Halte à la bagarre !

Halte à la bagarre !
Caroline Pelissier – Virginie Aladjidi  – Illustrations de Kei Lam
Casterman 2020

La communication pacifiste expliquée aux enfants

Par Michel Driol

A qui appartient l’acacia majestueux de la savane ? Il abrite trois amis : un chacal, Nico, un zèbre, Alfred, et un singe, Johnny. Mais un jour, parce qu’il est gêné par les deux autres dans son sommeil, l’un prétend en être l’unique propriétaire. Et les deux autres de revendiquer l’arbre eux-aussi pour eux seuls. Le ton monte, la bagarre éclate, dévastant quelque peu l’arbre. Arrive alors la girafe au grand cœur, Thérésa, qui réfléchit au lieu de parler, et leur propose d’expliquer les raisons de leur colère. Chacun découvre alors pourquoi l’autre tient à l’acacia, et la paix revient.

Voilà une fable qui montre, en action, la communication non violente appliquée à un cas concret. L’album fait le choix de la distanciation, avec des animaux, l’Afrique, une situation bien loin des conflits de cour de récréation ou dans la famille. Les illustrations sont particulièrement expressives pour montrer la montée de la violence. On voit bien qu’il est question de revendiquer pour soi seul un coin de territoire, de ne pas accepter de partager quelque chose. Prendre le temps de réfléchir, apprendre à verbaliser ses émotions, ses sentiments, à mettre des mots sur ce qu’on ressent, voilà une façon d’apprendre à gérer les conflits. Trois pages explicatives, à destination des enfants pour les unes des parents ou des éducateurs pour l’autre, permettent d’aller plus loin.

Un album didactique pour apprendre à gérer les conflits.

 

Fraternidad

Fraternidad
Thibault Vermot
Sarbacane, 2019

Deux Mousquetaires plus un

Par Anne-Marie Mercier

Malgré son titre, Fraternidad est un roman de solitude : celle du héros, Ed, souffre-douleur de ses camarades de lycée et amoureux transi d’une belle qui le regarde à peine, celle de sa sœur, harcelée sur internet par un pervers et incapable (croit-elle) de trouver de l’aide, celle de Selene, jeune polonaise qui rencontre Ed sur la toile et part de Varsovie, seule, pour le rencontrer.
C’est aussi un roman de liberté. Selene se joue des frontières, comme Ed, qui avec elle traverse la Manche dans la tempête en voilier. Tous deux se jouent des conventions et se font parfois un peu voleurs (pas trop mais assez pour que la police s’en mêle). Ed s’échappe souvent de son quotidien de lycéen pauvre ou de barman solitaire pour chevaucher dans la campagne, la nuit. Il s’échappe aussi de son époque en se rêvant poète, mousquetaire, bretteur, et en maniant l’épée avec une grande habileté contre les méchants, volant au secours de jeunes filles en détresse ou rossant ses persécuteurs, enfin, après une longue attente proche de la prostration.
C’est aussi un roman d’une grande liberté, insérant de la poésie dans la narration, parfois en pleine action, et pour dire l’action ; tantôt cette poésie est écrite ou proférée, ou lue (Keats, Mickiewicz) par les personnages, tantôt elle porte la voix du narrateur. On aborde au passage la légende du roi pêcheur, et même le pari de Pascal,  : encore un « connard à lunettes » d’après le troisième larron qui porte la voix du refus de la culture et de l’histoire, mais est finalement gagné par le rêve d’une fraternité héroïque. Roman monstre (plus de 600 pages), mêlant poésie sombre et scènes d’action prenantes, beau style et vulgarité, porté par des personnages anxieux, un suspens qui s’installe progressivement et explose dans les dernières scènes c’est un récit déroutant qui ne ressemble à aucun autre, tout en se plaçant sous le patronage d’un autre roman monstre, celui d’Alexandre Dumas, et la devise de ses mousquetaires : « un pour tous… »

Grand Loup et petit loup, Matuta

Grand Loup et petit loup
Nadine Brun-Cosme
Lu par Laurence Barbasetti, mis en musique par Virgil Segal
Trois petits points, 2019
Matuta
Nathalie Tuleff,
lu par l’auteure, musique de Jean Lucas
Trois petits points, 2019

Livres sonores

Par Anne-Marie Mercier

« Pleins d’humour et de poésie, et toujours un brin décalés : ce sont les titres qu’on aime chez Trois Petits Points. Pour ouvrir en grand la curiosité et l’esprit critique des enfants de 3 à 12 ans ». Les éditions des Trois petits points, installées à Lyon et en partie pilotées depuis l’Allemagne, proposent des « livres sonores », dans lesquels textes et musiques se complètent.
Grand Loup et petit loup
La Petite Feuille qui ne tombait pas
Une si belle orange

Les trois épisodes qui mettent en scène les personnages de Grand Loup et petit loup, publiés chez le Père Castor en albums et illustrés par Olivier Tallec, sont ici racontés simplement, de manière à mettre à portée d’un jeune enfant le sens du texte et ses émotions, mais sans trop appuyer. La musique n’est pas trop présente, et n’est pas non plus redondante, ; elle ponctue joliment les épisodes, leur donne un rythme, une tonalité chaude ou piquante.

Ce sont des histoires simples qui permettent de décrire des sentiments compliqués : l’inquiétude d’un grand qui voit arriver un petit dans son univers, l’attente et la patience, la peur de l’inconnu, le partage… De petits chefs-d’œuvre à portée des petits, et une écoute qui plaira aussi aux grands tant la musique est belle et simple.
Une si belle orange avait été chroniquée par lietje en version album du Père Castor.

Matuta

Matuta a six ans, et vit dans la steppe. Elle est hantée par le passé tragique de sa tribu, mais retrouve le goût de vivre grâce à une veille femme qui lui apprend qu’il faut partir, découvrir, aller vers l’autre et l’ailleurs, quelle que soit la difficulté du voyage. Une aventure initiatique pour les plus grands.

 

 

Le Livre du trésor

Le Livre du trésor
Brunetto Latini, Rébecca Dautremer
Trad. (français du XIIIe s.) de Gabriel Bianciotto
Grasset jeunesse (La collection), 2020

 Livre merveille

Par Anne-Marie Mercier

La collection de Grasset jeunesse qui réédite des textes classiques, justement nommée «La collection» propose de belles surprises, notamment pour cette toute nouvelle année : Le Livre du trésor nous permet d’allier l’ancien et le moderne, avec des extraits d’un texte du XIIIe siècle, publié par Brunetto Latini, un florentin exilé en France. La traduction en français moderne est due  à Gabriel Bianciotto, spécialiste de langue médiévale. Les illustrations sont de la toujours parfaite et toujours nouvelle Rebecca Dautremer, qui a su parfaitement jouer de la contrainte de la collection (une palette limitée à 4 couleurs).
Les merveilles sont le cœur de l’ouvrage : merveilles du vivant (la fourmi, la baleine, le singe, le caméléon, le loup, la cigogne…) mais aussi de ce qui en faisait partie dans la pensée médiévale et est aujourd’hui rangé dans le bestiaire fabuleux (la licorne,  le phénix, le dragon…).
Saviez-vous que le phénix a le corps rose, que la licorne est dangereuse et a des pieds d’éléphant ? mais aussi que la baleine reste immobile assez longtemps pour qu’un banc de sable se forme autour d’elle et que des marins y accostent, croyant trouver une île de terre ferme ? Que les fourmis d’Éthiopie récoltent de l’or, et comment on peut arriver (par la ruse) à le leur subtiliser ?
On ne dira pas toutes les merveilles de ce livre, elles sont nombreuses et les dessins qui les prennent au pied de la lettre (comme on doit lire les textes) sont chacun une œuvre d’art à contempler.

La Seizième clé

La Seizième clé
Eric Senabre
Didier jeunesse (romans), 2019

Seize ans de solitude

Par Anne-Marie Mercier

La seizième clé, c’est celle qui ouvre la porte des seize ans, autant dire de la connaissance, de l’émancipation, de la rencontre amoureuse. Mais chez Eric Senabre, cette porte n’est pas qu’une métaphore, ni la maison qui l’entoure. Elle est le support d’une intrigue complexe et se trouve, avec les quinze autres portes qui jouent comme elle un rôle dans les cérémonies d’anniversaire, dans une salle qui occupe le centre d’une maison si immense qu’elle semble infinie, labyrinthique, coupée du monde par une vaste forêt.
La forêt interdite, la clé de la porte interdite… on aura reconnu des thèmes de contes de fées ; d’autres genres sont convoqués, qui tirent davantage le récit vers le fantastique ou le roman à énigme : le héros est seul dans cette maison, uniquement entouré de gouvernantes et de précepteurs à son service, et gardé par de mystérieux serviteurs, les « Ratels », qui ne semblent pas tout à fait humains. On lui dit qu’il souffre d’un grave problème de santé qui a obligé ses parents à le mettre ainsi à l’abri. Génie bien entouré, il peut cultiver librement son talent pour la poésie et commente ainsi en vers ce qu’il vit et ce qui l’inspire, tout au long du roman, en toutes circonstances, même les plus dangereuses ; cela donne dans le roman de nombreux passages versifiés.
Prison dorée, où tout se plie à son caprice, la maison (on pense à La Maison sans pareil, merveilleux roman de lieux en expansion) devient une prison lorsqu’il rencontre une fille âgée d’un an de plus que lui qui lui conseille de fuir avant son seizième anniversaire et de ne surtout pas franchir cette porte…
Roman complexe et bien écrit, qui plie et déplie l’espace et le temps, c’est aussi le récit d’une aventure trépidante et semée d’embuches, et une belle histoire d’amitié – ou plus.

 

http://www.lietje.fr/wp-admin/post.php?post=4534&action=edit&classic-editor

Loup gris se déguise

Loup gris se déguise
Gilles Bizouerne ill. Ronan Badel
 Didier jeunesse, 2019  

 Les loupés du loup

Par  Chantal Magne-Ville

Depuis La chèvre et les sept biquets, la thématique du méchant qui se déguise pour tromper sa proie n’est pas nouvelle, mais  elle prend  dans cet album une fraîcheur toute particulière, avec les échecs successifs, mais presque réjouissants de loup gris, prêt à tester tous les déguisements pour assouvir sa faim.
Loup gris est déjà  bien connu des jeunes lecteurs, dans des  aventures où il se montre toujours maladroit et malchanceux, notamment dans sa quête de nourriture. Dans ce nouvel album, Gilles Bizouerne raconte les déconvenues  du loup  qui expérimente différents déguisements pour approcher ses proies.
Avec son  ton de conteur inégalable, il ponctue  d’onomatopées  pleines d’humour  les fanfaronnades de celui qui apparait comme un  grand naïf, rempli d’autosatisfaction, avant de déchanter. Héros positif pourtant, que ce loup que rien ne décourage !
L’illustration est un régal par les mimiques de chaque animal, croquées avec un humour jubilatoire. Le jeune lecteur sait toujours que rien n’est bien grave et identifie immédiatement les sentiments de chacun.
Ce bel album séduira  à coup sûr  les fidèles  amis  de loup gris, familiers de ses vaines tentatives pour apprivoiser le monde, mais celui-ci  aura sans doute un écho plus profond, puisqu’il incite à ne pas renoncer devant l’adversité, et à être porté par les encouragements de tous ceux qu’il aurait pourtant bien voulu berner.

Petite histoire de la calligraphie arabe

Petite histoire de la calligraphie arabe
Mohieddine Ellabbad
Le port a jauni 2019

L’écriture arabe dans tous ses états

Par Michel Driol

Tout commence par des légendes qui racontent l’invention de l’écriture arabe… avant d’en arriver à l’histoire. On apprend ainsi que l’écriture arabe est la lointaine descendante de la cursive araméenne. Puis on suit le patient travail des calligraphes pour rendre cette écriture plus lisible, pour rendre son écriture plus rapide ou plus esthétique. On en suit les variations géographiques, du monde Arabe à la Perse et à la Turquie. Bien sûr, cette écriture est liée aux mouvements religieux et politiques, et cela est explicité. On y apprend comment on devient calligraphe, de quels instruments on se sert, puis comment l’imprimerie, et l’informatique, ont modifié cette calligraphie…
Les éditions du Port a jauni proposent ici une véritable somme encyclopédique qui permet d’aborder, dans une langue simple, mais précise et qui n’a pas peur des termes techniques, cette histoire d’une écriture. L’ouvrage est magnifiquement illustré, à la fois d’exemples commentés de calligraphies, d’objets, d’enveloppes, de photos, de reproductions de journaux, de signatures… L’érudition ici va de pair avec l’humour de certains dessins de Mohieddine Ellabbad. Bien sûr l’ouvrage, comme tout livre arabe, se lit en commençant par « la fin ».
C’est aussi l’occasion de rencontrer l’auteur, décédé en 2010 au Caire, dont c’est ici un ouvrage publié de manière posthume. Mohieddine Ellabbad, l’une des grandes figures de la littérature de jeunesse du monde arabe, est un auteur qui, par sa réflexion, ses exigences, a contribué à faire naitre une nouvelle littérature de jeunesse en Egypte. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur cet auteur, les Editions du Port a jauni ont aussi publié son autobiographie graphique, sous le titre Le carnet du dessinateur.
Voyage dans l’histoire, dans la géographie, dans les techniques, cette Petite Histoire de la calligraphie arabe est un grand livre qui répond à de nombreuses questions sur l’écriture et permet de mieux connaitre et comprendre d’autres civilisations.

Hariki

Hariki
Lucie Félix
(Les Grandes personnes), 2019

Jeu-Leçon de chose pour tout petits

Par Anne-Marie Mercier

Les albums de Lucie Félix publiés depuis 2012 chez (Les Grandes personnes) offrent chaque année un délice nouveau. Après Coucou publié l’an dernier, Hariki surprend encore par son inventivité, sa drôlerie et sa perfection graphique.
Après un incipit invitant ( « J’avais trois Harikos, harikos chéris, mais ils se sont sauvés. Aide-moi à les retrouver »), les doubles pages présentent un, puis deux, puis trois (on a donc un album à compter) harikos de couleurs différentes (on a donc un album qui présente les couleurs) ; ils ne veulent pas dormir : comment faire ? (on a donc une situation miroir) Un autre arrive, de forme différente, « molle, bizarre » (observation de formes). L’intrus est chassé (idée de tolérance ?) ; il revient avec un autre encore différent pour former avec des harikos de nouvelles formes : image de la symbiose des cellules (c’est donc un livre sur le vivant).

Mais c’est surtout un livre jeu, un livre objet en carton épais et aux bords arrondis à manipuler : il y a  des reliefs à caresser, des formes à faire glisser le long de rails, un texte drôle et rapide, des couleurs éclatantes.

Hurluberlures d’une grand-mère pas très sage

Hurluberlures d’une grand-mère pas très sage
Françoise Coulmin – Séverine Perrier
Motus 2019

Comme une recette du bonheur

Par Michel Driol

Le livre donne d’abord quelques recettes en cas d’insomnie : recettes, comme le titre l’indique, pas très sages et quelque peu burlesques ou farfelues. Puis suivent d’autres recettes de choses à  faire, quand on est éveillé, la dernière étant se préparer à écrire un poème… Mais, quand toutes les conditions sont remplies pour l’écrire, peut-être a-t-on envie d’autre chose : réaliser un dessert nuage qui rendra heureux toute sa vie…

Un grain de folie plane sur cet album drôle et malicieux. Plaisir des mots, plaisir des actes défendus en temps normal, plaisir de la transgression : la grand-mère propose des listes de solutions, de choses à faire qui tiennent de l’inventaire à la Prévert et d’une envie de liberté sans contrainte, de magie à hauteur d’enfance où tout peut se mêler, de monde à l’envers où la sagesse traditionnellement prêtée aux grand-mères est devenue folie douce. Avec une grande poésie, le texte développe cet univers proche de celui d’Alice au pays des merveilles, où l’on croise des dragons, des limaces, où l’on guette les signes du poème à venir. La graphisme lui-même est pris de cette folie : taille et couleur des lettres, lignes d’écriture brisées, circulaires, ondulées Tout participe de cet univers burlesque, sorte d’éloge de la folie pour lutter contre une trop grande sagesse, invitation à utiliser les forces de l’imaginaire contre un réel trop contraignant.

Les collages de Séverine Perrier sont des petites merveilles et composent un monde surréaliste, farfelu et plein de douceur. On y cherche la petite bête, le petit détail qui font jubiler au sein d’un univers onirique qui n’a rien d’inquiétant.

Un album qui serait comme un éloge poétique de la folie.

Petit Garçon

Petit Garçon
Francesco Pittau – Illustrations de Catherine Chardonnay
MeMo Petite Polynie 2019

Fantastique enfance

Par Michel Driol

Une dizaine de textes pour raconter quelques épisodes de l’enfance d’un personnage qu’on ne nommera que « Petit Garçon ». Façon d’en dire à la fois l’universalité, et, d’une certaine façon, la taille et l’âge très indéfini ici puisque l’on va du jardin d’enfants à la perte d’une dent de lait. Il est question de choses ordinaires, comme les relations avec les parents, les jouets, les activités comme le dessin, les accidents comme la fièvre.

C’est du ton que ce recueil tire son originalité. Car, si les situations évoquées sont assez fréquentes dans l’enfance, le recueil bascule dans l’imaginaire, le fantastique et le merveilleux de la vision du monde d’un enfant. Petit Garçon se métamorphose en mouche, donne abri à un morceau de nuit qui s’est endormi au lieu de repartir le jour venu, pénètre dans son dessin après avoir discuté avec les personnages bancals qu’il a créés, perd son reflet et part à sa recherche dans un monde étrange, voyage sur la lune. Même ses jouets préférés, ses amis, un crocodile, un hippopotame et un chien vivent des aventures extraordinaires dans une forêt inquiétante qui n’est autre que le lit, terrorisés par une main géante qui s’empare d’eux. Tout est donc jeu, mais le jeu a toujours quelque chose de très sérieux pour les enfants. Il est donc ici question d’identité, d’intégrité corporelle, d’un univers mouvant où tout peut se transformer. On songe en lisant certaines nouvelles à l’univers d’Arnold Lobel pour la façon de dire ce monde de l’enfance, fait de questions existentielles, de naïveté, de poésie et de merveilleux, dans une langue simple et accessible à tous.

Quant aux illustrations, elles semblent faites aux crayons de couleurs, ou aux feutres, et reprennent les codes du dessin enfantin avec humour et expressivité.

Un recueil de textes pour grandir debout, et partager ses sensations d’enfant.