Le Fantôme de Suzanne Fougères

Le Fantôme de Suzanne Fougères
Marie Desplechin
L’école des loisirs (Neuf), 2024

Fantôme mon amie

Par Anne-Marie Mercier

Le fantôme est en vogue ces temps-ci. On ne s’en plaindra pas, surtout lorsqu’il inspire à Marie Desplechin un roman sensible et drôle. Tout commence pendant la fête d’Halloween, bien sûr. La jeune Inès, en vacances à la campagne chez sa grand-mère, râle encore une fois parce que celle-ci lui fabrique un déguisement, alors que ses camarades auront tous, croit-elle, « des vrais déguisements achetés en magasin ». En plus, ce sera un déguisement de fantôme (juste un drap avec des trous) alors que « tout le monde s’en fiche des fantômes », dit Inès.
Eh bien non. En tout cas les fantômes n’aiment pas qu’on se fiche d’eux, surtout pas celui de Suzanne Fougères, morte en 1919 à l’âge de dix ans, dont la tombe se trouve dans le cimetière du village. A partir de cet instant, la voix de Suzanne suit Inès partout, elle la hante, avant de demander à devenir son amie et de la suivre jusque chez elle, à Paris et jusque dans son école, se manifestant de plus en plus bruyamment et parfois violemment…
Suzanne a une demande, impérieuse : elle veut savoir ce qu’est devenue sa mère qui visitait régulièrement sa tombe et puis a disparu. Ainsi, le récit fantastico-comique se mue en une enquête menée par deux amies (Inès a rallié son amie Colette à sa cause) et surveillée de loin par un corbeau dont on apprendra en fin de roman la raison.
Les dialogues sont drôles et enlevés, et les situations familiales contemporaines compliquées à souhait, tout ce en quoi Marie Desplechin excelle (Verte et ses suites, Le Journal d’Aurore… Ici, le père vit avec une autre femme qu’Inès déteste), sans gommer totalement le tragique de la mort de la petite Suzanne et la solitude pathétique de son fantôme, heureusement levée grâce aux deux amies.

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Le Journal d’Aurore

Mon petit sapin de Noël

 Mon petit sapin de Noël
Jane Chapman
L’Elan vert 2024

Un Noël dans la forêt

Par Michel Driol

Les blaireaux, les lapins, Papa Ours et Petit Ours cherchent des sapins de Noël dans la forêt. Pour Petit Ours, ce sera le petit sapin qui l’a retenu après une cabriole dans la neige. On déracine les sapins, on les conduit chez les uns et les autres,  et on assiste à la décoration de Petit Sapin dans la famille ours. Quand, après Noël, il faut tout ranger, Petit Ours est triste, mais on replante les 3 sapins dans le jardin… et on attend l’année suivante !

L’album évoque avec tendresse la préparation des fêtes de fin d’année, l’excitation qui règne, le plaisir de la décoration du sapin, dans une perspective durable, puisque le sapin sera replanté et resservira l’année suivante. Le texte, qui fait la part belle au dialogue entre Papa Ours et Petit Ours, est simple à comprendre. Il montre l’amour et la complicité entre les deux personnages, complicité qui se retrouve entre Petit Ours et Petit Sapin. Le premier parle au second, le décore, se prend d’affection pour lui. Façon de dire et de montrer que le sapin est vivant…

Les illustrations s’inscrivent pleinement dans toute une tradition qui anthropomorphise les animaux. Certes, ils sont pour l’essentiel nus, à l’exception de quelques accessoires, comme le bonnet de Noël de Papa Ours, mais leurs terriers sont de véritables maisons, meublés sommairement, mais on voit tout de même un poêle, un fauteuil, et surtout tous les accessoires de Noël : guirlandes, rubans… donnant l’impression des intérieurs « cosy ». d’un cottage anglais. En filigrane, c’est aussi un album qui parle du temps qui passe, de l’attente, de ce que représente une année à hauteur d’enfant, et de la séparation…

Un album de Noël tout en douceur qui fait l’impasse sur le père Noël pour mettre l’accent sur le bonheur d’être ensemble et de préparer la fête rituelle.

Loups

Loups
Elena Selena
Gallimard Jeunesse 2024

Au royaume des loups

Par Michel Driol

Deux petits louveteaux explorent la forêt, la nuit, sensibles aux bruits et aux senteurs, percevant la présence d’autres animaux, avant de retrouver leur meute et de chanter sous la lune.

En cinq pop-up, Elena Selena retrace ce voyage initiatique des deux louveteaux, leur liberté dans ce monde nouveau qu’ils découvrent  au cœur d’une nature pleine de vie. Le texte, pris en charge par les deux loups narrateurs, est d’une grande concision, mettant l’accent sur les plaisirs de la vie au sein de la forêt. Dès lors, il laisse les lecteurs découvrir les nombreux détails qu’il n’évoque pas, détails représentés par les illustrations.  Les animaux, par exemple, parfois subtilement cachés, aussi bien les insectes que les mammifères. Les végétaux, depuis les grands arbres jusqu’aux petites fleurs. C’est ainsi tout l’univers de cette forêt qui est évoqué.

Les pop-up sont d’une grande beauté, donnant naissance à de véritables théâtres de papier très variés.  Cinq scènes se succèdent ainsi : une forêt, découpée en plusieurs plans, au milieu desquels se faufilent les louveteaux. Des feuillages dont leurs têtes surgissent à l’ouverture de la page. Une cascade qui s’étage sur trois niveaux. Les retrouvailles avec la meute, au milieu d’arbres  de toutes couleurs. Et enfin un paysage dominé par la lune, sur laquelle se détachent les silhouettes des deux frères.  L’ensemble forme une ode à la nature, à sa diversité, à sa beauté, avec, comme guides, les deux louveteaux admirablement croqués, les yeux toujours ouverts, signes de leur découverte du monde, de leur curiosité juvénile. Comment ne pas éprouver pour eux tendresse et sympathie ?

Une fois de plus, Elena Selena s’affirme comme une des grandes conceptrices actuelles de pop-ups, proposant des albums toujours en lien avec la nature qu’elle sait magnifier afin qu’on la respecte dans toute sa diversité.

Tout ce que le Père Noël ne fera jamais

Tout ce que le Père Noël ne fera jamais
Noé Carlain – Ronan Badel
L’élan vert 2024

Père Noël à contre-emploi

Par Michel Driol

Voilà un album qui propose une série de situations dans lesquelles le Père Noël ne se trouvera jamais.  Faire sa tournée en skate, se tromper de cadeaux, déballer les cadeaux et jouer avec ou encore confondre Pâques avec Noël.  En contrepoint se dessine la figure d’un père Noël exact, infaillible, parfait !

Chaque page place le Père Noël dans une situation inattendue, burlesque, et drôle, en opérant un renversement  et en désacralisant la figure du père Noël, pour en faire un personnage carnavalesque. Un personnage qui perd son pantalon, fait sentir ses orteils, adopte des comportements enfantins en se situant dans l’excès…  Chaque page présente donc le père Noël – ou les autres personnages – avec beaucoup d’humour dans des attitudes pleines de vie et de mouvement. Parmi les personnages, les rennes occupent une place particulière, prompts à se moquer des bêtises du Père Noël, prompts à jouer des tours, à être surpris… On trouvera aussi les lutins, la mère Noël et ses sept enfants, et enfin les enfants humains, destinataires des cadeaux, impatients, inquiets, et surtout le lecteur de l’histoire qui en assure la chute, qualifié de cadeau dans un ultime renversement !

Un album qui renouvelle le genre des albums de Noël avec drôlerie, en jouant sur un personnage archétypal qu’il prétend rabaisser pour mieux l’ériger en modèle.

 

Au bord du monde

Au bord du monde
Emmanuelle Pirotte
L’école des loisirs (« Medium+), 2024

Roméo et Juliette en roulotte, Angleterre, XXe siècle

Par Anne-Marie Mercier

Elle a quinze ans, et lui dix-sept. Ses parents veulent la marier à un cousin qu’elle n’aime pas. Ils appartiennent à deux communautés qui se haïssent. Ils se rencontrent, s’aiment et s’unissent en se cachant… Non, ce n’est pas un remake de Roméo et Juliette, mais presque : elle s’appelle Trinity et elle appartient à une communauté de gitans. Il s’appelle Terrence, il aime la poésie de John Donne, et les chansons de Lana del Rey et de Bowie ; il s’apprête à intégrer l’université d’Oxford. Elle est hardie, volontaire, « grande gueule » ; elle a arrêté depuis peu ses études mais regrette « Shakespeare et les équations du second degré, et surtout le club Théâtre où elle jouait, dans Le Songe d’une nuit d’été, le rôle de Titania, reine des fées ; elle se révolte lorsque son père décide qu’il faut la marier prochainement comme le veut la tradition, et qu’on lui propose un cousin dont elle ne veut pas. Il est timide, il a peu d’amis et encore moins d’amies ; il est maltraité à l’école et encore plus chez lui, par son père, une brute qui le martyrise et le séquestre même.
Lorsqu’il s’enfuit, sa route croise la route de Trinity et c’est sans doute cela qui le détourne d’un suicide possible. Trinity, à bord d’une roulotte, s’éloignant de sa famille et de ce qu’on veut lui imposer, le recueille et le découvre. La confiance nait, l’amour se déploie et peu à peu les corps s’unissent, avec délicatesse et passion.
C’est un très beau texte, écrit tantôt dans un style poétique, tantôt dans des dialogues vivants, sans verbiage et rythmé par une belle bande son. C’est une très belle histoire d’amour et de découverte mutuelle, tout en tendresse. C’est aussi le récit d’une errance, dans la forêt puis sur les routes du Yorkshire, en direction de l’Écosse et d’une survie aventureuse faite autant de rencontres que de solitude, sans portables. Progressivement, cela devient le récit d’une fuite : la police et la famille de Trinity les traque. On les retrouve à Malham Cove, lieu de la fuite des héros dans le film Harry Potter et les reliques de la mort. Ils se plantent tout en haut de la falaise et attendent leurs poursuivants…

La Folle et Incroyable aventure du Chevalier Léon

La Folle et Incroyable aventure du Chevalier Léon
Vincent Mallié
Margot, 2024

A l’assaut, sur mon escargot !

Par Anne-Marie Mercier

La couverture de l’album résume le propos, mi-sérieux mi-amusé : si le fond sombre et légèrement gaufré et le cadre doré autour de l’image semblent proposer un récit fleurant bon la tradition du temps des chevaliers imaginés par Madame Bovary et ses sœurs, l’image elle-même dément tout cela : le chevalier est une souris et il chevauche un escargot.
Tout le reste imite les « enfances » de chevaliers : la vocation de Léon dans une famille terre-à-terre qui ne comprend pas d’où lui vient cette envie (comme dans le cas de Perceval), son but : délivrer une princesse, et son urgence : être adoubé par un roi.
Le roi en l’occurrence est une grenouille, qui lui promet son aide quand elle aura retrouvé sa forme, et la princesse est une petite sorcière souris qui n’a pas besoin d’aide, à part pour faire la cuisine, le ménage, etc., toutes tâches dont le valeureux souriceaux s’acquitte de bon cœur, jusqu’à ce qu’il se sente obligé de reprendre sa quête.
Mais alors, repartant sur son fidèle coursier, il assiste à l’enlèvement de sa jolie sorcière par un monstre, appelé « le Seigneur de la forêt » ; voilà la quête enfin trouvée. Les surprises qui l’attendent sont à hauteur d’escargot ; elles se répètent jusqu’au dénouement… heureux, comme dans les histoires de chevaliers qu’on racontait aux enfants et aux jeunes filles. Balais magiques, glands qui parlent, et rencontres décevantes où l’on parle de la pluie et du beau temps égaient ce joli récit. Il est rythmé avec une alternance de pleines pages et de vignettes charmantes ou comiques et illustré avec talent et simplicité.

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Les Larmes du tigre

Les Larmes du tigre
Agnès Domergue, Sande Thommen
Grasset jeunesse, 2024

« Tyger, tyger, burning bright
In the forests of the night,
What immortal hand or eye
Could frame thy fearful symmetry?  »
W. Blake *

Par Anne-Marie Mercier

« Quand j’étais petite, je vivais dans un pays qui s’appelait le royaume de Tigre. Une terre sauvage et chaude, à l’abri du reste du monde. Dans toute cette poussière Tigre était mon ami. J’étais son amie. Nous étions inséparables ».
La première double page fixe ainsi le cadre : c’est un moment d’enfance qui est à la fois un temps, un espace et une amitié. Tigre et l’enfant font tout ensemble, ils se promènent, se baignent, se reposent, tout cela dans une jungle en images ; la vie est faite de plaisirs et d’émotions partagées. Mais un jour, « ils » sont arrivés et ont arraché l’enfant à Tigre. La séparation est figurée dans une barque qui l’emporte, avec des personnages adultes inscrits en creux dans l’image, inexistants et trouant pourtant le bleu de l’eau. On retrouve l’enfant dans son « nouveau pays », incluse dans une file d’écoliers, portant une écharpe aux motifs tigrés, puis en adulte vêtue d’un même tissu,  exploratrice sur les traces de son ami.
Mais plus qu’une histoire d’enfant sauvage, c’est celle de la construction d’une amitié imaginaire : la petite fille semble vivre seule avec le tigre, aucun autre humain n’apparait. Seul le discours est un rappel de la réalité : « il y a les autres aussi », dit Tigre. L’enfant répond : « Toi et moi c’est tout ce qui compte ! ». A plusieurs reprises la narratrice affirme qu’elle ressemblait à Tigre. On peut renverser la phrase et dire que Tigre est une projection d’elle-même. Tigre lui révèle cependant que les larmes font une différence entre eux : les animaux ne pleurent pas. Ainsi, à plusieurs reprises, c’est l’ami imaginaire qui pose des limites à la fantaisie. Pour effacer toute séparation le désir de la narratrice sera de voir pleurer Tigre, de joie, en la revoyant. Ce sera réalisé dans son cœur… et dans l’image.
Simplicité du dessin, couleurs chatoyantes en beaux dégradés, animaux cachés un peu partout, une dominante de verts et de bleus, tout  donne aux images de cet album, où les doubles pages se déploient en grand format, une allure de paradis exotique du douanier Rousseau. Le tigre, souriant comme un chat, a l’allure d’une grosse peluche et illustre bien les ambivalences du désir d’ami imaginaire : un ami qui est comme nous, et qui peut aussi nous manger, mais qui ne le voudra pas.

* Traduction française et suite

 

Le Sang d’encre

Le Sang d’encre
Nena Labussière
Rouergue, 2024

Super Saga

Par Anne-Marie Mercier

Gros pavé (589 pages) ! Mais on ne s’en plaindra pas : quel beau et long voyage vers les royaumes des Terres-mêlées. Comme dans tout bon embarquement vers les géographies imaginaires, on trouve une carte de ces terres et de ces mers ; et comme l’intrigue est complexe et les personnages nombreux, on a même une liste des personnages, classés par ville d’appartenance. Cette répartition est importante : comme dans le royaume de Game of Thrones (Le Trône de fer) de R. R. Martin, le pouvoir détenu par un roi est disputé par des seigneurs locaux. L’un d’eux aurait même dû selon la coutume voir son héritier succéder au roi actuel, la loi ayant organisé une alternance, mais il semble être pacifique, grand ami du roi et accepter que l’autre famille monopolise le pouvoir, tout le monde se demande pourquoi (on le saura au milieu de ce tome). Quant à sa fille et à sa femme, ce sont encore d’autres histoires. Quant au troisième, il brigue le trône sans y avoir aucune légitimité et s’en passe bien, comme d’autres formalités selon lui inutiles, et mine le royaume sournoisement malgré la surveillance de la sœur du roi, redoutable cheffe de guerre. Le roi est vieux et triste. Sa mère était un monstre de cruauté. La reine est morte mystérieusement.
Comme dans la série citée, chaque ville a sa culture et son climat ; les terres qui les séparent forment autant de paysages divers, forêts sauvages, plaines désertiques, rivages. Le récit commence au moment où une curieuse épidémie décime la population et menace la vie du prince héritier : la peau se dessèche en écailles qui laissent couler un sang noir d’encre. On fait appel à Olga, une jeune guérisseuse, une enfant trouvée élevée par une vieille soigneuse. Elle-même prend pour assistant un ménestrel fantasque passionné par les légendes anciennes et les récits qui concernent les fées, les redoutables Fata qui semblent ne pas avoir totalement disparu… Olga soigne gratuitement le peuple, s’allie avec le personnel des cuisines, libère les prisonniers et les embauche dans son infirmerie. Pendant ce temps la femme du riche Sénéchal intrigue ; elle a des pouvoirs mais c’est Olga qu’on accusera de sorcellerie…
Au fil des chapitres, l’horizon s’assombrit et les forces du Mal grandissent… Il y a de quoi se faire un « sang d’encre ». Enlèvements par des brigands, attaques de pirates sur les mers, assassinats en série, histoires d’amour trahies, complots, révélations… Rien ne manque pour procurer des rebondissements multiples et un suspense permanent qui n’empêche pas des détours plus rêveurs, parfois poétiques. Ainsi, la tour dans laquelle se trouve la bibliothèque et sa réserve des livres interdits devient, comme dans Le Nom de la Rose, le pôle de toutes les questions et de quelques réponses, et le bibliothécaire archiviste joue un drôle de jeu. On explore les langues des anciens mondes, les plantes mystérieuses ou communes, on savoure les mots rares ou oubliés.
Les personnages, variés, de tous âges et de toutes conditions, sont attachants. Ils sont souvent surprenants, mêlant forces et faiblesses, vices et vertus (pour certains). Ils portent un regard contrasté sur les institutions de leur temps. Le Moyen-âge rêvé par cette série est certes un pur décor mais il a tout ce qu’il faut pour que le récit se tienne tout en empruntant autant aux contes qu’à la tragédie shakespearienne ou à la fantasy moderne. Après Le Royaume de Pierre d’Angle, en 2019, petite merveille, les Éditions du Rouergue proposent une autre série reprenant de vieux thèmes de façon originale, tout à fait passionnante.
A suivre !

Si j’étais un oiseau

Si j’étais un oiseau
Barroux
Little Urban 2025

Pour faire le portrait d’un enfant

Par Michel Driol

Le texte de chaque double page commence par l’anaphore Si j’étais un oiseau… Puis, au conditionnel, s’affirment les propositions. Il y est question de bonne humeur, de voyage, d’émerveillements, de fruits à manger, de temps passé  à observer les libellules, ou les grenouilles, de vie en lien avec la nature, porté par les vents. Puis les références se font autres : survoler les murs, les frontières et les barbelés,  être moins méfiant envers les autres, accueillir du monde chez soi, ne pas se laisser enfermer. Vient alors la chute. Mais je suis un enfant… le nez au vent et la tête dans les nuages !

Nombreux sont les textes, les poèmes, qui associent l’enfant à l’oiseau. On songe à Prévert, bien sûr, à Hugo aussi, et, dans un autre genre, à la chanson de Marie Myriam. C’est dans cette tradition là que s’inscrit de recueil de Barroux, construit autour d’une solide anaphore qui invite à se projeter dans un autre monde.  Monde de découvertes, de plaisirs, dans lequel on peut s’affranchir des contraintes. On retrouve bien là l’oiseau symbole de liberté, liberté d’aller et venir, oiseau qui se refuse à toute cage qui l’emprisonnerait. Mais cette liberté s’associe avec une curiosité, curiosité envers les autres, par-delà la barrière des espèces, curiosité envers les plaisirs de toute sorte. C’est un recueil à la fois plein d’hédonisme et de sens du partage, écrit dans une langue d’une grande simplicité, très concrète dans ses notations, précise dans son lexique, dans sa façon d’évoquer les vents, la rosée ou les ronces piquantes…   La chute, attendue, clôt cette série d’anaphores avec malice, montrant à quel point l’enfant et l’oiseau partagent en commun , sur un plan métaphorique cette fois, deux qualités fondamentales,  le nez au vent et la tête dans les nuages. Si j’étais un oiseau fait, en fait, le portrait d’un enfant libre, curieux, ouvert, rêveur, attentif.

On apprécie le grand format de cet album, qui permet aux illustrations de Barroux  de se déployer dans des doubles pages pleines d’imagination et de poésie. Voyez, par exemple, comment le chant de l’oiseau semble repris par toute une chorale de chats citadins. La nature, représentée à toutes les saisons, de jour comme de nuit, affiche sa luxuriance, ses tendres couleur pastel, dans des cadrages toujours surprenants et inattendus. Si l’on suit de page en page un oiseau rose, toujours tourné vers la droite, vers le futur,  les oiseaux y sont multicolores, comme les fleurs.

Un recueil de poésie qui parle de liberté, de fraternité, d’ouverture aux autres et d’espoir dans l’avenir et dans les enfants. Du grand Barroux !

Vivre la ville

Vivre la ville
Pauline Ferrand
Grasset Jeunesse 2024

Quand on explore la ville…

Par Michel Driol

Il faut d’abord explorer le coffret, et en extraire un leporello imprimé recto verso, représentant  une foule de gens actifs, qui à pied, qui en vélo, qui en voiture ; des scènes urbaines animées, colorées, vivantes.  Puis 18 cartes, imprimées recto verso, des cartes de trois couleurs, comprenant à la fois du texte et une étrange découpure. Enfin une carte mode d’emploi, indiquant comment superposer les cartes, dans l’ordre, sur le leporello, pour donner naissance à 6 histoires.

Six histoires aux titres évocateurs : coup de foudre amoureux, les joggeurs, les bonjours de mauvaises journées, ode à la distraction, la révolution des enfants, mamie et Colette. Six histoires qui tantôt évoquent le temps long d’une histoire d’amour, ou le temps court de la promenade d’une vieille dame et de sa chienne.  Six histoires pour parler des rituels urbains, le bonjour obligatoire quand on voudrait le silence, ou les multiples choses à observer dans la ville. Six histoires pour parler des enfants dans la ville, de leur destin tracé ou pas selon leur genre, et de la destination de tous ceux qui courent.  Six regards pour explorer les multiples facettes de la ville, de ses habitants qui s’y côtoient sans se connaitre et y mènent des vies parallèles

Le dispositif est original et signifiant.  D’un côté, il y a comme une sorte de réalité urbaine, désordonnée, fouillis, incompréhensible dans sa diversité et son foisonnement. De l’autre, il y a le récit qui en isole des facettes, l’organise, lui donne sens grâce au langage.  Chaque panorama peut ainsi être éclairé de façon différente, invitant à aller au-delà des apparences pour lui donner du sens, le sens de l’existence de ces individualités qui se croisent, et dont on connait, ou pas, les buts, les ressorts, les destins.

Vivre la ville, un livre objet qui s’apparente à un livre d’artiste, un livre dont la structure est porteuse d’un regard poétique plein d’humanité sur celles et ceux qui se croisent, sur les vies minuscules qui forment un grand tout.

Lire aussi la chronique d’Anne Marie Mercier