Tout va bien

Tout va bien
Eva Kavian
Mijade (Zone J), 2014

Le dit et le tu

Par Anne-Marie Mercier

Tout va bienSuite (ou fausse suite) de Premier chagrin et de La Conséquence de mes actes, Tout va bien présente le couple Gauthier et Sophie enfin formé, après les hésitations du volume précédent (l’auteure nous a épargné la « déclaration », bravo). J’avais trouvé le deuxième bien inférieur au premier, original et bouleversant. Le troisième est intéressant, mais là encore à condition de ne pas y chercher une suite. L’auteure aurait –elle décidé de reprendre les personnages d’un livre qui a eu un certain succès ? Si c’est le cas, cela prouve que pour être réussie la « série », loin d’être l’application de recettes faciles, a des exigences.

Dans ce roman, qu’on ne verra donc pas comme une vraie suite, nous partageons l’été de deux ados un peu amoureux mais séparés. Le garçon est à Rome en séjour linguistique avec d’autres ados, garçons et filles, de différentes nationalités et l’on retrouve ses émois sexuels du volume précédent (si, si, sur ce point il y a une continuité). Pendant ce temps la fille, restée en France accueille dans sa famille un hôte payant américain, jeune beau et riche. Mais rassurez vous il ne se passera rien et elle n’aura que l’ombre d’une « mauvaise » pensée (forcément c’est une fille).

Ils s’écrivent, c’est le point le plus intéressant : que dit-on de ce qu’on vit ? que signifie ce « tout va bien » ? Que cache-t-il de non dits, de pudeur, de mensonge ? La profondeur de ce roman n’est pas dans la description des visites touristiques des uns et des autres, ou dans la question de l’interculturalité, même si ces domaines sont fort bien explorés, avec ce qu’il faut de clichés et de découvertes, mais bien dans cet fossé entre le dit et le tu.

Mes rêves au grand galop

Mes rêves au grand galop
Didier Jean et Zad, Didier Garguilo (ill.)
Rageot, 2013

Voilà un livre qui « fait le job »

par Christine Moulin

reves galop« Classique »: ce terme, parfois péjoratif, devrait reprendre du galon pour qualifier le roman de Didier Jean et Zad. Classique la couverture, qui rappelle les magazines pour ados des années 70 (style 15 ans -1-). Classique le titre qui ne ment pas sur la marchandise: il va être question de cheval et cela va être émouvant. Classique l’intrigue : une jeune fille, Inès, victime d’un accident qui l’a paralysée, reprend goût à la vie et cesse de rudoyer son entourage, grâce à l’amoureuse amitié d’un jeune homme, Sébastien, qu’elle déteste, évidemment, dès leur première rencontre. Les dialogues, authentiques, rendent bien compte des relations parfois épineuses entre les personnages. Un peu moins classique, la narration alternée permet de varier les points de vue et de pénétrer dans la psychologie des deux ados. L’ensemble se lit vite, se lit bien, évite les écueils moralisateurs de certains livres sur le handicap et respire l’optimisme. Le fait que les adultes y soient bien traités, positifs et solides, joue pour beaucoup dans cette impression que le livre, sous des apparences ordinaires, est nimbé d’une douce lumière.

-1- pour mémoire, un exemple :

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Pauline ou la vraie vie

Pauline ou la vraie vie
Guus Kuijer
Illustré par Adrien Albert
Traduit (néerlandais) par Maurice Lomré
L’école des loisirs (neuf), 2013

La vie, l’amour, la mort, la poésie

Par Anne-Marie Mercier

lelivrequidittoutJ’avais été émerveillée par Le Livre qui dit tout de Guus Kuijer (L’école des loisirs, neuf, 2007), un roman attachant, bouleversant, et qui parlait effectivement… de tout, sans artifice : la violence familiale, le statut de la femme, la religion, le nazisme et la résistance (ou pas), le handicap, le grand âge, l’enfance, le besoin de magie, la littérature, la peur, le bonheur… Avec Pauline, c’est presque la même richesse, mais sur un plus grand nombre de pages. Un enfant, lucide sur les comportements des adultes et bienveillant, mais seulement jusqu’à un certain point, propose un regard sur la société qui l’entoure.

Ici c’paulineest une fille qui raconte sa vie, de 11 à 13 ans. Ce gros livre (628 pages, aérées et illustrées) reprend une série déjà publiée en volumes séparés entre 2003 et 2010 (Unis pour la vie, La Vie ça vaut le coup, Le Bonheur surgit sans prévenir, Porté par le vent vers l’océan) et un dernier volume inédit intitulé « Je suis Pauline ! ». Pauline vit seule avec sa mère, son père est un drogué à la dérive, ses grands parents sont des fermiers très pieux, son amoureux s’appelle Mouloud, sa meilleure amie n’est pas toujours à la hauteur. Autant dore que la vie est parfois dure : sa mère et le nouvel amoureux de celle-ci, qui n’est autre que l’instituteur de Pauline – la honte ! – se disputent sans cesse ; Pauline a rompu avec Mouloud à cause sa « culture » et des projets de ses parents pour lui ; Elle tente d’aider son père qu’elle adore et admire : pour elle il est un poète qui se cherche. Elle ne croit en rien et accompagne pourtant les prières de ses grands parents, à sa manière, toujours profonde et cocasse. Les illustrations, silhouettes croquées à l’encre de Chine, ont la même simplicité et le même humour.

Les personnages qui entourent Pauline sont sympathiques malgré leurs défauts : une mère irascible mais passionnée, un instituteur vieux jeu mais compréhensif, des grands parents avec un grand sens de l’humour, un père à la dérive mais capable de beaucoup de tendresse et de compréhension, un amoureux partagé entre sa culture et son attachement (ce qui fait dire à Pauline que la « culture » fait qu’on se vexe pour un rien » et « quand je sera grande, je n’aurai pas de culture » (p. 579)). Tous ont beaucoup d’amour à donner, sans toujours savoir comment.

Mais tout n’est pas rose, loin de là, la violence du monde, la pauvreté, la mort, la solitude, les dangers qui guettent les enfants, les intolérances multiples, le regard des autres… tout cela pèse ; mais Pauline parvient à allier la gravité avec la légèreté.

A l’école, à la question « qu’est ce que tu veux faire plus tard ? », elle répond : « poète » , et c’est bien en poète qu’elle résout tous les problèmes et les conflits, d’abord pour elle à travers de petits textes en quelques lignes qui disent ses émotions et ses révoltes, mais aussi pour les autres, avec sa façon de prendre de la distance et de révéler leurs contradictions, ou de saisir leur richesse, comme elle le fait avec Consuelo, la réfugiée mexicaine. Comment la poésie peut-elle opérer tout cela ? Elle l’explique à ses grands parents à qui elle a proposé en guise de prière un poème… magique : « Un poème magique a un pouvoir magique […] Si on le dit à voix haute, on a l’impression de flotter dans sa propre tête. Par exemple, si on prononce mes mots « montagnes bleues » ou « antilope », on a l’impression de flotter au-dessus de l’Afrique. Et quand on flotte si haut dans le ciel, on peut mieux observer le monde » (p. 201). A travers ce roman aussi bien social que poétique, Guus Kuijer nous propose belle observation du monde contemporain, avec ses contradictions et ses divisions, mais sans s’embourber dans le malheur, et tout cela grâce au regard d’un enfant : bravo, Pauline !

Le lion des montagnes

Le Lion des montagnes
Julie Bonnie
illustrations Max de Radiguès
Editions du Rouergue (Zig, Zag), 2014

Quand la chèvre finit par miauler !

Par Chantal Magne-Ville

Un joli petit rLeliondesmontagnesécit plein de réalisme pour raconter le drame de chèvres attaquées par un fauve féroce. Eh oui ! Le lion des montagnes existe bel et bien dans les forêts de séquoia de Californie, non loin de Sacramento. Le jeune narrateur, dans une langue simple et vibrante, empreinte d’oralité, retranscrit la longue traque de ce prédateur, tout en plongeant le lecteur dans les multiples sensations éprouvées devant les beautés de la nature sauvage.Loin des bruits de la ville, la relation entre un père et son fils montre l’importance de la transmission des valeurs de respect, aussi bien de la vie que de la mort.

Un style léger et enfantin pour de véritables questions existentielles, si profondes qu’il vaut mieux les aborder en s’abandonnant à la fraîcheur de cet univers, souligné par des illustrations au trait épuré, redondantes avec le texte, mais qui renforcent encore l’humanité des personnages, d’autant plus que le récit est tiré de faits réels ! Une plongée dans les grands espaces américains pour apprendre à saisir la complexité de la nature.

L’Année du Mistouflon

L’Année du Mistouflon
Anne-Marie Chapouton

Flammarion, Castor poche (romans) 2014

La « Bête » de Lourmarin

Par Anne-Marie.Mercier

lAnnée du MistouflonParu en 1975, ce Mistouflon avait fait bien des heureux, tant la fantaisie accompagnait la peinture d’un village (Lourmarin dans le Lubéron), de son école, des enfants et de leur famille. Irrévérencieux, amateur de Picole (recette jointe dans le livre) et mangeur de tabac, le Mistouflon sème la panique, tantôt adoré, tantôt détesté par les habitants, jusqu’au jour où l’on découvre l’existence de la Mistouflette…

Ce grand classique des lectures de l’école primaire réparait après avoir une première parution en Castor poche en 1982. Les illustrations de Gérad Franquin sont… du Franquin : parfaites pour accompagner ce récit loufoque.

Quant au petit dossier ajouté au volume, s’il comporte quelques éléments intéressants, on conseille d’oublier les exercices de grammaire et d’orthographe, très opposés à l’esprit-misouflonesque !

Charlotte et Mona

Charlotte et Mona
Florence Seyvos

L’école des loisirs, 2014

Petits aménagements

Par Anne-Marie.Mercier

Trois Charlotte et Monacourts récits, aux illustrations un peu désuètes mais d’une belle candeur enfantine, voilà le menu de ce petit livre qui propose les « aventures » de deux sœurs : l’installation de leurs chambre après un déménagement, un jeu autour de la radio, une peur… le quotidien devient source d’émerveillements – et d’ailleurs, merveille : les peluches sont vivantes parfois, et parlent !

L’innocent de Palerme

L’innocent de Palerme
Silvana Gandolfi

Traduit (italien) par Faustina Fiore)
Gallimard (folio junior)/Les Grandes Personnes, 2014

Witness à Palerme

Par Anne-Marie.Mercier

C’est un innocentdepalerme2roman bien réaliste que Silvana Gandolfi a fait paraître chez les Grandes Personnes en 2011 ; il réparait en poche, après la consécration que lui donnée le prix Sorcières et son inscription sur la liste des lectures conseillées pour les collégiens par l’éducation nationale.

Deux histoires s’entremêlent dans la première moitié de l’ouvrage, dont on voit mal comment elles peuvent se rejoindre : celle de Santino, enfant unique palermitain, très fort en course à pied, dont les pinnocentdepalerme1arents tirent le diable par la queue, et celle de Lucio, adolescent de Livourne, qui fait du voilier et  vit seul avec sa mère et sa petite sœur. Les deux histoires se rejoignent vers la moitié de l’ouvrage, expliquant tous les non dits et plongeant le lecteur dans un récit angoissant (mais pas trop) où la mafia semble partout, en quête du témoin qu’est Santino.

Réalisme et fantastique se mêlent également en fin d’ouvrage, nous faisant renouer avec des thèmes chers à Silvana Gandolfi pour qui le réel a bien des strates.

 

Casseurs de solitude

Casseurs de solitude
Hélène Vigal
Rouergue 2014,

 Neuf histoires d’adolescents « qui ne lâchent rien »

Par Maryse Vuillermet

 casseurs de solitudes imageCe recueil présente neuf nouvelles où des adolescents d’aujourd’hui, contrairement aux préjugés qui les décrivent gâtés, insouciants et occupés uniquement de nouvelles technologiques,  affrontent des problèmes ou  des situations très cruelles, licenciement d’une mère qui a tout donné à son travail au point d’oublier son fils, menace d’excision par sa propre mère,  excision qui a déjà tué une grande sœur,  fugue avec son père,  grand malade psychiatrique, comingout  puis départ d’un  autre père avec son ami homosexuel  Beaucoup de ces jeunes se réfugient  avec l’énergie du désespoir dans un monde qui les console, la littérature  et le travail scolaire pour Adra, le cheval pour Margaux, la pâtisserie pour Marie et ne se plaignent pas. Personne  autour d’eux ne pourrait soupçonner ces drames. L‘originalité du recueil vient des relations qui se tissent entre les personnages de chaque récit. La gamine folle de son cheval, qui vit quasiment avec lui est la fille du patron voyou qui a licencié la mère de Lucien, les gros chiens qui bavent dans la voiture seront  justement empoisonnés par la mort aux rats  administrée par  Lucien pour venger sa mère, le beau gosse qui séduit si facilement Fanny, l’amie d’Adra,  pour diffuser  leurs ébats sur les réseaux sociaux  et s’en glorifier,  est son frère, le principal  du collège  Monsieur  Séraphin qui fait peur à Adra est l’homme qui va la recueillir, elle,  son petit frère et la seconde épouse de son père sans papiers, le garçon qui trouve une lettre de dénonciation du principal et qui la détruit est un collégien  du même collège, stagiaire à la préfecture.

Ces jeunes ne sont  donc pas passifs, ils se battent, s’entraident, se vengent, trouvent des solutions originales, « ne lâchent rien ». Et les adultes ne sont pas tous aveugles, le palefrenier  anonyme et un peu débile qui rachète avec son propre argent le cheval de Margaux pour qu’elle continue à le voir en cachette, le principal qui recueille Adra et une partie de sa famille,  avaient vu et compris les drames qui se jouaient.

La Conséquence de mes actes

La Conséquence de mes actes
Eva Kavian
Mijade (zone J), 2013

 Les vacances d’un ado décomposé

Par Anne-Marie Mercier

La Conséquence de mes actesAprès Premier chagrin, dont ce roman est une sorte de suite (l’ami de Sophie, Homère, est le personnage principal), on attendait beaucoup, sans doute trop tant le précédent volume avait surpris par son originalité et sa finesse. La Conséquence de mes actes propose une intrigue plus convenue, tout en en évoquant l’éveil de la sexualité d’un adolescent – de façon très directe – et en accumulant les intrusions vers de nombreux domaines sociétaux contemporains : l’homosexualité, les familles recomposées, l’addiction des ados aux réseaux sociaux.

Tout cela s’imbrique dans une histoire assez classique d’un ado déchiré par la séparation de ses parents et par leurs nouvelles amours qui l’excluent, envoyé en vacances chez des inconnus, un couple de grands parents original et sympathique gérant plutôt bien la tribu déchaînée de leurs petits-enfants. Tous ces personnages finissent par apprivoiser le jeune Homère en proie à une crise de révolte contre les adultes « dont les choix ont le plus souvent des effets négatifs sur la vie de leurs enfants ».

En définitive, l’originalité principale du livre tient à son écriture, dont la recette est donnée par le narrateur lui-même dans les derniers chapitres. Pour éviter un redoublement, il doit rédiger pendant les vacances un texte sur le thème qui a fourni le titre du livre. On découvre donc à la fin que ce qu’on vient de lire est cette « compo » et que le texte a été travaillé et écrit avec cette perspective en visant un certain brio. « J’avais évité la chronologie linéaire, j’avais utilisé le schéma narratif et dramatisé les événements, mais la réalité de ma vie avait largement suffi ». Brillant, bien ficelé, plein de hardiesses, ce roman pèche un peu par un certain trop plein qui le prive de l’émotion provoquée par le précédent. Sophie a jusqu’ici la part belle : on attend la suite de ses aventures (prochainement sur li&je)

Itawapa

Itawapa
Xavier-Laurent Petit

L ‘école des loisirs, 2013

Du pouvoir des images contre la déforestation

Par Anne-Marie Mercier

ItawapaXavier-Laurent Petit signe ici un roman proche de L’Attrape-rêves, où l’aventure exotique sert un propos écologique. Ici, le cadre est celui de la forêt amazonienne, et l’ennemi les entreprises qui chassent les indiens de leurs terres et détruisent la forêt, comme ceux que les indiens appellent les Termites, dans le film de John Boorman, La Forêt d’émeraude.

Mais comme dans son roman précédent, le texte ne se réduit pas à un propos écologique et militant. Il est porté par des personnages extraordinaires et attachants : le grand père irresponsable et alcoolique, devin et escroc, dont on sait qu’il cache quelque chose, le policier désœuvré en surpoids, passionné de photographie, la mère du héros, disparue à la recherche du dernier représentant d’une tribu, qu’elle nomme Ultimo, le « Dernier ».

Partant à la recherche de sa mère, la jeune Talia apprendra beaucoup de choses sur la forêt et la vie des indiens, tout en découvrant un secret de famille jusqu’ici bien caché, secret que le lecteur expérimenté aura en partie deviné grâce à un prologue en forme d’énigme. Ainsi l’auteur conduit plusieurs récits parallèles, celui du combat contre une multinationale, du pouvoir des images, du mystère de la disparition de la mère de Talia, de la rédemption de personnages enlisés dans une situation délétère, du sauvetage du dernier indien, et enfin de la reconstruction d’une histoire familiale.