La Folle Rencontre de Flora et Max

La Folle Rencontre de Flora et Max
Martin Page, Coline Pierré
L’école des loisirs (médium + poche), 2018

Prisons – écrire pour s’échapper

Par Anne-Marie Mercier

Ce petit roman épistolaire déjà publié en 2015 méritait une réédition en poche, tant l’hisotire de Max et Flora est à la fois singulière et commune et tant elle est abordée avec délicatesse. Flora est en prison pur avoir blessé gravement une fille de sa classe qui la harcelait. Max lui écrit pour lui dire qu’il la connait de loin et qu’il a eu envie de lui écrire parce que leur situation est à la fois lointaine et semblable : il est lui aussi prisonnier.

L’histoire de l’un et de l’autre est distillée peu à peu, avec pudeur et sensibilité. L’humour de Max et l’énergie de Flora sont touchants, tout cela est parfaitement agencé, percutant, mais en douceur. Les lettres sont brèves et proches de ce qu’on pourrait attendre d’adolescents d’aujourd’hui, même si l’auteure préférée de Flora est Sylvia Plath…).

Le Pigeon doit aller à l’école !

Le Pigeon doit aller à l’école !
Mo Willems
Kaléidoscope

Place aux pigeons ?

Par Anne-Marie Mercier

Comme Ernesto, l’enfant qui ne veut pas aller à l’école dans le texte de Marguerite Duras (Ah Ernesto, publié par Harlin Quist (1971) et réédité chez Thierry Magnier avec des illustrations de Katie Couprie), le pigeon a de nombreux arguments : il n’est pas du matin, il a peur, de la maitresse, des autres, des lettres, des chiffres…
Tout cela dédramatise gaiement la question et les poses du pigeon juste esquissé le rendent bien humain, comme dans les autres albums de la série, encore plus déjantés (Ne laissez pas le pigeon conduire le bus).

 

 

La Fille cachée du roi des Belges

La Fille cachée du roi des Belges
Brigitte Smadja, illustrations de Juliette Bailly
L’école des loisirs (neuf), 2018

Mystère à l’école

Par Anne-Marie Mercier

Lorsqu’une nouvelle élève, nommée Bérangère, arrive dans la classe de CM2 de Noisy-Le-Sec, c’est la révolution : certains garçons, dont Mehdi, le narrateur, tombent sous son charme et perdent tous leurs moyens; ils en oublient leurs autres ami.es et leurs comportements habituels. Certaines filles sont entre désir d’imiter et détestation. Tous finissent par vouloir son départ tant elle aura troublé les habitudes de la classe.
Le fait qu’on ne sache pas d’où elle vient, pourquoi elle est autorisée à arriver en retard tous les matins, pourquoi elle mange à l’école mais pas à la cantine, et pourquoi elle est accompagnée par un homme en costume qui a une allure de chauffeur dans une voiture de luxe, tout cela reste mystérieux et le restera jusqu’à la fin malgré les hypothèses intéressantes émises par Mehdi et ses ami.es.
Si le personnage du narrateur est touchant et timide, et d’autres de ses amis et amies bien campés (des jumeaux, une copine énergique qui fait du skate, etc.), l’intérêt du livre tient surtout à la situation dans laquelle se trouve Bérangère : elle déchaine sans le vouloir une agressivité qui dégénère en violence, le maitre perd son autorité, tout menace de virer au drame.
La réponse à la question « qui est Bérangère ? » n’est sans doute pas qu’elle est la fille cachée du roi des belges; elle est peut-être proche des hypothèses faites par Mehdi et ses ami.es à la fin du volume, l’auteur ne conclut pas, ce n’est pas le plus important. Ce qui est important, c’est le mécanisme de la rumeur, des comportements grégaires, de la curiosité excessive. Cet engrenage est ici mis en évidence mais la gravité du propos n’interdit pas l’humour et les situations cocasses ne manquent pas non plus.

L’Ours contre la montre

L’Ours contre la montre
Jolivet et Fromental
Hélium, 2018

Apprendre à lire l’heure avec un ours

Par Anne-Marie Mercier

Un ours qui est obsédé par l’heure ? quelle idée ! mais pas plus folle que de les histoires de pingouins de Jolivet et Fromental ; et le lapin d’Alice a ouvert la voie. Ici, on peut aussi supposer que le jeu avec l’expression « c-ourse  contre la montre » a pu jouer. Donc au début de l’album un ours, gigantesque et orange, se bat avec le temps et arrive en retard partout : à l’arrêt du car scolaire, à l’école, à la cantine… il n’est jamais au bon moment au bon endroit.

La famille humaine qui l’héberge prend le problème à bras le corps après avoir compris qu’il vient du fait que l’ours ne sait pas lire l’heure. Grâce aux explications et aux schémas proposés en quantité par le père, l’ours comprend tout et entre dans une vie de temps réglé, efficace, employé à des activités multiples : en plus des cours de l’école où il n’est plus jamais en retard, il prend des cours de tuba, de claquettes, de cuisine, fait du bénévolat, du baby-sitting… jusqu’au « burn-ours » qui l’oblige à avoir encore un nouveau rapport au temps.

Ce gros ours encombré de lui-même et qui emplit bien les pages est touchant de maladresse et d’enthousiasme et l’album propose une réflexion sur le temps tout en fournissant une méthode d’apprentissage de la mesure du temps : à faire lire aux oursons en difficultés avec ces comptages complexes, donc.

 

 

Big Nate : Amis ou ennemis ?

Big Nate : Amis ou ennemis ?
Lincoln Peirce
Traduit (USA) par Karine Chaunac
Gallimard-jeunesse (Folio junior) , 2018

Les désarrois de l’élève Nate

Par Anne-Marie Mercier

Huitième volume de la série, mais pas une longueur, pas une redite, en dehors des clins d’œil nécessaires à la cohésion de l’ensemble : on retrouve avec jubilation les aventures de Big Nate, jeune élève harcelé par ses professeurs qui essaient de le discipliner un peu, par Gina, la bonne élève de la classe, qui ne perd pas une occasion de le reprendre, par la brute du collège, par les brutes du collège voisin… Mais on voit aussi un garçon amoureux et timide, un fils attristé par la situation professionnelle de son père un dessinateur génial, un fanatique de tous les sports. Tous les lieux de l’école sont visités : CDI, cantine, terrain de sport, bureau du chef d’établissement, du psychologue, etc.
La variété des situations est augmentée par les inserts de bandes dessinées faites par le personnage lui-même, maladroites, mais si pleines de talent qu’on pourrait prédire à celui-ci que quand il sera grand il sera… l’égal de Lincoln Peirce ?
Cette drôlerie n’empêche pas une certaine gravité : Nate apprend à se réconcilier avec ses ennemis, à comprendre que la méchanceté peut cacher une âme blessée, et que se moquer des autres (et notamment des professeurs) peut être un divertissement cruel et honteux.

Encore plus subtil et drôle que Le Journal d’un dégonflé de Jeff Kinney !

Petit Vampire, acte 1 : le serment des pirates

Petit Vampire, acte 1 : le serment des pirates
Joann Sfar
Rue de Sèvres, 2017

Les enfances d’un vampire

Par Anne-Marie Mercier

Même si les vampires ne vieillissent pas, ils ont une histoire. Et même si les séries ont des « saisons », elles peuvent être rétroactives.  On découvre ici comment le héros auquel Joann Sfar a consacré 7 albums (de 1999 à 2005) publiés chez Delcourt, est devenu, en même temps que sa mère, un « mort-vivant ». Sfar reprend donc l’intrigue du délicieux  Petit Vampire va à l’école en la modifiant un peu et en anticipant sur son début.
On retrouve la fantaisie de l’univers de la série : monstres en tous genres, en général sympathiques, ennemi terrifiant,  dessins qui ignorent la ligne droite et créent de belles atmosphères aux couleurs évocatrices. Les séances de ciné-club  (consacrées à des films de monstres) sont parfaites… L’album offre un beau contrepoint entre le héros et le « vrai » petit garçon, Michel, et présente une belle histoire d’amitié entre deux êtres qui ne sont pas du même monde, et n’ont pas les mêmes rythmes – et en devraient pas se rencontrer.

C’est quoi être un bon élève ?

C’est quoi être un bon élève ?
Gilles Rapaport, Emmanuelle Cueff, Laurence Salaün
Seuil Jeunesse, 2017

Ce que vous avez toujours voulu savoir sur les bons élèves et les autres

Par Christine Moulin

C’est quoi être un bon élève? Grave question: dès l’abord, le format tout en hauteur de l’album laisse présager que la réponse risque d’être fantaisiste. Eh bien, oui, elle l’est… Quoique…

C’est là une des grandes qualités de ce livre. Les réponses, délivrées par le texte et mises en valeur par la taille de la police de caractères, paraissent (et sont) très raisonnables: pour être un bon élève, quelle surprise! il faut être attentif, se poser des questions, préparer ses affaires, etc. Comme cela serait à la fois instructif et un peu trop sage (pour ne pas dire tout à fait ennuyeux) s’il n’y avait le reste du texte, écrit en plus petit: oui, être bon élève, c’est être attentif… à condition de ne pas oublier ses chaussures, par excès de concentration, sans doute; c’est aussi se poser des questions: « qui est amoureux de qui? qu’est-ce qu’on mange à la cantine ce midi? », par exemple. C’est préparer ses affaires mais une check list canonique comporte-t-elle obligatoirement l’item « cartes Pokémon »? On songe à Serge Bloch qui, lui aussi, connaît bien les enfants, leurs intérêts, leurs craintes, leurs émotions et en rend compte avec gentillesse et humour.
Au texte s’ajoutent des dessins très expressifs, accompagnés de bulles, qui redoublent la lecture d’une manière très réjouissante : on voit le chien reniflant les pieds nus du petit garçon qui a oublié ses chaussures; le même petit garçon demande au maître: « Je la pose où, ma question? dans ma case ou sur le porte-manteau? ». Dans un excès de zèle, il se prépare à se coucher tout habillé, avec son cartable sur le dos! Tout au long de l’album sont ainsi explorées des relations plaisantes entre les illustrations (de Gilles Rapaport, excusez du peu) et le texte.

Mais l’aspect sérieux n’est pas totalement absent: pour être un bon élève, il faut dompter sa peur (et l’illustration montre, bien sûr, un élève habillé en dompteur de cirque!), il ne faut pas craindre de se tromper, etc. Autrement dit, des messages utiles se glissent subrepticement dans un ensemble drôle, parfois irrévérencieux (l’élève qui lève le doigt le met dans le nez du maître!), si bien que rien n’est « bien pensant », lénifiant. Tout est tonique. Les conseils n’éludent pas les difficultés (« Etre un bon élève, c’est PERSEVERER… au moins jusqu’à la récréation) mais la bienveillance, si souvent prônée en ce moment, prend un aspect amusant qui fait des lecteurs des complices attentifs. Il n’est pas jusqu’au respect de la différence qui ne soit traité de façon à la fois impertinente et fort sage: « Et figure-toi que tu n’es pas tout seul à être différent. Les autres aussi sont différents. Eh! oui c’est comme ça, la vie… ». Même le sujet tabou des souffrances des bons élèves dont les parents sont trop exigeants est abordé. On a vraiment l’impression que ce sont les vraies préoccupations des enfants qui ont donné naissance à cet album, si bien que certains thèmes originaux sont évoqués, comme celui de l’ennui ou celui des discussions à table.

Les auteurs nous proposent donc un livre de préceptes moraux, de leçons de vie (bien au-delà de l’école), ce qui semble une entreprise risquée, de nos jours. C’est en fait une vraie réussite, dont on peut parier qu’elle réunira dans un rire décapant adultes et enfants, sans exclure des moments de vraie discussion. Que demander de plus?

Les Petits Malheurs

Les Petits Malheurs
Jean-Claude Dubois – Images Estelle Aguelon
Cheyne

L’art d’être grand père

Par Michel Driol

39 poèmes en vers libres qui disent la relation entre des grands-parents et des petits enfants. Tout commence par la présentation de la famille : les deux grands parents (Opa et Oma) et les cinq petits-enfants. Suivent alors des sortes d’instantanés, petits riens de vacances, promenades estivales, courses, devoirs de vacances, questions existentielles. Le recueil se clôt avec la rentrée des classes et le départ des petits-enfants.

Le titre invite à rechercher, dans ce bonheur partagé, ce que sont les petits malheurs : une petite blessure, la solitude, le silence ou les pleurs d’un enfant, sans que l’on sache quoi dire, la mort, la séparation. C’est là que, dans la tendresse de cette relation, le recueil prend une dimension philosophique : ces petits malheurs, à l’échelle d’un homme, le sont-ils pour des enfants ? Un enfant doit pouvoir s’abandonner aux larmes.  Il est question d’apprentissage et de découvertes, d’étonnements devant les choses du quotidien, du pain laissé pour les poules à l’église au centre du village, mais aussi de l’école. Là, c’est le grand-père qui questionne cette dernière, non sans humour. L’école apparait alors comme un lieu étrange, artificiel et superficiel face à la profondeur de la relation vécue pendant les vacances.

Je rêve d’une école où on leur apprendrait la nostalgie, et non à lire, écrire et compter, les points cardinaux, ou ce qu’est un métro.

Après Hugo, Jean-Claude Dubois renouvèle l’art d’être père : l’art de perdre au jeu tout un été, l’art de guetter les mots que forment  les enfants, l’art d’être indulgent, de comprendre l’enfance et de la prendre au sérieux. Le tout est dit dans une langue quotidienne, simple, qui tisse le « je » de l’auteur avec le « on » du couple et le « ils » des enfants.  Cette immédiateté de la langue n’empêche pas des subtilités ou des trouvailles linguistiques :

Il y a des exercices difficiles :
par exemple celui où il faut écrire
une jolie phrase
mais conjuguée au passé perdu.

Nostalgie, temps qui passe, parenthèse de l’été, transmission, ce recueil dit, avec une grande simplicité et modestie, beaucoup de choses de cette relation entre grands-parents et petits enfants. Les images d’Estelle Aguelon, à base de cartes à jouer découpées, donnent un côté ludique au recueil.

Cet ouvrage fait partie de la sélection pour le prix de la poésie Lire et Faire Lire 2018

La Passe-Miroir, t. 3 : la mémoire de Babel

La Passe-Miroir, t. 3 : la mémoire de Babel
Christelle Dabos
Gallimard jeunesse, 2017

Le labyrinthe des livres

Par Anne-Marie Mercier

Après l’enthousiasme provoqué par la lecture des deux premiers tomes (voir le 1 ou le 2), voilà une petite déception avec ce troisième volet. Tout d’abord parce qu’il n’est pas le dernier et que l’on espérait que tous les mystères seraient levés, ce qui n’est pas le cas. On a tout de même un début de réponse à la question « qui est Dieu ? », ce qui est important…

On retrouve aussi le talent de Christelle Dabos pour créer des espaces originaux, beaux, poétiques. La bibliothèque de Babel vue par elle est une petite merveille, une image de l’infini et la ville dans laquelle elle se situe prend corps nettement avec ses quartiers, ses monuments, ses moyens de déplacements, sa météorologie… L’école-pensionnat où Ophélie tente de gagner le droit d’entrer dans ce Mémorial est un micro univers sinistre à souhait, la compétition y est rude et ses efforts pour apprendre tout ce qu’elle ignore sont chaotiques.

Ophélie se bat aussi avec énergie pour retrouver Thorn et est longtemps déçue dans son attente, même lorsqu’elle le retrouve (la difficulté de communication entre ces deux-là va générer des volumes supplémentaires). Mais elle fait de nombreuses rencontres intéressantes, nous permet de méditer sur une civilisation où l’on veut gommer tout ce qui a trait aux guerres passées (thème curieusement assez fréquent dans les dystopies pour la jeunesse, voir par exemple Le Passeur de Lowry).

On devine enfin qu’au centre de tous les mystères il y a un livre pour enfant et que le « créateur » du monde des Arches (qui n’est pas ce Dieu là…) s’en est inspiré… Mais on n’en dira pas plus pour maintenir le suspens en attendant le(s) tome(s) suivant(s).

Les mots d’Enzo

Les Mots d’Enzo
Mylène Murot, Carla Cartagena
Utopique, mars 2017

Quand les mots terrifient…

Par  Chantal Magne-Ville

Enzo est un petit garçon en souffrance, car il se sent différent des autres, bien que son handicap ne se voie pas vraiment : il est tout simplement fâché avec l’écriture des mots… Ceux-ci apparaissent d’ailleurs au détour des pages comme autant de petits trolls menaçants, ou rebelles, images d’une dyslexie qui n’a pas encore de nom. Enzo tranche dans la classe par son éternel T-shirt rouge frappé du mot  « dinosaure », dont les graphies incertaines illustrent à elles seules les difficultés de l’orthographe. Les problèmes qu’il rencontre pendant le cours l’amènent à tout mélanger, à avoir la  sensation que sa tête explose, ou à s’échapper dans un flou cotonneux dont l’arrache brutalement la voix de la maîtresse. Il devient l’objet de moqueries de la part du chouchou de la maîtresse, jusqu’à ce que l’intervention bénéfique d’une l’orthophoniste lui redonne confiance en lui.

L’illustration surprend de prime abord par ses traits adoucis aux crayonnés délicats, et ses couleurs relativement sombres, qui pourraient la rendre un brin passéiste. Elles contribuent cependant à créer une impression de relative sérénité, y compris quand la figure de l’enseignante se fait menaçante. Le grand format, étiré  dans le sens de la hauteur, fait davantage ressentir la difficulté  d’Enzo pris sous les regards croisés de ses pairs et de son entourage scolaire. Quand il voudrait que la maîtresse voie qu’il travaille réellement, il l’imagine cachée derrière des peluches érigées en pyramide. Ses difficultés à apprivoiser les mots s’incarnent par la métaphore d’un crabe qui sort de son cartable. Ses erreurs dans l’orientation des lettres, comme dans « boulet » et « poulet », se traduisent par un dessin peut-être un peu trop explicite. Finalement, « tout bascule du bon côté », comme l’indique la quatrième de couverture, dans cette histoire pleine de bons sentiments, sans être cependant mièvre, qui rappelle de façon  encourageante que la résilience existe.