Le Goût du temps

Le Goût du temps
Seoha Lim
D’Eux, 2022

Douceurs du temps (passé, présent, goûté)

Par Anne-Marie Mercier

Associer notions et sensations permet de mieux les explorer. Ainsi, Anne Herbauts dans son bel album sur la cécité, De quelle couleur est le vent ?, avait-elle essayé de faire « sentir » la couleur à des non-voyants et de faire comprendre à ceux qui ne l’étaient pas la nature de leur monde.
Ici, l’ambition est plus générale : il s’agit d’associer un plat, des saveurs, avec « le temps qu’il fait ». Deux lapins invitent leurs amis (écureuils, cochons, ourson…) à venir fêter un anniversaire en apportant chacun une évocation du temps qu’ils aiment : une soupe d’automne à la cannelle et aux nuages avec des odeurs de fleurs et d’herbes, et un soupçon d’extrait de brume pour les uns, lié au souvenir de leur grand-mère ; pou d’autres, ce seront les biscuits des jours de neige (aux amandes, bien sûr) préparés par leur mère.
Le temps qu’il fait est ainsi associé au temps qui passe et à la recherche de ce qui a été perdu mais qui revient, à la manière proustienne, dans des sensations aussi subtiles que puissantes : odeurs, goûts, atmosphères… Les images suaves et simples nous introduisent dans un joli monde enfantin, fait de partage, de découvertes et d’extase à travers de charmantes inventions de plats, mêlant l’imaginaire et la cuisine, l’impalpable au solide.
On retrouve la douceur de La Bibliothèque de la forêt, du même auteur, avec plus de profondeur, mais toujours avec des petits lapins.

Et pendant ce temps paissent les bisons

Et pendant ce temps paissent les bisons
Mickaël El Fathi
Editions courtes et longues 2023

Poétique de l’art pariétal

Par Michel Driol

Au moment où une jeune fille, Sahâna, dessine sur les parois d’une grotte les contours de son rêve, elle entend le retour du troupeau de bisons. Les autres animaux sauvages le guettent aussi. C’est alors qu’un immense bison protège le troupeau, conduisant les prédateurs à fuir. Mais lorsque le bison géant s’endort, les fauves se réveillent. Sahâna conduit les bisons près du protecteur, bientôt rejointe par son clan. Les bisons repartent et Sahâna termine son dessin, celui d’un bison.

De magnifiques illustrations en pleine page, dans des dominantes de rouge et de jaune (couleurs du jour qui se lève), ne cherchent pas à copier l’art pariétal. Elles en donnent plutôt une interprétation pleine de sensibilité, donnant à voir l’immensité d’une steppe rouge dans laquelle on perçoit des silhouettes noires, hommes, animaux. Elle nous font assister au spectacle de la nature de façon extraordinaire et grandiose. En jouant à la fois sur le concret et l’abstrait, le réel et le fabuleux, ces illustrations suggèrent plus qu’elles ne montrent un univers éloigné dans le temps, et ont la volonté de faire pénétrer le lecteur dans l’imaginaire des hommes préhistoriques. Le texte y parvient aussi, jouant lui sur la poésie, avec ce qui revient comme un refrain régulier, Et pendant ce temps paissent (ou dorment…) les bisons, comme une façon de montrer ces animaux paisibles et sûrs d’eux-mêmes, semblant ignorer le danger qui les menace. Par le travail sur le rythme, le texte se prête bien à l’oralisation expressive.

L’histoire, elle, nous maintient dans un entredeux, entre réel et rêve, sans jamais trancher entre les deux. Entre récit d’aventure et conte onirique, l’histoire parle du rapport des hommes et des animaux, des dangers qui menacent les uns et les autres, de la façon dont les hommes sauvent les bisons. Elle met aussi en scène une créature fabuleuse, sorte de puissance protectrice des bisons, à la fois fascinante et fragile. Elle pose la question de la fonction de l’art dans les sociétés primitives dépeintes ici, du lien entre art et rêves, art et réalité, utilisant toutes les ressources de la fiction pour laisser au lecteur le soin de tenter d’y répondre. Que dessine Sahâna ? un rêve ? un souvenir ? Au-delà de la fonction de l’art pariétal, c’est toute la question de l’inspiration qui est ici abordée.

Un bel album, qui à la fois parvient à évoquer la violence de la vie sauvage et la bravoure des hommes à travers la représentation d’une tête de bison sur les murs d’une grotte peinte par une jeune fille.

La Maison sous la maison

La Maison sous la maison
Émilie Chazerand
Sarbacane, 2023

L’espace infini de l’imaginaire

Par Anne-Marie Mercier

L’album Un Oiseau juste là m’avait charmée par son originalité, tant par son sujet que par l’illustration. La Maison sous la maison, gros roman (plus de 380 pages), prouve que le talent et l’inventivité d’Émilie Chazerand ont bien des facettes. Elle s’attaque ici au thème très riche de la maison aux dimension quasi infinies et ouvrant sur d’autres mondes (comme les maisons de Claude Ponti, celle de Coraline de Neil Gaiman, de L’Autre de Pierre Bottero, ou La Maison sans pareil d’Elliot Skell à propos de laquelle, dans ma chronique, je développais un peu cette question). Sa maison est double : il y en a une autre sous la maison, ce qui fait qu’on parle de « la maisonS ». Enfin, la maison souterraine semble à son tour ouvrir sur un monde immense.
A l’origine de l’histoire, il y a le désir d’une vieille femme qui souhaite donner sa maison et son jardin à des personnes capables de les aimer. La famille d’Albertine est l’heureuse élue; elle est composée avec elle de sa mère, de son frère ainé et de son petit frère encore bébé – les trois enfants sont de pères et de couleurs différents, Albertine ne connait pas le sien. On devine vite qu’elle n’a pas été choisie par hasard : Albertine elle-même est une «élue». Elle parle avec les plantes, et celles-ci lui répondent.
Le jardin comme la maison l’accueillent et lui livrent leurs secrets. Parmi tous ces secrets, outre ceux que livrent les myosotis (pour se souvenir ou pour oublier) ou les marguerites (pour devenir invisible), il y a le mystère de l’autre maison, sous la maisonS. On y accède par la cave, en passant par un congélateur hors service. Albertine découvre une amie, nommée Merle, la famille de celle-ci, des animaux fantastiques (par exemple, une limace géante qui s’appelle Marie-Christine – dans ce monde les humains ont des noms d’oiseaux), et surtout elle découvre de quelle mission elle est investie : elle est la Grande Intermédiaire chargée de faire le lien entre la Nature, le monde souterrain qui la sert, et les hommes du dessus afin de prévenir les désastres que leur bêtise ne peut manquer de susciter. Tâche écrasante. Elle ne s’en sortira pas mal pourtant, et à peu de frais. L’intrigue s’affranchit ainsi de trop de sérieux et galope d’aventure en aventure, de bourde en bourde et multiplie les rebondissements jusqu’à une fin intelligente, pas trop déceptive mais pas trop facile non plus.
L’aspect passionnant du roman, sa vivacité, sa poésie et son joli style, fait d’un mélange très réussi de simplicité, de néologismes et de trouvailles poétiques, est doublé par son inscription dans le genre de l’utopie. Le monde souterrain est un proche de la perfection. Certes, il manque de couleurs, d’air, de vent, d’oiseaux mais les relations entre les êtres sont harmonieuses. Il n’y a pas de césure entre les genres humain, animal ou végétal, tous communiquent et ont les mêmes droits (bien évidemment on y est végétarien). Les décisions sont prises en Conseil, chacun peut être entendu et se racheter si besoin. Bien sûr il y a les fameux « Ho-la-la » qu’il ne faut pas enfreindre (parmi eux : arracher une plante sans son consentement, maltraiter un animal, être désagréable avec quelqu’un, quitter le sous-monde sans autorisation, faire venir un habitant du monde d’en haut sans autorisation, laisser couler l’eau du robinet pendant qu’on se lave les dents…). Comme dans toute utopie, la perfection a son revers : c’est un monde clos qui, pour se protéger, refuse qu’on y entre ou qu’on en sorte, ce qui provoque de multiples péripéties et parfois des drames sans solution.
Albertine, petite fille de père inconnu, pauvre, rousse en plus, maltraitée au collège, se trouve tout-à-coup investie de pouvoirs et de responsabilités nouvelles. Cela pourrait l’écraser mais elle découvre au même moment l’amitié et prend confiance en elle-même. Elle renoue aussi un beau lien avec son frère – lien qui sera brisé par les myosotis (vous suivez ?).
Utopie imparfaite, pouvoir éphémère, rien n’est parfait. Sauf peut-être, dans son genre, ce roman ?

Perpète / Illettrée littéraire

Perpète/Illettrée littéraire
Pierre Soletti – Cahier d’illustrations d’Emma Morison
Editions du Pourquoi Pas ? Collection Faire humanité 2023

Si présente absence

Par Michel Driol

Deux récits – ou plutôt deux poèmes – tête  bêche de Pierre Soletti, adressés tous deux à sa grand-mère, Mamé. Perpète, construit autour d’une anaphore, j’ai frappé dit le désespoir de celui qui frappe à la porte d’une morte, avec tout l’amour de l’enfance, tout le désespoir de voir cette porte désespérément close. Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant, écrivait Apollinaire… Plus long, Illettrée littéraire, développe l’oxymore du titre comme un touchant hommage à une grand-mère, Mamé, à ses liens avec son petit fils qui sera ému de voir son nom sur la couverture d’un livre.

Deux textes magnifiques, en vers libres, très libres, qui explorent des frontières. Frontière représentée par la porte, entre la vie et la mort. Frontière entre deux pays, incarnée par Mamé, exilée à l’accent rocailleux. Frontière entre la langue écrite, celle de l’auteur, et la langue orale, « espiègle, créative » de la grand-mère. Ces frontières ne sont pas infranchissables, mais sont plutôt des lieux de passage, voire de transmission. C’est ce que souligne l’incipit du second texte, qui inscrit l’individu dans une généalogie, entre ceux qui l’ont précédé et ceux qui lui succèderont. C’est bien de faire humanité qu’il s’agit ici, c’est-à-dire de n’être pas individu solitaire, mais maillon d’une chaine sans laquelle on ne serait rien.  Quoi de plus beau que de voir un écrivain dire qu’il ne serait rien sans sa grand-mère, présentée en quelques scènes à la fois drôles et émouvantes : celle de la dictée où elle invente l’orthographe, celle du livre d’histoire, avec un(e) grand(e) h(ache), cette grande mère dont la prononciation restituée de quelques mots dit l’accent, c’est-à-dire la singularité et l’originalité. Nous avons perdu nos accents, signes aujourd’hui de l’étranger, de l’autre. Pourtant, il n’est que d’écouter des enregistrements d’avant la télévision uniformisatrice pour entendre les particularismes des origines régionales assumées… Nous devenons de plus en plus des êtres normés, là où des variations seraient nécessaires.  Illettrée littéraire nous invite à nous affranchir des barrières des préjugés, des regards de mépris, pour chercher ce qui nous rassemble, nous aide à grandir, l’amour inconditionnel d’une grand-mère pour son petit-fils. Mais cela va plus loin, car on y lit un véritable art poétique autobiographique. La poésie comme une façon de prolonger par l’écriture ce lien charnel avec les mots prononcés, tordus, déformés d’une grand-mère, de continuer cette création verbale, mais peut-être aussi comme une façon de lutter contre le silence de la porte close qui ne s’ouvrira plus jamais.

Reviennent, comme un leitmotiv du cahier d’illustrations, les lettres, les écritures qui forment visage, bouquet, volet, comme pour montrer que Mamé n’est plus là, mais qu’elle est partout sur ces images d’un bleu très doux.

Deux beaux textes qui trouvent les mots pour dire, à hauteur d’enfant, dans une grande simplicité lexicale et syntaxique, le lien intergénérationnel et la douleur du deuil, afin de toucher toutes celles et ceux qui reconnaitront peut-être en Mamé comme en leur grand-mère ou  leur grand-tante : une passeuse de mots et d’affection.

Le Géant / Le Chien attendait

Le Géant /Le Chien attendait
Mathis – Cahier d’illustrations de Marie Le Puil
Editions du Pourquoi Pas ? Collection Faire humanité 2023

Le meilleur ami de l’homme

Par Michel Driol

Dans cette nouvelle collection des Editions du Pourquoi pas, deux récits tête bêche. Le Chien attendait, c’est l’histoire de l’amitié entre Anatole un petit garçon – qui grandit – et un chien – qui vieillit – vue du point de vue du chien. Quant au Géant, c’est l’histoire d’un homme assez sauvage, que les enfants – dont le narrateur – prennent pour un ogre, attaché à son chien, aussi sauvage que lui.

Deux textes brefs, qui résonnent l’un avec l’autre, et qui parlent du temps qui passe, de ce que c’est que vieillir, pris entre le passé et le futur qui donnent le vertige au jeune narrateur du Géant. Deux histoires dans lesquelles c’est l’animal qui meurt, laissant une place vide, entrainant les pleurs du Géant – C’était la première fois que je voyais un homme pleurer – et ceux d’Anatole, concomitants de la mort du chien, bien que loin de lui.  Bien sûr à chaque fois il est question de l’attachement d’un homme pour un animal et de la douleur que c’est de perdre un être cher, fût-il un animal. Mais les deux récits savent dépasser le simple récit animalier pour évoquer des choses plus profondes, dans une langue simple, très factuelle dans le Géant, plus poétique, métaphorique, répétitive dans le Chien attendait, qui prête à l’animal comme des sentiments humains. Il y est question de l’abandon par Anatole de celui qui l’a aidé à grandir. Grandir, c’est aussi cela. C’est laisser derrière soi son enfance, ses amis, sans se douter de leur souffrance. Le Géant, quant à lui, parle de la peur qu’éprouvent les enfants face à ce personnage qui semble redoutable, et de leur surprise finale lorsqu’ils le voient pleurer à la fin. C’est l’éruption de la mort, à chaque fois, dans les deux récits, qui révèle la part d’humanité que l’on ne voulait pas voir, ou plus voir. Deux récits dont les chutes, en écho, évoquent des premières fois douloureuses, comme des expériences qui font sortir de l’innocence de l’enfance, où l’on croit tout éternel, où les gens sont entièrement bons ou mauvais.

Le carnet central d’illustrations met l’accent sur les personnages, dans des dominantes rouge et bleu, et montre avec expressivité les relations entre les humains et les chiens.

Deux récits dont la brièveté n’émousse pas l’acuité pour dire la force de l’amour.

Enquêtes à Frousseville

Enquêtes à Frousseville
Estelle Vidard, Crescence Bouvarel
Flammarion jeunesse, 2022

Le jeu de la même pas peur

Par Anne-Marie Mercier

« Douze énigmes, 20 suspects. A toi de jouer »

Livre-jeu, cet ouvrage explore le folklore des figures qui font peur de manière humoristique : chaque créature, d’emblée caricaturale (sorcière, extraterrestre, zombie, ogre…) est elle-même croquée dans le style de la caricature. Les vingt personnages sont divisés en quatre catégories (humains, monstres et revenants). Sur chaque double page on trouve la mise en scène d’une énigme regroupant quelques-unes d’entre elles dans un décor différent et demandant au lecteur de trouver le ou la coupable à l’aide d’indices présents dans l’image.
Pour s’aider, le lecteur peut regarder en détail les personnages grâce à leur représentation en figures cartonnées détachables et positionnables sur un support – ce petit détail est un peu superflu mais le plaisir de découper et de manipuler attirera certains enfants et l’on peut imaginer que d’autres histoires pourront en surgir par la suite. Leurs costumes, leurs accessoires, leurs cheveux, des traces sur leurs vêtements ou sur leur visage, tout peut aider à trouver la réponse.
Couleurs sombres, couleurs vives qui jouent sur le choc des complémentaires, décors sinistres, multiples détails qui servent autant à perdre le détective qu’à le fasciner, tout est horrifique, à part la résolution, pas très difficile (et en plus il y a une solution à la fin de l’ouvrage).

 

 

La Sorcière Panaris et l’enfant-navet

La Sorcière Panaris et l’enfant-navet
Isaac Lenkiewicz
Sarbacane, 2023

Un navet contre une citrouille

Par Anne-Marie Mercier

Une petite sorcière un peu trop farceuse au goût des habitants du village, sa bouilloire chien (qui la suit partout), une réunion de sorcières à la pleine lune où elle se rend en fauteuil volant (modernité et confort obligent) pour préparer le concours de légumes annuel, une alliance entre trois enfants et Panaris contre un cultivateur de légumes grognon, un pont qui parle, un chat-copieur, une voiture à pattes…
Les enfants font un sortilège pour créer un enfant-navet qui devra gagner le concours… mais ils s’attachent à cet enfant légume, ce qui fait qu’ils doivent lutter contre tous ceux qui veulent le manger, comme la cheffe des sorcières et son cochon géant, une belle pagaille !
Et tout cela se termine avec un banquet de fête de la moisson, sans navet au menu.
Le récit, porté par Panaris et accompagnés de dialogues dans des bulles, est horrifique à souhait, comme les dessins qui jouent sur les contrastes de couleur et les échelles de manière originale.
Joyeux Halloween !

 

Une Chose formidable

Une Chose formidable
Rébecca Dautremer
Sarbacane, 2023

A la recherche du souvenir perdu

Par Laure-Hélène Davoine

Dans cet album, on retrouve Jacominus Gainsborough, cet adorable lapin, dont nous avions déjà suivi les aventures dans Les riches heures de Jacominus Gainsborough, Midi pile et Une toute petite seconde.
Jacominus a jardiné toute l’après-midi et il s’autorise une petite sieste dans l’herbe, avant la venue de son ami de toujours, Policarpe. Juste avant de s’endormir, un souvenir enfoui, le souvenir d’une chose formidable, surgit tout à coup de sa mémoire, mais à son réveil… impossible de le retrouver ! Jacominus et Policarpe vont alors partir à la recherche de ce souvenir formidable. A force de réflexion et de concentration, ils extirperont cinq souvenirs de leur mémoire, des souvenirs qui leur permettront de retracer ensemble le chemin de leur belle amitié. Puis ils parviendront enfin à retrouver le souvenir ultime et insaisissable… le secret qui scelle le début de leur histoire.
L’histoire peut aussi s’écouter, car l’album est accompagné d’une version lue par l’auteur (CD ou QR code à scanner) et mise en musique et en bruitages. Comme le dit Rébecca Dautremer, dans le prologue qui s’adresse au lecteur « tu percevras ainsi la musique des souvenirs de Jacominus et de son ami, Policarpe ». Et c’est vrai que ces souvenirs ont une musique particulière, musique que l’on peut retrouver illustrée dans les 6 grandes double pages de l’album. Des images un peu déformées, décalées, oniriques comme des images oubliées, cachées, enfouies, qui peinent à retrouver une réalité.
Les illustrations sont magnifiques. Des couleurs vives pour les images du présent dans le jardin (Quelle merveille que ce cerisier en fleurs !) puis des teintes plus sépias pour les images qui suivent et plongent plus profondément dans le passé et les souvenirs lointains. Une magnifique palette !  On retrouve rapidement un rythme dans les pages de l’histoire, rythme qui aide l’enfant à tourner les pages de son livre, en en écoutant la version audio.  Sur fonds blanc, Jacominus et Policarpe, assis, se concentrent ensemble sur ces souvenirs qui leur échappent, se questionnent pour aider à définir le souvenir manquant. Une image en double page apparait ensuite, comme la pensée brouillonne de ce souvenir qui peine à émerger de leurs esprits connectés (dans le CD, il s’agit de plages musicales). Puis vient le récit du souvenir retrouvé, accompagné de l’image du moment évoqué, précis, réel. On recule avec Jacominus et Policarpe dans leur histoire, on les suit dans les moments forts de leur passé.
C’est une belle promenade dans les souvenirs que nous propose ici Rébecca Dautremer ainsi qu’un joli regard sur l’amitié. Un album complet, ravissant les yeux et les oreilles, qui nous invite à la réflexion et à la rêverie.
Pour écouter son interview sur France Culture à propos de cet album

À l’école il y a (encore) des règles!

À l’école il y a (encore) des règles !
Laurence Salaün, Emmanuelle Cueff, Gilles Rapaport
Seuil jeunesse, 2023

… mais on rit toujours autant !

Par Anne-Marie Mercier

À l’école, il y a des règles ! des mêmes auteurs, voilà une nouvelle liste… Le succès de l’ouvrage précédent est confirmé par les nombreuses vidéos que l’on trouve sur Youtube, pas toujours réussies… A contrario, j’en ai vu une, avec une posture que je trouve intéressante et qui illustre ce qu’il ne faut pas faire avec cet album :  on ne se moque pas des enfants, on n’insiste pas sur le fait que leur bonne volonté est souvent  insupportable (le texte le suggère assez), on est juste un peu sarcastique vis-à-vis des ruses des parents ; le tout est dit avec un ton un peu rigide, ce qui va bien avec le texte et fait un contraste comique avec la loufoquerie des images.

Que de règles à apprendre, pour les enfants ! Mais encore que d’humour, aussi bien dans le texte que dans l’image. On y lit l’exaspération des adultes devant les questions répétées, les injonctions ignorées, les inventions et drôleries moins drôles quand il faut en essuyer les conséquences. On y lit aussi tout l’apprentissage nécessaire pour devenir élève…
Au milieu d’injonctions simples, surtout en forme de négation, on trouve des conseils pour persévérer malgré la difficulté, à faire face à ses responsabilités et réparer les erreurs, faire confiance… et ne pas faire la leçon à la maitresse sur le brachiosaure !
Voir quelques pages sur le site de l’éditeur

Rappelons les chroniques de Christine Moulin sur les livres de Gilles Rapaport et Laurence Salaün, Alors, c’est quoi la vie? (2021) et des mêmes, avec déjà Emmanuelle Cueff, C’est quoi être un bon élève ? (2017)

 

L’Incroyable Petite Histoire du renard, du caca et de la fourmi

L’Incroyable Petite Histoire du renard, du caca et de la fourmi
Edouard Manceau
Seuil jeunesse, 2023

Incroyable !

Par Anne-Marie Mercier

Le titre ne ment pas : c’est une toute petite histoire, et c’est incroyable. C’est très drôle aussi. Les personnages du titre pourraient illustrer une fable de la fontaine, mais il y a un intrus : le caca. Cet objet célébré depuis quelques années par de nombreux albums est ici un personnage et il joue un rôle étonnant. C’est aussi un titre gigogne : la fourmi n’existe pas au départ, et en théorie il y a un duo et non un trio.
Le renard se promène et est pris d’un besoin pressant. Il se cache derrière un gros tronc d’arbre, puis il revient sur le devant de l’image, croyant être libéré. Mais non : voilà le caca muni de petites pattes qui sort de derrière l’arbre, et court à sa poursuite. La suite est tout aussi surprenante avec une métamorphose : le caca passé par une petite mare se transforme en fourmi. Est-ce sûr ? Ce ­pourrait être une substitution humoristico-scatologique. L’histoire (en est-ce une ?) s’achève dans le non-sens et l’évocation de petits bonheurs.
Les images en doubles pages, stylisées et réalisées avec des papiers ou des tissus collés sont d’une simplicité totale, comme sait si bien le faire Edouard Manceau. C’est ébouriffant de simplicité et de drôlerie.