, qui porte son point de vue, souligne l’humour des images. Enfin, comme Gulliver, il fait ce qu’il peut pour corriger cela quand il s’en rend compte. C’est un bon garçon et les images insistent sur son sourire et ses bonnes joues autant que sur l’apparence d’univers jouet du monde qui l’entoure.
Seul importe pour Pio l’amour qu’il a pour la toute petite Nona dont il est « aussi amoureux qu’une fourmi d’un bonbon ». Ses tentatives pour la conquérir, longtemps infructueuses car celle-ci ne quitte pas son livre des yeux, sont aussi cocasses qu’énormes. Mais bien sûr, le grand cœur sera reconnu à la fin.

Charamba, hôtel pour chats, Chat va chauffer,

Charamba, hôtel pour chats, Chat va chauffer,
Marie Pavlenko, Marie Voyelle,
Flammarion jeunesse,  2024

Psychanalyse féline

Par Lidia Filippini

À l’hôtel Charamba les clients sont des chats. Ils y passent quelques jours, quelques semaines ou quelques mois quand leurs humains partent en vacances. Magda, la propriétaire, prend plaisir à les chouchouter. Elle a tout prévu : des plumes, des jouets rebondissants, des étagères où sauter et même des souris en crochet tricotées main pour s’entraîner à la chasse.
Mais les véritables maîtres des lieux, ce sont les quatre chats de Magda : Bobine, Mulot, Carpette et Couscousse (eh oui la vieille dame a un seul défaut : elle choisit toujours des prénoms ridicules pour ses amis félins…) Ils veillent sur les clients et s’assurent de la bonne réputation de l’établissement.
Le tome 4 de la série est l’occasion de retrouver les quatre sympathiques greffiers. Cette fois, c’est la panique ! Georges, le neveu de Magda est attendu à l’hôtel. Quand il apprend la nouvelle, Mulot, le costaud, se décompose. Georges a gâché son enfance, il l’a traumatisé à vie ! Le vilain garnement a passé un été à déposer discrètement des concombres derrière le dos de Mulot. Quand il se retournait, le félin, qui était alors un tout jeune chaton, croyait à chaque fois se retrouver nez à nez avec un serpent… Et on sait à quel point les chats ont peur des serpents ! Depuis, Mulot ne peut regarder, sentir, ni même imaginer la moindre cucurbitacée sans faire une crise d’angoisse. Pire, à force de repenser à cette histoire, le matou est en train de perdre son estime de soi… Heureusement, ses amis sont là pour l’aider. Ils lancent l’« Opération concombre killer ». Avec le soutien de Ciboulot, un pensionnaire dont l’humain est psychologue, ils vont tenter de soigner Mulot de sa phobie et de lui redonner goût à la vie.
Marie Pavlenko et Marie Voyelle n’en sont pas à leur première collaboration. Elles ont publié ensemble, outre les trois premiers tomes de la série, un roman (Les envahissants, Hachette, Le livre de poche, 2011) et un album (Awinita ; petit rêve deviendra grand, Little Urban, 2019). Elles nous proposent ici un roman drôle et plein de rebondissements, accessible aux jeunes lecteurs. Les illustrations de Marie Voyelle, en noir et blanc, rappellent le manga. Elles ajoutent à la drôlerie du récit en proposant des clins d’œil à destination des enfants (les quatre chats disposés à la manière des héros de Kung Fu Panda) et des parents (la moustache de Ciboulot, le chat psychologue, est la même que celle de Freud).
Les incises du narrateur, qui s’adresse directement au lecteur et se permet parfois de le rudoyer juste pour rire, apportent une touche d’originalité à l’ensemble : « ([…] Si vous ne savez pas ce qu’est le crochet, je ne peux rien pour vous. Comprenez-moi : on ne peut pas non plus s’arrêter toutes les cinq lignes pour expliquer chaque mot un peu original. Utilisez donc ce formidable outil appelé ‘dictionnaire’. )»
Bref, il y a, dans ce court roman, de quoi passer un agréable moment.

 

 

Trop nul

Trop nul
Michael Escoffier, Matthieu Maudet
L’école des loisirs, 2024

Quel animal de compagnie ?

Par Anne-Marie Mercier

Tous les parents font un jour l’expérience du désir des enfants d’avoir un animal. Beaucoup découvrent que bien souvent l’animal choisi déçoit et, rapidement, ne suffit plus : « trop nul », le poisson, la tortue, le chat, le chien, puis le poney, etc. jusqu’au dernier vœu : un dinosaure. On sait combien les enfants les adorent, mais les dinosaures adorent-ils les enfants ? Celui-là vengera tous les animaux ! La chute est drôle et édifiante…
Le format carré et cartonné comme l’histoire conviendront à de jeunes enfants, mais on peut supposer que de plus âgés s’y verront comme dans un miroir, aussi bien par les postures, les expressions (les différentes façons de faire la gueule), et les propos que le titre résume fort bien.
C’est drôle, à condition que les jeunes lecteurs visés veuillent bien rire d’eux-mêmes : il n’est jamais trop tôt pour apprendre l’humour, ou du moins commencer, car cet apprentissage prend du temps, mais peut-être faut-il viser un lecteur pas trop petit.

La Fourmi, l’oiseau et le vaste monde

La Fourmi, l’oiseau et le vaste monde
Niels Thorez, Valérie Michel
Éditions courtes et longues, 2021

Fable moderne

Par Anne-Marie Mercier

Vaste, cet album l’est par son format. Quant au monde… il est plus à hauteur de fourmi que d’oiseau car cette fourmi bavarde et vantarde n’en connait que sa représentation, sous la forme d’un globe terrestre qu’elle parcourt dans un salon-bibliothèque. Elle tient de grands discours à un oiseau qui s’est laissé entrainer par son bagout. Elle essaie de le convaincre qu’elle connait mieux le monde (vaste) que lui et qu’elle a beaucoup de choses à lui apprendre. Évidemment, l’oiseau ne s’en laisse pas conter et la fourmi finit déconfite, ou même plus.
On voit qu’ici sont critiqués les voyageurs en chambre, mais aussi les voyageurs qui assomment les autres du récit de leurs aventures, les voyageurs qui se contentent de cartes postales, d’itinéraires convenus, au lieu de se livrer à la belle liberté de l’oiseau au vol  sans contraintes.
La narration est faite en vers de mirliton et dans un français légèrement ampoulé mais limpide, à la manière de La Fontaine, les dialogues sont savoureux. Le caractère un peu improbable de l’histoire (soit, c’est une fable) et son côté bavard sont contrebalancés par la précision des dessins, les jeux d’échelle et la beauté des couleurs : le salon aux belles bibliothèques, le globe, mais aussi les magnifiques paysages évoqués par la fourmi (on voit alors qu’elle connait des détails qui dépassent la carte : aurait-t-elle lu les ouvrages de la bibliothèque?), donnent de la subtilité à ces confrontation entre grand et petit, carte et territoire.
Christine Moulin avait déjà rendu compte de ce joli album, dans des termes à peu près semblables, sur lietje.