Le Livre qui peut lire dans ton esprit

Le Livre qui peut lire dans ton esprit
Marianna Coppo
Traduit (italien) par Christian Demilly
Grasset jeunesse, 2024

Ta-dam ! un livre pour faire de la magie

Par Anne-Marie Mercier

Lady Rabbit, lapin blanc vêtu d’un costume noir, fait le prestidigitateur, non pas en fiction comme c’est souvent le cas dans les livres, mais en VRAI ! Oui, ce livre est un spectacle de magie à lui tout seul, à la manière des tours de cartes : le lecteur est invité à choisir en secret un personnage parmi les spectateurs de la performance de Lady Rabbit et à donner la rangée dans laquelle il se trouve. Selon celle qu’il aura donnée, il doit se rendre dans une section particulière de l’album. Il découvre alors une autre disposition des personnages et doit à nouveau choisir la rangée où se trouve celui qu’il a mémorisé pour se reporter enfin à la page qui lui dit ce qu’il a choisi (ta-da !).
On peut refaire le jeu à l’infini, épater ses ami/es, ou tout simplement se régaler des illustrations qui jouent parfaitement le jeu de l’attente et de la merveille.
Les dernières pages révèlent l’origine de ce jeu, bolzone en italien. Ce mot désigne les tours de magie utilisant des nombres, notamment ceux de frère Luca Paciolo qui, dit-on fascinaient Léonard de Vinci. Elles montrent quels ouvrages ont progressivement conduit à l’idée de transcrire ce jeu en livre puis en images, de La Pensée gracieuse de Pietro Millioni au Passe-temps d’Andrea Ghisi (1603).

Indigo

Indigo
Alex Cousseau et Charles Dutertre
Rouergue 2024

Des indiennes et des esclaves

Par Michel Driol

Né en 1789, Gaspard vit dans une famille d’indienneurs. Sa mère blanchit les tissus, son père grave les motifs sur des planches de bois, et son oncle est teinturier. Enfant solitaire et curieux, il s’invente un double, un ami imaginaire, Melchior, l’un des trois rois mages, dont il trace la silhouette sur différents tissus. Mais que deviennent ces indiennes, une fois chargées à Nantes sur des bateaux ? Gaspard découvre qu’elles sont destinées à être échangées contre des esclaves, et que son père a gravé cet échange cruel sur des planches de bois pour raconter lui aussi ce commerce inhumain.

Alex Cousseau et Charles Dutertre signent ici un très riche album, qui, grâce à la fiction, permet de rendre compte de façon très documentée et du métier d’indienneur, et de la sombre réalité du trafic d’êtres humains.  La curiosité du personnage de Gaspard rend toutes les questions possibles, et à ses parents, et à son ami imaginaire, afin de donner des détails techniques sur la technique de fabrication des indiennes, avec une grande précision du lexique pour nommer les outils ou les colorants utilisés, sans que cela ne brise la dynamique du récit. Face aux réticences de ses parents à lui révéler la vérité du trafic d’esclaves, Gaspard explore les planches gravées par son père, en découvre certaines qui, mises bout à bout, comme dans une bande dessinée, révèlent la sombre réalité. Ces planches secrètes le conduisent alors à poser d’autres questions à ses parents, et c’est là que l’album aborde une nouvelle problématique, celle de la complicité ou pas des ouvriers avec la finalité de leur production. C’est le père qui donne ses réponses, et ouvre la voie à une forme de résistance, de révolte. Comment conserver son gagne-pain et sa dignité ? Comment rendre compte de ce que l’on sait pour que cela change ? Questions fondamentales, et réponses à hauteur des enfants lecteurs qui découvrent ici une autre forme de résistance.

On regrettera peut-être la fin de l’album, qui omet de préciser le rétablissement de l’esclavage par Bonaparte, en 1802, pour se focaliser sur le mot abolition, sur la circulation d’idées nouvelles, et sur la rencontre avec un homme noir sur le port de Nantes, façon de montrer la fraternité.

Comme les indiennes, les illustrations sont de véritables tableaux colorés, pleins de détails d’une fine précision : animaux, végétaux, silhouettes à contempler, à admirer. On est là très près d’un art populaire, celui des cartes à jouer aussi, avec ses personnages dont on retrouve parfois la représentation naïve. L’une des illustrations est particulièrement marquante, celle où l’on voit les esclaves entassés dans le bateau.

Un album plein de surprises qui dit les pouvoirs de l’imagination, de l’art pour témoigner et lutter pour plus de fraternité, tout en s’appuyant sur l’histoire vraie des indienneurs de Nantes et du commerce triangulaire.

La Cabane sous le cerisier

La Cabane sous le cerisier
Céline Claire, Annick Masson
Flammarion, Père castor, 2024

À propos d’une cabane, la leçon d’une grand-mère

Par Anne-Marie Mercier

Le thème de la cabane construite par des enfants en vacances est un classique, tant dans les livres que dans la vie. Cet album le revisite de façon intéressante en proposant d’examiner dans quel environnement s’inscrit la construction.
Deux cousins, un garçon et une fille, en vacances chez leur grand-mère, décident de se faire une cabane dans le jardin. Une vieille couverture sur la branche basse d’un arbre fait le toit. Avant, on aura dégagé le sol de ses cailloux.  On aménage : mobilier, accessoires de dinette… la vie peut commencer. Mais un problème surgit : d’abord des fourmis, puis une poule, et le chat. Devant chaque intrusion les enfants ne manquent ni d’imagination ni de ressources et progressivement la cabane devient une horrible forteresse.
La grand-mère, arrivée avec le goûter, s’étonne et explique : le chat a l’habitude de dormir sur cette branche, les fourmis ont leur maison juste ici, la poule aime pondre là… Tous trois détruiront les barrières pour partager espace et goûter avec les animaux comme on le voit sur la couverture.
Cela invite à revenir au début de l’histoire pour voir les indices de ce que les enfants auraient dû deviner : les animaux, déjà là sur place, bien avant eux. Cela invite aussi à mieux regarder autour de soi dans la nature et même dans un jardin pour inscrire son action en harmonie avec les autres habitants. C’est aussi tout simplement une jolie évocation de vacances chez une grand-mère attentive et éducatrice.

Cet album a été chroniqué également par Michel Driol sur lietje

ABC du mot image

ABC du mot image
Jean Alexxandrini
(Les Grandes Personnes) 2024

Le mot est la chose

Par Michel Driol

C’est un abécédaire d’un genre particulier que propose Jean Alexandrini, à la fois typographe, écrivain et illustrateur. D’Architecture à Zigoto, en passant par Hélicoptère et Navire, les mots s’affichent en pleine page, les lettres du mot se mêlant à d’autres éléments graphiques pour représenter la chose. Le tout est en noir et blanc, de façon à laisser aux enfants le soin de colorier le dessin.

C’est un livre à contempler, plein d’inventivité et d’imagination, de précision aussi dans la façon de représenter les choses. Il faut regarder dans le détail comment les lettres s’inscrivent dans l’objet, et comment des détails s’inscrivent dans les vides des lettres. Si certains sont faciles à identifier, d’autre demanderont un peu plus de connaissances du lexique, de perspicacité dans la lecture (de haut en bas, les lettres emmêlées…), on s’aidera du mot dont on a l’initiale et le nombre de lettres, et, au pire, on ira chercher la solution en dernière page. L’ouvrage donne à voir une certaine poésie graphique qui met les mots à l’honneur, à travers des gravures qui ont un certain côté rétro. L’appareil photo date d’avant le numérique, on imagine les chromes de l’auto à trois roues, le garage et sa station-service évoquent les jouets d’autrefois… Ce voyage à travers les mots est aussi un voyage à travers les moyens de transport, un voyage où l’on côtoie des animaux réels ou imaginaires, et de drôles de personnages.

Un livre dans lequel les mots sont presque traités comme des idéogrammes complexes pour mieux les donner à voir.

 

Je l’ai pas fait exprès

Je l’ai pas fait exprès
François David, Sylvie Serprix
Møtus, 2024

Oups !

Par Anne-Marie Mercier

Louise est une petite fille pleine d’énergie et d’idées. Mais parfois ça tourne mal : quand elle s’agite autour du pot de peinture ouvert par son père pour repeindre un mur (ou bien quand elle repeint elle-même le mur ? texte et images ne concordent pas tout à fait et c’est tant mieux), ou quand elle décide de faire la vaisselle toute seule, tout tourne à la catastrophe : le chat se retrouve couvert de peinture, l’évier déborde… Ses idées pour réparer ses erreurs sont tout aussi imprudentes (mettre le chat au lave-linge ? non, heureusement elle n’a pas le temps d’essayer).
Heureusement les parents arrivent toujours à temps pour réparer et consoler la fillette en pleurs qui a toujours cette phrase à la bouche : « je l’ai pas fait exprès ». Comment consoler une enfant qui voulait bien faire, pardonner, expliquer ; l’album met en scène de jolis moments de tendresse. La fin est une surprise car c’est une erreur de Louise qui provoque la joie de la famille.
Le texte, court et factuel, ne juge pas et nous laisse contempler la petite Louise dans toutes ses actions appliquées, étape après étape. Les images s’affranchissent du réel en prenant les évènements à la hauteur de leur gravité pour la fillette. Ainsi, le débordement d’évier devient une véritable inondation qui fait circuler en barque Louise et sa mère. Quant au chat (normalement blanc), il l’accompagne partout et joue son rôle muet à la perfection.

L’Ourson qui aimait prendre son temps

L’Ourson qui aimait prendre son temps
Geoffrey Hayes
Flammarion Jeunesse 2024

Carpe diem

Par Michel Driol

Quoi de mieux que la 4ème de couverture pour présenter cet album, dont la première édition date de 1976, mais seulement traduit en français : Il y a des moments où Ourson aime prendre son temps pour se perdre dans ses pensées, regarder le vent souffler sur la cime des arbres et faire voler son cerf-volant. L’album nous fait suivre la longue déambulation d’Ourson dans un décor plutôt campagnard, où il se livre à diverses activités solitaires, chantonner, écouter le silence, parler avec la rivière avant de revenir se blottir dans son lit douillet.

Ourson est le cousin proche de ces personnages d’Arnold Lobel, personnages solitaires, à l’écoute de leurs sensations et du monde qui les entoure. Petit ours en peluche très humanisé par ses vêtements Ourson se promène dans un univers aux couleurs délavées, vert, brun et blanc. S’y succèdent un hiver enneigé, un été lumineux, une forêt profonde et un village hospitalier, le dehors et le dedans de la maison. Comme un petit instant poétique, chaque page est un éloge du temps qui passe, qu’il faut saisir, et de la solitude, dont il ne faut pas avoir peur. Ourson est bien vivant, pris entre des attitudes opposées, jouir de l’instant présent,  ou, en plein été, se souvenir des matins brumeux, ou bien encore se réfugier dans sa cachette secrète ou explorer le monde. Autant d’attitudes qui montrent une compréhension fine de l’enfance, une observation attentive des attitudes enfantines.  Avec tendresse, douceur et justesse, cet album renverra chacun à son désir de solitude et l’incitera à se sentir en harmonie avec le monde qui l’entoure. C’est une citation d’Erasme qui ouvre l’album : Celui qui connait l’art de vivre avec soi-même ignore l’ennui. C’est bien une leçon de bonheur simple, à la portée de toutes et tous, que nous donne Ourson.

Un feel-good album délicat qui propose une série de fragments poétiques et se veut autant un éloge de la contemplation que de la solitude. Une façon de s’inscrire dans l’univers et de profiter pleinement du temps qui passe.

Tisseurs de sorts

Tisseurs de sorts
Frances Hardinge
Traduit (anglais) par Philippe Giraudon
Gallimard jeunesse, 2024

Page turner pour ados, en été

Par Anne-Marie Mercier

Ce gros pavé de 550 pages arrive à pic pour une belle lecture d’été. Foisonnant, il propose un monde très original, de multiples personnages au destin complexe, des êtres fantastiques plus qu’étranges, des imbrications d’intrigues à tenir fermement pour éviter de s’y perdre. Il faudra donc se ménager de longues plages de tranquillité pour s’y immerger confortablement sans s’y perdre.
S’immerger, c’est aussi ce à quoi invite l’univers des personnages : quittant leur pays de terre ferme tissé de magies sombres, les deux héros, un garçon et une fille, doivent partir vers le pays des Sauvages, vaste forêt marécageuse où personne ne s’aventure sans terreur. Les descriptions de paysages aquatiques, plongés le plus souvent dans l’obscurité, sont saisissantes, poétiques, obsédantes. Le château des araignées (allusion au film ?) est une superbe trouvaille.
Les deux héros ne sont a priori pas des « tisseurs de sorts » comme peut le faire penser le titre français. Au contraire, ils les combattent : Kellen a été piqué par un « petit frère », espèce d’araignée particulière qui tisse les sorts ; depuis, il a le pouvoir de défaire aussi bien les sorts que les fils des tissus (gros problème puisqu’il appartient à un village de tisserands). Il est employé par les proches de ceux  qui ont été envoutés, afin de lever la malédiction et faire reprendre leur apparence humaine aux ensorcelés. Ce sort est souvent une métamorphose et l’on admire aussi bien le talent de l’autrice pour renouveler des contes traditionnels (« Les cygnes sauvages » par exemple) que son ingéniosité pour imaginer des métamorphoses extrêmement originales, souvent en objets, ce qui donne lieu à des histoires parallèles parfois drôles, souvent tragiques.

Son amie Nettle qui le suit partout est l’une des personnes qu’il a libérées : une belle-mère jalouse l’avait transformée en oiseau (voilà Andersen), comme ses trois frères et sœur. Elle était un héron, son frère Yannick une mouette et les autres un faucon et une colombe. Le faucon a tué la colombe et est devenu fou lorsqu’il a repris sa forme humaine. Yannick la mouette a refusé de redevenir humain. Il protège de loin Nettle. Sa présence intermittente et son caractère grognon mettent parfois un peu d’humour dans ce roman souvent sombre. Nettle suit Kellen partout, on ne sait pas bien pourquoi (ce n’est pas de l’amour mais un sentiment très fort et très chaste qui lie les deux jeunes gens), mais on finira par le savoir : elle cache un terrible secret.
Ajoutons à ces personnages un cavalier des marais inquiétant et son cheval carnivore, des bateaux magiques, des animaux fantastiques, des ensorceleurs et des ensorcelés… Le récit suit une pente régulière, allant toujours vers davantage de noirceur et d’étrangeté. On est embarqué avec ces deux jeunes gens si différents au caractère attachant dans un grand voyage au pays des sorts.
Enfin, ce récit a une dimension morale : Kellen ne peut défaire un sort qu’en comprenant à qui ses victimes ont fait du tort : c’est la haine qu’ils ont suscitée (consciemment ou non, volontairement ou non) qui produit le sort chez l’ensorceleur ou l’ensorceleuse. La haine et la jalousie sont présentées comme des sentiments mortifères et dangereux, incontrôlables, qui peuvent mener à des catastrophes aussi bien le haï que le haïssant. On fait l’éloge d’une attention aux autres et à soi-même, indispensable pour comprendre ce qui se « trame » dans les profondeurs de son être. Chacun est susceptible d’être la victime ou l’auteur d’un sort…

Aussi original, passionnant et cruel que La Lumière des profondeurs, ce nouveau roman montre une nouvelle voie du talent de Frances Hardinge, impressionnant.

 

 

Le Voyage de Daphné

Le Voyage de Daphné
Cholé Almérias
Seuil Jeunesse 2024

La petite fille libre qui courait le monde

Par Michel Driol

Daphné décide de partir, avec seulement ses chaussures, sa bille préférée, un origami et un crayon. Après avoir traversé le pont, elle découvre des chemins, des villages, des animaux, des mers glaciales, des ours blancs, des gens sur des kayaks qui en échange de ses trésors lui donnent un cadeau qu’elle accroche au mur avant de créer son monde.

Disons le de suite : il ne faut pas chercher de cohérence dans cet album. Ni psychologique (pourquoi Daphné part-elle ? Pourquoi ces objets ?), ni géographique (on passe en deux pages d’une mer chaude à une mer froide)… Le texte invite à chercher avec Daphné des éléments, animaux, végétaux, maisons dans des images tantôt très composites et fouillis, tantôt plus géométriques, tantôt assez minimalistes. C’est une vraie recherche graphique qui est à l’œuvre dans ce « cherche et trouve autour du monde », comme le présente le sous-titre. Si certains éléments sont faciles à trouver, d’autre demandent un regard plus aigu, une lecture plus fine des illustrations.

Au-delà de ce jeu de « cherchez Charlie », l’important est peut-être dans la dernière page, avec l’échange symbolique de cadeaux, qui fait sortir la fillette de son univers enfantin pour la propulser dans un autre monde à créer et non plus à parcourir. Le voyage prend alors un côté initiatique, porté en filigrane par le texte.

Voilà un livre jeu à parcourir en se demandant où habiter le monde et comment en dénombrer la richesse et la variété.

Lettres des îles Baladar

Lettres des îles Baladar
Jacques Prévert, André François
Gallimard jeunesse (1952), 2024

Iles, éternels refuges

Par Anne-Marie Mercier

On ne raconte pas les Lettres des îles Baladar. D’abord parce que c’est un album bien connu (qui méritait amplement d’être réimprimé, merci Gallimard !), ensuite par ce que l’argument en est très simple et que sa saveur tient au rythme, au style, à sa gravité et à sa légèreté.
Un archipel ignoré du grand continent vit heureux, en autosuffisance,  jusqu’au jour où sur le « Grand Continent » on apprend qu’il s’y trouve de l’or. Invasion, destruction, soumission, révolution et enfin expulsion rythment l’histoire. C’est le modèle de bien des histoires coloniales, à ceci près qu’ici la fantaisie, la drôlerie et l’optimisme gagnent toujours. Le mal y  est défait pour toujours. De tous les apports des colons, seul le cinéma est gardé, et encore, un cinéma que les habitants font eux-mêmes et non celui qu’on leur vend.
Les dessins en bichromie d’André François accompagnent parfaitement le style de Prévert. Proches du graffiti, ils dressent des portraits savoureux des personnages, du grand méchant (le Général Trésorier de Tue Tue Paon Paon) à son adversaire, le singe Quatre-mains-à-l’ouvrage, le balayeur de l’île qui devient son sauveur.

Pépite à lire et relire et à offrir à tout âge, pour tous les âges.

 

Les Trois Petites Epluchures

Les Trois Petites Epluchures
Coralie Saudo – Xavière Devos
L’élan vert 2024

Conte, compost et consommation…

Par Michel Driol

Suite à aux nombreuses mésaventures, qui l’ont laissé bien meurtri, le Loup est devenu végétarien, et, vêtu d’un superbe tablier de ménagère, il prépare des salades pour sa petite louve, qui préfèrerait manger du cochon ou de l’agneau. Arrivent les trois petits cochons qui s’extasient devant un magnifique potager près d’une maison, et décident de demander conseil au propriétaire, le Loup…Suivent quelques quiproquos et situations savoureuses qui revisitent l’histoire canonique, en l’inversant, et l’on découvre les secrets de ce potager : le compost créé bien malgré eux par le loup et petite louve qui jettent épluchures ou rondelles de tomates par la fenêtre.

Avec beaucoup d’humour, de joie, et de vivacité, l’autrice et l’illustratrice revisitent l’histoire des trois petits cochons et posent la question de notre alimentation, de notre surconsommation de viande. Le récit inverse avec malice le conte traditionnel : ce sont les cochons qui soufflent, et ce sont eux qui se retrouvent dans le chaudron, au grand dam d’un gentil loup sympathique qui ne leur veut aucun mal ! Au passage, le récit égratigne les gouts alimentaires des enfants, avec cette petite louve que les salades paternelles à base de concombres et de tomates ne font guère rêver. Passant de l’autre côté de la fenêtre, on passe de l’univers farfelu du conte au monde du compost, et l’un des petits cochons se révèle un savant botaniste qui explique la dégradation des végétaux par les « petites bêtes », l’illustration montrant alors toute cette vie souterraine, non sans fantaisie !

Certes, il est question d’alimentation, de compost, mais le thème est traité avec légèreté et malice. Le texte, qui fait la part belle aux dialogues, est vivant et savoureux, en particulier à cause de la petite louve, monomaniaque, effrontée, traduisant en termes enfantins les propos savants de Plouf, le cochon savant (on laissera au lecteur le plaisir de le découvrir !). La chute, avec une promesse de chips de carottes et de gâteau chocolat-courgette, montre que, comme l’écrivait Brecht dans l’Opéra de Quatre sous, La bouffe vient d’abord, ensuite la morale… mais que tout est affaire de qualité et de préparation ! Les illustrations, crayonnées en couleurs vives et printanières, sont dynamiques et joyeuses, prenant souvent les choses à contrepied et posant d’abord des personnages caractéristiques.   Le loup, qu’il soit vêtu de son costume bleu ou de son tablier à carreaux vichy, avec ses grosses lunettes sur le nez, la petite louve dans son pyjama salopette, petit bandeau autour de la tête, les trois cochons revêtus qui d’un maillot, qui d’une salopette, incarnent une animalité très humanisée, dans laquelle se détache l’agressivité « naturelle » de petite louve. Les visages sont expressifs, trogne des petits cochons aux yeux exorbités, air rêveur du loup, mimiques pleines de saveur de petite louve. Et que dire de l’intérieur de la maison du loup qui mêle une cuisine très contemporaine avec une cheminée et un chaudron à l’ancienne !

Un album plein d’humour, qui revisite avec bonheur le conte des trois petits cochons, et donne des leçons de compostage ! A dévorer sans modération !