Rose et l’automate de l’opéra

Rose et l’automate de l’opéra
Fred Bernard, François Roca
Albin Michel Jeunesse, 2013

Douceur robotique

par Sophie Genin

RoseetlautomateAprès l’opus de l’an dernier du célèbre duo, La Fille du Samouraï, magnifique mais très sombre, Fred Bernard et François Roca avaient envie de douceur. C’est réussi ! Quel plaisir de se glisser dans les chaussons de Rose pour visiter les coulisses de l’opéra et découvrir avec elle un vieil automate qui n’est pas sans rappeler celui de Hugo Cabret dont on retrouve ici l’ambiance !

L’héroïne est comme on les aime : combattante, elle ira jusqu’au bout pour faire entendre raison au directeur et faire danser l’automate mis au rebut et oublié dans un coffre. Le choix de la narration interne incarnant l’automate et ses sentiments sert admirablement le propos. Les personnages sont attachants et tendrement présentés, en particulier le vieux machiniste à moustaches, grand-père symbolique aidant Rose à réaliser son rêve.

Les illustrations de François Roca rappellent celle du fabuleux Jésus Betz : cet automate-tronc déambulant dans les bras de la jeune fille est une réminiscence betzienne! Un des tableaux en particulier, à la Degas, marque l’esprit du lecteur : les tutus blancs pendus sur leur cintre, comme suspendus dans l’air, fantômes émouvants.

L’atmosphère surannée et nostalgique de ce conte moderne fait rapidement effet : voyageant dans le temps sans quitter le nôtre, on sort de cet album un sourire tendre aux lèvres et on a envie de remercier les magiciens qui ont permis cette bulle volée à la vitesse, la consommation et à l’efficacité absurdes de notre monde. Voilà qui est fait : merci !

L’Homme à la peau d’ours. Un conte de Grimm

L’Homme à la peau d’ours. Un conte de Grimm
Ann Jonas, Sébastien Mourrain
Seuil jeunesse, 2013

GRRR !

Par Anne-Marie Mercier

hommealapeaudoursC’est un conte bien étrange que celui de L’Homme à la peau d’ours, des frères Grimm : Au début de l’histoire, on voit que la paix est un malheur… pour les soldats qui ne savent rien faire d’autre et que la société abandonne. A la fin, deux des personnages se suicident (certes, il s’agit des méchantes sœurs de l’héroïne). Au milieu, un pacte avec le diable : le héros accepte de revêtir une peau d’ours et de ne pas se laver ni se couper les ongles et les cheveux et ainsi de provoquer le dégoût chez ses semblables, malgré sa bonté. C’est une sorte de métamorphose réaliste qui oppose apparence animale d’une part, bonté et … richesse d’autre part, le second étant le plus souvent plus efficace que le premier.

Le mélange est curieux, entre obsession de l’argent et fantastique. Les dessins stylisés et sobres Le-Vaillant-Petit-Tailleurde Sébastien Mourrain. Le texte d’Anne Jonas suit fidèlement l’original.

Pour écouter le conte: http://www.youtube.com/watch?v=5CV87WJoM88

ET… puis, pour les adultes qui auraient envie de rire un peu des frères Grimm, lisez Le Vaillant petit tailleur d’Eric Chevillard, il existe en plus maintenant en version poche, un régal !

Capitaine Squelette

Capitaine Squelette
Stéphane Tamaillon

Flammarion, 2013

Vieille marmite et bonne recette

Par Matthieu Freyheit

51S2x48jZRL._SY445_Difficile, vraiment, de faire du neuf avec un personnage définitivement connu et reconnu. Stéphane Tamaillon se situe volontairement dans une tradition du genre en reprenant à son compte quelques vieilles recettes de ceux qui, avant lui, se sont emparés du pirate. Dans Capitaine Squelette, un équipage pirate se grime pour se déguiser en squelettes et effrayer leurs adversaires. Le travestissement du capitaine reste le plus réussi, pour de tragiques raisons qu’il vous faudra découvrir. Quoi qu’il en soit, on retrouve ici les pirates de Pierre Mac Orlan qui, dans les Clients du Bon Chien Jaune, faisaient déjà usage de la même ruse.

Le sinistre capitaine, ancien esclave Noir mû par un désir de vengeance à l’encontre de son ancien maître, n’est pas sans faire penser au merveilleux Atar-Gull d’Eugène Sue ou au Captain Blood de Sabatini. Bref, rien de très très nouveau dans ce roman, ce qui n’empêche pas le plaisir d’être au rendez-vous. Tout à fait classique, le roman de Stéphane Tamaillon rend hommage à une longue tradition de l’aventure, à laquelle se mêle souvent un zeste de fantastique.

Ici, Fréhel est un jeune garçon devenu orphelin, comme dans bien des romans d’aventure, de Stevenson à Mac Orlan. Embarqué à bord d’un navire négrier pour rejoindre son planteur d’oncle, il est vite fait prisonnier par une bande de pirates dont la spécificité, plus encore que d’être déguisés en squelettes, est d’être tous noirs. Tamaillon rappelle discrètement la réalité du terrain, et la présence importante de Noirs parmi les équipages pirates. L’occasion, surtout, est parfaite pour remettre en perspective les réalités du commerce d’esclaves. L’auteur ne cherche pas à offrir un héros parfait et pur, double impossible du lecteur contemporain : c’est petit à petit que le jeune Fréhel ouvre sa conscience aux duretés des préjugés, et conserve tout au long de l’aventure une réserve plutôt réaliste. Le géant noir qui se cache derrière le capitaine Squelette n’a, quant à lui, rien du libérateur au grand cœur monolithique que l’on aurait pu craindre de rencontrer : personnage complexe, il n’est pas sans rappeler certains héros romantiques (les surhommes hugoliens, mais aussi ceux de Sue). L’oncle de Fréhel reste sans doute le personnage le plus stéréotypé, tristement fidèle au modèle tout aussi tristement réel du maître planteur tout puissant.

Sorte de Captain Blood sinistre, Capitaine Squelette parvient à l’aide d’une narration simple à restituer un grand nombre d’éléments non seulement historiques mais également psychologiques, qui font des personnages aux relations ambiguës dans un contexte qui l’est plus encore. Comme souvent l’aventure offre une belle manière d’aborder de manière vive et ludique, mais néanmoins sérieuse, des sujets importants.

Et si je mangeais ma soupe ?

Et si je mangeais ma soupe ?
Coralie Saudo, Mélanie Grandgirard
Seuil jeunesse, 2013

Quand la matérialité du livre joue avec le propos…

Par Frédérique Mattès

soupeOn se plonge avec bonheur  dans ce livre tout en longueur illustrant avec beaucoup de malice l’imaginaire d’un petit garçon qui explore les conséquences de l’injonction qui lui est faite : « Mange ta soupe ! ».

Après avoir, comme le bon sens populaire le prédit, grandi, grandi, grandi …, il se voit , tour à tour obligé de se mettre au dernier rang tout le temps, obligé de dormir tout recroquevillé dans un lit beaucoup trop petit et …  bien d’autres désagréments encore …

L’illustration pleine page composée par un trait simple et naïf renforcé par un jeu d’échelle caricatural nous transporte aussitôt dans le monde onirique de l’enfant. La collaboration texte (une simple phrase par page) et image fonctionne parfaitement.

Un vrai moment de plaisir à partager entre petits et grands autour de cet album « impertinent ».

A destination de tous les enfants qui n’aiment pas la soupe ! (Quelques arguments dans leur escarcelle !) Mais qui peut aussi permettre à ceux qui se trouvent trop petits de mesurer leur chance ! …

La guerre des livres

La guerre des livres
Alain Grousset

Gallimard, Folio Junior, 2009, 2013

Book wars

Par Christine Moulin

product_9782070651009_244x0Voici une réédition d’un roman d’Alain Grousset. Le problème qu’il abordait il y a quatre ans en est encore un: faut-il craindre la disparition des « vrais » livres, sur papier? le tout numérique est-il dangereux? On se doute un peu de la réponse… Mais l’argumentation n’est pas pesante. Parce qu’elle se développe au sein d’un récit de science-fiction digne des aventures de Lucas avec combats (celui qui ouvre le roman est un modèle…), factions, empereur, fille d’empereur, héros en forme de Jedi (Shadi), faux traîtres, vrais traîtres, et même quelques maîtres (certes moins pittoresques que Maître Yoda mais quand même…). Autre charme: le décor est un labyrinthe borgésien, une immense bibliothèque qui renferme tous les livres (ou presque) de l’univers. De quoi rêver… Enfin, en exergue de chaque chapitre, figurent des citations sur la lecture, certaines assez connues (« Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux », Jules Renard), d’autres peut-être moins (?) (« Les livres nous obligent à perdre notre temps de manière intelligente », Mircea Eliade), en tout cas, toutes très belles (« Lire, c’est aller à la rencontre d’une chose qui va exister », Italo Calvino).

Camp Paradis

Camp Paradis
Jean-Paul Nozière
Gallimard, Scripto, 2013

 

Que les hommes sont cruels !

Par Maryse Vuillermet

camp paradisLe narrateur Boris, orphelin,  est amené au Camp Paradis par un complice de son père,  trafiquant d’armes. « Eclopé de la vie » comme quatre autres enfants qu’il va y rencontrer, il est aimé et sécurisé par Pa et Ma, les responsables du camp  qui se sont donné la mission de sauver ces enfants.  Chacun d’eux a un passé horrible qu’on découvre par bribes, enfant esclave, enfant soldat,  enfant handicapé  et martyrisé ou affamé.  Dans ce camp, les règles sont strictes, pas de religion,  pas de prières,  pas de race, on travaille et on s’entraide. Mais les guerres tribales de religion ou de pouvoir sévissent tout autour et se rapprochent.

Le lieu et le camp sont imaginaires  et le récit présente quelques invraisemblances, mais c’est un roman tendre et violent,  qui se lit avec  terreur. Il tient bien sa place dans la collection Scripto.

 

Dans la peau d’une autre

Dans la peau d’une autre
Johan Heliot
Rageot (thriller), 2013

Métamorphose diabolico-show bizique

Par Anne-Marie Mercier

danslapeauduneautreCe roman, publié dans la catégorie des thrillers, exploite une belle idée : une société qui assoit sa fortune dans l’industrie du spectacle se met en cheville avec un médecin génial et véreux pour créer des icônes médiatiques et les exploiter… à mort. L’héroïne du récit est une très jeune pop star (15 ans), blonde et mince, qui mène une vie à un rythme infernal, craque nerveusement et est placée dans une clinique suisse, non  pour s’y reposer comme elle le croit, mais pour subir une opération de chirurgie esthétique qui la rend méconnaissable afin de laisser le champ libre à une réplique d’elle-même fabriquée artificiellement.

En dehors de cette idée et de quelques personnages secondaires originaux, dont une animatrice de blog de fans, cet ouvrage est lui-même quelque peu formaté. Il est fait avec une certaine efficacité et propose des situations et des personnages plus qu’improbables. Mais l’idée est belle, qui consiste à s’interroger sur les « icônes » médiatiques, au point de poser la question de leur existence réelle – ou celle de leur appartenance à l’humanité –  et au lien entre apparence et identité.

Un Ecrivain à la maison

Un Ecrivain à la maison
Roland Fuentès
Syros (tempo), 2010, 2013

L’art d’écrire

Par Anne-Marie Mercier

Un Ecrivain à la maisonJournées du livre à Saint-Cloque, c’est un événement. La prof de français et la documentaliste s’affairent avec le petit groupe d’élèves qui participe à l’organisation : communication, budget, installation, logistique… On découvre dans ce petit livre les nombreuses facettes de ce type d’événements. Le coeur de l’intrigue, assez ténue à vrai dire, réside dans le fait que l’un des deux auteurs invités loge chez l’habitant, plus précisément chez le narrateur, un jeune garçon timide qui se verrait bien écrivain lui aussi.
Les situation sont assez caricaturales mais le récit fourmille de réflexions sur l’écriture, la publication, la littérature et propose une vision plutôt drôle mais assez juste de la situation des écrivains qui rencontrent des classes.

Il y a une suite : Un écrivain dans le jardin

Points

Points
Gaëtan Dorémus
Rouergue, 2013

Magicien Dorémus

Par Dominique Perrin

poinDes auteurs-illustrateurs aussi originaux et percutants, il en existe, mais peut-être en est-il peu d’aussi constants que Gaëtan Dorémus dans la production contemporaine d’albums.
La présente aventure de Géant gris – deux titres ont précédé – est une méditation en acte sur le pointillisme comme moyen pictural d’appréhension de l’espace et du mouvement. Mais c’est aussi une histoire rigoureusement, subtilement en prise sur l’expérience enfantine du temps, de l’imaginaire, et de l’amitié pour les créatures bien à tort réputées impalpables qui peuvent en sortir. Tout au long de cette très belle aventure sensible, le grand talent de l’« illustrauteur » est là, semblable et renouvelé : dédié à la figuration du dynamisme humain, celui du corps et celui de l’esprit, dans un monde redevenu immense.

Des moutons à la mer

Des moutons à la mer
Einar Turkowski
trad. de l’allemand par Miléna Rambeau-Bisäth
Grasset, 2014

Humour d’Einar Turkowski

Par Dominique Perrin 

9782246787129FSLa taille et le format carré de ce petit livre d’un grand monsieur de l’album contemporain allemand semblent en annoncer le caractère plutôt minimaliste. « En Irlande », « un berger » « avait beaucoup de moutons ». Une galerie d’ovins, machinés autant dans leur essence de robots mi-futuristes, mi-surannés que dans leur désignation (le « mouton enveloupé » n’étant pas le moins attachant) s’offre d’abord au lecteur – qui peut, s’il est adulte, se trouver interloqué par la vision inaugurale d’un atelier où le tronc des moutons ressemble si l’on veut à une petite bombe. Quant au jeune lecteur, sans doute est-il interloqué par bien d’autres aspects : difficile d’en imaginer la liste.
Survient ensuite le pivot de la fable très sobre de cet album au graphisme très soigné, et au rapport plutôt libre aux codes narratifs dominants : l’existence du berger est assombrie par la hantise de perdre ses moutons (pour cause notamment de « rouille précoce », « manque de ressort », loup… et « grand vent d’ouest » au-dessus des falaises). Moyennant une unique péripétie, dont on taira ici le contenu mais non le caractère magistralement humoristique, le sentiment se fait jour pour le lecteur d’avoir été emporté en bateau par un album plus ambitieux qu’il ne le pensait, loin des potacheries post-modernes en vogue dans un monde volontiers matérialiste et hypocondriaque.  Le beau vers remis en circulation par le dernier film de Miyazaki y trouve une résonance : « Le vent se lève !… il faut tenter de vivre ! »