Itawapa

Itawapa
Xavier-Laurent Petit

L ‘école des loisirs, 2013

Du pouvoir des images contre la déforestation

Par Anne-Marie Mercier

ItawapaXavier-Laurent Petit signe ici un roman proche de L’Attrape-rêves, où l’aventure exotique sert un propos écologique. Ici, le cadre est celui de la forêt amazonienne, et l’ennemi les entreprises qui chassent les indiens de leurs terres et détruisent la forêt, comme ceux que les indiens appellent les Termites, dans le film de John Boorman, La Forêt d’émeraude.

Mais comme dans son roman précédent, le texte ne se réduit pas à un propos écologique et militant. Il est porté par des personnages extraordinaires et attachants : le grand père irresponsable et alcoolique, devin et escroc, dont on sait qu’il cache quelque chose, le policier désœuvré en surpoids, passionné de photographie, la mère du héros, disparue à la recherche du dernier représentant d’une tribu, qu’elle nomme Ultimo, le « Dernier ».

Partant à la recherche de sa mère, la jeune Talia apprendra beaucoup de choses sur la forêt et la vie des indiens, tout en découvrant un secret de famille jusqu’ici bien caché, secret que le lecteur expérimenté aura en partie deviné grâce à un prologue en forme d’énigme. Ainsi l’auteur conduit plusieurs récits parallèles, celui du combat contre une multinationale, du pouvoir des images, du mystère de la disparition de la mère de Talia, de la rédemption de personnages enlisés dans une situation délétère, du sauvetage du dernier indien, et enfin de la reconstruction d’une histoire familiale.

Mado m’a dit

Mado m’a dit
Christophe Léon
La joie de lire, 2014,

Une rencontre heureuse entre deux malheureux

Par Maryse Vuillermet

mado m'a dit image Boby se tient à l’écart des garçons de son école, il est « petit, teigneux, le poil roux, les genoux cagneux, les cheveux hirsutes des dents plantées de travers », mais les filles l’adorent, alors qu’il ne fait que les mépriser. Enfant abandonné, il s’est inventé une famille d’extraterrestres et les rejoint la nuit au milieu des étoiles. Mais il ne peut éviter d’intervenir un jour à l’arrêt de bus quand trois caïds aussi méchants que cruels agressent une très grosse vieille dame, lui vident son cabas sur le trottoir, l’insultent et lui prennent son porte-monnaie. Il cogne fort et éloigne les trois méchants de quartier. Puis, il raccompagne la vielle dame trop choquée pour rentrer seule chez elle. Là, elle lui offre un chocolat et lui montre son élevage de mouches destinées à nourrir sa collection de plantes carnivores. Cette Mado est aussi folle que lui!  Il lui promet de revenir mais ne le fait pas car il se méfie de ses bizarreries. Mais un jour, les trois voyous le tabassent si fort qu’il n’ose pas rentrer dans sa famille d’accueil et se réfugie chez Mado. Elle est si heureuse ! C’est la première fois de sa vie qu’elle a une visite ! Elle lui propose de dormir dans sa caverne aux trésors, là où elle range les peluches depuis son enfance et son adolescence de fille obèse, donc mise à l’écart et solitaire.
Cette nuit-là, dans la maison de Mado, des événements étranges, cruels et beaux vont se dérouler. Seuls ceux qui comprennent la force des rêves pourront suivre leur déroulement. Christophe Léon excelle à décrire l’enfance, l’horreur, l’étrange. J’avais déjà beaucoup aimé cet univers détonant et fort, dans Silence, on irradie, et je le retrouve aussi violent et pourtant poétique dans ce tout petit livre.

Enquête au collège, L’intégrale 1

Enquête au collège, L’intégrale 1
Jean-Philippe Arroud-Vignod
Gallimard jeunesse, 2012

Littérature au collège

Par Anne-Marie Mercier

Enquête au collègeLe professeur a disparu, Enquête au collège, P. P. Cul-Vert détective privé… ces grands succès de littérature devenue « scolaire » tant elle a été prescrite par les enseignants de français désireux de faire aimer la lecture à leurs ouailles sont ici « classicisés » sous la forme d’une intégrale, une consécration, donc. Les dessins de Serge Bloch suffiraient à les attirer.

Il y a un charme désuet à ces récits : le langage des adolescents est un peu démodé, les relations avec l’institution sont, malgré quelques accrocs, plutôt harmonieuses, les amours parfaitement innocentes, et les intrigues se cantonnent dans un genre policier de bon aloi. C’est une littérature qui ne se prend pas au sérieux. Il en faut. Mais il faut aussi proposer, avec ces ouvrages certes, d’autres types d’ouvrages aux  collégiens, si l’on veut les amener à la « Littérature ».

Cela dit, le grand mérite de cette série à la française aura été, bien avant le succès de Harry Potter de faire goûter le genre du « college novel » (le terme « roman scolaire » désignant autre chose, qu’on me pardonne l’anglicisme) aux jeunes lecteurs francophones.

Vous ne tuerez pas le printemps

Vous ne tuerez pas le printemps
Béatrice Nicodème
Gulf Stream éditeur 2013,

Une très jeune espionne au milieu des nazis

Par Maryse Vuillermet

vous ne tuerz pas le printemps image1943, la France et une grande partie de l’Europe sont  occupées par les nazis, seuls l’Angleterre et une poignée de combattants résistent. Pour préparer le débarquement des Alliés, Churchill crée un service spécial d’espionnage, le SOE (Special Operation Executive). Des agents volontaires sont recrutés et entrainés très durement. Elaine, 19 ans, s’y est engagée, un peu par dépit amoureux (elle croit que son ami Franck en aime une autre) et beaucoup par patriotisme, idéalisme et surtout gout de l’aventure.
Elle est parachutée à Chalons, comme opératrice radio et on sait qu’un opérateur radio a six semaines de chance de survie. Elle a d’ailleurs au doigt une bague pleine de cyanure en cas d’arrestation. Le compte à rebours est donc enclenché. Et, dès son arrivée, elle tombe sur Wagner, l’officier SS, responsable de la Gestapo, un homme intéressant et séducteur qui a très vite compris qui elle était. Elle appartient au réseau Pianist, un réseau qui subit des pertes trop nombreuses pour être normales. Un traitre se cache-t-il parmi eux? Ce qu’elle ne sait pas, c’est ce que ce réseau a été choisi par les responsables du SOE pour être sacrifié. On donne des fausses informations à ses membres qui les révèlent une fois arrêtés et torturés ; ainsi les Allemands les croient et sont trompés. Le plan est machiavélique. La fin justifie-elle tous les moyens ? Elle ne sait pas non plus que Franck l’aime toujours, qu’il est lui-même un agent du SOE et qu’il va tout faire pour la tirer de là…
L’intrigue est assez compliquée, pleine de rebondissements, d’arrestations et de trahisons mais on s’attache au personnage d’Elaine, au jeune garçon, Noël qui l’aide, à Perceval, à Franck. Et on se rend compte que ces personnages inspirés de faits réels étaient bien jeunes pour prendre des décisions qui engageaient la vie de dizaines des leurs. Ils devaient faire preuve d’intelligence, d’obéissance, de courage physique et mental et ne jamais oublier que seule la force du collectif peut vaincre l’ennemi. Ce mélange de roman historique, roman policier et roman d’aventures fonctionne, même le personnage allemand est saisi avec nuances.

La Bobine d’Alfred

La Bobine d’Alfred
Malika Ferdjoukh

L ‘école des loisirs, 2013

Hitchcock au travail

Par Anne-Marie Mercier

bobine-alfredSuspens, actrices sur les nerfs, amours secrètes, journalistes indiscrets, poursuites… tous les ingrédients d’un film d’Hitchcock sont réunis ici dans une intrigue qui, si elle ne se noue que tardivement, garde le lecteur en haleine jusqu’au bout.

Mais on n’est pas au cinéma, on est au royaume des mots ; la légende de Hollywood est sans cesse présente à travers toutes sortes d’allusions qu’on peut chercher à percer. Le roman est aussi une belle initiation au travail de création d’un film selon la manière du maître, et une initiation à la vie pour le héros de 16 ans, fils d’un cuisinier français qui a été embauché sur le tournage d’un film qui ne sortira jamais sur les écrans pour des raisons qui apparaissent successivement.

Fascination pour le cinéma et pour les actrices, infraction d’un interdit pour satisfaire une passion, culpabilité que l’on traîne longtemps avant de découvrir que le trompeur a été trompé, le récit noue de nombreux thèmes autour de la technique et de l’amour du cinéma.

La littérature de jeunesse migrante

La littérature  de jeunesse migrante
Anne Schneider
L’Harmattan  2013

   Une belle synthèse

Par Maryse Vuillermet

 la litt de jeunesse migranteAnne Schneider nous livre sa thèse sur la littérature jeunesse migrante, son corpus compte 116 titres parus sur cinquante ans et fait la part belle à Azzouz Begag, Leila Seibar, Nozière. Il comporte des albums, des romans courts pour enfants, des romans 8/ 12 ans et des romans pour ados. Elle montre,  par une démonstration convaincante que c’est une littérature de voyage, d’exil, de migration donc une littérature en mouvement.

C’est aussi une littérature de résilience qui tente de guérir des traumatismes,  ceux de la guerre d’Algérie vue des deux côtés par les appelés du contingent, par les Algériens et même par les fils de Arkis, ceux de l’exil des pieds noirs et des émigrés. C’est aussi une littérature de reliance qui relie les mondes sans gommer les imaginaires nationaux. Elle relie les deux rives de la Méditerranée,  les espaces géographiques et culturels, mais aussi les littératures francophones et algériennes, beurs et françaises.

Elle n’est pas une survivance, elle est au contraire pleine de promesses, le nombre d’ouvrages a d’ailleurs doublé en dix ans et ne cesse de gagner en créativité. Elle apporte dans les classes ou elle est étudiée un regard neuf.

Max et Moritz avec Claque du bec et Cie

Max et Moritz avec Claque du bec et Cie (1865)
Wilhelm Busch

Adapté de l’allemand par Cavanna
L ‘école des loisirs, 2012

Garnements historiques

Par Anne-Marie Mercier

Max et MoritzClassique de la littérature illustrée pour la jeunesse, Max et Moritz risque cependant de déranger plus d’un lecteur adulte – ce n’est pas  si étonnant que ce soit Cavanna qui l’ait traduit. A ceux qui disent que la littérature contemporaine destinée aux enfants est trop noire et trop violente, on peut opposer ce livre, cocasse, excessif, où les garnements font de vraies bêtises, sont cruels avec les animaux comme avec les adultes et où les adultes entre eux ne sont guère meilleurs. Seule « consolation » pour les tenants de la morale, les méchants sont punis et de façon radicale, quasi « haché menu comme chair à pâtée », qu’ils soient enfants, adultes, ou animaux.

Dans ce monde sans pitié, les images sont acérées, dynamiques ; les personnages humains et animaux sont caricaturaux, le burlesque est affiché, il se fait style aussi bien littéraire que graphique.

Le Fil rouge

Le Fil rouge
Géraldine Collet, Cécile Hudrisier

Philomèle, 2011

Au fil des contes

Par Anne-Marie Mercier

maquette-fil.inddL’expression « fil rouge », est prise ici au pied de la lettre comme au sens figuré : c’est celui qu’une petite fille tire, faisant apparaître des personnages de conte, puis le Père Noël, dont le pull se détricote. C’est aussi celui de la fantaisie, de l’accumulation joyeuse, de la juxtaposition des contraires, du jeu avec l’imaginaire et l’image.

Fondées en 2009, les éditions Philomèle publient des albums pour les jeunes enfants qui jouent sur les mots et les situations, avec simplicité et originalité.

 

 

Adam et Thomas

Adam et Thomas
Aharon Appelfeld
Traduit (hébreu) par Valérie Zenatti
L ‘école des loisirs, 2013

 Robinsons du ghetto

Par Anne-Marie Mercier

adam-et-thomasLes robinsonnades partent souvent d’une situation quelque peu artificielle et improbable pour installer une situation expérimentale, un laboratoire fictionnel, censé montrer les profondeurs de l’âme enfantine, son côté lumineux et résilient ou son côté noir (sur le modèle de Sa Majesté des mouches) tout en distrayant avec la découverte du lieu, enchanteur ou non, et les ressources de débrouillardise des petits héros.

Ici, on retrouve tous ces aspects : les deux enfants réfugiés dans la forêt construisent des abris, vivent avec les animaux qui passent, se nourrissent de baies et d’eau de source, mais la réflexion est ancrée dans l’histoire : leurs mères les ont amenés là, chacune séparément, non pour les y perdre mais pour les cacher, loin du ghetto en proie au chaos (sans doute celui de Czenowicz où est né Appelfeld, en 1932). Ils voient les flammes qui consument la ville, entendent le bruit des canons et des fusillades, la course de fuyards au pied de leur arbre; ils secourent quelques un de ceux-ci. Ils ne survivent que grâce à l’aide d’une petite fille réfugiée dans une ferme proche, Mina, dans laquelle ils reconnaissent une camarade de classe à qui ils ne se sont jamais intéressés, et aux dons d’un inconnu. Ils souffrent de la faim, du froid et vivent dans l’angoisse.

Loin d’être une simple parenthèse comme dans de nombreux récits contemporains, l’« île » est un lieu de réclusion, une malédiction. On retrouve l’esprit du Robinson de Defoe :

« N’est-ce pas étrange, nous vivons dans la forêt sans nos parents et nos amis. Qu’avons nous fait de mal ? J’ai l’impression que c’est une punition. Je ne comprends pas bien qui nous punit et pourquoi ?

– Nous sommes juifs, lui répondit Adam comme une évidence. »

Adam, 9 ans, est fils d’un artisan croyant ; il connaît bien la forêt « et tout ce qu’elle contient ». Son camarade de classe, Thomas, est un bon élève, fils d’intellectuels laïcs ; il ne sait rien de la nature. Ils échangent leurs savoirs sur le monde, la situation, les raisons qui font qu’ils doivent se cacher, en reprenant des formules qu’ils ont entendues chez eux et les opinions de leurs pères : d’après l’un, il faut agir pour ne pas trop réfléchir, l’autre veut comprendre. Qu’est ce qu’être juif, pourquoi sont ils pourchassés, reverront-ils leurs pères et leurs grands parents, pourquoi leurs mères tardent-elles tant à venir les chercher, auraient-ils mieux fait d’aller se réfugier chez une femme qu’ils savent méchante, comme elle l’avaient conseillé ?

Si la fin est relativement heureuse (les mères reviennent, les Russes libèrent la ville et sauvent Mina mourante), le traitement qu’a subi Mina, battue par le paysan censé la sauver, un « homme au cœur vide », laisse une ombre sur l’apprentissage des deux enfants, comme l’absence de réponse aux autres questions.

Ce regard sur une période sombre de l’histoire est porté par un récit sobre et prenant, un regard sensible sur la vie de la forêt comme sur les relations entre les deux enfants ; les aquarelles de Philippe Dumas rendent avec douceur la fragilité et la beauté des moments et des êtres, les souvenirs et les songes. Le narrateur ne donne jamais de leçons, il se contente d’énoncer les faits pour laisser la place au dialogue des deux enfants ou à leurs pensées secrètes et à leurs rêves.

Ce très beau récit est le premier livre pour la jeunesse de Aharon Appelfeld. Il reprend son expérience de la période de la guerre en Roumanie pendant laquelle, après avoir vécu dans le ghetto, il est déporté en Ukraine. En 1942 (âgé de 12 ans), il s’est enfui et a survécu dans la forêt puis chez des paysans, jusqu’à l’arrivée de l’Armée rouge.

Mes chaussures couleur caca

Mes chaussures couleur caca
Réchana Oum
Oskar, 2012

Avoir la haine

 Par Christine Moulin

Mes_chaussures_couleur_cacaCe mince ouvrage est un hurlement de haine. A l’égard d’un père tyran, odieux, brutal, un monstre froid, sans doute peu épargné par la vie, mais qui ne mérite pour autant aucune indulgence. Et un cri d’amour envers une mère soumise mais aimante. La haine et l’amour d’une collégienne de treize ans, qui, bien qu’elle soit « un de ces personnages  qui ne portent qu’un prénom », est désignée par le seul pronom lancinant de Elle, sans cesse mis en valeur par l’italique. Tout en relatant une crise, le moment précis où elle a l’occasion de se libérer, ce roman évoque de façon obsessionnelle la pesanteur, le joug terrible qui pèse sur elle, à travers des variations de narration, un retour en arrière, qui n’allègent pas l’impression d’étouffement: l’auteur répète, redit la même chose, cette exécration qui l’étouffe, en une litanie effrayante de phrases courtes et serrées. On ressort un peu sonné de cette lecture. Secoué, mais avec le sentiment d’avoir lu un livre qui n’aurait pas pu ne pas être écrit.