Au bord du monde
Emmanuelle Pirotte
L’école des loisirs (« Medium+), 2024
Roméo et Juliette en roulotte, Angleterre, XXe siècle
Par Anne-Marie Mercier
Elle a quinze ans, et lui dix-sept. Ses parents veulent la marier à un cousin qu’elle n’aime pas. Ils appartiennent à deux communautés qui se haïssent. Ils se rencontrent, s’aiment et s’unissent en se cachant… Non, ce n’est pas un remake de Roméo et Juliette, mais presque : elle s’appelle Trinity et elle appartient à une communauté de gitans. Il s’appelle Terrence, il aime la poésie de John Donne, et les chansons de Lana del Rey et de Bowie ; il s’apprête à intégrer l’université d’Oxford. Elle est hardie, volontaire, « grande gueule » ; elle a arrêté depuis peu ses études mais regrette « Shakespeare et les équations du second degré, et surtout le club Théâtre où elle jouait, dans Le Songe d’une nuit d’été, le rôle de Titania, reine des fées ; elle se révolte lorsque son père décide qu’il faut la marier prochainement comme le veut la tradition, et qu’on lui propose un cousin dont elle ne veut pas. Il est timide, il a peu d’amis et encore moins d’amies ; il est maltraité à l’école et encore plus chez lui, par son père, une brute qui le martyrise et le séquestre même.
Lorsqu’il s’enfuit, sa route croise la route de Trinity et c’est sans doute cela qui le détourne d’un suicide possible. Trinity, à bord d’une roulotte, s’éloignant de sa famille et de ce qu’on veut lui imposer, le recueille et le découvre. La confiance nait, l’amour se déploie et peu à peu les corps s’unissent, avec délicatesse et passion.
C’est un très beau texte, écrit tantôt dans un style poétique, tantôt dans des dialogues vivants, sans verbiage et rythmé par une belle bande son. C’est une très belle histoire d’amour et de découverte mutuelle, tout en tendresse. C’est aussi le récit d’une errance, dans la forêt puis sur les routes du Yorkshire, en direction de l’Écosse et d’une survie aventureuse faite autant de rencontres que de solitude, sans portables. Progressivement, cela devient le récit d’une fuite : la police et la famille de Trinity les traque. On les retrouve à Malham Cove, lieu de la fuite des héros dans le film Harry Potter et les reliques de la mort. Ils se plantent tout en haut de la falaise et attendent leurs poursuivants…







Les éditions Mijade ont fait un très beau choix en publiant une version française du célèbre roman de l’auteur autrichienne Christine Nöstlinger, prix Andersen (1984) et première lauréate du prix Astrid Lindgren (2003, avec Maurice Sendak). Jusqu’ici, de nombreux autres titres avaient été traduits, mais pas Die Ilse Ist Weg (1991), nouvelle édition sous le titre du film (1976) qui a été tiré de Ilse Janda,14(1974). C’est un classique de la littérature internationale souvent cité dans les ouvrages sur la littérature pour adolescents.
C’est un très beau livre, très pudique, sur un sujet difficile. Ilse, 14 ans, est partie, c’est sa jeune sœur Erika qui raconte. Complice, elle donne le contexte de la fugue, avec ce qu’elle croit savoir, ses raisons apparentes, comme le divorce des parents, l’éducation trop sévère et trop distante donnée par la mère, les préjugés sociaux… Mais le lecteur comprend progressivement, et un peu plus vite que la narratrice, qu’Ilse a menti à sa sœur et qu’il y a d’autres causes plus profondes, liées à sa personnalité. Il devine aussi rapidement où Ilse s’en est allée, avec qui, et le danger qu’elle court. Au contraire, Erika devra faire toute une enquête, lentement, d’indice en interrogatoire, de preuve en hypothèses, à la façon d’un détective, avant de trouver des réponses à ses questions. Chacune des sœurs fait du chemin, et celui d’Erika la mène vers une maturité qui semble inaccessible à l’aînée.
Les vingt-quatre chapitres de ce roman original sont alternativement pris en charge par Sam et Bohemia, tous deux jeunes locataires d’un immeuble délabré d’un quartier peu fréquentable de Londres. Sam a 17 ans et a fugué, laissant derrière lui une sombre histoire que le lecteur, perplexe, découvre peu à peu. Sam souhaite se faire oublier dans la capitale anglaise. Il ne veut parler à personne mais c’est sans compter sur la vie et la rencontre avec Bohemia, gamine de 10 ans paumée, élevée par une mère alcoolique, droguée et totalement perdue.