Oiseau et Croco

Oiseau et Croco
Alexis Deacon
traduit (anglais) par Elisabeth Duval
Ecole des Loisirs, 2012

Pour l’amour des oiseaux… et des crocodiles

Par Christine  Moulin

Il est des livres qu’on est heureux d’avoir rencontrés: l’album d’Alexis Deacon est de ceux-là. Un cadeau.

Tout commence dans l’indistinction originelle des pages de garde. Des œufs flottent dans l’espace, la nuit des temps. La page de titre fait acte de nomination, Oiseau et Croco. Déjà, la typographie indique ce qui risque de séparer les deux héros. Le nom « oiseau » est recouvert de plumes, le nom « Croco » d’écailles, les « o » figurant des yeux manifestement reptiliens. Mais il est vrai qu’une minuscule copule « et » les unit, timide et essentielle.

La première double page a des airs de genèse. Face à l’immensité étoilée, deux œufs sont tendrement posés l’un à côté de l’autre et le texte dit ce que montre l’image, dans l’évidence des premiers moments. La naissance a lieu : le premier à sortir, c’est Oiseau, très vite suivi par Croco. Inquiet, le lecteur attend, si l’on peut dire, le « couac », d’autant que le premier cri du crocodile n’est guère rassurant: « J’ai faim ». Mais non… Les deux bébés découvrent le monde et l’apprivoisent, chacun selon ses compétences: Croco est doué pour trouver à manger, Oiseau pour chanter la beauté des choses ou pour bâtir une maison. Ils comptent l’un sur l’autre pour se réchauffer, se protéger  mutuellement, bref, grandir ensemble. Ignorant ce que leur « nature » respective leur permet ou leur interdit, ils progressent, sans se poser de questions, s’entraînant tous deux à voler ou à « lézarder »… Jusqu’au jour où une rivière les emporte « jusqu’à un lac empli de crocodiles au milieu d’une forêt pleine d’oiseaux ». Les appréhensions du lecteur renaissent…

L’amour fraternel, la tendresse vaincront, par-delà les déterminismes sociaux ou les pesanteurs génétiques… L’image de la fin est une merveille de simplicité et d’émotion. Les derniers mots peuvent alors s’écrire, ceux de l’intimité protectrice à laquelle aspirent les enfants et dont les parents ont la nostalgie, parfois: « Bonne nuit »…

L’avis et l’analyse de Sophie Van der Linden

L’œil du loup

L’œil du loup
Daniel Pennac
illustré par Catherine Reisser, mis en musique par Karol Beffa, orchestre de chambre de Paris, Gallimard jeunesse/Nathan, 2012

Le chant des mondes

Par Anne-Marie Mercier

Le célèbre récit de Pennac se suffit à lui-même, certes et il était déjà dans sa première édition bien illustré. Tout développement aurait pu sembler inutile. Et pourtant, cette version illustrée et accompagnée d’un CD, loin d’être superflue, lui donne une nouvelle vie: les dessins sobres de Catherine Reisser (qui avait illustré la version pocket) encadrent le texte, s’y inscrivent parfois, l’aèrent.

Le narrateur est parfait : c’est l’auteur lui-même et il le dit aussi bien qu’un acteur professionnel, sobrement, marquant des pauses. On échappe ainsi aux dialogues portés par des voix enfantines, rarement justes. La musique est belle et colle à l’atmosphère du récit sans être envahissante; elle s’inscrit dans les temps de silence de la voix et prolonge la force du dit. L’ensemble est parfait.

ABC bestiaires

ABC bestiaire
Janik Coat
Autrement Jeunesse, 2012

D’Antonin à Zadig

Par Christine Moulin

45239L’abécédaire est un genre ancien… Nous voilà loin, ici, des merveilles victoriennes, aux illustrations chargées. Tout est épure, à commencer par les pages de garde, qui montrent des dessins en noir et blanc, aux douces formes arrondies. La courbe, tel semble le parti pris de cet album, en effet, ainsi que les aplats de couleur, qui ne pourront que réjouir les yeux enfantins. Mais les parents et les plus grands pourront aussi apprécier la discrète originalité qui donne son prix à ce moderne imagier. La structure, accumulative, permet d’aboutir à une image foisonnante, une fois le « z » atteint. Mais surtout, ce qui est à la fois ludique et instructif (le mot est lâché…!), c’est que les mots écrits à chaque page n’indiquent pas le nom du nouvel animal représenté, mais lui associent un prénom. C’est ainsi que la baleine, semble-t-il, s’appelle Barbara. On s’imagine les jeux linguistiques qui peuvent alors naître spontanément: Didier le dindon, Florimond le flamand, Gaby la grenouille…  Pour vérifier si « l’on a juste », si l’on a bien identifié le nouvel animal, il faut se reporter à une liste, à la fin de l’ouvrage ou sur la quatrième de couverture, liste qui, en elle-même, est déjà jubilatoire, comme l’ensemble du livre, dont on peut présager qu’il sera longtemps et souvent feuilleté.

Voir aussi l’enthousiasme de nos amis de Ricochet.

L’étonnante disparition de mon cousin Salim

L’Etonnante Disparition de mon cousin Salim
Siobhan Dowd
Traduit (anglais) par Catherine Gibert
Gallimard jeunesse (folio junior), 2012

Autiste détective

Par Anne-Marie Mercier

Publié pour la première fois en français en 2009, ce roman fait penser très fortement au Bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon, publié en 2004, qui a connu un grand succès et a été beaucoup exploité par les enseignants et tous ceux qui cherchaient à développer la compréhension et la tolérance vis-à-vis des enfants handicapés (voir un article sur ce livre paru dans Repères)

Dans les deux cas il s’agit d’une enquête policière menée par un jeune autiste. Si le héros de Haddon, Christopher, atteint du syndrome d’Asperger, était à sa façon un génie, celui de Siobhan Dowd est plus intégré. Il a une sœur, deux parents, va au collège (et y est malheureux). Mais, comme Christopher, il a des manies (la météo), des gestes incontrôlés, des difficultés à comprendre les émotions des autres et à les partager. L’intrigue policière est ici plus développée, autour d’un événement plus dramatique, une disparition d’adolescent. L’évocation de l’angoisse de la famille et de l’appareil policier et médiatique qui se met en place crée de vrais moments d’angoisse. Le texte, bien traduit, rend bien les raisonnements de Ted et ses difficultés de langage et d’adaptation. Le duo qu’il forme avec sa sœur est parfois comique et crée des pauses qui allègent le récit.

C’est une belle façon de faire entrer les jeunes lecteurs dans une pensée différente. Le désir de Ted d’avoir des amis autres que ses parents et son éducateur est émouvant et fait comprendre, au-delà du  problème de l’autisme, le drame des adolescents en mal de communication.

Siobhan Dowd est décédée prématurément mais est présente dans l’actualité littéraire par la parution d’un très beau livre de Patrick Ness, Quelques minutes après minuit, sur une idée de roman qu’elle n’a pas pu achever (voir notre chronique parue le mois denier).

Le Secret d’Iona

Le Secret d’Iona
Gil Lewis
Gallimard (folio junior), 2011

Pour l’amour des oiseaux

Par Anne-Marie Mercier

La jeune Iona passe comme un éclair dans la vie du jeune narrateur (11 ans), mais elle détermine sa vie et ses choix : tournant le dos à ses copains, aux exploits en vélo ou à la pêche, il fait un bout de chemin avec celle que tous rejettent et il arrive à partager son secret : un nid qui prouve le retour d’un oiseau d’une espèce quasi disparue en terres écossaises, le balbuzard.

Si la première partie est guidée par la rencontre avec Iona, rencontre qui se termine tragiquement, la seconde suit le parcours d’Iris, la femelle balbuzard, jusqu’en Afrique : le garçon la suit grâce à une bague et à google earth, il tient son journal et l’on voit parfois à travers les yeux d’Iris. Tout cela mène à une autre rencontre, celle de la jeune africaine handicapée Jeneba, et à une belle histoire de solidarité.

Le roman mêle des préoccupations écologiques, sociologiques, humanitaires à la description de la vie quotidienne en Ecosse sans tomber dans l’artifice. Les personnages sont attachants et pittoresques, à peine stéréotypés (juste ce qu’il faut pour la couleur locale), comme les décors. Les événements s’enchaînent naturellement, en maintenant cependant plusieurs suspens. L’ensemble est un roman tout à fait réussi, plein de bons sentiments sans être mièvre, et émouvant.

La cabane au fond du chantier

La cabane au fond du chantier
Christian Roux
Syros, 2012, Collection Souris noire

Construire, déconstruire

Par  Maryse Vuillermet

 

 

Le narrateur vient de perdre son père et sa mère n’arrive pas à s’en remettre. L’histoire se passe dans les années 70, la vie est encore assez paisible dans les banlieues,  si l’on se tient éloigné de la drogue et de l’alcool. La barre Guillaume Apollinaire, où habitent Thierry, sa famille et tous ses amis doit être détruite et remplacée par des immeubles plus jolis et plus petits. Ses habitants sont désemparés. Un immense chantier se met en place tout près, sur un terrain vague.  Thierry  est fasciné par cet espace  ouvert  et a  soudain l’idée d’aller y construire une cabane pour rêver,  faire des fêtes, avoir un projet…  Le gardien, Alban,  bienveillant, au début,  les aide   et puis, un jour, il change brusquement d’attitude et leur interdit l’accès du chantier. Thierry, avec son amie Marine va faire le guet pour comprendre ce qui se trame dans ce chantier, pourquoi le chien d’Alban a disparu et ce que vient y faire le frère de  Soufia, Méziane,  censé être en prison.

 Ce court roman est un mélange entre roman social, qui dénonce les violences familiales (le père de Marine la frappe) le début des gangs de la drogue,   et célèbre la solidarité des habitants de la cité, l’amitié de la bande,  et « le genre  club des cinq revisité ».  En effet, Thierry et sa bande vont mener l’enquête et avec intelligence et  courage  et vont réussir.

Les Folles Aventures d’Eulalie de Potimaron, 3

Les Folles Aventures d’Eulalie de Potimaron, t. 3 : secrets et présages
Anne-Sophie Silvestre

Flammarion, 2012

Capes, épées et un soupçon de falbalas

Par Anne-Marie Mercier

Si le deuxième tome manquait un peu de rythme, le troisième a retrouvé de l’allant et de la verve : amours aventures, mystères, amitiés et trahisons, déguisements et masculinisation, rien ne manque à ce volume. Mieux encore, les personnages ont de l’épaisseur, contrairement à ce que l’on voit dans de nombreux romans historiques : Eulalie est bien vivante, et on s’intéresse à Monsieur, le frère du roi Louis XIV, souvent injustement considéré, et surtout à son fils, le jeune Philippe d’Orléans, futur régent.

Les moeurs du temps, et notamment ce qui annonce l’ « affaire des  poisons », sont remarquablement bien rendues et l’auteur évite avec aisance les clichés et ridicules enchainés par ses devancières sur cette histoire.

Pour une fois qu’on a un récit pour de jeunes lecteurs qui allie humour, allant, suspens et vérité historique, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin, j’espère ? et que ce tome 3 ne soit pas le dernier  (le 4 vient de paraître) est une heureuse nouvelle.

Le sentier aux pas

Le sentier aux pas  
Carole Lepan, Marcellin (Ill)
Motus 2012,

  Le pouvoir de l’attention aux êtres  

Par Maryse Vuillermet

 

Dans cet album, la parole est aux arbres, plantés là et délaissés par les passants qui ne les voient pas, ne les sentent pas. Mais eux, les arbres, (ou les planches,  au début,  on ne sait pas encore que ce sont des arbres,  ce sont juste des planches) les regardent et s’intéressent aux passants. C’est une petite fille, qui, la première, s’est arrêtée, puis a joué avec eux. Elle leur a donné des noms, leur a mis des pancartes. A partir de là, les passants  les ont vus et s’y sont enfin intéressés et les arbres ont vécu intensément les rencontres et les saisons, «Désormais,  ils ne se demandaient plus pourquoi on les  avait plantés là. »

L’illustration de Marcellin,  poétique et drôle,  épouse les mystères de l’histoire qui dévoile peu à peu ses secrets. Cette parabole évoque la puissance de l’attention aux êtres, il suffit de les regarder de s’y intéresser pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. 

La nuit des Pantheras

La nuit des Pantheras
Nina Blazon
traduit de l’allemand par Nelly Lemaire
Seuil, 2011

Deviens qui tu es

Par Christine Moulin

9782021041521Voilà un roman qui traite le motif de la métamorphose en animal de façon à la fois complexe et originale.

Les pantheras sont des créatures proches des félins. Ils en ont la force, la grâce, les goûts (pour les déambulations nocturnes, pour la viande, pour le combat, par exemple), les sens aiguisés (l’odorat notamment), les mœurs (ils se délimitent un territoire et gare à ceux qui y pénètrent indûment!). Le problème, c’est que l’on ne naît pas panthera, on le devient. Certains acceptent cette métamorphose, d’autres, à l’image du narrateur, résistent, car les épisodes de transformation (les « black outs ») s’accompagnent d’une perte de conscience affolante et dangereuse. Certains basculent du côté obscur et traquent, semble-t-il, jusqu’à leurs semblables, d’autres, sans être des anges, essayent de préserver l’essentiel de leur humanité. Et ce n’est pas simple car la plupart des pantheras semblent avoir dégringolé l’échelle sociale…

Les divers personnages incarnent ces différentes options. Nous partageons les doutes du narrateur, Gil, tout en adoptant aussi le point de vue, dans des épisodes narrés à la troisième personne, d’une « novice », Zoé, affublée d’une mère irresponsable et d’un demi-frère craquant mais encombrant. Cela nous donne l’occasion de comprendre ce qui déclenche la métamorphose: le stress, la colère, les émotions fortes. Zoé est extraordinairement douée pour la course, et pour cause, et elle espère que ce don lui permettra de partir loin de chez elle. Gravitant autour du couple, il y a aussi Irvès, séduisant, insaisissable, dont le douloureux passé se révèle par petites touches, et Gizmo, un geek qui vit de la vente d’ordinateurs volés et dont on ne sait s’il faut ou non lui faire confiance.

Le récit se noue autour d’une épidémie de meurtres qui affolent la petite communauté des pantheras, d’autant que la loi, venue de la nuit des temps, est claire: « Nous ne tuons jamais ceux de notre espèce ». Le narrateur mène alors une sorte d’enquête, malgré puis grâce à un personnage mystérieux, au charisme de chef, Rubio, le maître Yoda du roman, qui le mène progressivement vers certaines révélations. Les pantheras semblent bien avoir toujours existé et il faudrait relire les mythologies sous cet angle…

La trame, quoique haletante, n’est, au fond, pas l’essentiel. Ce qui importe davantage, c’est de vivre dans la peau d’un panthera et c’est bien le questionnement éthique permanent qui donne à ce roman toute sa profondeur. Le héros est rongé par un immense sentiment de culpabilité (on comprendra pourquoi vers la fin), qui lui fait prendre des risques insensés pour protéger Zoé. La découverte qu’il fera nous indique bien l’enjeu du thème de la métamorphose : se transformer, c’est choisir, quelquefois, qui l’on veut devenir.

 

Mon père est américain

Mon père est américain
Fred Paronuzzi
Editions Thierry Magnier, 2012

 A la recherche du père

Par  Maryse Vuillermet

 

Léo, adolescent vivant près de Grenoble,  est en plein désespoir. Il  croyait qu’il était le fruit d’un amour de passage entre sa mère et un Américain. Elle n’avait jamais répondu à ses questions, il n’avait de lui qu’ une photographie. Or, il découvre qu’elle lui envoie de l’argent tous les mois et qu’elle est en relation  avec lui. Léo se sent plus que trahi. Il ne va plus au lycée, ses amis craignent le pire. Enfin, grâce à eux, il rentre chez lui et sa mère lui raconte tout. Elle a retrouvé son père par hasard…dans le couloir de la mort aux USA. Et elle a décidé de l’aider.

Après une difficile réflexion, Léon décide de donner une seconde chance à ce père.  Il lui écrit et …son père lui répond, lui explique toutes ses erreurs. S’en suit une correspondance très belle entre le père et le fils qui tentent de se connaître. Entre temps,  pour les amis de Léo aussi, la vie s’accélère,  Ben tombe amoureux d’Andréas, un garçon et est enfin lui-même et Léo accepte   l’affection d’Esther   qui se transforme en un sentiment plus fort.

Ce roman m’a plu : la recherche du père avec ses souffrances et ses joies, la  découverte de la vie très libre des jeunes des années 70, la vision de l’intérieur  de la vie dans les prisons américaines, de l’horreur de la peine de mort, le ton  juste, certains clins d’œil à la vie du lycée ( l’auteur est enseignant)  en font un ensemble assez riche pas du tout manichéen, et qui se lit très agréablement.