L’Étrange cas Origami Yoda

L’Étrange cas Origami Yoda
Tom Angleberger
Traduit (Etats-Unis) par Nathalie Zimmermann
Seuil, 2012

« Lire ce livre tu dois » : « Trop drôle il est »

Par Anne-Marie Mercier

J’avais beaucoup ri en lisant le troisième volume de cette L’Étrange cas d’Origami Yodasérie, et c’est vrai aussi pour le premier : les propos inscrits en quatrième de couverture ne mentent pas.

Cela n’exclut pas, comme dans le premier, une part de gravité. Dennis, le collégien qui répond aux questions que se posent ses camarades de collège, garçons et filles, en faisant parler un origami imitant la forme du Yoda de Star wars, est « bizarre », limite idiot, sauf en maths. Il pourrait même être qualifié d’asocial (ou autiste ?) s’il n’avait pas sa bande d’amis. Tout en reconnaissant qu’il dit parfois des choses étranges, mange très salement, est imprévisible et inquiétant, fait toujours des choix catastrophiques (contrairement à son Yoda), ils le protègent – ce qui n’exclut pas des moments de faiblesse et même de trahison – et sont fascinés.

La polyphonie du volume est aussi intéressante : l’ouvrage est présenté comme une enquête menée par l’un d’eux, Tommy, recourant à des faits, des témoignages, des contre expertises (ainsi, Harvey, qui ne « croit » pas au Yoda, commente chaque épisode). Il s’agit de savoir si le Yoda de Dennis a un réel pouvoir de divination et de sagesse (s’il « existe ») ou si ce n’est qu’une boulette de papier. Chaque chapitre présente un événement raconté par un personnage différent, celui qui a posé la question à Yoda dont traite le chapitre. Les questions autant que les réponses sont très cocasses et à la fin tout lecteur en Yoda « croire ne peut que » (oui, la voix qui fait parler Yoda imite sa syntaxe).

Que la force avec vous soit !

Sissi, Journal d’Élisabeth,

Sissi, Journal d’Élisabeth, future impératrice d’Autriche, 1853-1855
Catherine de Lasa
Gallimard (« Folio junior », « Mon histoire »), 2015

Sissi : un culte toujours actif ?

Par Anne-Marie Mercier

sissi 2Le roman de Catherine de Lasa est léger pour de multiples raisons : les soucis de la narratrice sont d’un tout autre ordre que ceux de l’héroïne de Yaël Hassan (voir chronique précédente) et rejoignent les thématiques fréquentes du roman pour adolescentes (préoccupations du paraître, de la place à tenir dans la société, des sentiments, du mariage, des contraintes de l’éducation…).

L’histoire qu’elle développe est bien connue et colle en partie au souvenir qu’on peut avoir du film de 1955 ou Romy Schneider incarnait la future princesse, film qui a pérennisé la fortune de cette histoire si célèbre en son temps (on apprend dans le dossier que c’est Sissi qui lança la mode de la robe blanche, à son sissi 1mariage).

Mais il y a quelques décalages entre le livre et le film, notamment sur le moment et les circonstances de la rencontre avec François Joseph, futur mari de sa sœur. Tout cela n’innocente pas autant l’héroïne, même si la question est traitée avec une certaine discrétion : on ne critique pas une idole (et il faut des héros « positifs » – dit-on !). Enfin, la présence des nationalisme (notamment hongrois) est traitée de manière intéressante et vivante – et on apprend que si on veut être princesse il faut non seulement apprendre à danser mais aussi savoir parler quelques langues étrangères : bonne motivation pour les collégiennes (et les collégiens?).

 

J’ai fui l’Allemagne nazie. Journal d’Ilse, 1938-1939

J’ai fui l’Allemagne nazie. Journal d’Ilse, 1938-1939
Yaël Hassan
Gallimard (« Folio junior », « Mon histoire »), 2015

Sissi, Journal d’Élisabeth, future impératrice d’Autriche, 1853-1855
Catherine de Lasa
Gallimard (« Folio junior », « Mon histoire »), 2015

Grande Histoire et petits histoires d’adolescentes 

Par Anne-Marie Mercier

La collection « mon histoire » de folio junior se refait une jeunesse (notons que les nouvelles maquettes n’apparaissent pas encore dans le catalogue sur le site de cet éditeur :

Ces deux rééditions montrent en partie les deux voies que suit cette collection. Le principe général est de raconter la grande histoire à travers la petite, grâce au témoignage d’un personnage enfant ou adolescent (j’avais beaucoup apprécié l’histoire de l’apprenti de Gutenberg). Parfois le personnage (féminin, ce qui donne un point de vue de coulisse) est proche des sphères du pouvoir, dans d’autres cas (on y trouve davantage de garçons) il est en situation précaire et lutte pour sa survie. Catherine de Lasa (voir chronique suivante) s’est fait une spécialité de la première, Isabelle Duquesnoy également pour certaines de ses œuvres. Yaël Hassan explore plutôt la deuxième voie.

Le Journal d’Ilse est un beau roman, intéressant (une histoire ahurissante et peu connue, celle du bateau Le Saint-Louis qui transportait des juifs allemands vers Cuba entre 1938 et 1939, destination qu’il s n’atteindront pas. Mais le récit commence bien avant, lors de la « Nuit de cristaljournal ilse ». L’auteure prend donc soin de justifier la tenue de cet écrit particulier : Ilse écrit pour conjurer la peur qui s’est installée dans sa famille. Elle donne à son récit un rythme irrégulier, ponctué de temps forts, de moments d’abattement, de retour sur soi, ou de long silences dont on apprend un peu plus tard la raison. Les émotions d’Isle, ses espoirs et ses déceptions, ses rencontres qui développent des histoires qui auraient pu être d’amour en d’autres temps ou d’amitiés trahies ou fidèles permettent d’incarner bellement le récit historique et faire saisir de l’intérieur ce qu’on peut éprouver quand notre communauté est mis au ban de l’humanité.

La Fille qui navigua autour de Féerie dans un bateau construit de ses propres mains

La Fille qui navigua autour de Féerie dans un bateau construit de ses propres mains
Catherynne M. Valente
Traduit (Etats-Unis) par Laurent Philibert-Caillat
Illustrations d’Ana Juan
Balivernes, 2015

Sur la mer des histoires

Par Anne-Marie Mercier

Quelle bellCouvRVB_LaFilleQuiNaviguaAutourDeFeerie_10cme surprise et quels merveilleux moments de lectures ! « Moments » est au pluriel car c’est un livre qui se déguste, qui infuse, qu’on n’a pas envie de finir, enfin un livre rare. Cela ne signifie pas qu’il n’a pas d’intrigue : l’héroïne, une fois enlevée sur les ailes du vent vert, fuyant les « tasses à thé roses et jaunes et les petits chiens affables », a bien des obstacles à surmonter pour entrer dans Féérie, retrouver des objets perdus par des sorcières, résoudre des énigmes, sauver ses amis échapper aux manipulations de la Marquise tyrannique qui règne sur ce monde, retrouver la bonne Reine mauve (à moins que les deux n’en soient qu’une), et tout simplement survivre à de nombreux dangers, le pire étant représenté par la forêt d’automne qui la transforme un temps en arbre mourant, se dépouillant peu à peu de ses feuilles et de ses branches.

L’héroïne s’appelle Septembre, elle porte une robe orange, et la veste verte laissée par le vent. Une atmosphère automnale domine: nostalgie des choses au moment où elles étaient dans tout leur éclat, impression d’une fin imminente… Les amis qu’elle rencontre sont étonnants et tous en quête d’un objet ou d’un être perdu : la merveilleuse Lessive qui vous plonge dans des bains qui vous lavent du passé et vous insufflent du courage, le surprenant Vouivriothèque, A-à-L, mélange de vouivre (proche du dragon) et de bibliothèque, qui sait tout ce qui dépend des mots de la première moitié de l’alphabet, un garçon de pierre bleu…

Si le livre est épais, il peut se lire en étape ; chaque chapitre est consacré à la découverte d’un monde et de la logique surprenante, de ses habitants étranges. Il y a beaucoup de l’univers d’Alice, de nombreux clins d’œil, comme à celui de Lewis (un placard permet de passer entre les mondes), mais aussi un grand nombre d’inventions surprenantes et poétiques. Poétique aussi le style, avec une traduction merveilleuse qui crée un rythme, une musique prenante. Quant aux illustrations elles sont à la hauteur du livre, originales, touchantes, un peu grinçantes… elles sont entre Rébecca Dautremer et  Teniel, proprement merveilleuses.

A conseiller à tous les amateurs de féérie un peu cruelle et décalée, petits et grands !

 

 

 

Te souviens-tu de Wei ?

Te souviens-tu de Wei ?
Gwenaëlle Abolivier  (texte) – Zaü ( illustrations)
HongFei Editions 2016

On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve

Par Michel Driol

weiDans le cadre du centenaire de la Grande Guerre, les éditions HongFei donnent à voir un épisode peu connu : l’arrivée en France de  travailleurs chinois, envoyés alors derrière les lignes de front pour ramasser les morts, les enterrer, creuser des tranchées, construire des voies ferrées, ou devenir mineurs.  Sur les 140 000 envoyés en France,  entre 1916 et 1918, 20 000 trouvèrent la mort, 2000 restèrent en France.  En France, le cimetière de Nolette, dans le Nord, compte 843 stèles et constitue la plus grande nécropole de travailleurs chinois en France.

L’album se compose de deux parties : l’une fictionnelle, autour du personnage de Wei, dont on suit le trajet depuis la Chine, sur le bateau, à l’arrivée à Marseille, puis en baie de Somme, dans le froid et sous les obus, l’autre documentaire, permettant de donner de la résonance à cette histoire singulière.

Gwenaelle Abolivier signe un texte particulièrement réussi, dans une forme poétique, autour de deux anaphores « Te souviens-tu » puis « Souviens toi » , comme une façon de conjurer l’oubli qui entoure ces 140 000 chinois, La dernière page assume la filiation et la transmission : le destinataire est un descendant de Wei – « C’était le grand-père de ton grand-père ». A travers anaphores, comparaisons et métaphores, il s’agit pour l’auteure de rendre sensible le personnage de Wei, ses rêves, ses souffrances, la durée du voyage et ce qu’il a dû endurer, en se situant sur le terrain de l’évocation,  avec des mots simples à l’image de cet homme simple qu’était Wei. Rien de grandiloquent, juste un récit de vie, de souffrance, d’humilité, de travail et de rêves brisés.

Les illustrations de Zaü sont elles-aussi d’une grande qualité. Portrait de Wei, scènes de foule au débarquement du bateau, scènes de groupe dans les tranchées, les baraquements, le tout dans des dominantes sombres – qu’on soit sur la mer ou sur le champ de bataille, avec quelques taches claires, comme les stèles du cimetière de Nolette, ou les reproductions de photos évoquant l’après-guerre. Il y a là aussi comme une façon d’éviter le réalisme trop cru. Les illustrations finales, comme un écho au portrait du début, font se succéder le portrait de Wei jeune homme, armé de sa pelle, et le groupe de ses descendants, dans une scène d’hommage muet, toutes générations confondues.

Un magnifique album plein d’émotion, en forme d’hommage aux étrangers qui ont permis à la France d’être ce qu’elle est, et  qui contribue avec sensibilité au devoir de mémoire.

Red Queen

Red Queen
Victoria Aveyard
Le Masque (MsK), 2015

Super Cendrillon, ou la mort de la littérature

Par Anne-Marie Mercier

Pour écrire red queence récit de fantasy, l’auteur, dont c’est le premier roman, a bénéficié de nombreux conseils, si l’on en croit la page de remerciements, fort longue, qui le clôt. Le résultat laisse perplexe : des dialogues creux ou niais, des vraisemblances acrobatiques (même dans ce genre il en faut un minimum) et de nombreuses redites rendent sa lecture fastidieuse, et le personnage principal, une adolescente plus « ado » que nature et pourtant investie d’une mission cruciale ne donne pas envie de la suivre tant la narration qu’elle assume donne d’importance à son petit égo stupide, boursoufflé et autocentré.

Mais on se souvient que dans d’autres séries (celle d’Allie Condie par exemple) on avait cru comprendre que c’était un procédé qui permettait de montrer l’aliénation du début pour mettre en valeur l’épanouissement intellectuel et moral du personnage. Alors, on va un peu plus loin ; on fait comme les lecteurs pressés, une fois la patience épuisée, on saute des pages pour voir où ça mène… Et on se félicite d’avoir pu aller au bout de l’entreprise, voici pourquoi:

En résumé : on se situe dans un monde post-cataclysmique : l’humanité est divisée en deux catégories, celle des « Rouges » (qui ressemblent à l’humanité ordinaire), misérables, soumis à la conscription dans une guerre sans fin avec l’état voisin et exploités avec férocité par l’autre groupe, celui des « Argents » au sang… argent qui vivent dans le luxe et ont, selon leur famille, divers pouvoirs (invisibilité, télépathie, maîtrise de l’eau, du feu, de l’air…) qui les rendent quasi invincibles. Ce côté binaire est souvent exploité en dystopie, il est mis en évidence par le ressassement de la narratrice qui à longueur de page explique combien et pourquoi elle hait ces dominateurs – on devine assez vite que cette haine a une importance pour le récit. La narratrice, rouge, est sans talent particulier ni aptitude pour un travail quelconque, elle vole pour aider sa famille et ne se fait jamais prendre tant elle est astucieuse et agile, soit – on se demande à quoi servent les super pouvoirs de la police.

Elle se trouve par une suite de hasards (providentiels) serveuse au château justement lors de la fête du choix des épouses pour les deux princes. Par accident, elle dévoile qu’elle possède un pouvoir qu’elle ignorait (elle maîtrise l’électricité, ce qui est autrement moderne que de manipuler l’un des quatre éléments) et est immédiatement fiancée au plus jeune des princes. Vu le titre, on ne peut que s’inquiéter pour la survie de son aîné, ou pour la fidélité de sa mie, et on a raison sur les deux tableaux : cette jeune fille dont on nous dit qu’elle est tout à fait quelconque est convoitée par trois jeunes hommes (deux princes et un argent, ami d’enfance : un de plus que dans Twilight, tout de même !) tous bien déterminés, et elle est intéressée par chacun sans que cela soit dit nettement. Donc intrigue sentimentale éculée, personnage type de roman à l’eau de rose, passons, le concentré – pour ne pas dire la surenchère – en lui-même est intéressant.

Le côté original du roman tient dans ses décors, pas très originaux, mais mouvants, à l’image de ceux d’un jeu vidéo semé d’embûches ou d’un parcours d’obstacle comme ceux qui ont été popularisés par les films sur Indiana Jones. Il tient aussi à son action, même si le lecteur habitué aux ficelles les voit assez vite : la pauvre Cendrillon, non seulement doit porter des robes de princesse et suivre des cours de maintien (las !) mais elle affronte un monde cruel où tous les coups sont permis, et où faire souffrir autrui est un délice : les sœurs de Cendrillon sont cent, et elles sont dans le palais. Les multiples scènes de combat mettant en jeu les pouvoirs des Argents et la petite débutante qui doit apprendre à contrôler le sien (autre topos) feraient de belles scènes pour un film à effets spéciaux, avec non plus quatre mais une douzaine de types de « fantastiques » des studios Marvel.

On finit par comprendre qu’on cherchait de la littérature, ou du moins du roman, des personnages, des enjeux, là où il y a avant tout un scenario de film ou de jeu vidéo, pas mal au demeurant : mais alors, pourquoi gâcher tant de papier ?

 

Trööömmmpffff ou la voix d’Elie

Trööömmmpffff ou la voix d’Elie
Piret Raud
Rouergue 2016

Voix des sans-voix

Par Michel Driol

troElie est une oisèle qui n’a pas de voix, ce qui l’attriste : impossible de parler ou de chanter. Mais, un jour, elle trouve un drôle d’objet, une sorte de clairon, qui émet un  Trööömmmpffff quand on souffle. Le son n’est pas très joli, mais on vient de loin pour écouter Elie, jusqu’au jour où elle apprend que cet instrument appartient à Duke Junior, qui est infiniment triste de l’avoir perdu. Elie part à sa recherche, le retrouve, et, oh surprise ! voilà qu’il sort de l’instrument de la musique, belle et émouvante, qui console Elie d’être muette et la comble de bonheur.

Piret Raud, auteure estonienne,  entraine le lecteur dans un univers plein de fantaisie et d’émotion, qui conduit de la tristesse initiale d’Elie, privée de la parole, à son acceptation finale de son handicap, une fois qu’elle a éprouvé la plénitude de la musique, tout en faisant la différence entre le bruit – le « cornement » – que tire Elie de l’instrument, et la mélodie harmonieuse produite par Duke. Les illustrations marquent cette opposition: d’un côté quelques petits points tassés et surtout le Trööömmmpffff en caractères de plus en plus gros, de l’autre des nuages de points, espacés, de taille variable, remplis de fleurs, de feuilles, de nuages ou d’étoiles. Les illustrations, à l’encre, extrêmement fines et soignées, ne cherchent pas à représenter avec réalisme les animaux, ni à les anthropomorphiser de façon excessive : ils signent un univers original et poétique.

Une belle quête de la voix et de la musique qui donnera envie de faire découvrir Duke Ellington aux plus petits.

Voici l’histoire

Voici l’histoire
Sara Donati
Rouergue, 2015

Graines d’amitié

 Par Clara Adrados

Voici l'histoire« Voici l’histoire… », ainsi commence cet album très poétique de Sara Donati, qui invite le lecteur à suivre le narrateur dans l’histoire de Fante, Hydromel, d’une graine de plante, et d’une théière incomplète.

C’est une histoire qui ne se dit pas… Le narrateur introduit les personnages, puis laisse parler l’image. Les motifs, couleurs, accessoires, participent pleinement à la narration. Le lecteur est celui qui recompose les séquences illustrées pour les faire parler. Ainsi, l’histoire commence avant la page de titre, avec l’apparition des petits pois rose sur fond blanc, tels qu’on les retrouvera sura théière d’Hydromel et le « chapeau » de Fante. La graine, premier personnage, entraîne le lecteur dans l’histoire. Les plantes tissent un fil entre les personnages, jusqu’à les amener à se rencontrer, elles sont le moteur de l’action. Les plantes symbolisent aussi l’acte de lecture, le fil narratif que le lecteur se doit de recréer.

Place est faite à l’imagination, donc. L’image raconte. Nous sommes face à deux solitudes, face à une théière incomplète : uniquement le chapeau d’un côté, et seulement le bol de l’autre. Arrêtons-nous un instant sur les prénoms donnés aux personnages : Fante et Hydromel. La première a un prénom, homonyme du mot « fente ». Une fente est un espace qui laisse entrevoir un ailleurs, une possibilité. C’est aussi une ouverture par laquelle on peut sortir. La seconde, Hydromel, a un prénom à consonance magique. L’hydromel est une boisson composée d’eau et de miel, boisson douce, sucrée, rassurante. Boisson venant de la forêt, où habite Hydromel. Ces prénoms donnent le ton à l’histoire, emmènent le lecteur dans un univers magique, poétique.

Fante s’ennuie chez elle. Une plante fait son apparition à travers sa fenêtre, elle décide de la suivre. La teinte grisée des images dessinées au crayon à papier vont de pair avec une ambiance, un peu triste, comme éteinte, qui se dégage de la ville et de la maison de Fante. Seule cette dernière, avec son chapeau blanc à petit pois rose détonne et lui donne un air fantaisiste, joyeux. La forêt apporte sa couleur, verte. Petit à petit on laisse le gris pour le vert, couleur apaisante, couleur de l’espoir. Une fleur rose surgit sur une double page : la graine a germée, l’amitié est née. Jusqu’à la maison d’Hydromel, d’où sort la plante. Le jeu des couleurs prend son importance ici, avec un jeu sur les ombres (celle de Fante dans l’encadrement de la porte et celle d’Hydromel), un jeu sur la présence de Fante dans l’univers d’Hydromel. Les couleurs se mêlent, les ombres ne font plus qu’une. Une présence amicale, tant espérée par Hydromel.

Le narrateur reprend la parole pour dire ce que le lecteur a déjà deviné : la naissance d’une longue amitié entre Fante et Hydromel … et la théière qui retrouve son chapeau.

 

Poèmes pour Robinson

Poèmes pour Robinson
Guy Allix, illustrations de Alberto Cuadros
Soc et foc, 2015

Lettres d’amour grand-paternelles

Par Anne-Marie Mercier

poemespourrobinsonBouteille à la mer, lettre ouverte, création pour combler un vide, il y a un peu de tout cela dans ce recueil de poèmes. D’après le premier d’entre eux, ils portent la voix, réelle ou fictive, d’un grand-père s’adressant à son petit-fils qu’il n’a jamais vu et ne verra peut-être jamais.

Mots sur l’enfance et le lointain, sur la transmission impossible, mais aussi sur la vieillesse et le regret de devoir mourir seul (ou du moins sans l’enfance à ses côtés), les poèmes sont beaux et simples et parlent aux enfants de ce qu’on imagine d’eux, de l’âge, de la distance et du temps, mais surtout de l’amour et du regret. Si Robinson est le nom donné à l’enfant, l’île est plutôt celle du grand père, l’île de la solitude.

A perte de vie

A perte de vie
Jacques Prévert
Folio Junior Théâtre

Jacques Prévert, ou l’insolence !

Par Michel Driol

apertedevieSous ce titre sont réunies quatre pièces de théâtre de Jacques Prévert. La première, la plus longue,  le Tableau des merveilles, est une adaptation d’un intermède de Cervantès, réalisée par Prévert pour Jean-Louis Barrault en 1935. Une troupe de comédiens s’installe sur la place d’un village, et propose un spectacle que seuls les vertueux pourront voir… C’est l’occasion pour Prévert de concocter une savoureuse satire sociale ! La seconde, Entrées et sorties (Folâtrerie) met en scène une hécatombe dans le salon cossu d’un château. Dans la troisième, En famille, un fils avoue à sa mère qu’il vient d’assassiner son frère, et elle lui avoue avoir elle-même assassiné leur père. Quant à la dernière, A perte de vie, elle fait se succéder, d’une église aux objets trouvés, puis à la fourrière, quelques personnages qui ont perdu la vie, la vue, leur chien…

Voilà du grand Prévert, irrespectueux, insolent et cocasse. Le rire est toujours grinçant, que ce soit le rire face aux prétentions des puissants dans la comédie sociale qu’est le Tableau des merveilles ou face à la mort, qui rôde toujours, au théâtre, entre les pendillons. Le comique nait des situations les plus absurdes qui, par un tour de passepasse langagier, sont acceptées comme normales et allant de soi par les personnages.

Un remarquable cahier de mise en scène, proposé par  Cécile Bouillot, à la fois replace le théâtre de Prévert dans son époque et fait des propositions concrètes pour aborder la mise en scène des quatre textes : personnages, mise en espace, décors, musique…

Un ouvrage qui incite à relire Prévert, toujours aussi moderne !