Azul

Azul
Antonio Da Silva
Le Rouergue (épik), 2021

Vertiges peints

Par Anne-Marie Mercier

La littérature de jeunesse se montre souvent en recherche de légitimité, et on ne saurait lui reprocher de vouloir transmettre aux jeunes lecteurs, en plus du plaisir de la lecture et de l’accès à des textes bien construits et bien écrits, de la culture.
Azul semble vouloir remplir ce contrat par son sujet même : Miguel, un jeune lisboète, a le pouvoir d’entrer dans les œuvres des peintres, et même de les corriger, un peu à la manière de Pierre Bayard qui proposait d’améliorer certains chefs d’œuvres littéraires. Il s’agit de retoucher les faiblesses que l’on peut trouver dans de grands tableaux : une cheminée mal orientée chez Van Gogh, la joue d’une infante couverte d’une tache chez Velasquez…
Il s’y promène, glisse sur la neige de Brueghel, se fait des amis. Régulièrement il rencontre dans les toiles une jeune fille mystérieuse, April, qui vit à Londres et qui semble avoir le même pouvoir que lui ; une histoire d’amour s’élabore mais est vite concurrencée par des mystères inquiétants et le roman éducatif puis sentimental laisse la place au thriller, relayé parfois par une enquête policière. April est en danger et des personnages de peintures célèbres, comme La Joconde, sont maltraités. Pendant ce temps il se passe des choses inquiétantes dans la pension où vivent Miguel, Amalia qui l’aime, et Maria qui les a recueillis avec d’autres enfants. Lisbonne est frappée par un tremblement de terre, un ouragan, un incendie… Enfin, le monstre sanguinaire débarque dans la réalité de Miguel, et April et Amalia se rencontrent, que de rebondissements !
La parole est donnée, dans un même chapitre, tantôt à Miguel, tantôt à un narrateur extérieur  premier vertige. Certains chapitres intercalés présentent la vie d’un artiste de rue de Lisbonne, Franck Rio, en révolte avec les institutions, génie devenu faussaire et voleur de tableaux (le vol de la fondation Gulbenkian, c’est lui) et l’on ne comprend que tard le lien entre toutes ces histoires. La brièveté des chapitres, les sauts permanents d’une œuvre à une autre, le mélange des deux niveaux de réalité dans la vie de Miguel et sa rencontre avec la vie de Frank Rio, tout cela fait beaucoup et l’on est un peu étourdi par ces accumulations.
Ainsi, la culture ici n’a rien de facile. Pour le lecteur comme pour Miguel, entrer dans l’art demande un effort, et si pour le héros on n’en sort qu’au prix d’une souffrance, on ne peut dire ce qu’il en sera pour les différents lecteurs.

Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ?

Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? et autres questions piquantes pour profs de lettres
Sarah Alami
Tsarines (« c’est comme ça qu’on s’en sort »), 2021

« Questions piquantes pour profs de lettres »

Par Anne-Marie Mercier

Malgré le titre, il ne s’agit pas de littérature de jeunesse – à moins de considérer comme Anne-Marie Chartier que toute œuvre lue essentiellement par des jeunes peut être considérée comme telle. Les jeunes lecteurs en question sont des élèves de seconde. Les textes sont pour l’essentiel Phèdre, de Racine, des poèmes de la Renaissance (des blasons), Madame Bovary et Les Lettres persanes. Mais il est question tout au long de faire lire des jeunes gens qui lisent peu et de savoir comment rendre des classiques accessibles.
L’initiative des éditions Tsarine avec leur collection au nom évocateur (« c’est comme ça qu’on s’en sort ») est bien venue : il s’agit de proposer aux enseignants un lieu d’échanges et un support pour pérenniser leurs réussites, donner une seconde vie à ce qui pourrait, sinon, n’être une « performance » éphémère, née de nombreuses heures de réflexion et de travail, et condamnée à ne durer que quelques semaines. Certes, on peut dire qu’un cours réussi a une durée longue s’il arrive à semer chez les élèves quelque chose, mais comment savoir ?

L’ouvrage développe toutes ces questions.
Comment étudier un classique sans s’ennuyer en classe ?
Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ?
Comment lire de gros livres ?
Comment se mettre dans la peau d’un auteur ?
Comment enseigner l’autonomie ?

Le livre est élégant, joliment mis en page et illustré de manière originale avec des vignettes évoquant la technique des bois gravés. Il se présente un peu comme un manuel, avec des encadrés, des prolongements. On aurait cependant tort de le prendre comme tel et de proposer à une même classe toutes les séquences proposées : la présence insistante du féminin et de la question de l’adultère ainsi que la hardiesse de certaines propositions (comme l’analyse de la scène du fiacre de Flaubert qui semble avoir quelque peu secoué les élèves) sont à prendre avec un peu de distance. De manière générale, un bon cours (à mon avis) n’est jamais issu d’un cours élaboré par quelqu’un d’autre, mais il est bon de chercher des idées et de voir ce que des collègues qui se sont heurtés aux mêmes difficultés ont inventé, car il s’agit bien ici de création.
Toutes les idées sont intéressantes et ambitieuses et proposent des réponses subtiles à des questions complexes, comme celles de l’enseignement (ou pas) de l’histoire littéraire, de la lecture (ou pas) des œuvres intégrales, du chemin de l’élève vers l’autonomie, etc. On voit d’ailleurs incidemment que l’auteure ne se contente pas de « vieux » textes, mais fait découvrir de nombreuses œuvres contemporaines à ses élèves et qu’elle associe les  textes aux autres arts. Elle met en pratique ce qu’on appelle des « dispositifs » intéressants, invite ses élèves à participer à des ateliers, à des débats littéraires, à mettre en scène et en voix.
Ce livre fourmille d’idées et a le grand mérite de ne pas s’abriter derrière des faux-semblants (j’ai beaucoup aimé ce qui concerne l’œuvre intégrale et l’hypocrisie fréquente qui consiste à faire comme si tous les élèves allaient vraiment lire le texte en entier ou avaient lu le texte en entier). Il est aussi bien écrit, alerte, souvent « piquant » comme l’indique le titre,  drôle, bien informé et savant, et surtout et très honnête. On a le plaisir de suivre les tâtonnements d’une enseignante passionnée par la littérature qui tente, avec succès semble-t-il, de faire partager cette passion.

Si vous allez sur le site, un conseil: faites descendre un peu l’ascenseur pour accéder au contenu et ne pas rester bloqué sur l’image, fort jolie au demeurant.

Pénélope, Athéna, monstres : Faut-il réécrire la mythologie?

Pénélope, la femme aux mille ruses
Athéna la combative
Isabelle Pandazopoulos
Gallimard jeunesse, 2021

Monstres et créatures de la mythologie
Françoise Rachmuhl
Flammarion jeunesse, 2020

Héroines versus déesses ou Faut-il réécrire la mythologie?

Par Anne-Marie Mercier

Après avoir romancé la mythologie au masculin (Jason, Rama…) , l’autrice la féminise et met au premier plan des femmes. Ce qui est assez naturel avec Athena l’est moins avec Pénélope, placée en général dans l’ombre de son époux, ou au service de son fils, dont les vertus sont plutôt celles traditionnellement réservées aux femmes, patience, chasteté et fidélité.
Bizarrement c’est le roman consacré à Pénélope qui est le plus réussi, avec l’invention de son enfance, de son coup de foudre pour Ulysse et quelques aménagements avec la tradition : la ruse de Palamède pour faire venir Ulysse à Troie, les raisons qui poussent Pénélope à retarder le moment où elle reconnait Ulysse sont autant de petites entorses au mythe, permettant la romance et la vraisemblance.
En revanche, Athéna perd par son entrée dans le genre romanesque son statut de déesse mystérieuse. Elle est peinte sous les traits d’une gentille adolescente et son frère Arès d’un horrible voyou ; elle est pétrie de mauvaise conscience lorsqu’elle punit Arachné, enfin, elle n’a plus rien de divin : est-ce une idée intéressante ?  Non, comme l’affirmait Queneau dans « Le voyage en Grèce ».

Monstres et créatures de la mythologie
Françoise Rachmuhl

Laissons donc les mythes au mythe, les jeunes lecteurs ne seront pas plus en difficulté  et cela n’empêche pas non plus de faire du neuf. Ainsi, Françoise Rachmuhl réussit le tour de force de présenter des êtres bien connus de manière neuve, sans les dénaturer : pris individuellement regardés sous un autre angle, le Sphinx, Méduse et Polyphème, pour ne citer que les plus connus, prennent corps et coeur pour nous émerveiller encore dans des récits vifs et drôles, bien écrits, ou l’on sent un véritable auteur.

Enfin, quitte à rééécrire et à donner de nouveaux visages aux mythes, je préfère le visage de Méduse, vu par  François Roca, aux visages donnés à Athéna et Pénélope, proches de l’esthétique des mangas.

Dans sa postface, Françoise Rachmuhl explique bien son propos :
« La difficulté, dans les récits d’aventures très connus, a été de varier l’angle d’attaque. Je n’aime pas me répéter lorsqu’il s’agit d’Héraclès ou  d’Ulysse. J’ai découvert ainsi la variété des monstres  et leur rôle envers l’être humain : incarner nos peurs, percevoir le monstrueux dans la nature et dans l’homme, au fil du temps, et découvrir aussi que, parfois, le monstre n’est pas si monstrueux, et qu’il éprouve parfois des sentiments aussi humains que les nôtres. »

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part
Jean-Michel Payet
L’école des loisirs (medium), 2021

Polar historico populaire chez les Ruskofs

Par Anne-Marie Mercier

Placé sous le patronage de Gustave Lerouge (ou Le Rouge), voilà un beau roman populaire du XIXe siècle, situé dans les années 1920 et écrit XXIe siècle. On y retrouve  des ingrédients classiques, déjà présents dans le premier volume (Le Dernier des Valets-de-coeur) : le personnage de l’orphelin, de l’enfant adopté (multiplié ici par le nombre d’adolescents du même orphelinat poursuivis par un tueur au mobile mystérieux), le couple homme d’action – journaliste, le couple Belle et clochard, la quête des origines. Si le premier volume nous plongeait dans un mystère né de la guerre de 14-18, le second en évoque un autre, célèbre, celui du destin des derniers souverains de Russie.

Roman historique également, ce volume nous plonge aussi bien dans le milieu des Russes blancs exilés, au cœur de l’atelier de Coco Chanel, rue Cambon, avec son annexe de broderies Kimir, et dans le milieu de la galerie du marchand d’art Kahnweiler, mais aussi dans le monde des « barrières », la banlieue de Paris au-delà des « fortif’ » où Blato vit dans une roulotte – comme beaucoup de ses amis.
C’est aussi un roman policier rondement mené, avec un couple mixte (garçon et fille) de jeunes détectives et un policier sourcilleux, presque un roman sentimental (le cœur de Balto est le lieu d’émois et d’hésitations propres au roman d’initiation, mais reste très chaste). Tout cela est parfaitement organisé, entrelacé et écrit : passionnant.

Les Yeux fermés

Les Yeux fermés
Catherine Latteux – Célina Guiné
D’eux 2021

De la musique avant toute chose

Par Michel Driol

Moe joue de la musique pour son amie Lily, qui, soudain, se lève pour aller voir qui pousse de petits cris plaintifs. C’est un jeune lapin. Pour retrouver les autres lapins, il faut écouter le vent, et tous les bruits de la nature. Ainsi l’album les évoque successivement, jusqu’à entendre la lapine et ses petits qui font des bonds. Et Lily, guidée par son amie, s’en va rapporter le lapin, sans sa canne blanche…

Bien sûr, c’est de handicap qu’il est question dans cet album, de cécité, si l’on lit bien le titre, si l’on regarde bien l’illustration de couverture, si l’on sait s’interroger sur l’étrange représentation graphique de Moe, l’ami musicien, sorte de plante sur sa tige, ce qui fait que la dernière page n’est pas vraiment une révélation. Pour autant, l’angle choisi n’est pas celui du handicap, mais celui d’une hyper sensibilité à la musique de la nature à laquelle est attentive Lily. C’est cette dimension poétique, renforcée par les rimes (ou les échos sonores) qui accompagnent les évocations de chacun de ces sons, et qui invitent le lecteur à écouter plutôt qu’à voir. Végétaux, insectes, cours d’eau… se succèdent ainsi, et font, tour à tour, entendre leur musique particulière. Clapotis, appel, bourdonnement… le vocabulaire se diversifie aussi pour donner au lecteur, dans les propos de Lily, à percevoir comme elle cette symphonie aux timbres variés. C’est donc à une attitude poétique d’écoute active du monde de la nature que cet album invite, pour en apprécier l’extrême diversité dans le silence évocateur de tant de choses, si l’on sait lui prêter l’oreille.

Les illustrations ne visent ni au réalisme, ni à une quelconque imitation musicale. Elles montrent aussi un monde très divers, mais animé. En effet, les végétaux se métamorphosent souvent en visages humains, les animaux prennent des poses humaines aussi, façon de réduire la distance entre l’homme et la nature, d’en faire une espère de grand tout vivant, sonore, animé, devant lequel s’émerveiller.

Un album qui prend des formes poétiques pour apprendre à ne pas se contenter du regard rapide sur les choses, sur le monde, mais à écouter les plus infimes bruits d’une nature luxuriante.

 

 

 

 

La-Gueule-du-loup

La-Gueule-du-loup
Eric Pessan
Ecole des loisirs – Medium + – 2021

Souvenirs confinés

Par Michel Driol

Au début du premier confinement, pour éviter de rester au contact de leur père, infirmier, Jo, la narratrice, son frère et sa mère se rendent à La-gueule-du-loup, la maison isolée dans la forêt de ses grands-parents maternels, que Jo n’a pas connus. Cette maison est-elle hantée ? D’étranges bruits surviennent pendant la nuit, des phénomènes inexplicables se produisent, tandis qu’au dehors les dangers du Covid, et les attestations dérogatoires créent un nouveau monde inconnu, absurde et menaçant. Entre le sport, la connexion difficile avec le lycée, la rupture avec les amis, et l’écriture de sonnets, Jo découvre, par la lecture des notes que sa mère avait écrites en marge des Fleurs du mal, un bien lourd secret.

On est prévenu dès le début : citation de Bettelheim, réflexion liminaire de la narratrice sur l’omniprésence des loups dans les comptines et les contes, loups terrifiants à partir du moment où l’on en reconnait l’existence. Toute la force du roman est de retarder la révélation du secret, de se tenir sur la ligne étroite entre le fantastique, toujours sous-jacent, passant par la croyance aux fantômes dans cette maison bien inhospitalière, et la violence du réalisme pour tout expliquer. Petit à petit, dans les gestes de la mère, ses attitudes, ses silences, la narratrice et le lecteur perçoivent le drame de son enfance, drame enfoui profondément, que le séjour dans la maison va réveiller et révéler au grand jour. Car c’est bien d’un loup prédateur sexuel qu’il s’agit, et de la menace qu’il fait peser sur les enfants et du traumatisme permanent qu’il génère. Dans une discrète polyphonie, le roman fait alterner deux voix, celle de la narratrice, dominante, mais aussi une autre voix, imprimée dans un autre caractère, qui ne parle que de loup, de menace, voix dont on ne saura qu’à la fin à qui elle appartient. A cela s’ajoutent les sonnets de confinements, écrits par la narratrice, qui coulent dans une forme fixe son quotidien de plus en plus bouleversé.

La narratrice, âgée de seize ans, est attachante par sa voix singulière. Elle incarne assez bien les adolescentes de son âge, dans ses certitudes, ses fragilités, ses doutes, ses passions comme la course à pied. Elle dit son quotidien désorganisé par le Covid, dans cette maison hostile : Eric Pessan analyse assez finement les effets du confinement sur les jeunes, lorsque les repères (amies, relations…) ont disparu, et qu’on se retrouve, comme l’indique le titre de l’ouvrage, dans la gueule du loup, comme dans les contes, au milieu de la forêt, coupé de tous et de toutes. Mais, au-delà de ce quotidien, dans ce roman complexe, il est aussi question d’écriture et du rapport complexe entre la réalité et la fiction, tant dans les réflexions de la narratrice que dans l’écriture même puisque la maison hantée devient ainsi, peu à peu, métaphore du virus  et des blessures enfantines dont on a du mal à guérir.

Un roman qui réussit à tisser différents fils, les abus sexuels, le confinement, dans un roman qui emprunte au fantastique et au thriller leurs codes narratifs pour nous inviter à parler de notre présent, ainsi que le font la narratrice et ses parents à table, au lieu de regarder la télévision ou de se taire.

Les Filles ne montent pas si haut d’habitude

Les Filles ne montent pas si haut d’habitude
Alice Butaud illustré par François Ravard
Gallimard jeunesse 2021

Si dissemblables et pourtant…

Par Michel Driol

D’un côté, il y a Timoti, garçon rêveur, un peu peureux, qui vit avec son père. De l’autre, il y a Diane, qui fait irruption dans sa chambre, et l’entraine dans une fugue échevelée et pleine de surprises. Jusqu’à ce qu’elle lui révèle qui elle est en réalité.

Voilà un roman enlevé et jubilatoire qui met en scène deux héros que tout oppose, et qui incarnent chacun, à leur façon, des stéréotypes, ou plutôt des contre-stéréotypes. C’est le garçon solitaire, pantouflard, ordonné, prévoyant – ne fugue-t-il pas avec sa valise à roulettes pleine de choses indispensables ? C’est la fille originale, intrépide, pleine d’énergie, d’envies, débrouillarde, entreprenante… Garçon manqué, aurait-on dit autrefois. La fugue de ces deux personnages fort différents les conduit à se découvrir, à affronter les mêmes dangers (une incroyable chasseuse à la casquette orange !), à partager les mêmes joies. Belle galerie de personnages secondaires : un père secrétaire à domicile, fabricant amateur de coquetières, qui, par erreur, étourderie, a donné à son fils le prénom d’un shampoing…, un facteur, et une mère partie faire du yoga aux Indes. Tout ce petit monde va se retrouver pour le plus grand plaisir de chacun et du lecteur bien sûr, qui va de surprise en surprise. L’écriture pleine d’humour – en particulier dans les dialogues vivants et piquants – raconte des aventures pleines de fantaisie. Ce tendre duo nous conduit petit à petit vers un dénouement inattendu, sur fond très actuel de relations familiales complexes, avec leurs difficultés, mais aussi leur réussites.

 Un « feel-good » roman d’apprentissage, aux situations souvent cocasses, plein de tendresse et de respect pour ses personnages, dont on sort ragaillardi !

 

 

Esprit es-tu là ?

Esprit es-tu là ?
Dominique Erhard, Anne-Florence Lemasson
Les grandes personnes, 2021

Grands esprits pour petits (et grands) enfants

Par Anne-Marie Mercier

Les petites poupées mangeuses de chagrins que l’on met sous l’oreiller pour se réveiller serein sont proches de ces poupées Kachiwas en bois, réalisées par les Indiens Pueblos du Nouveau-Mexique pour leurs enfants. Elles incarnent des esprits élémentaires qui vont les protéger et les guider.
Dominique Erhard et Anne-Florence Lemasson nous livrent des poupées de papier à travers ce livre pop-up qui en s’ouvrant fait naître ces êtres totémiques. Superbement agencé, ce dispositif crée de belles figures, chacune accompagnée d’un texte qui lui donne la parole.

Face à toutes les terreurs, se dressent ces esprits bienveillants qui vont rassurer l’enfant (et pourquoi pas l’adulte ?). Il y en a un pour chaque circonstance :

Contre la peur du noir : Mongwu le hibou
pour calmer la colère : Hemis la pluie,
contre la timidité : Kwahu l’aigle,
contre la tristesse : Sowi Ingwa le cerf,
et pour célébrer la joie : Tawa le soleil !

De quoi bien s’assurer que l’année sera bonne !

Regarder l’animation sur le site de l’éditeur

Licornes et créatures magiques

Licornes et créatures magiques
Sous la direction de May Shaw
Gallimard Jeunesse 2021

Licornes, serpents, lutins et farfadets…

Dès l’introduction, May Shaw se présente comme la directrice du département des Licornes, des Mythes et des Monstres de la Confrérie des Licornes Magiques.  Suivent huit histoires, rapportées chacune par un des membres de la Confrérie, huit récits qui montrent l’affrontement entre une licorne et un monstre maléfique.  Les récits se situent dans des périodes historiques et des espaces géographiques variés, allant de l’Antiquité égyptienne au monde contemporain. Chaque récit met en scène une licorne d’une famille particulière, chaque famille de licorne étant dotée de pouvoirs et caractéristiques spécifiques, comme cela est précisé dans les premières pages. A la fin, un test invite à découvrir quelle créature magique on est, et de que cela symbolise.

Les huit récits proposés introduisent à des univers fantastiques, dans lesquelles les licornes servent d’adjuvants à des enfants pour vaincre le mal, incarné par un monstre terrifiant par sa force, présenté dans une double page. De ce fait, l’ouvrage se présente un peu comme un documentaire fantastique, une sorte de bestiaire magique pour qui veut bien entrer dans ce monde de l’imaginaire. On a là une ingénieuse façon de revisiter les contes et légendes, de recréer une mythologie. Chacune des pages de l’ouvrage est illustrée, soit par un fond coloré sur lequel s’inscrit le texte, soit par une frise ou une encadrement qui montrent le côté magique et extraordinaire de l’univers dépeint.

Un ouvrage qui vise à construire un univers autour des licornes bienveillantes.

L’île sous la mer, Histoires naturelles, Xavier-Laurent Petit

L’ile sous la mer, Histoires naturelles
Xavier Laurent Petit, Ill, Amandine Delaunay
 L’école des loisirs, neuf, 2021.

 

  Ravages des guerres, celles des hommes et celles de la nature et résistance

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Marco, le jeune narrateur de cette histoire, bégaye et n’est pas bon en calcul mais il connaît tout de son île, les dunes, les vents, les cachettes et surtout les oiseaux, ses amis, dont il sait imiter les chants et comprendre les messages.  Les mots qu’il invente en bégayant, ses difficultés à l’école et le harcèlement dont il est victime le rendent touchant.

On est en 1917, les jeunes hommes de l’ile s’engagent pour la guerre en Europe, le frère de Marco, Tom, et le frère de sa meilleure amie, Magda, partent.

Une nuit, la tempête souffle si fort que les bâtiments du port, les maisons sont noyés.  L’île semble s’enfoncer.  L’institutrice essaie de comprendre ce qui se passe et mesure l’ile à l’aide de Marco, ses conclusions sont formelles, l’ile s’enfonce de plus en plus.  Peu à peu, les habitants, dont les parents de Magda, décident de partir. Marco est très malheureux.

Ce récit mêle habilement documentaire et fiction car il est construit à partir de faits réels. Et la fiction est très attachante.  Chaque personnage est traité avec soin, l’institutrice, la mère de Marco, sa meilleure amie Magda, son pire ennemi Bill Leroux… La tragédie affleure, l’absence des jeunes hommes partis à la guerre, les drames de la mer et celui de l’exil sont terribles mais la magie de certains instants dans les dunes au milieu des oiseaux, quand les oiseaux soufflent la solution à Marco et les illustrations tendres et drôles d’Amandine Delaunay permettent de s’en évader.

Ce petit roman mêle donc habilement chagrins et joies, désastres et résistance,  Tom parti à la guerre mais qui envoie des lettres pleines de fautes d’orthographe et d’amour fraternel, les deux enfants  séparés puis réunis par la disparition de l’île, l’institutrice inquiète pour son fiancé  aviateur qui le retrouve à la fin de la guerre et ce dernier  offre aux enfants un  voyage en avion  au-dessus de l’ile noyée devenue refuge des oiseaux, le méchant  harceleur Bill Leroux, à la mort de son frère, devient enfin gentil…  une montagne russe d’émotions fortes, donc un bon roman.

A noter qu’un podcast documentaire sur le même sujet est joint : L’île sous la mer de Camille Juzeau