Le Coffre à joujoux

Le Coffre à joujoux
Adèle Massard
Les Grandes Personnes, 2023

« Cherche et trouve » d’aventure en aventure

Par Edith Pompidou-Séjournée

Cet album au format géant cartonné et sans texte, sauf une notice sous forme de rabat sur la première de couverture, ainsi que des illustrations enfantines et colorées faites de papiers découpés peut, dans un premier temps, laisser penser qu’il s’adresse aux plus petits et pourtant…
Son format oblong donne vie à un large espace intérieur avec des scènes incroyables qui s’étendent sur la double page et qui fourmillent de détails plus surprenants les uns que les autres. À chaque nouveau décor correspond une nouvelle aventure.
Le lecteur voyage ainsi d’une fête foraine à une salle de jeux pour mieux se perdre dans les fonds marins et visiter le ciel, de jour comme de nuit. Il devra retrouver à la manière d’un « cherche et trouve » les 15 personnages décrits dans la notice. Si ces derniers appartiennent tous au monde de l’enfance, ils n’ont rien de commun. Par exemple, le doudou est grognon, la souris gloutonne, le pirate est une fille qui s’appelle Pierrette, Guy le cowboy chevauche une licorne, le robot est malchanceux, la poupée aventurière et l’ours narcoleptique. Les indices donnés sur le caractère et la vie de chacun aideront à les retrouver mais permettront aussi de mieux s’inventer des histoires à leur propos, au fil des pages. Les destins de certains se croiseront pour partager une montgolfière, un sous-marin ou une diligence ; s’entraider comme la pirate qui pousse le fauteuil du robot malchanceux après l’attaque d’un requin. D’autres rencontreront aussi de nouveaux personnages et évolueront tout au long du livre comme les frères Bali et Balo qui se font suivre puis kidnapper, transportés par un extraterrestre avec sa soucoupe volante, celui-ci tentera ensuite de les faire cuire pour les manger sur sa planète.
Il ne s’agit donc pas d’un « cherche et trouve » classique, les scènes sont loufoques et stimulent l’imagination avec de multiples clins d’œil qui s’adressent à un large public. Des plus petits aux plus grands : à lire et à relire, seul ou à plusieurs, pour vivre de nouvelles aventures à chaque lecture.

La Bonne idée de Monsieur Johnson

La Bonne Idée de Monsieur Johnson
Pierre Grosz, Rémi Saillard
La Cabane bleue, 2022

La métamorphose  des gadoues

Par Anne-Marie Mercier

La Cabane bleue propose « des livres pour enfants qui chouchoutent la planète », non seulement parce qu’ils sont produits et distribués de façon éco-responsable, mais aussi parce que leurs thèmes bien souvent proposent des héros ou des pionniers de l’écologie. Monsieur Johnson est un peu les deux. Employé d’un gigantesque dépôt d’ordures proche de New York et chargé d’en tenir les registres, il est un héros atypique. Il passe ses journées à compter des camions jusqu’au jour où… eurêka ! « Un jour, une idée a jailli dans sa tête ». Voilà la « bonne idée » du titre : sitôt jaillie, l’idée le conduit au marché aux fleurs où il achète des plantes qu’il installe dans les montagnes d’ordures sans rien dire à personne et bien sûr sans autorisation. Viennent les plantes, reviennent les oiseaux, et avec eux les ennuis : les oiseaux gênent les avions, tout est découvert.
Mais c’est l’histoire d’un succès : Jamaica Bay, enfer puant est devenu un paradis, et comme on est aux USA rien ne se perd : les tickets d’entrée à la nouvelle réserve naturelle vont financer une nouvelle usine de traitement des ordures (en attendant le zéro déchet ?).
Le dessin naïf, la bonne tête de Herbert Johnson, avec son chien, son vélo, son camion rouge, tout cela sur fond verdâtre, puis dans un décor multicolore, la simplicité de. l’ensemble, tout cela est bien réjouissant.

Dans ma maison

Dans ma maison
Maxime Derouen
À pas de loups, 2023

Maison ou zoo ? Rêve ou réalité ?

Par Edith Pompidou-Séjournée

Cette histoire est construite comme un album à compter de 1 à 10 avec à chaque page la découverte d’une nouvelle pièce de la maison. Mais, dès la première de couverture, le lecteur est quelque peu déconcerté par la couleur bleu pâle tout autour de la maison représentée sur une sorte d’animal aquatique semblant flotter dans cette atmosphère, recouvert de plantes fleuries qui n’ont rien d’aquatique…
En ouvrant le livre, le mystère ne s’éclaircit pas, bien au contraire étant donné qu’on découvre un éléphant bleu et fleuri sur la page de titre. Aucun rapport encore à priori… Puis on découvre l’intérieur de la demeure, en coupe, envahi par la végétation. S’en suit alors une progression dans la maison comme dans les nombres : chaque nouvelle page présente de nouveaux animaux qui se sont installés à différents endroits de la maison de façon tout aussi incongrue que les noms dont ils sont affublés et qui riment pour l’occasion avec leur lieu de résidence. On trouve d’abord une girafe élégante emmêlée dans une lampe, puis deux zèbres camouflés sur le lit et traités de bandits, trois ours pillent dans le réfrigérateur comme des explorateurs, quatre pieuvres vident la machine à laver tels des ouvriers, cinq perroquets surnommés « pipelettes colorées » sont dans l’évier, six éléphants avancent  à la manière de cavaliers dans les escaliers, sept canards – maîtres-nageurs notoires – pataugent dans la baignoire, huit cochons ou farceuses demoiselles s’amusent dans le lave-vaisselle, et neuf crocodiles, galopins redoutables sont cachés sous la table.
Dans les illustrations de tous ces passages, la nature est omniprésente enchevêtrée entre les animaux et le mobilier ; les couleurs sont saturées et variées. Ces éléments rappellent immanquablement les tableaux du Douanier Rousseau. L’un des plus connus s’appelle d’ailleurs Le Rêve. Le lecteur fait le lien onirique à la dernière page du livre : la végétation et les nombreuses couleurs complémentaires ont disparu, c’est la nuit : un enfant dort, entouré de 10 mille étoiles et protégé par ses doudous. Ils sont au nombre de neuf et correspondent aux animaux précédemment rencontrés. Peut-être est-ce enfin la clé de cette visite énigmatique : chimère de ce petit garçon endormi… ?

Vacances d’hiver

Vacances d’hiver
Mori
HongFei, 2024

La France en vitrine

Par Anne-Marie Mercier

Après ses Vacances d’été, Mori nous emmène en voyage d’hiver. Son petit personnage part cette fois du Japon (au lieu d’y aller comme c’était le cas dans l’album précédent), toujours avec son chat et toujours avec des tenues appropriées, pour l’une comme pour l’autre. Coiffés de jolis couvre-chefs, tous différents, choisis selon les circonstances, arborant des tenues rayées de bleu, blanc, rouge, ou de gros blousons (on songe aux poupée de carton à habiller dans les journaux d’autrefois), ils nous entrainent vers les plaisirs de l’hiver : visiter Paris (ah, l’opéra, les quais de Seine et Notre Dame…), glisser sur les patinoires, contempler la montagne avec ses téléphériques, faire de la luge… s’éblouir avec les cadeaux, les illuminations, tout cela émerveille… avant un retour sage chez soi, sur son tatami, une jolie tour Eiffel en souvenir sur une étagère et des images plein la tête.
Les très belles images de cet album sans texte (hors les pages de garde) qui sont autant de cartes postales, ou de capsules de mémoire, font aussi sourire par leurs détails  (les boulangeries fermées le lundi, un chat de neige à côté d’un bonhomme de neige contemplé, en miroir, par les deux amis, le lion de Béatrice Alemagna qui marche en bord de Seine… tout un voyage !

Nos amies les bêtes

Nos amies les bêtes
Marie Colot et Françoise Rogier

Éditions À pas de loups, 2023

Une révolte qui fait mouche

Par Loick Blanc

Flash spécial, les animaux à fourrure et à plumes se révoltent, lassés d’être réduits à de simples produits de consommation !

Cet ouvrage, empreint des échos de La Ferme des animaux d’Orwell, expose avec perspicacité les réflexions sociétales contemporaines sur le bien-être animal. Les auteures cherchent à éveiller chez le jeune lecteur une conscience éthique concernant le traitement des animaux et notre relation avec la nature. Les bêtes aspirent à une évolution des mentalités.
Les loups, traditionnels prédateurs de la littérature jeunesse, tirent parti de l’agitation engendrée par la révolte pour s’attaquer aussi bien aux humains qu’aux animaux. Cependant, une résistance inattendue émerge de ceux-là mêmes qui étaient auparavant en conflit, trouvant dans leur diversité un terrain d’entente propice à la création d’une harmonie entre les bêtes et les hommes. Les prédateurs, quant à eux, se retirent dans la forêt, pansant leurs blessures et semblant adopter un régime végétalien, symbolisé par un changement chromatique du rouge sang au vert, incarnant la transition vers le végétal, souhaité par les animaux.
Toutefois, plutôt que d’opposer de manière radicale deux modes de vie, l’album se conclut sur une note humoristique avec une nouvelle révolte : les légumes manifestent contre ceux qui les consomment ! Ce dénouement, teinté d’ironie, nous place dans une boucle et ramène la question animale au centre de la réflexion. Doit-on radicalement transformer notre mode de vie ou bien réexaminer notre consommation d’un œil éthique envers les animaux et la nature, préservant ainsi l’harmonie entre les êtres humains et la nature telle que présentée dans l’album ?
Les pages intérieures des première et quatrième de couverture, illustrant des souris préparant leur propre manifestation contre le chat domestique, offrent un clin d’œil visuel à ce message anti-radicalisme. L’esthétique rétro des illustrations, soulignée par des sols à damier évoquant la traditionnelle nappe Vichy, se voit modernisée par sa couleur à la fin de l’ouvrage, incitant à la réflexion sur une nécessaire évolution de la société.
Nos amies les bêtes est donc un album qui ravira petits et grands, tout en invitant le lecteur à se questionner sur la société dans laquelle il veut grandir.

Une Semaine dans la peau de mon frère

Une Semaine dans la peau de mon frère
Nadia Coste, Silène Edgar
Syros, 2023

Tout un programme

Par Anne-Marie Mercier

Après Trois jours dans la peau d’un garçon, ou dans celle d’un personnage de fiction, ou un jour (c’est sans doute assez…), Vendredi, dans la peau de ma prof, le duo formé par Nadia Coste et Silène Edgar propose un autre changement de point de vue. Il est moins radical a priori : les deux héros sont tous deux humains, ils sont de même sexe, ont un âge proche, appartiennent à la même fratrie et vont en classe dans le même collège.
Mais entre le geek et le sportif, le courant passe mal. Cette expérience va donc les obliger à considérer la vie de l’autre, le considérer, prendre grâce à lui confiance en soi et en l’autre, avancer, pour bien sûr revenir à l’étape précédente, en mieux.
Le système de narration alterné est un peu sportif, de même que les interversions de prénoms (Kilian devient Nolan et vice-versa, mais seulement extérieurement, vous suivez ?) mais un système d’icônes permet de s’y retrouver.
On parcourt tous les lieux et thèmes du collège : la cantine, la cour, les salles de cour, le stade, le trajet depuis la maison, le harcèlement, les leaders, la question des notes, les révisions, les copains qu’on perd de vue en changeant de classe. On aborde de ombreuses questions sur les relations entre parents et enfants (travail domestique, une chambre à soi, libertés…) et cette famille est bien normale, c’est reposant. C’est aussi plein de bons sentiments, de refus du sexisme et du suivisme. Les personnages sont courageux, ou le deviennent, chacun à leur tour ; le personnage de la fille, conseillère, amoureuse, amie, est un moteur pour l’un comme pour l’autre et les autres personnages secondaires sont bien campés. Le récit étant pris en charge par les deux frères alternativement, l’un en cinquième, l’autre en troisième, et les auteures ayant fait le choix d’imiter sans grande fantaisie la langue de leur âge et de leur temps, ce n’est pas de la grande littérature, mais c’est très lisible, à tous les sens du terme la typographie est très claire et aérée).
Sur le même thème on peut aussi revenir aux classiques (je ne note que ceux qui proposent un changement de sexe) : Le Merveilleux Pays d’Oz (2e volume du cycle de Frank Lyman Baum), le très merveilleux La Nouvelle Robe de Bill d’Ann Fine et, plus récents, Dans la peau d’une fille, (Aline Méchin, 2002), Le Jour du slip, et Je porte la culotte (Anne Percin et Thomas Gornet, 2013) qui proposent deux points de vue dans deux parties d’un même volume selon le principe de la collection Boomerang). Pour les plus âgés, le roman un peu violent de Lauren McLaughlin, Cinq jours par mois dans la peau d’un garçon (Cycler, 2008), et le très conceptuel et malin A comme aujourd’hui (David Levitan, 2012) qui propose des sauts brefs (une journée) dans de multiples identités : décoiffant !

 

La belle Course

La belle Course
Henri Meunier
Rouergue 2023

Une vie

Par Michel Driol

Un chien court après un homme qui court après un oiseau… Un enfant court après une balle… des cœurs ardents courent après l’amour… Le travailleur court après le pain. L’ancêtre court derrière ses plaisirs d’antan. L’homme et le chien, couchés sur l’herbe, regardent l’oiseau s’envoler.

Il fait irrésistiblement penser à Prévert, ce texte d’Henri Meunier, par son ton, par sa poésie liée à la répétition des mots et des structures, par son côté inventaire de personnages et de situations, mais aussi par sa façon de parler des travailleurs qui courent après le travail parce qu’ils ont faim, et par sa façon d’embrasser, en quelques pages, toute une vie, de l’enfance à la mort, avec une grande simplicité. Comment parler, avec poésie, avec humanité, des vies simples des gens de tous les jours ? Tout est là, dès la couverture, 3 âges de la vie représentés en train d’aller de la gauche à la droite, une enfant, un adulte et un vieillard, chacun à son rythme.

Avec une solide construction textuelle et graphique, l’album nous plonge d’abord dans un parc où des enfants jouent. Puis on se retrouve dans un univers plus japonisant, celui de l’amour, sous les cerisiers en fleurs. Après la traversée d’un labyrinthe végétal, c’est la ville et le travail, un univers d’adultes, que l’on retrouve à l’intérieur d’une usine à fabriquer des origamis. En sortant de l’usine, une cour où des vieillards jouent aux boules avant de retrouver un cimetière et de regarder s’envoler l’oiseau. Ce qui assure la continuité graphique d’une double page à l’autre, c’est la course du chien, de l’homme, de l’oiseau que l’on retrouve sur toutes les pages. Et l’enfant ? Avec son maillot à rayures blanches et bleues, on le suit aussi, de page en page. Mais il grandit. Jeune adulte, il embrasse une fille. Puis il vend des journaux, entre à l’usine, où il travaille. Il est moins aisé à identifier sur la page suivante, peut-être ce personnage de dos, à cheveux blancs. On l’imagine dans la tombe… La richesse de cet album vient sans doute de cette double temporalité dont les illustrations rendent compte : la course d’un homme et d’un chien, la vie entière d’un autre homme.

SI l’album s’apparente aux structures en randonnée (au sens propre et figuré), les phrases portent aussi ce mouvement de fuite en avant, avec une progression thématique assez souvent  linéaire. Entendons par là que les derniers mots d’une phrase deviennent les premiers de la phrase suivante, créant ce mouvement perpétuel d’attente de la suite, du but de la course, de sa finalité. Tout ici a son importance : les prépositions : d’abord on court après, puis, à la fin, on court derrière…, les verbes de mouvement (relancer, égarer qui accompagnent l’omniprésent courir).

Au cœur du texte, comme une pause à dimension politique et sociale. Pause des ouvriers qui courent après le pain, le travail, attendent à l’entrée de l’usine, sont installés à un poste de travail, devant des chaines où se fabriquent de dérisoires cocottes en papier. Dimension sociale aussi dans ces propos rapportés de ceux qui ont le ventre plein : « le pain, il faut le gagner miette à miette ».

Quelle trace reste-t-il de cette vie à la fin, au moment de ce départ symbolique vers les nuages, le ciel ? Une belle course, faite d’un peu de jeu, d’un peu d’amour, d’un peu de travail, d’un ventre à remplir. C’est émouvant, mais c’est aussi une leçon de sagesse. L’invitation peut-être aussi  à prendre son temps, à profiter de l’instant, à ne pas vouloir être plus grand quand on est enfant.

On le voit, c’est un riche album, polysémique, poétique, plein de créativité textuelle et graphique. On en citera, pour finir, les dernières lignes, comme un ultime message déposé sur un ciel bleu :

De l’oiseau, oh,  de l’oiseau
de l’oiseau sage qui ne court après rien,
le ciel ne garde pas une seule trace.

Missak et Mélinée – Une histoire de l’affiche rouge

Missak et Mélinée – Une histoire de l’affiche rouge
Elise Fontenaille
Rouergue doado 2024

Prose pour se souvenir

Par Michel Driol

80 ans après l’exécution de Missak Manouchian, au moment de son entrée au Panthéon, Elise Fontenaille rend hommage, non seulement à Missak et Mélinée, mais aussi aux 23 fusillés du 21 février 1944, et, plus largement, à tous les résistants, dans un texte qui mêle subtilement fiction et documentaire biographique.

Le réel, il est bien là, dans le récit de la vie de Missak Manouchian, de son enfance marquée par le génocide arménien, qui fait qu’il se retrouve vite seul avec son frère ainé, dans un orphelinat syrien où il apprend le français et découvre la poésie. Puis c’est l’arrivée à Paris, où il devient un poète et intellectuel arménien, engagé, communiste, rêvant de retourner à Erevan. C’est enfin la guerre, l’entrée dans la Résistance où ses qualités humaines le conduisent à diriger le groupe FTP-MOI, constitué de résistants communistes d’origine étrangère. Le réel, c’est aussi l’histoire individuelle de quelques-uns des 23, c’est aussi la reproduction des lettres qu’ils écrivent à leurs proches, c’est aussi le récit de leur exécution documenté par le prêtre qui y assista, ainsi que par les trois photos prises par un soldat allemand. Le réel, c’est enfin la vie de Mélinée, les circonstances de l’écriture du poème d’Aragon, de sa mise en musique par Léo Ferré… et sa censure, à l’ORTF, jusqu’en 1982…

La fiction, elle est là, avec d’abord le récit (fantastique) qui encadre l’histoire de Missak et Mélinée. Récit dans lequel un adolescent, Jibril, marchant devant la fresque murale d’Artof Popof représentant Manouchian, est accueilli par Hermine qui lui offre à manger dans son restaurant arménien. C’est Hermine qui raconte ensuite l’histoire, explicitant les détails de la fresque. Mais le lendemain, le restaurant n’est qu’un rideau de fer rouillé… La fiction, elle est aussi là dans les dialogues, dans la construction littéraire des personnages de ce roman historique, afin de rendre plus sensibles les valeurs qu’ils incarnent, jusqu’à en mourir : le gout de la liberté, de la fraternité, le gout du beau et de la poésie, le refus de toutes les oppressions et de toute xénophobie.

En assumant aussi bien la dimension réaliste que la nécessité de la fiction, le texte sait s’adresser à des adolescents d’aujourd’hui en adoptant une grande variété de styles en fonction des époques relatées. L’enthousiasme de la jeunesse, ses aspirations, marqués par des phrases exclamatives, pleines de vie, entrecoupées de poèmes bien choisis de Villon, Hugo, Baudelaire… Puis la guerre, les actes de résistance, relatés en des phrases plus sobres, comme une façon de constater, de dire sans effet de style le courage et les dangers, puis de raconter, sans emphase, sans pathos, l’exécution des 23 résistants. A ce moment-là, la poésie a disparu, pour revenir à la fin avec le poème d’Aragon.

Texte essentiel pour l’autrice qui explicite les raisons très familiales qu’elle a eu à l’écrire, elle qui est issue d’une famille de résistants. Par-là, le texte assume bien toute une fonction de la littérature, de jeunesse en particulier – qui est celle de la transmission. Transmission d’une génération à une autre, transmission qui passe par les mots. Et ce n’est pas pour rien qu’on trouve la figure d’Hermine comme passeuse qui raconte cette histoire, dans une véritable mise en abyme, et que Jibril à son tour se met à écrire.

Faut-il enfin souligner l’actualité et la nécessité de ce texte, en ce début 2024, au-delà des effets d’anniversaire, dire à quel point il montre bien que ceux que l’affiche rouge présentait comme des terroristes étrangers étaient en fait plus français que bien d’autres, en ayant épousé les valeurs qui nous font vivre ensemble ? On laissera à Missak la conclusion de cette chronique :

Vous avez hérité de la nationalité française. Nous, nous l’avons méritée…

L’Amour en poche

L’Amour en poche
Eric Sanvoisin – Illustrations de Nadège Baumann
Editions du pourquoi pas ?? 2024

Chez elle, chez lui, chez eux, chez eux

Par Michel Driol

Depuis que ses parents se sont séparés, Youen a quatre maisons. Chez maman, soleil et gâteaux. Chez papa, guitare et chansons. Chez les parents de maman, histoires, gouter et chat. Chez les parents de papa, chien et bricolage.

La situation de Youen est celle de nombreux enfants d’aujourd’hui. Le texte suit le petit garçon dans les différentes maisons, mettant l’accent sur ce qui fait la singularité des adultes qui y habitent. Ce qui frappe, c’est la dimension des activités qu’on y pratique et surtout des plaisirs divers qu’on y éprouve, générant des bonheurs différents, tous indispensables à l’épanouissement de l’enfant. Comme un fil rouge entre toutes ces situations, chaque chapitre se clôt sur un objet transitionnel que chacun glisse dans  la poche de Youen, objet dont on ne connait que les qualités : précieux, fragile, lumineux et doux, objets symboliques de l’amour transmis. La poésie du texte vient de sa façon de métamorphoser le réel : ainsi l’explication de la séparation par des cœurs qui ne sont plus à l’unisson. Elle vient aussi des sensations qui envahissent le texte : sens des odeurs, du toucher. Elle vient enfin de la légèreté avec laquelle cette situation, possiblement lourde de tensions, est abordée, montrant que l’amour et l’affection sont les plus forts. Très colorées, très lumineuses, les illustrations de Nadège Baumann contribuent à réunir les quatre univers en composant des images du bonheur.

Un texte qui montre avec délicatesse la richesse de ce que chacun peut apporter à un enfant qui n’a pas à souffrir de la séparation de ses parents.

Chacun mon tour

Chacun mon tour
Didier Jean & Zad
Utopique 2023

Apprendre à  partager

Par Michel Driol

Une cour d’école maternelle et un seul vélo pour tous les enfants. L’héroïne attend son tour, pleure auprès de la maitresse, et quand son tour arrive, elle trouve que cela va trop vite. De dépit, elle jette le vélo par terre. Se sentant mal, elle va demander pardon à Luis, le suivant.

Apprendre à partager, c’est prendre en compte l’autre, et, quelque part, aller contre les tendances naturelles de l’enfant, qui veut tout pour lui, tout de suite. Mais c’est un enjeu important pour vivre en société. La situation présentée dans cet album, est de celles que l’on rencontre souvent avec les enfants. Le lieu, la cour de récréation, le contexte, moins de vélos que d’enfants, sont présentés ici avec réalisme et une certaine simplification (un seul vélo, des illustrations, un scénario et un texte sachant aller à l’essentiel) pour que l’album soit compris par les plus jeunes auxquels il s’adresse. Les auteurs font le choix d’un personnage de petite fille, narratrice, déterminée, et dont le langage est bien celui d’une enfant (c’est pas rigolo). Zad représente de façon expressive les divers sentiments qui la traversent (envie, plaisir, colère, honte). Tout est fait pour que le lecteur se reconnaisse et s’identifie à elle. Le seconde partie de l’album ne manque pas d’intérêt dans la façon de passer par l’exagération (exagération de l’illustration représentant le visage colérique de l’enfant) et la poésie. Ce sont les mains de l’enfant qui prennent l’initiative de devenir papillons pour aller se poser sur les épaules de Luis, belle façon de dédramatiser la honte et le pardon, parfois difficile à demander.

Malgré la simplicité de leur ligne claire, les illustrations présentent en second plan des enfants dans la cour, accrochés aux mains de la maitresse, en petit couple surmonté d’un cœur… dans des couleurs très lumineuses, rendant compte aussi de la diversité de ce qui se passe pendant une récréation.

Un album qui, avec humour, dans la bonne humeur, se veut éducatif, pour apprendre à partager, à sortir d’une situation de conflit, pour développer ce qui est essentiel à travailler dès le plus jeune âge : les compétences sociales.