Mon papa qui ne sait pas dire je t’aime

Mon papa qui ne sait pas dire je t’aime
Vincent Guigne – Luciano Lozano (illustrations)
Saltimbanque 2023

Parlez-moi d’amour…

Par Michel Driol

Lorsque Simon, le narrateur, passe la journée de dimanche chez son copain Marius, il est étonné d’entendre le père de ce dernier leur souhaiter bonne nuit en lui disant « Je t’aime ». Chaque jour de la semaine, Simon tente de se comporter du mieux possible pour entendre ce « je t’aime » dans la bouche de son père. En vain. Au point de faire des bêtises le jeudi. En vain. De lambiner sur le chemin du retour de l’école le vendredi. Toujours en vain. Et le samedi, quand c’est au tour de Marius de venir à la maison, que le père joue avec eux et fait des crêpes, Marius conclut en disant à Simon quelle chance il a d’avoir un papa qui l’aime comme ça…

L’expression des sentiments passe-t-elle forcément par le langage ou bien y a-t-il d’autres façons de les montrer ? A l’attente, non verbalisée, de Simon, le père répond par une gamme d’attitudes variées, qui vont du contentement, du sourire, des bras tendus, des caresses à la lecture d’un livre le soir, à la préparation d’un parcours de cross ou à la confection de crêpes acrobatiques. Les preuves d’amour sont parfois silencieuses, voilà ce que montre cet album qui repose sur une relation particulière entre un père et son fils. Où est la mère ? Il n’en est jamais fait mention, ni dans le texte, ni dans l’illustration. L’album oppose deux types de familles : celle de Marius, où l’on dit je t’aime, mais où on laisse les enfants jouer seuls dans le désordre de la chambre d’enfants. Celle de Simon, où tout est rangé, cadré, et où le père est bien présent, attentif, soucieux du bienêtre de son fils. On apprécie que les auteurs déplacent quelque peu les problématiques usuellement abordées par l’édition jeunesse en s’inscrivant dans le cadre une famille monoparentale sereine avec un père et son fils, en évoquant la question des sentiments avec des personnages masculins et non féminins. Le personnage de Simon, toujours représenté avec son nounours doudou, est touchant dans sa détresse par ses mots, ses comparaisons, ses décisions qui le montrent prêt à tout pour entendre cette formule magique… Prêt à tout, sauf à une chose, dire de lui-même qu’il aime… Car nous ne parlons qu’avec les mots que nous avons reçus. Cette histoire, pleine de tendresse, est illustrée de façon douce et expressive. Des couleurs sans agressivité, des détails précis à chaque page, ou signalant les éléments importants du texte, et la représentation d’un enfant passant par toute une gamme de sentiments et d’un père toujours souriant.

On parle beaucoup aujourd’hui de compétences psychosociales. L’une d’elles est sans doute de pouvoir décoder les sentiments au travers des actes et des attitudes, autant qu’à mettre des mots sur les premiers. Voilà un album qui contribue, avec bonheur, à développer ces compétences, à inviter chaque lecteur à réfléchir aux actes, les siens comme ceux des autres, pour en trouver la signification.

Sa Majesté des abeilles

Sa Majesté des abeilles
Louise Pluyaud, Paola Hirou
Sarbacane, 2023

Par Anne-Marie Mercier

Rien à voir avec Sa Majesté des mouches, malgré l’allusion du titre (quelle mouche les a piqués?). L’album a pour sous-titre « L’histoire vraie d’une vocation ». Cette vocation, c’est celle de Mathieu, onze ans, qui découvre grâce à une vidéo le monde des abeilles et des apiculteurs. Il voit les multiples dangers qui guettent celles-ci décide d’agir.
La démarche de cet enfant, ses progrès, son action sont admirables et dignes d’être présentées en modèle aux jeunes lecteurs : oui, on peut agir, oui, il y a des actions collectives à mener ensemble. Enfin, s’informer, comprendre est un premier pas. Mathieu crée ses propres ruches et devient même formateur en apiculture. On le voit chercher de nouveaux emplacements, rêver à une ruche connectée.
Cet album  accomplit sa mission : les images en pleine page et à fond perdu à droite  séduisent par leur couleur et leur esthétique tout en accompagnant le texte de la page de gauche, qui informe sur l’action de Mathieu et sur le monde des abeilles, le travail des apiculteurs, les actions à mener pour les protéger.

Feuilleter

 

Frontières

Frontières
Anthologie établie par Thierry Renard et Bruno Doucey
Editions Bruno Doucey 2023

Tenter de réunir ce qui est divisé

Par Michel Driol

C’est à l’occasion du Printemps des Poètes 2023, dont le thème était Frontières, que Thierry Renard et Bruno Doucey ont proposé cette anthologie qui rassemble 112 autrices et auteurs, à parité. Des poètes contemporains, dans leur immense majorité vivants, poètes originaires d’Europe, d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie. Si l’on croise certains noms connus dans la domaine de la chanson (l’anthologie s’ouvre sur un texte de Bernard Lavilliers et se clôt par un autre de Sapho), si l’on y rencontre des poètes connus et reconnus (impossible de tous les citer tous, de Yannis Ritsos à Neruda), elle fait aussi la part belle à de jeunes autrices et auteurs. Saluons déjà cette belle volonté de donner à entendre des voix aussi diverses dont les formes d’expression sont aussi très variées, à l’image de la poésie contemporaine. Pour l’essentiel des vers libres, jouant tantôt sur la brièveté de la forme, tantôt sur l’ampleur de la ligne, mais aussi quelques poèmes en prose, comme si ici la poésie échappait aux frontières établies par la versification traditionnelle.

Dans sa préface, Bruno Doucey met l’accent sur le double sens du mot frontière. D’abord le sens politico-géographique. La ligne qui sépare deux pays, ligne qui est souvent une zone de tension, de conflits. Mais aussi ligne plus symbolique, qui sépare les vivants et les morts, le réel et l’imaginaire, soi et les autres, soi et soi aussi. On mesure ainsi la richesse de l’approche de cette notion au travers de 13 parties. On donnera ici le titre de quelques-unes : Conquistadors, passeurs, maquisards et résistants // Vers demain // Il y avait un jardin qu’on appelait la Terre.

Cet atlas poétique est aussi un atlas géo-politique engagé du côté des droits de l’Homme, aux côtés de ceux qui souffrent dans des conflits nouveaux, ou de blessures jamais refermées.  Ukraine, Corée, Palestine, Afrique : quatre parties de cette anthologie avec des textes souvent déchirants pour dire un monde violent, déchiré. Les frontières, ce sont aussi ceux qui les passent, exilés, migrants, sans-papiers dont les vies et les souffrances sont évoquées à travers des situations bien concrètes, comme l’auberge du dernier bourg avant la frontière pour Giorgio Caproni. Chaque texte manifeste la qualité d’un regard unique sur le monde qui nous entoure, comme dans Pauvres, de Fabienne Swiatly, regard sur ceux que la société cache et qui se cachent sous des tentes cartons ou des palettes.

Frontières, frontières entre les mots aussi avec la section Vers Babel qui interroge de différents points de vue la langue, ou les langues dans leur multitude, langue des banlieues, langue poétique, et la nécessité d’y faire entendre une voix pour laisser une trace au-delà des différences, tout en gardant la saveur de chaque phonème, comme dans ce beau texte de Lubov Yakymtchouk sur le son « r » confronté au « kh » ukrainien…

Cette anthologie extrêmement riche prouve une fois de plus la nécessité de la poésie pour faire comprendre et sentir notre monde, ceux qui y vivent, ceux qui y souffrent, dans leur diversité, dans leur soif d’une vie meilleure. Si le public cible est surtout un public adulte, de nombreux textes sont bien accessibles aux enfants à qui ils feront entendre un autre usage de la langue, des mots, pour mieux appréhender la vie.

Le Temps est rond

Le Temps est rond
Victoria Kaario – Juliette Binet (illustration)
Rouergue 2023

Six jours sans maman

Par Michel Driol

Mona dort dans son lit. Sa maman est partie de l’autre côté de l’océan pour son travail. Sa grand-mère la garde. Qu’est-ce que 6 jours ?

Cette nouvelle collection au Rouergue entend aborder des concepts avec les tout-petits : le temps (ici), l’amour, la joie, en associant un récit avec des illustrations très graphiques. Le temps est rond… alors que, spontanément, on l’associerait plutôt à une ligne, un axe. C’est bien la belle trouvaille des deux autrices d’utiliser le cercle, figure protectrice, pour illustrer certains aspects du temps et rendre perceptibles quelques attributs de ce concept, difficile à concevoir, sans doute vécu bien différemment par les enfants que par les adultes. Comment mesurer le temps, aborder les notions de succession et de simultanéité, de durée (vécue subjectivement de façon bien variable), voilà quelques unes des notions abordées par les autrices.

D’abord par un récit très proche des réalités enfantines, qui prend appui sur une semaine sans maman, une semaine qui peut paraitre longue, mais qui peut se mesurer de façon concrète en nombre de verres de lait ou de chaussettes (on échappe – et c’est heureux – au décompte en nombre de dodos !). Une journée, cela peut passer très vite si elle est bien remplie. Les jours se succèdent, l’un après l’autre. Et pendant que Mona dort, ou se réveille Maman fait autre chose (voyage, s’endort). C’est malin, sensible, et intelligent. Ce récit d’accompagnement par la grand-mère et le père de la fillette est magnifiquement illustré par des ronds.

De ronds qu’on peut compter (six, comme six jours, ce qui est peu à côté des 60 jours des vacances d’été), des ronds qui peuvent se découper (un demi en haut sur fond sombre pour maman qui se couche, un demi en bas pour Mona qui se lève, sur fond plus clair), des ronds qui peuvent se déformer pour montrer l’accélération du temps, se succéder en changeant de couleur (du sombre de la nuit au clair du jour), s’allonger pour prendre les couleurs de l’arc en ciel, à l’image d’une journée pleine d’activités, ou devenir concentriques, un grand et un petit, à l’image d’un câlin. C’est beau, évocateur, et plein de poésie graphique.

Un album réussi, qui renouvelle, par la poésie, le graphisme et le récit, l’approche sensorielle des grands concepts fondamentaux à destination des jeunes enfants. Ajoutons que l’album est cartonné, ce qui devrait permettre aux tout-petits à qui il s’adresse de le feuilleter seuls.

 

 

Jean Poil et Poiss-Kai

Jean Poil et Poiss-Kai
Anne Bailly, Marianne Barcilon
Kaléidoscope, 2023

Ami-Ami

Par Anne-Marie Mercier

Il est des amitiés improbables (comme dans l’album de Rascal, Ami-Ami) : ici il s’agit de celle qui finit par s’installer entre un chat et un poisson. Le chat, Jean Poil a pour caractéristique d’être toujours grognon, de mauvais poil quoi. Il est comique de retrouver dans ses traits des expressions que Marianne Barcilon donne à son héroïne, Mademoiselle princesse. Enfin, il incarne l’enfant solitaire et bougon qui n’aime rien ni personne.
Il y a bien des étapes à cette amitié et et le poisson, qui porte fièrement le nom de Poiss Kai doit jouer un peu le rôle de Shéhérazade pour maintenir l’attention du chat (il a en réserve de jolies blagues) et le convaincre qu’avec lui il ne connaitra plus l’ennui et la solitude.
L’amitié, ça se construit, nous dit-on, ça se gagne, et parfois l’un y a plus d’intérêt que l’autre, du moins au début.

Le Chemin de Sophie

Le Chemin de Sophie
Sophie Geoffrion – Sandra Desmazières
L’Initiale 2023

Mon esprit ne va, si les jambes ne l’agitent.

Par Michel Driol

Nuit d’été. Sophie allongée sur l’herbe, contemple les étoiles. Mais quand arrive l’orage, impossible de retrouver le chemin de la maison. Elle trouve refuge dans une grotte,  où habite une chouette. Sur le chemin du retour, une troupe de comédiens ne la voit pas. Elle rêve et, au réveil, retrouve le chemin de la maison.

A la lecture du résumé, on aura compris que dans cet album, tout est symbole, du nom de l’héroïne à la caverne, en passant par la chouette, compagne d’Athena. Prenant la forme d’un récit initiatique, l’album conduit son personnage – et le lecteur – vers une démarche philosophique. Ce n’est pas pour rien que chaque page se termine par une question comme : Que puis-je comprendre ? Est-ce que j’existe ? C’est beau, mais est-ce vrai ? A ces questions classiques de la philosophie d’inspiration platonicienne, l’album ne donne pas de réponse, mais conduit le jeune lecteur sur un chemin où chaque question en entraine une autre. L’album fait la part belle à l’imagination, aux émotions et aux sens.  Sophie s’émerveille, s’étonne, est déçue, apeurée, rassurée, éblouie. Le texte, parfois de façon très poétique, souligne tout cela, comme pour dire que la philosophie n’est pas une sèche rationalité, mais une façon de s’interroger à partir de tout notre vécu. Les illustrations, qui passent de la nuit au jour, du sombre au clair, de l’obscurité à la lumière, miment la démarche philosophique.

Ce chemin vers la connaissance suppose de comprendre soi-même et le monde. Ce n’est pas pour rien que le « Connais-toi toi-même » est gravé dans la grotte, au cœur de l’album. Il suppose de se questionner pour aller au-delà des évidences, de voir le complexe dans ce qui apparait simple, de se méfier des illusions sensorielles. Ce Chemin de Sophie constitue une belle initiation à une attitude philosophique décrite ici au travers d’une fiction, de termes, et de questions facilement accessibles aux enfants.

Beaucoup aujourd’hui tentent d’initier les enfants à la philosophie, empruntant pour cela différents chemins. Saluons l’originalité de cet album qui, par une sorte d’allégorie poétique, conduit le lecteur sur la voie de la vie, de la connaissance, de la sagesse. Et comme toujours, aux Editions L’initiale, une fiche (disponible sur leur site) propose un questionnement pour aller plus loin, ou faire naitre un débat.

Le jour le plus long

Le jour le plus long
Ronan Badel
Sarbacane, 2023

Avoir dix ans, en été : pour faire le portrait d’un oiseau…

Par Anne-Marie Mercier

Ce jour le plus long de juin, qui est aussi le jour des 10 ans du petit Charles, a une allure de paradis d’enfance. La couverture nous entraine dans un jardin, près d’une petite maison. Couleurs de matin frais, petit déjeuner préparé dehors par le grand-père, premier cadeau… Ce cadeau plonge Charles dans un rêve de Cow-Boy : c’est un lance-pierre. Son grand père lui fait une démonstration d’adresse comme le ferait un tireur de far west et lui-même, tout en s’entrainant, se rêve en Jimmy Beauregard, Kid fameux vêtu d’une chemise à carreaux. Le jardin devient vaste plaine, tout est en place pour le rêve, sauf le tireur : Charles n’atteint aucune cible durant toute la journée, jusqu’à ce qu’il utilise la dernière pierre, qui frappe une mésange et la tue. Ce tir malheureux marque la fin du jour, mais aussi la fin de l’enfance et de l’innocence :
« Charles a dix ans, c’est un grand maintenant. Pourtant, debout sous les branches entre chien et loup, il ne s’est jamais senti si petit ».

Au soir, il reçoit d’autres cadeaux : ballon de foot, une boite « avec de vrais outils, des petites peintures en cubes [de l’aquarelle] et un carnet de dessins ». Le reste de l’été se passe dans le bonheur de ces objets et on peut croire d’abord que la mésange est oubliée: Charles peut se rêver en champion de foot, construire une cabane pour les oiseaux… au dernier jour, il décide de dessiner des oiseaux dans son carnet. C’est à cette étape que l’on voit Charles se racheter de son geste malheureux, tout en le répétant : chaque oiseau visé par son crayon s’envole avant qu’il puisse le saisir sur son carnet, jusqu’au moment où une mésange vient à lui…
Les aquarelles de Ronan Badel sont délicates et drôles et semblent raconter leur propre origine : l’artiste nous livre-t-il un souvenir de sa propre enfance ? En tout cas c’est une enfance merveilleusement rendue qui évoque avec bonheur ses éternels étés, sans mièvrerie.

Sac à poux

Sac à poux
Nicole Amram – Marion Piffaretti
Gallimard Jeunesse 2023

Poèmes pour  rire un peu, beaucoup !

Par Michel Driol

Voilà des poèmes qui évoquent Ali Baba, les poissons d’avril, un mariage d’hippopotames, une promenade dans Paris, une maman tortue ou un papa pélican. Pour l’essentiel donc un bestiaire fantaisiste, aux animaux de toute taille (des poux et autres moustiques aux baleines) et de toutes espèces (poissons, insectes, mammifères…). Tout juste y croise-t-on Ali Baba et quelques enfants.

La forme est proche de la comptine : rimes ou assonances en fin de vers, respect d’une certaine métrique (des vers courts). Proche de la comptine aussi par le vocabulaire employé, volontiers familier, et la légèreté du ton employé. Rien de sérieux, la finalité assumée (dès le sous-titre) de ce recueil étant de faire rire. Pour cela on joue sur les situations (ce grand père éléphant qui veut faire de l’hélicoptère), les sonorités (les moustiques tic tic deviennent vite des moustoques toc toc), les mots (des associations parfois attendues : rigoler comme des baleines – parfois plus subtiles : les poissons, sciés…), l’intertextualité (on retrouve la cigale et la fourmi, Am stram gram), ou encore les onomatopées (pou pou pidou, slurp). L’ensemble est distrayant, bien illustré par Marion Pifarelli qui propose un univers coloré, joyeux, plein de détails souvent cocasses, dans lequel les objets s’animent et les animaux s’humanisent.

Si ce recueil propose une certaine approche de la poésie qui la fait descendre de son piédestal, s’il montre qu’elle peut être légère, drôle, qu’elle parle du mot et joue avec les mots, il en propose peut-être une vision un peu trop gratuite. Entendons par là une vision dans laquelle la gravité est exclue, le monde (tant le monde réel que celui des mots) n’est qu’un terrain de jeu plein de fantaisie. Pourtant un texte nous parait échapper à cette vision. D’abord parce qu’au lieu de s’inscrire dans le présent (ou le passé du récit, il est écrit au futur. On en citera ici le début :

Où iront-elle, les hirondelles
avec leur habit du dimanche ?
Où iront-elles, les hirondelles,
plumage sombre et chemise blanche ?

Tout en prenant la forme d’une légère ritournelle, le texte est peut-être le seul du recueil à poser une question, à parler du futur, du temps à venir à des enfants justement en train de grandir qu’il invite ici à rêver…

Un recueil de poèmes qui offre une image peut-être un peu trop restreinte de la poésie, mais qui sera sans doute une porte d’entrée vers ce genre à travers des formes simples et accessibles à tous.

Coricoco

Coricoco
Charline Collette
Seuil jeunesse, 2023

Les travailleurs de l’aube

Par Anne-Marie Mercier

Que se passe-t-il avant que le coq chante ? Rien, dirait l’enfant qui dort et pour lequel la nuit est un domaine inconnu sinon interdit. Dans ce petite album carré, Charline Collette montre toute l’activité qui se déploie, un peu partout : la bergère en montagne, la gardienne de phare, le pêcheur, le pompier, la postière au tri, et bien d’autres, sur les marchés, dans les cultures, à l’hôpital, sur la route ou dans les rues de la ville… et bien sûr l’éboueur et le ou la boulangère, figures les plus connues du travail à l’aube.
Le texte énumère chaque situation en courtes phrases écrites en cursive sur la page de gauche tandis que celle de droite accueille de superbes images à fond perdu dans lesquelles les couleurs vives de vêtements ou de véhicules tranchent sur le noir de la nuit, qui devient de plus en plus bleue, jusqu’au jaune éclatant du réveil de l’enfant qui découvre cette belle lumière dans les bras de sa mère sans avoir rien vu de tout cela… contrairement au lecteur.
C’est une belle évocation de métiers sur fond de nuit. Tous sont beaux et dignes, utiles, comme cet album. La nuit est ainsi habitée et sans doute rassurante.

Ribambelle

Ribambelle
Mathilde Brosset
Versant sud 2023

Sur les tréteaux l’arlequin blême…

Par Michel Driol

Aujourd’hui, c’est Carnaval. Mais Nils, tout de blanc vêtu, n’a pas de costume et pleure dans son coin. Alors tous ses amis lui donnent qui des plumes d’oiseau, qui des bouts de tissus de couleurs différentes. Et voilà Nils revêtu de tous ces morceaux dans un magnifique manteau d’Arlequin.

Arlequin, on le sait, est un des personnages de la commedia dell’arte, au costume aisément reconnaissable, qui représente les différentes facettes du personnage ainsi que sa pauvreté. Page après page, on retrouve différents enfants costumés, les uns dans des personnages de commedia dell’arte, Pierrot et Colombine, les autres en animaux (oiseau, dragon, lapin…). Ce joyeux défilé carnavalesque de personnages déguisés sur fond noir évoque différentes cultures. Le texte, souvent rimé, prend des aspects de ritournelle, avec deux « refrains » qui se répètent en alternant et qui rythment ainsi les différentes pages. Joie du déguisement, joie du partage, plaisir de retrouver du même et du différent à chaque page, tout ceci pour constituer le personnage d’Arlequin, comme un personnage dans lequel tous peuvent se retrouver, synthèse de toutes et tous. Ce défilé de personnages est illustré par des collages – ce qui évoque le patchwork de tissus du manteau d’Arlequin, tandis que sur la page de gauche, en plus du texte, se regroupent petit à petit les morceaux découpés. Répétition, accumulation : on retrouve là les techniques fondamentales des albums en randonnée, randonnée très graphique cette fois.

Un texte simple, une joyeuse ribambelle d’enfants aux prénoms de toutes les origines, tous déguisés, tous prêts à aider celui qui n’a rien, dans la gaité et la bonne humeur, pour faire la fête tous ensemble !