Loulou, l’incroyable secret

Loulou, l’incroyable secret
Grégoire Solotareff, Jean-Luc Fromental
Rue de sèvres, 2013

Histoire trans-médiatique, histoire mosaïque

Par Anne-Marie Mercier

louloulincroyable secret« D’après le film », oui, c’est clair. Une BD ? pas vraiment : plutôt une suite de vignettes dans lesquelles on a copié des bulles avec des bribes de dialogues savoureux. Certes, tout cela est drôle et on a plaisir à retrouver le couple Tom et Loulou ; c’est plein de jeux de mots pour les « grands » (le « festival de Carne, » la prison de la Loubianka…), mais des vignettes juxtaposées ne font pas une BD, cela manque de dynamique, de liant, d’implicite… Autant aller voir le film, ou relire les albums de Loulou, ou ceux de Jean-Luc Fromental, auteur de la série superbe des 10 p’tits pingouins chez Helium.

D’ailleurs, les amateurs de BD pensent la même chose (voir le blog de planète BD)

Journal d’un dégonflé tome 6 Carrément claustro

Journal d’un dégonflé, tome 6 Carrément claustro
Jeff Kinney (trad.  Nathalie Zimmermann)
Seuil, 2013

Aventures déjantées sous la neige

Par  Maryse Vuillermet

journal d'un dégonflé 6 imageLa verve  ou la veine s’épuisent ! Greg est dans le pétrin, il est accusé d’un acte de vandalisme au collège,  et  il est bloqué  par la neige avec sa  famille dans leur maison mais,  avant ces deux intrigues, une foule d’anecdotes sur la cour du collège, l’attente des cadeaux de Noël et même le père noël (pas très crédible comme préoccupation pour un préadolescent)  nous ennuient un peu. L’auteur a du mal à se renouveler avec un même personnage et un même univers. Bien-sûr, il en profite pour aborder des thèmes de société actuels chez les jeunes, par exemple,  les normes de sécurité concernant les jeux dans les cours et les parcs,  si contraignantes que les adultes enlèvent tous les jeux et que les enfants n‘ont plus rien pour s’amuser. Ou bien les addictions aux jeux vidéos, ceux qui vous proposent un animal  familier virtuel , ou un ami  virtuel,  mais qui exigent des enfants qu’ils paient avec la carte bleue des parents.

En fait, c’est moins drôle !  (Voir sur ce site, la critique plus amène du tome 5)

Thermae Romae

Thermae Romae
Mari Yamazaki
Casterman, 2012

 Plouf !

Par Anne-Marie Mercier

ThermaeromaeOn pouvait espérer beaucoup de ce livre, un Grand prix du manga 2010, une vision de la Rome antique sous une forme qui pouvait la rendre intéressante à de jeunes lecteurs. On aurait dû se méfier en lisant l’argumentaire : « et si le Japon moderne avait influencé la Rome antique ? ». Le résultat est petit.

Un architecte romain, Lucius, en tombant à plusieurs reprises dans l’eau, émerge dans des bains du Japon du XXe siècle. Il en ressort avec de « grandes » idées pour améliorer les thermes romains (idées minimes qui relèvent davantage du gadget ou de la déco plutôt que de l’architecture). La qualité dominante est l’humour : Lucius ne comprend jamais rien à ce qui lui arrive, est nationaliste… comme un japonais, et ses apparitions provoquent des émotions cocasses. A part cela, il est inutile de chercher l’âme romaine : ce sont plutôt des japonais déguisés, et l’unique obsession des bains prêtée à ces personnages finira sans doute par lasser le lecteur français comme il m’a lassée.

Louisette la taupe, mouton circus,

Louisette la taupe, mouton circus,
Bruno Heitz

Casterman, 2007

Le succès d’un mouton

Par Clémentine Marques master MESFC Saint-Etienne

mouton circusEncore une nouvelle bande dessinée de Bruno Heitz où Louisette la taupe emmène le lecteur dans une aventure qui n’est pas de tout repos, pleine de rebondissements et d’anecdotes. En effet Louisette partant profiter de l’air pur de la montagne pour soigner son rhume, se retrouve à travailler dans un cirque allant de village en village, accrochée sous la toison d’un bélier. Sa connaissance des grands classiques tels que les contes de Charles Perrault et les fables de La Fontaine va lui jouer des tours.

Cette bande dessinée très colorée, avec une grande simplicité des dessins, met en avant des références littéraires pointues telles que les contes de Grimm. Ces références seront appréciées par les connaisseurs, tandis que les autres auront envie d’en savoir plus. Cette histoire à l’humour décalé d’une taupe connaissant toutes ces grandes histoires, connait une fin moralisatrice à la manière des Fables de Jean de La Fontaine.

La Famille glagla

La Famille glagla
François Delecour, Sophie Chaussade

Didier, 2012

Premiers jalons d’un nouvel univers

Par Dominique Perrin

gla La Famille glagla ouvre une série d’albums de bande dessinée pour tout jeune public, au graphisme et à la structure simples, centrés sur la nordique famille éponyme, dans la proche compagnie de phoques largement intégrés à la société humaine. Si le projet est sympathique, les cinq sketches inauguraux proposés ici paraissent d’une qualité inégale, et posent la question de l’ambition des auteurs : créer un monde singulier en rapport réfléchi avec le nôtre, ou divertir le jeune public par des historiettes sans cohérence profonde, touchant à l’exotisme présumé d’un monde de glace – au demeurant en train de fondre.
Le premier de ces sketches évoque une partie de pêche qui débouchera sur l’arrivée d’un poisson rouge dans le cercle familal. La jeune Brigodin y sollicite un volontaire parmi sa collection d’asticots, ce qui pose des questions qu’il ne convient sans doute pas d’éluder, quel que soit l’âge du public visé : ou bien les vers, pleinement personnifiés, laissent leur vie lorsqu’ils servent d’appât, et on ne voit pas pourquoi ils coopéreraient avec leur utilisatrice ; ou bien les auteurs trouvent le moyen, imaginaire ou scénaristique, de protéger leur existence et de justifier ainsi leur collaboration, leurs forfanteries – et leur longévité ici inexplicable.
Si le second sketch est à tout points de vue un peu court (réduit à lui-même, le gag de l’enfant qui ne se décide pas à sauter du plongeoir peut passer pour usé), les trois derniers atteignent à la légèreté malicieuse annoncée par l’éditeur, précisément parce qu’ils témoignent avec cohérence des points de vue singuliers d’un petit poisson et d’un petit enfant. Mais la carte finale du pays des Glagla pose à nouveau le problème de la distance prise globalement ou non par rapport au monde tel qu’il va : il est curieux que la seule institution publique qui y figure soit la police – aux côtés des lieux de plaisir que sont la patinoire, la piscine et le cinéma.
Bref, dans cet univers naissant où les parents Glagla portent ostensiblement le nom des parents du scénariste, on ne retrouve pas la justesse et la cohérence étonnantes des contes du monde entier qui font la très grande classe de l’éditeur ; souhaitons qu’une telle ambition oriente la suite promise des aventures, et que celles-ci explorent résolument les potentialités imaginaires du pôle.

Le beau selon Ninon

Le beau selon Ninon
Oscar Brenifer, Delphine Perret

Autrement, Les petits albums de philosophie, 2012

Par Caroline Scandale

Le monde de Ninon

 

Autrement propose une collection d’albums philosophiques à destination des adolescents et de tous ceux qui s’intéressent à cette noble discipline. Ces documentaires (aux allures de BD) abordent des thématiques proches des préoccupations adolescentes, à l’image du plus récent, consacré au beau.

Ninon est l’héroïne espiègle et le fil conducteur de cette collection. De manière socratique, c’est à travers le dialogue avec ses amis et les adultes qui l’entourent, qu’elle forge ses convictions philosophiques. Sous forme de petites scènes dialoguées, ponctuées d’histoires ou de mythes célèbres, la jeune fille intelligente et curieuse nous entraîne sur les chemins de la pensée.

Les grandes notions philosophiques sont abordées à travers des questionnements concrets : la mode, le désir de plaire, les goûts, l’universalité, l’harmonie, la subjectivité… La philo, qui semble souvent trop éloignée de notre quotidien, est ici appliquée très judicieusement à la vie des ados, et c’est là une des excellentes idées de  cet ouvrage!

Comme le dit Ninon, il est bien difficile de comprendre ce qui fait une chose belle… En effet le beau dépend-t-il de l’avis du plus grand nombre ou d’une seule personne ? (la mode)… Aime-t-on quelqu’un parce qu’on le trouve beau ou le trouve-t-on beau car on l’aime ? (le goût)… Le beau ne serait-il pas mathématiquement beau ? (symétrie et harmonie)… Le beau doit-il toujours nous surprendre ? (qui n’a jamais été perplexe devant une œuvre d’art ?)… Le sujet d’une œuvre d’art doit-il être beau pour que l’œuvre soit belle ?…

– Finalement, Ninon, l’essentiel est de savoir que le beau dépend un peu de soi, non ?

– Oui bien sûr… En tout cas c’est plus facile que de chercher qui a raison !

– Merci Ninon…

Le grand trou américain

Le grand trou américain
Michel Galvin
Rouergue, 2012

 Vertige et admiration

Par Maryse Vuillermet

Quel enfant  n’a pas rêvé des Américains, leurs fusées, leurs grandes voitures, leurs grandes maisons, leurs grands westerns,  leur grand tout… ?

Cet album est fondé sur cette admiration et ce rêve américain mais en même temps qu’il l’exalte, il le détruit. En effet, les Américains « qui inventent toujours des choses extraordinaires », (comme l’auteur) ont inventé   un grand trou et ils l’ont placé sur une immense place. Mais ce trou est dangereux. Il ne faut pas s’en approcher. Une femme  qui poursuit son chien y tombe  avec  lui et elle est multipliée avec lui.  Qu’à cela ne tienne, on invente une machine pour la/les ressortir et  on lui/leur construit une maison,  chacune avec une voiture américaine, et  une niche…

Y tombent ensuite successivement des boulettes de viande,  du coca et même un bandit. Là c’est plus embêtant s’il se trouve multiplié, on y a donc envoyé des agents secrets,  multipliés eux aussi…

Le dessin est en noir et blanc avec  des traces de couleurs, comme les vieux films colorisés, ou la télévision à ses débuts, souvenirs ou rêves ? Nous sommes donc plongés dans un univers loufoque de la toute puissance et de la démultiplication.  Le rêve américain avec tous ses mythes, agents secrets, bandits, maisons, machines,  usines, progrès…  est convoqué mais aussi le cauchemar américain de la démesure, de l’uniformité, de la course  en avant, de l’abondance  infinie et envahissante.

Imaginaire  délirant mais critique angoissante, magnifique travail de représentation d’un rêve qui,  poussé jusqu’au bout de sa logique,  vire au cauchemar.

100 jours en enfer

100 jours en enfer
Robert Muchamore, John Aggs, Ian Edginton
Casterman, 2012

Manga douteux

Par Anne-Marie Mercier

On a dit il y a quelques temps tout le mal que l’on pensait de l’idéologie portée par la série romanesque Cherub qui a commencé avec ce volume. On sait qu’elle compte environ 3 millions de lecteurs, 2 600 fans face book… Ces nombres vont sans doute augmenter avec la version BD.

L’esthétique proche des mangas malgré sa colorisation est bien adaptée au récit, le scénario est efficace, pour un peu on aimerait… Curieux comme les idées se « voient » moins en images…

La vérité toute moche Journal d’un dégonflé, tome 5

Journal d’un dégonflé Tome 5
La vérité toute moche
Jeff  Kinney
Traduit (Etats-Unis) par Nathalie Zimmerman
Seuil 2012

 Aventures et mésaventures d’un préado  très américain

Par  Maryse Vuillermet

 

 Cette BD a connu un immense succès aux Etats-Unis.  Il existe même une communauté des fans www.journaldudegonfle.fr.  Le concept est  en effet original, un journal  de lycéen qui court sur tout le premier trimestre et qui  est rempli de dessins très drôles. Dans  le tome 5,   Greg, le narrateur,  est confronté à bien des difficultés, la plupart liées à la puberté et son caractère rêveur le conduit aussi à  de très nombreuses mésaventures. C’est donc une série de petites catastrophes ( à ses yeux) qui  se succèdent et parfois s’enchaînent,  se cumulent à très grande vitesse: se disputer  et être fâché avec son meilleur ami,  devoir  affronter seul la rentrée, porter un appareil dentaire,  rater la seule soirée à laquelle il a été invité,  vivre une semaine  sans ses parents sous la garde de grand-père, devoir faire le ménage parce que sa mère reprend des études. Les personnages de la grand-mère indigne et de la femme de ménage paresseuse mais très bonne rhétoricienne (elle  paraphrase à la perfection le style de Greg  dans ses petits mots laissés   à son intention pour lui demander de laver son linge par exemple mais ne le fait jamais) sont  fort drôles mais  le milieu est très wasp (bonne société blanche américaine). L’école avec sa soirée privée, les bags de midi, la femme de ménage du sud voleuse et menteuse, l’oncle aux multiples mariages, en font une  peinture  de la société américaine très marquée socialement et  d’un adolescent  très centré sur ses petits problèmes de riche.  L’humour grinçant et décalé  ne suffit pas !

Asdiwal, l’indien qui avait faim tout le temps

Asdiwal, l’indien qui avait faim tout le temps
Manchette et Loustal

Gallimard jeunesse, 2011

Par Marianne Mondel (Master MESFC Lyon 1)

Quelle caractéristique incarne le mieux notre jeune héros Asdiwal ? Son incommensurable appétit bien sûr ! C’est durant l’été 1966 que ce personnage a été mis en scène par un père pour son fils, alors en vacances en Provence loin de lui, à Paris. Cette œuvre est la première et seule incursion de Manchette au sein de la littérature de jeunesse. Lorsque que l’on songe à cet auteur, polyvalent dans ses fonctions de critique littéraire et de cinéma, scénariste et dialoguiste, traducteur, et surtout père de nombreux romans policiers, on aurait tendance à penser noirceur, violence, crimes… mais bien au contraire, le ton reste résolument comique et décalé !

Malgré une histoire semblant sortir tout droit de l’imagination de son auteur, les indiens Tsimshian, peuple d’Asdiwal, existent bel et bien dans de lointaines contrées. Ce dernier fait figure de héros dans leur mythologie. Manchette puise ses sources dans le l’ethnologie des peuples amérindiens, connue chez nous depuis Claude Lévi-Strauss (ASDIWAL est le nom d’une revue d’anthropologie et d’histoire des religions).

La langue employée par l’auteur est très inventive et frappe le lecteur par sa vivacité et son naturel. Celui-ci s’adresse ainsi aux enfants en s’exprimant comme eux. Les répétitions sont un élément récurrent qui accroche le petit lecteur à l’ouvrage. Manchette joue joyeusement entre le réel et le fantastique, nous entrainant doucement dans l’imaginaire. La dynamique de l’œuvre par ses enchainements d’actions entraîne attention et réflexion. Le loufoque pointe le bout de son nez par la succession brutale des évènements, sans beaucoup de transition ou de logique. Les dessins, quant à eux, accrochent l’œil par la vivacité des couleurs et l’impression de mouvement qui s’en dégage.

L’attachement à ces petits indiens ne parvenant plus à voir leurs mocassins, dissimulés par un ventre grassouillet, est inévitable. Ce joyeux bazar indéniablement original permet une fin heureuse à Asdiwal, devenant un mari comblé… et obèse !