L’Écrivain

L’Écrivain
Davide Cali, Monica Barengo
Passe partout, 2020

Cœurs solitaires: un chien et son maitre

Par Anne-Marie Mercier

Un chien s’inquiète pour son maitre, qui passe son temps à écrire. Il doit veiller à tout à sa place. Et puis, il trouve qu’il lui faudrait une compagne pour rompre sa solitude. Mais lorsque l’écrivain trouve sans lui l’âme sœur, le chien s’inquiète cette fois pour lui-même : cette compagne a un chien (ou une chienne ?) et cela ne va pas du tout.

Les illustrations sont très cocasses, montrant un chien extrêmement sérieux et plein de l’importance de son rôle. Tout est vu de son point de vue, souvent à ras du sol, et la chute est jolie : un peu de douceur, enfin.

Les Amis de mon amie Carla

Les Amis de mon amie Carla
Stéphane Kiehl
Grasset 2020

Les amis de mes amis…

Par Michel Driol

Carla, on la connait depuis l’album précédent, les Vacances de mon amie Carla. On retrouve donc ici, dans ce deuxième opus, la narratrice et Carla, sa chienne. L’album se présente comme une galerie de portraits de chiens extrêmement variés : berger suisse, shih tzu, chiot, yorkshire… et même un chat. Courses, jeux, câlins, blagues se succèdent, entre Paris et le Sud, entre jardin public et jardin potager, rythmant ainsi un temps qui s’étire entre été et hiver . Mais, bien sûr, la meilleure amie de Carla, c’est la narratrice !

Ces chiens ont des caractéristiques très humaines. D’abord, ils ont un nom. Ensuite ils ont des comportements et des relations tout à fait semblables à ceux des humains. On s’apprécie ou on est indifférent, on se snobe ou on joue ensemble. On est taiseux, ou bavard… On va toujours par deux, ou on cherche à dominer. Tout en faisant un portrait réaliste des chiens, c’est bien des hommes que parle l’album, de leur diversité, de leur variété. Certes, il  y a ceux dont il faut se méfier, mais Carla s’avère être plutôt ouverte et sociable et ne fréquente pas que ceux qui lui ressemblent. Ce plaidoyer pour l’amitié et la rencontre n’a rien de lourd ou de pesant, mais est plein de sensibilité, de légèreté et de drôlerie. Dans les portraits de chiens d’abord, portraits à la fois par le texte et l’illustration qui sait se tenir sur la ligne de crête entre le réalisme et la caricature. Ces illustrations tantôt inscrivent l’action dans un décor identifiable (Paris, un jardin, une forêt, une chambre…), tantôt, sur fond coloré et uni, isolent un animal ou une scène, de façon très expressive. Cette diversité dans le traitement contribue aussi à rythmer l’album qui ainsi ne tombe jamais dans la fastueuse et répétitive galerie de portraits.

Un album plein d’humour et de tendresse, qui parle de l’attachement à un animal, de diversité et de tolérance.

 

 

Dynamythes

Dynamythes
Annelise Heurtier
Casterman 2020

Ariane, Pandore, Sosie et les autres

Par Michel Driol

La panique, l’écho, le nombril du monde, un talon d’Achille… Annelise Heurtier s’empare de 20 expressions vieilles comme la mythologie pour les expliquer à tous, de façon à la fois pédagogique – tout est rigoureusement vrai – et humoristique, dans une écriture très variée.

Chaque expression se décline selon le même schéma : tout d’abord sa signification, puis une présentation des protagonistes du mythe, le récit mythologique, et enfin une ouverture vers les arts (peinture, musique, sculpture, littérature). Les récits s’inscrivent dans des formes très variées : récit traditionnel jouant avec le temps (avance rapide…), autoportrait, théâtre, interview, scénario de film… Cette variété dans la narration donne de la mythologie une vision vivante, à l’image de l’auteure qui s’implique dans son récit, en explique la genèse (un devoir de son fils), et introduit ainsi une certaine distance avec les récits. Elle convoque ainsi le monde contemporain (de la Guerre des étoiles à Harry Potter) comme autant de signes de connivence avec son lecteur, mais montrant aussi, sans didactisme, comme sans y toucher, une continuité dans les récits fondateurs de notre culture, sans cesse réécrits, réarrangés. La langue est volontairement contemporaine, accessible aux adolescents d’aujourd’hui, intégrant parfois quelques mots savants, grecs, définis en note. A l’humour du texte correspond bien l’humour des illustrations, qui font aussi souvent le lien entre l’Antiquité et notre époque.

Permettre aux adolescents d’accéder à la mythologie semble être l’une des préoccupations de nombreux auteurs de littérature jeunesse (Françoise Rachmuhl, Charlotte Gastaud, Martine Laffon, Pierre Beaucousin…) qui cherchent à en montrer l’intérêt pour comprendre notre monde en exposant des figures mythiques. Saluons ici l’originalité du propos  d’Annelise Heurtier qui vise à faire comprendre en quoi ces mythes fondateurs ont aussi laissé une trace dans notre langage.

Les Bottes à splatchhh et autres mini délices inquiétants

Les Bottes à splatchhh et autres mini délices inquiétants
Annie Agopian- Albertine
A pas de loups 2020

Instants d’enfance

Par Michel Driol

26 textes, comme autant d’instants pris sur le vif, pour dire les plaisirs de l’enfance. Cela va des bonbons sans fin aux ballons gonflés à l’hélium, de la corde à sauter à l’histoire du soir. Cela passe par des jeux, Chat !, des objets, les bougies d’anniversaire que l’on souffle, des questions sur l’invention de la purée. Cela passe aussi par un imaginaire qui va du requin sur le trottoir aux rôles qu’on joue, sorcière, empereur ou grand chef. 26 textes poétiques pour évoquer ces caractéristiques minuscules de l’enfance, vécues avec intensité, et saisies ici, figées comme sur une photographie pour ne pas les oublier.

Le recueil s’inscrit dans un panorama littéraire ou l’on trouve Philippe Delerm (C’est bien) ou Elizabeth Brami (Les petits riens…). Mais il se caractérise par une écriture variée, à l’image des moments qu’il évoque. Recours au dialogue. Phrases dont les verbes sont à l’infinitif. Phrases réduites à un seul mot.  Refrains.  Recours à l’oralité. Grands paragraphes structurés. Et, à chaque fois, une énonciation en « on », qui permet d’inclure tous les lecteurs dans une communauté enfantine qui cherche à se singulariser et à se distinguer du monde des adultes, avec, pourtant, le sentiment de grandir qui revient comme un leitmotiv. Grandir, c’est une aventure faite de pas minuscules, de peurs vaincues, d’interdits transgressés (comme la flaque dehors du premier texte), de projections indéterminées dans le futur, symbolisées par les trois points en suspension du texte qui clôt le recueil.

Avec sensibilité et délicatesse, les illustrations d’Albertine, très colorées, disent les jeux et les espiègleries de l’enfance.

Un recueil épicurien plein de poésie pour ne pas passer à côté des sensations de l’instant.

Ours à New York

Ours à New York
Gaya Wisniewski
MeMo 2020

Retrouver ses rêves d’enfant

Par Michel Driol

Métro, boulot, dodo : voilà à quoi se résume la vie monotone d’Aleksander, à New York. Transparent, invisible parmi les invisibles, jusqu’au jour où il rencontre Ours, celui qu’il dessinait quand il était enfant. Philosophe, gourou, Ours l’interroge sur ce qu’est devenue sa vie, essaie de lui permettre de (re)prendre sa place dans le monde. Avec l’aide de Foxi, le vieux doudou d’Aleksander, il parvient à le faire réfléchir sur sa vie et à en changer le cours.

La littérature de jeunesse réussie sait s’adresser aussi bien aux enfants qu’aux adultes, quitte à transmettre un double message. C’est le cas de cet album, dont la réception se fera bien évidemment en fonction de l’âge du lecteur. Pour les enfants, on a affaire à une belle histoire merveilleuse dans laquelle les jouets prennent vie, parlent, et rencontrent leurs propriétaires devenus adultes. Comme la preuve de la permanence d’un attachement, ils jouent pleinement le rôle d’objets transitionnels, rassurants, dans la jungle du monde. Ils y seront aussi sensibles à cette quête de tous les « petits riens » qui font grandir. Le lecteur adulte s’y interrogera forcément sur sa vie, sur ce qu’il a perdu de la magie de l’enfance, de ses espoirs et de ses rêves, et ces « petits riens » (représentés ici par un ours gigantesque, quand même !) qui peuvent l’inciter à changer le cours des choses. C’est cette question de la permanence de l’identité, de l’être, que questionne finement cet album. Il nous fallut bien du talent, chantait Brel, pour être vieux sans être adulte. Voilà un album qui incite à retrouver l’enfant en soi pour échapper à la grisaille du monde.

Le texte sait se mettre à la portée des enfants, faisant la part belle au dialogue, dans une langue simple et suggestive, qui pose peut-être plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, laissant du coup chacun libre d’y répondre. Les illustrations sont un noir et blanc magnifique, dans lesquelles s’opposent les courbes d’Ours à la géométrie de la ville aux lignes verticales et horizontales. Jusqu’à ce qu’à la fin les courbes s’imposent dans la fête foraine et la pomme d’amour que mange Ours. Il faut enfin saluer la réalisation extrêmement soignée de l’album, la qualité de la quadrichromie pour un album en noir et blanc, qui fait ressortir la finesse du trait et les nuances de gris.

Un album sensible et métaphorique, pour évoquer le contraste entre la vie étriquée d’adulte et la splendeur des rêves enfantins.

Apolline et la vallée de l’espoir

Apolline et la vallée de l’espoir
Heng Swee Lim
Grasset 2020

La nuit n’est jamais complète. (Eluard)

Une petite fille fait pousser des tournesols dans la vallée, mais un gros nuage noir vient tout obscurcir, et les fleurs meurent. Apolline tente par tous les moyens de le faire fuir, avant de comprendre que, s’il est venu, c’est qu’il y a une raison, et de l’apprivoiser en lui offrant le dernier tournesol. Il se met à pleuvoir et le nuage noir disparait.

Les illustrations, en double page, sont épurées et symboliques. Elles sont réalisées en deux couleurs, le jaune des tournesols, puis du soleil et le noir qui envahit, celui du nuage. Quant à Apolline, elle n’est qu’une silhouette expressive dessinée au trait. C’est dire la simplicité des moyens graphiques mis au service d’une histoire écrite avec des mots simples eux aussi, afin de toucher les plus jeunes et de leur parler d’espoir, mais aussi d’une philosophie de vie consistant à utiliser la compréhension et l’amour plus que la violence pour faire régner l’harmonie. Il s’agit de comprendre que c’est en nous-mêmes que nous avons la force de résister à l’adversité, par la générosité.

A ce premier niveau de lecture métaphorique s’en ajoute un autre, indiqué par l’auteur à la fin de l’histoire, qui explique que la vallée de l’espoir existe, et qu’elle est un camp de quarantaine destiné aux malades de la lèpre en Malaisie, dans lequel il a été accueilli à bras ouverts par ceux qui y étaient relégués. Le nom même, Vallée de l’Espoir, contraste avec la noirceur de la maladie et du destin, mais les sourires prouvent la force de l’amour pour chasser l’obscurité.

Apolline et la vallée de l’espoir est le premier album d’un artiste malaisien qui s’ouvre sur les mots de Martin Luther King : L’obscurité ne peut chasser  l’obscurité, seule la lumière le peut. La haine ne peut chasser la haine : seul l’amour le peut.

La galette et le roi

La galette et le roi
Schéhérazade, Marianne Barcilon (ill.)
Kaléidoscope, 2020

Politique de la galette

Par Christine Moulin

Janvier voit revenir inlassablement Roule Galette ou assimilées. Voilà de quoi changer un peu: on assiste à la désignation pour un an du roi de la forêt, via la traditionnelle fève. Chacun pourra retrouver le délicieux frisson qui préside à la cérémonie et s’amuser des ruses des uns et des autres pour essayer de s’emparer du précieux objet: l’ours essaye l’argumentation (il aurait, selon lui, droit à deux parts parce qu’il est plus gros!), la belette feint d’avoir avalé la fève (un grand classique!), le faon dans son innocence la confond avec sa première dent de lait et le loup multiplie les tentatives malhonnêtes. Tout cela est mignon. Les aquarelles ajoutent beaucoup de charme à cet ouvrage car les animaux et leurs petits sont très bien croqués et leurs grands yeux attendrissants ne peuvent que séduire le lecteur. Tout est peut-être un peu trop mignon, d’ailleurs: la question du pouvoir n’est guère discutée, si ce n’est par le cerf qui essaye de se convaincre qu’il n’a pas le droit à un second mandat et, très furtivement, par le putois qui fait l’amère constatation que jamais on n’a vu un putois roi… Bref, les bons sentiments prennent vite le dessus. Mais admettons: un peu de douceur ne peut pas faire de mal.

Le Noël du père Noël

Le Noël du père Noël
Camille von Rosenschild, Alice Gravier
De la Martinière jeunesse, 2020

Tuer le père (Noël) ?

Par Anne-Marie Mercier

Les illustrations réalistes d’ Alice Gravier ont un petit côté vintage, proche des images de Noël d’autrefois et sont réalisées dans un style « ligne claire », proche de la BD, et joliment colorées. Elles fournissent beaucoup de détails : on n’ignore rien des bretelles et des caleçons du Père Noël, de son intérieur où une mère Noël d’allure jeune lit au coin du feu. La nuit étoilée et la neige sont rendues avec poésie.
Le personnage du Père Noël est bien abimé dans cette histoire : il est représenté comme un gamin insupportable avec tous les mauvais côtés du cliché : capricieux, impatient, impossible à raisonner etc. Il y a de quoi s’inquiéter : pourra-t-on « sauver Noël » ? Heureusement, la mère Noël est là. Ca fera sans doute rire les enfants, mais on peut s’interroger sur l’intérêt qu’il y a à détrôner cette dernière figure masculine respectée : après les loups ridicules, les vampires gentils, les princes mous, que restera-t-il?
La plus grande originalité de cet album  réside dans sa forme : la couverture et les pages suivent une découpe qui imite la forme d’un paquet cadeau surmonté d’un gros ruban rouge.

Pour rappel : On peut aussi relire ou offrir le merveilleux Boréal express de Chris Van Allsburg, qui ne tourne pas le dos au mythe du père Noël tout en le revisitant, ou bien chercher une image moderne et drôle de celui-ci dans l’album récent de Nadja, Le Fils du Père Noël, où celui qui fait l’enfant est l’enfant, et non le père.

Le Pousseur de bois

Le Pousseur de bois
Frédéric Marais
HongFei, 2020

Le goût du jeu d’échecs

Par Anne-Marie Mercier

L’histoire est simple et belle : un jeune mendiant indien est initié aux échecs par un vieil homme. Il devient un champion de ce jeu. Devenu vieux, de retour dans son pays, il offre à son tour son trésor à un enfant, une petite fille cette fois. Cette histoire a en plus le mérite d’être en partie vraie : elle est tirée de celle de Mir Malik Sultan Khan (1905-1966). Mais les choses ne sont pas si simples ; l’enfant commence par refuser le cadeau pour lui sans valeur de ces pièces de bois, et ce n’est que lorsque le vieil homme se met à raconter des histoires tout en jouant que le monde des échecs et sa passion s’ouvrent à lui.  C’est donc une belle histoire de transmission d’une passion et d’écoute.

L’album est simple et beau, avec son grand format, son beau papier et ses illustrations en trois couleurs, ses formes simples qui lui donnent une puissance saisissante.
Voir sur le blog de HongFei.

 

 

 

 

 

 

La vague

La Vague
Suzy Lee
Kaléidoscope (l’école des loisirs)

Vague heureuse

Par Anne-Marie Mercier

Livre d’artiste ? Livre-jeu ? album pour enfants ? La vague est un peu tout cela.
Voilà un livre idéal pour oublier la « deuxième vague » qui nous submerge en ce moment : celle de Suzy Lee est toute de couleur, d’énergie, de gaieté, et face à elle la petite fille est tour à tour méfiante, défiante, hardie, submergée et trempée, joueuse et heureuse.

Le travail sur la double page est magistral : celle de gauche présente une image crayonnée sur fond blanc, esquissant la silhouette et l’expression de la fillette, la plage, des oiseaux ; la mère n’apparait que tout à la fin, partiellement, puis complètement, présence rassurante. Sur la page de droite, c’est le domaine de la mer, de la couleur bleue qui couvre parfois le trait fin de l’horizon, le blanc de l’écume recouvrant parfois le bleu. Au milieu de l’album, la fillette qui jusqu’ici a joué à avancer et reculer avec la vague en restant de son côté de la pliure, à gauche, passe du côté droit, revient, y retourne, et finit par se faire recouvrir par la couleur qui a débordé sur tout l’espace des deux pages, avant de se retirer, laissant cependant du bleu partout. Avec la couleur, c’est un bonheur plus calme, un jeu tranquille dans un horizon immense.

Toutes ces images sont d’une grande fraicheur; elles sont belles et font du bien : nous voilà rincés et régénérés par la vague de Suzy Lee.
Sous son apparente simplicité, cet album est très riche et dit beaucoup, sans mots. Voir la conversation avec Suzy Lee, sur le site de l’éditeur.