Mutjaba et les habitants du square Laurent Bonnevay

Mutjaba et les habitants du square Laurent Bonnevay
Anouck Patriarche, Lilas Cognet
Amaterra/ Lyon Métropole Habitat, 2019

Couleurs du monde, quartier de Lyon

Par Anne-Marie Mercier

Lorsque la Métropole de Lyon décide en 2015 de démolir un grand ensemble construit dans les années 1950, l’émotion est grande chez les habitants, qui, tout en constatant que l’ambiance des débuts n’ y est plus et que les combats pour la drogue ont remplacé l’entraide, se demandent où ils vont aller. Cet album, mais aussi des expositions, animations dans les écoles (Anatole France), lycées (option théâtre, Bron), recueils d’interview, etc. ont été créés pour accompagner cet événement et tenter d’en diminuer la part traumatique.
Les différents événements sont représentés dans les dernières pages de l’album, montrant les acteurs de toutes ces manifestations et donnant des extraits en photos sous la forme de petites vignettes.
L’album propose le parcours d’un pigeon, forcément voyageur, nommé Mutjaba, qui débarque dans la barre nommée UC1 et fait la connaissance des habitants, de leurs musiques, cuisine, vie, décors… jeunes et vieux, blancs et noirs ou de toutes les nuances, soudés par des histoires similaires d’exil, de réinsertion, d’envie de vivre.
Graphisme superbe, pleines pages vivement colorées, texte sensible, l’ensemble (grand !) est très réussi et illustre, dans tous les sens du mot, un moment de vie d’une communauté disparate qui semble n’être liée par rien et qui au contraire vit une forte et même histoire.
un CD offre un extrait des musiques évoquées dans l’album : musiques d’Arménie, d’Arabie, du Sénégal, jazz, créole, flamenco.. « couleurs » musicales qui complètent celles de la palette de l’illustratrice.

Petite histoire de la calligraphie arabe

Petite histoire de la calligraphie arabe
Mohieddine Ellabbad
Le port a jauni 2019

L’écriture arabe dans tous ses états

Par Michel Driol

Tout commence par des légendes qui racontent l’invention de l’écriture arabe… avant d’en arriver à l’histoire. On apprend ainsi que l’écriture arabe est la lointaine descendante de la cursive araméenne. Puis on suit le patient travail des calligraphes pour rendre cette écriture plus lisible, pour rendre son écriture plus rapide ou plus esthétique. On en suit les variations géographiques, du monde Arabe à la Perse et à la Turquie. Bien sûr, cette écriture est liée aux mouvements religieux et politiques, et cela est explicité. On y apprend comment on devient calligraphe, de quels instruments on se sert, puis comment l’imprimerie, et l’informatique, ont modifié cette calligraphie…
Les éditions du Port a jauni proposent ici une véritable somme encyclopédique qui permet d’aborder, dans une langue simple, mais précise et qui n’a pas peur des termes techniques, cette histoire d’une écriture. L’ouvrage est magnifiquement illustré, à la fois d’exemples commentés de calligraphies, d’objets, d’enveloppes, de photos, de reproductions de journaux, de signatures… L’érudition ici va de pair avec l’humour de certains dessins de Mohieddine Ellabbad. Bien sûr l’ouvrage, comme tout livre arabe, se lit en commençant par « la fin ».
C’est aussi l’occasion de rencontrer l’auteur, décédé en 2010 au Caire, dont c’est ici un ouvrage publié de manière posthume. Mohieddine Ellabbad, l’une des grandes figures de la littérature de jeunesse du monde arabe, est un auteur qui, par sa réflexion, ses exigences, a contribué à faire naitre une nouvelle littérature de jeunesse en Egypte. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur cet auteur, les Editions du Port a jauni ont aussi publié son autobiographie graphique, sous le titre Le carnet du dessinateur.
Voyage dans l’histoire, dans la géographie, dans les techniques, cette Petite Histoire de la calligraphie arabe est un grand livre qui répond à de nombreuses questions sur l’écriture et permet de mieux connaitre et comprendre d’autres civilisations.

Eternité. Demain, tous immortels ?

Eternité. Demain, tous immortels ?
Philippe Nessmann et Léonard Dupond

De la Martinière, 2018

Forever young

Par Matthieu Freyheit

Une idée reçue laisse entendre que la littérature de jeunesse se refuse aux sujet difficiles, et en particulier la mort, alors même que celle-ci figure au rang des motifs incontournables des récits d’aventures, d’initiation, ou bien entendu des contes. Et si le panorama a pu connaître un phénomène d’édulcoration, le retour des coups durs et des coups du sort est maintenant acté par une production largement affranchie d’un certain nombre de pudeurs – qui, par ailleurs, sont loin d’avoir été son privilège. La mort, puisque c’est de cela qu’il s’agit, s’est tant et si bien installée dans l’imaginaire des publications de la jeunesse qu’elle est désormais traitée frontalement, dans la lignée des grands thèmes philosophiques dont les auteurs cherchent à s’emparer pour leur trouver un langage adéquat. Le présent ouvrage s’inscrit dans cette perspective en proposant une réflexion, plus contemporaine, sur la « mort de la mort », selon l’expression fameuse de Laurent Alexandre. Car au panthéon des rêves humains, l’immortalité figure en bonne position, ce qui suppose, comme l’annonce cet album, une spécificité humaine : la conscience du temps, et celle de la finitude.

Dans une approche tour à tour diachronique et synchronique, Eternité retrace le parcours de cette rêverie singulière qui met en jeu l’évolution de notre rapport au temps, mais également celle de notre compréhension de la vie, du vivant, et de leur opposition à la mort ainsi que de leur complémentarité avec celle-ci. La mort apparaît à ce titre, par la quête de son dépassement, aussi bien comme le support de pratiques à expliciter (la momification), de phénomènes à observer et à explorer (diversité de la chronobiologie des formes du vivants), de lecture des phénomènes de grande échelle (relativisme temporel par élargissement à l’échelle de l’évolution, prise en compte des extinctions de masse, etc.), de figures imaginaires dont nous sommes devenus familiers (le zombie, entre autres), ou de stratégies de résistance par continuation de soi (« survivre par son œuvre »).

Il s’agit donc, avant tout, de comprendre comment la vie et la mort constituent des principes structurants de notre organisation individuelle et collective, qu’il s’agisse de la compréhension de notre environnement ou de nos pratiques sociales et interpersonnelles, de notre propension à rêver et à désirer, et peut-être aussi de notre capacité à créer. Faut-il voir alors dans l’abolition de la mort le démantèlement de ces structures mentales individuelles et collectives ?

C’est nourri de ce questionnement sous-jacent que progresse Eternité pour mettre ensuite en avant les modalités pratiques du recul de la mort : qu’est-ce que vieillir, et comment évolue la perception du vieillissement ? La nature, qui semble induire le vieillissement, peut-elle paradoxalement nous aider à échapper aux effets du temps (biomimétisme) ? Quels usages faire des nouvelles technologies, dans un contexte de popularisation des rêves transhumanistes ? Et, bien sûr : comment penser l’éthique de l’immortalité ? Car le propos est aussi de distinguer ce qui peut être fait de ce qui doit être fait. De rappeler, en somme, les dangers de ce que Günther Anders appelait la « valeur obligeante » des technologies, dont il tirait, en 1977, la conclusion morale suivante : « La tâche morale la plus importante aujourd’hui consiste à faire comprendre aux hommes qu’ils doivent s’inquiéter et qu’ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime. » Et peut-être, pour ce faire, de produire et de trouver les outils nécessaires à la compréhension des phénomènes auxquels il donne naissance. En ne cédant pas à la panique mais en traitant l’inquiétude, qui est absence de repos, par le savoir autant que par l’esthétique, par le réalisme autant que par le fabuleux, par l’organique autant que par le technique, par le passé autant que par le présent et l’avenir, et bien sûr par le sérieux autant que par le ludique, Eternité. Demain, tous immortels ? est l’un de ces prodigieux outils, assurément.

 

 

 

L’Art des Geeks

L’Art des Geeks
Floriane Herrero
De la Martinière, 2018

L’art pixelisé

Par Anne-Marie Mercier

Le titre peut tromper ceux qui n’ont pas suivi l’évolution du mot : désignant à l’origine des fondus d’informatique asociaux, le mot est devenu positif, et désigne aussi les adeptes des écrans. Parmi eux, des créateurs qui détournent les images de la culture populaire portée par la télévision, les animés, les jeux vidéo… mais aussi les produits dits dérivés. On y trouve aussi bien des icônes modernes comme Batman, Mario, les Simpson, les Playmobil… que des icônes religieuses, des personnages de contes (Cendrillon victime d’un accident de carrosse filmé par des paparazzi)…

L’ensemble est étonnant d’inventivité, de liberté joueuse, de détournements cocasses… que ce soit sous la forme de photo, d’objets, de meubles même (ceux imité de Star wars par Superlife et Eyal Rosenthal, par exemple). Il se présente comme un livre d’art : grand format, doubles pages, photos en pleine page, belle impression).

La Face cachée des insectes

La Face cachée des insectes
Clara Corman
Amaterra, 2018

A la loupe

Par Anne-Marie Mercier

Cette encyclopédie fait partie de celles qui, au grand agacement ou émerveillement des parents, rendent les enfants plus savants que la plupart des adultes. Sur la question des insectes, peu sont très au fait, même ceux qui ont vu l’exposition récente du musée des Confluences de Lyon sur ce thème.
Dans cet album carré de grand format, les insectes se rangent en différentes catégories d’une même classe (coléoptères, lépidoptères, blattoptères, , etc.) sur la page de gauche, tandis qu’un des leurs est mis en vedette, seul et accompagné de sa larve dans la page de droite.

Les couleurs sont éclatantes, les détails minutieux, des rabats permettent de soulever les ailes des « vedettes » (ce qui n’apporte pas grand-chose, mais c’est du beau travail). Les textes, courts, sont pleins d’informations intéressantes sur les mœurs et étrangetés de ces animaux : comment ils se nourrissent, échappent aux prédateurs, ou comment ils chassent leurs proies, mais aussi les circonstances de leur identification, leur réputation, les dégâts qu’ils provoquent ou leurs effets bénéfiques : tout un monde !

Japon. A pied sous les volcans

Japon. A pied sous les volcans
Nicolas Jolivot
Hong Fei, 2018

Pluie et flammes

Par Anne-Marie Mercier

Carnet de voyage, avec un journal et des croquis aquarellés, c’est une saisie d’instants, de silhouettes, de sensations, et bien sûr de paysages. Arrivé à Osaka, dont il décrit l’effervescence tranquille, le narrateur voyage vers les îles, à Aso, Sakurajima, Unzen. En train ou à pied, dormant sous la tente quand il le peut, sinon dans des auberges de jeunesse, ou d’autres lieux pour voyageurs, il rencontre peu de monde : on est hors saison et la pluie l’accompagne, souvent diluvienne.
Avec les traces du récent tremblement de terre à Aso (on est en 2016) et celle des éruptions volcaniques plus anciennes à Sakurajima et Unzen, le Japon apparait comme la terre des catastrophes, un pays fragile où le vieillissement de la population a des conséquences inquiétantes.
Mais c’est aussi le pays de l’art de vivre, de la simplicité de mets délicieux, de l’ordre et d’une certaine  volupté. Tout cela est vu à travers de multiples détails, des rencontres, des atmosphères. On touche au plus concret (comment se déplacer, où dormir, quoi manger ou boire), au quotidien, et aussi à l’esprit des lieux à travers les paysages, les brouillards, les éclats de soleil, les touches de couleur. Les dessins sont délicats, le texte n’est jamais prétentieux ni aigre (même si la pluie fait pester le voyageur). C’est une très belle plongée dans une aventure pleine de quotidien.

Et toi, comment tu te sens ?

Et toi, comment tu te sens ?
Didier Jean et Zad
Utopique 2018

Ah ! que d’émotions !

Par Michel Driol

13 doubles pages présentent un personnage dans une situation donnée ressentant une émotion : page de gauche, quelques lignes, page de droite, une illustration, avec des personnages animalisés, et une question rituelle : Comment se sent xxx ? On fait ainsi découvrir la tristesse ou l’amour, la jalousie ou le dégout. La page 28 donne les solutions, puis quelques jeux sont proposés pour prolonger la découverte : raconter un souvenir à partir d’une émotion, ou jeu du mémory avec des cartes à découper.

Pas de doute, les émotions sont tendance…  Dans les classes de l’école primaire, on les découvre, on les nomme, souvent en lien avec des techniques de communication telles que le message clair, où il s’agit, en cas de conflit, de verbaliser précisément ce que l’on ressent. On sait que nommer les émotions, donner place au langage intérieur est une nécessité pour l’individu, pour sa socialisation, pour le conduire à adopter un comportement qui évite l’agressivité et l’amène à se comprendre et à comprendre l’autre. Ce petit ouvrage, simple,  qui n’a rien de littéraire – peut fournir un bon support pour faire nommer et identifier les émotions. Les situations proposées sont du type de celles qui sont vécues par les enfants, en fin de maternelle ou au CP : premiers émois, réussites, moments préférés, petits accidents…

Un petit ouvrage, entre micro fiction, dictionnaire et documentaire, pour apprendre à vivre avec nos émotions.

 

Mais qu’est-ce que c’est?

Mais qu’est-ce que c’est ?
R. Martin, Cl. Schwartz
Saltimbanque 2019,

Savoir s’étonner et questionner

Maryse Vuillermet

Un enfant confronté à une forme, un objet, une texture inconnue,  demande : Mais qu’est-ce que c’est ?
Voici un beau livre documentaire qui peut répondre à 44 questions portant sur 44 petites énigmes de la nature. Elles sont présentées sur une double page, la page de gauche montre le mystérieux objet, un tas de feuilles, des chapeaux chinois, toute forme qu’on peut rencontrer en promenade, dans la nature et donne quelques indices,  et la page de droite explique : c’est un nid, une larve, une mue, un coquillage… Elle accompagne la révélation de nombreuses informations scientifiques ou insolites.

Cet album apprend à observer, à faire des hypothèses drôles ou pleines d’imagination et puis à poser des questions et à apprendre.

La la langue – Comment tu as appris à parler

La la langue – Comment tu as appris à parler
Aliayah et Susie Morgenstern – Illustrations de Serge Bloch
Saltimbanque édition 2019

La grande aventure de l’entrée dans le langage

Par Michel Driol

Derrière le titre (lacanien ?) le sous-titre explicite l’enjeu de ce livre : expliquer aux enfants comment ils ont appris à parler. Très classiquement, le livre aborde les différents stades de l’acquisition du langage par un enfant : à partir de la naissance une petite vingtaine d’étapes le conduisent à après 6 ans : la communication non verbale par les sourires, l’entrée dans les premiers mots, l’acquisition des phonèmes les plus difficiles à prononcer… Le livre fait avec habilité le lien entre les progrès linguistiques et langagiers et l’évolution des conduites de l’enfant tant en terme de communication – ses relations avec autrui – que de progrès dans le graphisme par exemple.

Le livre est écrit en « tu », s’adressant à l’enfant, lui montrant tous les stades par lesquels il est passé (si l’on suppose que le lecteur visé a plus de 6 ans…). Comment il est passé du stade d’infans, celui qui ne parle pas, à cet être de langage salué dans les dernières pages, à qui l’on souhaite bonne route. On imagine aussi, comme c’est le cas d’une grande partie de la littérature enfantine, une lecture qui associe un parent et un enfant, et le livre devient l’occasion de revivre des épisodes passés, de mesurer les apprentissages énormes réalisés en peu de temps, et d’être optimiste pour la suite des apprentissages à réaliser dans le langage et grâce à lui.

On apprécie la rigueur scientifique du livre – en regrettant peut-être que les étapes soient données de façon un peu catégoriques, sans que rien ne vienne préciser que chacun apprend et se développe à son rythme, et que nombre de grands parleurs aujourd’hui étaient quasi mutiques à 6 ans… Mais on apprécie la vulgarisation faite, sans aucun terme technique, dans des phrases simples, pleines de bienveillance à l’égard de l’enfant, et souvent pleines d’humour. Cet humour est renforcé par les illustrations de Serge Bloch : scènes de la vie quotidienne, enfant au milieu de nuages de lettres, de sons et de mots,

Un livre utile tant pour les enfants que les parents, voire les éducateurs qui y trouveront des repères pour une première approche du développement du langage et de l’apprentissage de la langue.

Dix petites graines. Mon jardin en hiver

Dix petites graines. Mon jardin en hiver
Ruth Brown
Gallimard jeunesse (poche : « L’heure des histoires »), 2017

Leçons de nature

Par Anne-Marie Mercier

Les Dix petites graines de Ruth Brown, publié pour la première fois en 2001, est un classique pour de multiples raisons : les illustrations sont belles, mêlant réalisme et expressivité, alliant les tons sombres de la terre vue en coupe tandis que les graines germent et se transforment en pousses, aux bruns des animaux (chat, taupe…); au-dessus, éclatent les couleurs claires où le jaune domine, lumière du ciel, livrée des  habitants de l’air (coccinelle, pucerons), lorsque la plante pousse, seule rescapée de dix après les différentes incursions des vivants sur son territoire souterrain ou aérien.
Belle leçon de « choses », qui montre que semer ne suffit pas, et que la nature est généreuse et remplace ce qui est perdu.

Mon jardin en hiver est un conte en cascade (ou en « progression à thème linéaire », structure dont on a souvent du mal à trouver des exemples en cours de français). Les illustrations, superbes, perdent comme celle de l’autre album, dans ce format réduit, mais cela reste charmant.