Londinium, t. 2 : Sous les ailes de l’aigle

Londinium, t. 2 : Sous les ailes de l’aigle
Agnès Mathieu Daudé
L’école des loisirs, medium +, 2022

Arsène Lapin, espion de la reine

Par Anne-Marie Mercier

Londinium est un régal. Son héros, un lapin nommé Arsène (Arsène lapin, donc, ha, ha !), porte monocle et montre de gousset : on aura reconnu un hommage appuyé à Alice de Lewis Carroll, avec le héros de Maurice Leblanc, voila un drôle de mélange. Il n’aime rien tant que fumer un bonne pipe de lucernum dans la tranquillité du foyer confortable, c’est donc un genre de Hobbit aussi.
Le monde de Londinium est un univers où cohabitent plus ou moins bien humains et animaux, avec de nombreux détails sur la géographie de la ville, les habitudes humaines reprises ou on par certains animaux, les lois et la façon de les faire appliquer par tous, etc. C’est une belle utopie imparfaite sur un avenir ans lequel l’espace serait partagé entre les espèces.
Comme Frodon, voilà Arsène embarqué malgré lui dans une aventure effrayante et inconfortable : il doit se rendre en Allemagne pour comprendre ce que manigancent Hitler et le prince héritier anglais. Enquêtant sur le sort des animaux en Allemagne, il découvre le sort des juifs et l’ampleur de la catastrophe future sans vraiment la comprendre. Il offre sur la période un regard naïf tout à fait intéressant. Il rencontre même des figures qu’on n’aurait pas imaginées voir dans un livre pour la jeunesse, celles d’Abby Warburg, avec sa fameuse bibliothèque et de son frère.
C’est drôle, sauf lorsque ça ne peut pas l’être. Le voyage d’Arsène est ancré dans la géographies des villes européennes (Londres, Berlin, Hambourg), plein de rebondissements et d’énigmes. Bonne nouvelle : le tome trois arrive bientôt !

Le Livre coquin, Le livre qui a bobo

Le Livre qui a bobo
Le Livre coquin

Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2021 et 2022

Jouer avec le livre ou être joué ?

Par Anne-Marie Mercier

Voici les 7e et 8e de la série.

En effet, « Le » livre a eu bien des aventures. Ramadier et Bourgeau ont eu le talent de lui faire vivre beaucoup de moments qui font de lui un miroir de l’enfant : avoir peur, s’endormir, être en colère, aller à l’école… toutes ces expériences ont été vécues par le  livre – et par son lecteur.

Et voilà que celui-ci se rebelle… un peu : le coquin se cache, il faut l’appeler, il joue à faire peur, le voilà devenu le compagnon de jeu de l’enfant… accompagné de l’adulte.
Dans le livre qui a bobo l’enfant est conduit à imiter les adultes qui le soignent quand il est malade : on joue au docteur pour soigner ce pauvre livre.

Toutes ces propositions qui demandent au lecteur d’agir avec le livre et suggèrent une interaction sont portées par le graphisme minimal et très expressif du « visage » enfantin attribué au livre, sur un fond de couleur tramée, couleur presque constante dans chaque volume : bordeaux pour l’un, vert maladif puis jaune soleil pour le deuxième. Un livre gai et en bonne forme !

Théo Toutou / Orphée

Les Enquêtes de Théo Toutou
Yvan Pommaux
L’école des loisirs, 2019

Orphée et la morsure du serpent
Yvan Pommaux
L’école des loisirs (« neuf »), 2021

Un cador chez les privés, un musicien chez les morts :
on révise les classiques (3)

Par Anne-Marie Mercier

Depuis quelques temps, L’école des loisirs publie des recueils de plusieurs récits qui permettent de mieux saisis l’art et la manière d’un auteur et assurent la longévité de certaines séries. Ici, Yvan Pommaux, qu’on a beaucoup vu avec des chats (notamment le fameux détective John Chatterton) propose une reprise de 16 récits courts en bande dessinée, publiés auparavant au début des années 2000 par les éditions Bayard (d’abord dans J’aime Lire, puis en albums séparés, puis en recueils en 2012 : autant dire que Théo a la vie dure.
Il est aussi coriace, venant à bout de toutes ses enquêtes. Il est moins solitaire que John Chatterton (qui lui-même était une copie de Humphrey Bogart), épaulé par la fidèle Natacha (une chatte, bien sûr), et admiré par le commissaire Duraton dont il feint de n’être qu’un témoin alors qu’il résout pour lui tous les mystères (de nombreux modèles possibles, ici).
Les enquêtes se déroulent dans des milieux divers et partent de situations et de personnages en crise multiples : collectionneurs fous du monde de l’art, psychopathes, savants déjantés, ravisseurs de peluches, riches héritières capricieuses, voleurs de livres, tous mènent le héros à travers la ville à toute allure et la dynamique du récit de Pommaux est ici encore magistrale, aussi bien par le scenario que par l’enchainement et la composition des cases, très cinématographiques. Enfin, comme toujours, la couleur est superbe et Théo est aussi bien mis en valeur qu’un héros épique.

À l’intérieur de l’album consacré à l’histoire d’Orphée et Eurydice (dont on a ici une reprise en poche dans la collection « neuf »), les couleurs sont pourtant pâles, comme si le sujet y invitait : seul le monstre Cerbère est vif. Cette pâleur fait contraste avec l’ombre des enfers, celle des bois où pleure Orphée, superbes.
On retrouve tout l’art de Pommaux, appliqué à un tout autre genre, et son talent pour actualiser les vieux mythes (l’histoire commence par une histoire de jalousie, à l’époque contemporaine). Son Orphée est touchant, son Eurydice évanescente, encore un petit chef-d’œuvre.

 

Caca Boudin

Caca Boudin
Stephanie Blake
L’école des loisirs, 2022

On révise les classiques (2)

Par Anne-Marie Mercier

Comme le temps passe : Caca Boudin a 20 ans !

Paru en 2002, ce petit album mettant en scène le héros récurrent de Stephanie Blake, Simon le lapin, a gardé son pouvoir de fascination sur les enfants, de même que l’expression qui a donné son titre à l’album. Ce titre, bien mis en valeur sur la couverture de l’album, montre que l’auteure s’amuse comme les enfants. Cette expression semble s’être maintenue de façon remarquable dans le folklore enfantin – qui l’a inventée ? – Caca boudin n’a pas pris une ride (!).
Le titre a gardé sa charge provocatrice : les jeunes parents adultes trentenaires sont restés sensibles à cette expression de leur enfance. Mais c’est aussi un sujet sérieux : la question des tabous sur la scatologie et sur les mots qui l’évoquent est délicate et difficile à traiter, de manière autoritaire ou pas.
Stephanie Blake a choisi d’aborder la question avec humour : « il était une fois un lapin qui ne savait dire qu’une chose… ». Toute la journée (et celle-ci est représentée avec ses différentes étapes, matin, midi et soir, il répond la même chose à tout ce qu’on lui dit. Jusqu’au jour où, un loup lui demande : « Je peux te manger mon petit lapin ? »

On ne divulgâchera pas la suite pour ceux qui ne la connaissent pas. Disons tout de même que les bienséances sont restaurées… provisoirement, et c’est bien normal tant le folklore de l’enfance aime la subversion.

Un Monde de cochons (la totale)

Un Monde de cochons (la totale)
Mario Ramos
L’école des loisirs (Pastel), 2021

On révise les classiques (1)

Par Anne-Marie Mercier

Ce recueil posthume de Mario Ramos réunit l’histoire-titre (publiée en 2005), qui montre l’entrée d’un petit loup dans une école peuplée uniquement de cochons (maitres comme élèves), L’École est en feu et Le Trésor de Louis dans lesquels on retrouve le duo constitué de Louis (le petit loup) et Fanfan (son ami, un petit cochon), qui s’est constitué dans la première histoire.
Le monde de cochons, c’est celui de l’école avec tout ce qui l’entoure (les trajets où on peut faire de mauvaises rencontres, comme celle des trois grands cochons pour Louis), le refus d’école et ce qui peut l’adoucir, les récrés et la solitude, parfois partagée… et le dessin volontairement un peu cochonné et drôle.
Le volume s’achève avec les croquis préparatoires pour un autre récit, qui aurait pu être intitulé « La pirate ». Cette dernière partie est tout à fait passionnante et montre comment Mario Ramos travaillait, elle illustre son style rapide et les hésitations qui le nourrissent.

C’est un régal, comme d’habitude avec les histoires de Ramos, pleines de clins d’œil, d’humour et de justesse.

Dans la forêt sombre et profonde

Dans la forêt sombre et profonde
Delphine Bournay
L’école des loisirs, 2021

L’avez-vous eue, les p’tits loups ?

Par Anne-Marie Mercier

Dès la couverture, tout est là : le décor avec le titre, l’ambiance avec les couleurs sombres, et ce qui fait peur, avec ces yeux grands ouverts qui nous guettent à travers les branches.
Donc, il y a la forêt, et il y a des loups, et dès les premières pages on les entend : ils grognent et ils hurlent.

Mais ce sont des louveteaux. Et ils ne guettent pas le voyageur égaré. Ce sont des petits qui ne veulent pas dormir. Ils réveillent par leurs cris un grand loup (on apprend ensuite que c’est leur mère), un peu excédé, qui leur demande ce qui leur manque pour dormir.
Toutes les stratégies y passent et c’est assez drôle : ils réclament le bisou, le soin d’un bobo, l’histoire, rituels qui tous ont déjà été effectués, et enfin, la chanson… qui manquait.
Le dessin est très efficace, drôle, on voit juste ce qu’il faut.
Et c’est un bon livre à lire avant l’endormissement, à condition d’être prêt à chanter une chanson… mais c’est la dernière, hein ?

 

Slip

Slip
Axel Cousseau, Janik Coat
Les fourmis rouges, 2021

A l’eau !

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un album original et drôle comme on en voit peu. Le format inhabituel, un grand format proche du carré, et le titre comique l’annonçaient. L’absurde se décline sur une illustration au contraire très posée, un décor stable, celui d’une plage stylisée : sable, mer, arbre exotique ; ce décor explosera ou se renversera parfois, donnant un instant de tournis.
Le tournis viendra aussi de l’accumulation et de l’envahissement d’objets hétéroclites accumulés sur la plage / la page.
Résumons, Slip est le nom d’un kangourou qui a envie d’aller se baigner ; avant de se mettre à l’eau, il cherche quelque chose dans sa poche… et ne le trouve pas mais tout autre chose. Non, ce n’est pas son petit (nommé Slip junior) qui apparaitra entre deux lancers de séries d’objets comme de la crème solaire, des lunettes, une serviette, puis des raquettes, une planche de surf… « Le problème c’est que Slip ne range jamais ses affaires. Dans sa poche on trouve de tout. Des fleurs, une casserole, un balai, une échelle, des bananes… ».
La « chute » est encore plus cocasse, on ne la dira pas : Allez ! tous à l’eau avec Slip, qui donne envie de déballer ses affaires sur la plage.

Croque-Cochon

Croque-Cochon
Henri Meunier
Rouergue, 2022

Qui craint le grand méchant loup?

Par Anne-Marie Mercier

Ça commence comme un livre pour apprendre à compter : on prend cinq pommes (l’oiseau sait bien compter et il le dit d’emblée), on met trois cochons devant, que se passe-t-il ? Eh bien ils disent n’importe quoi, comptent de deux en deux, à l’envers… et mangent chacun une pomme, jusqu’au moment où un loup arrive, qui veut aussi jouer. Mais le jeu s’appelle à présent « croque-cochon » et le loup joue finalement en comptant deux pommes et trois chapeaux de cochons : 1, 2, 3, 4, 5, Bravo !

Le chapitre suivant propose d’apprendre les couleurs avec une poire, un bonbon bleu, des cerises… le suivant porte sur les formes géométriques, mais tout s’achève par un même résultat, avec l’arrivée du loup qui met fin au joyeux n’importe quoi des petits cochons roses, devant le regard accablé de la maitresse oiseau.
Ignorant tout de leur futur tragique, les cochons sont très gais, écorchent joyeusement la langue, feignent de parler anglais, chics et cools, enfin, on s’amuse bien avec eux !
Henri Meunier, auteur de la série Taupe et Mulot, met ici son humour au service des apprentissages fondamentaux, belle mission!

Je suis un personnage

Je suis un personnage
Lionel le Néouanic
Rouergue, 2021

Explosion de personnages

Par Anne-Marie Mercier

Qu’est-ce qu’un personnage ? Lionel le Néouanic que l’on connait surtout pour ses grands albums colorés publie ici un livre hybride, en noir et blanc, où l’interrogation sur toutes les formes de narration et sur le livre accompagnent des entrées dans de multiples domaines : « l’ennui », « l’absent », « l’étourdi », « zéro », « poignée de porte »… sont autant de personnages à observer sous toutes leurs faces, si l’on peut dire, aussi bien que le « bonhomme bâton ».

Voici « Absent » : « Alors lui, inutile de l’attendre, il ne viendra pas.
C’est le problème avec ce personnage : il n’est jamais où on l’attend […] ».

Chaque page ou double page est à déguster entre poésie et philosophie, l’image assaisonnant joliment le texte et jouant souvent avec les classiques de la littérature de jeunesse.
Par exemple dans « Vie antérieure » qui présente un saucisson surmonté d’une bulle d’imaginaire représentant un cochon bondissant vêtu d’une casquette et d’une salopette et tenant dans une main une truelle (on aura reconnu le cochon bâtisseur des Trois Petits Cochons) :

« Dans sa vie antérieure, à ce qu’on dit,
Saucisson était malin et débrouillard ;
Plein de vie et d’énergie.
À ce qu’on dit ».

C’est drôle, parfois poétique, toujours surprenant, avec des dessins décapants au fusain qui rendent l’ensemble encore un peu plus explosif !

Aliénor, fille de Merlin, 1ère partie

Aliénor, fille de Merlin, 1ère partie
Séverine Gauthier,
L’école des loisirs (neuf), 2021

L’enchanteur pourrissant ?

Par Anne-Marie Mercier

La légende de Merlin est ici bien revisitée, et mise à disposition de jeunes lecteurs à travers le personnage inédit de sa fille, Aliénor. C’est elle qui a le rôle principal, son enchanteur de père étant mis rapidement hors circuit, tué par un cri de mandragore, et ne subsistant que sous la forme d’un fantôme, fort envahissant au demeurant. Lorsque l’histoire commence, Aliénor parcourt la forêt et les champignonnières, lassée des leçons sempiternelles de Merlin sur cet écosystème et l’on peut se demander si cette omniprésence des champignons a un rôle autre que parodique.
Parallèlement, on suit l’histoire d’un ami d’Aliénor, le très jeune Lancelot, qui vit encore chez sa maman adoptive (Viviane, la dame du Lac) : le cadre arthurien est donc en partie mis en place, avec la forêt de Brocéliande et les fées rivales qui la hantent (Viviane et Morgane), toutes deux liées à Merlin par d’anciennes histoires.

Aliénor a pour mission de gagner la confiance de Morgane afin de trouver un sort de résurrection pour son père. Les descriptions éblouies de la maison de la fée et de ses pouvoirs ajoutent du merveilleux à une histoire qui met en scène de nombreux conflits de loyauté entre parents et enfants, tradition et modernité. Le récit est drôle, bien enlevé, et le suspense reste entier à la fin du premier volume : l’enchanteur vieillissant reviendra-t-il à la vie ou devra-t-il céder définitivement le pouvoir et sa fille aux femmes fées ?