Aponi et le peuple minuscule

Aponi et le peuple minuscule
Bernard Villiot – Illustrations de Mariona Cabassa
L’élan vert 2022

La petite fille dans la forêt amazonienne

Par Michel Driol

Chez les Wayanas, peuple installé sur les rives du fleuve Maroni, les enfants vivent libres jusqu’à un rite de passage, qui consiste à supporter la morsure de fourmis. Une fillette, Aponi, vit en contact avec les insectes qu’elle protège. Lorsqu’un groupe de chercheurs d’or vient s’installer, détourner la rivière, elle tente de sauver le plus d’insectes possibles, et, malgré elle, inonde les cultures du village. Lors de la cérémonie de son initiation, les fourmis la reconnaissent et l’épargnent, puis, avec l’aide des insectes, elle chasse les chercheurs d’or.

Dans la collection Pont des Arts, voici le premier volume consacré à un objet rituel d’Amazonie, sur lequel on trouvera, à la fin de l’album, une riche partie documentaire qui permet de mieux comprendre les peuples Wayana et Apalaï dont il est question dans l’histoire d’Aponi. Sans chercher à imiter la nature fidèlement, ou à s’inscrire dans une vision ethnographique, les illustrations, pleines de vie et de couleur, donnent à voir une espèce de paradis où hommes, plantes et animaux vivent en harmonie au sein d’une nature luxuriante. Quelque part, on retrouve une vision rousseauiste, celle du bon sauvage menacé par la « civilisation » qui détruit tout, incarnée ici par les dix prospecteurs armés de leurs fusils. Il n’est, bien sûr, pas indifférent que le héros soit une héroïne, et que ce soit avec l’aide de la nature, des insectes, qu’elle réussisse à chasser les intrus. Par là, le récit devient quelque peu conte merveilleux, tout en permettant au lecteur occidental de mieux pénétrer dans les coutumes des peuples d’Amazonie qu’il contribue à faire connaitre. C’est aussi la question des rites de passage que pose cet album. Rite en apparence sévère et cruel ici, puisqu’il s’agit de résister aux morsures de fourmis (pas si cruel en fait, dit le documentaire), rite qui accompagne le fait universel de grandir, de quitter l’enfance et de mériter de prendre place dans la communauté des adultes. Nul doute que cet album invitera les jeunes lecteurs à s’interroger sur nos rites de passage et sur ce que signifie devenir grand, en Europe, aujourd’hui…

Un bel album pour mieux comprendre les peuples amazoniens, certaines de leurs formes d’art et de leurs coutumes

L’Ogre de la librairie

L’Ogre de la librairie
Céline Sorin, Célia Chauffrey
L’école des loisirs (Pastel), 2022

Fais-moi peur !

Par Anne-Marie Mercier

Faut-il proposer aux enfants des livres qui leur font peur, des personnages comme les ogres, par exemple, terrifiants ?

Cet album propose une réponse en forme de fable : une petite fille accompagnée de sa mère entre dans une librairie, et la libraire lui propose son aide. Après un débat sur le personnage qu’elle veut rencontrer, elle la laisse entrer dans un petit espace de la librairie avec des fauteuils. Sur l’un d’eux, un ogre est en train de prendre le thé. Il a de très bonnes manières et commence à raconter une histoire d’ogre à la fillette, jusqu’au moment où chacun doit rentrer chez lui : façon de dire que, une fois le livre terminé, on peut en sortir en y laissant toutes les émotions, la frayeur comprise.
Entretemps, la fillette aura eu droit à une belle histoire d’ogre dévoreur, où le personnage de la fiction est bien différent de l’être bonasse et timide qui se trouve sur le fauteuil de la librairie.
Avec toutes ces fictions enchâssées, voilà un joli portrait du livre, un « ami prêt à se plier en quatre pour la faire rêver et apprivoiser ses peurs ». Dessins à la belle étrangeté, triples pages, pages à rabats, tout est mis en œuvre pour captiver et charmer à la fois.

 

Hulul

Hulul
Arnold Lobel
Traduit (anglais, USA) par Geneviève Brisac
L’école des loisirs (Mouche), 2020

On révise les classiques (4)

Par Anne-Marie Mercier

Traduit et publié en 1976, un an après sa première édition en langue anglaise (Owl at home), ce petit recueil d’histoires de Lobel, fait partie, avec Oncle Éléphant du même auteur, des grands classiques pour la jeunesse : les quelques nouvelles qui présentent le hibou Hulul sont toutes de petits bijoux d’absurde léger, de tendresse, de nostalgie (« Le thé aux larmes »).
Les images montrent un Hulul tout en rondeurs, constamment en pyjama et robe de chambre à rayures (normal, c’est un hibou), tantôt alangui dans son fauteuil, près du feu, tantôt se ruant en haut et en bas des escaliers de sa petite maison. L’atmosphère nocturne (normal, c’est un hibou) constante est à son plus haut dans la dernière nouvelle, dans laquelle Hulul met enfin un costume et un chapeau melon pour se promener dans une campagne qui ressemble à un jardin japonais, pour trouver enfin une amie… on vous laisse découvrir qui.

 

Un Monde de cochons (la totale)

Un Monde de cochons (la totale)
Mario Ramos
L’école des loisirs (Pastel), 2021

On révise les classiques (1)

Par Anne-Marie Mercier

Ce recueil posthume de Mario Ramos réunit l’histoire-titre (publiée en 2005), qui montre l’entrée d’un petit loup dans une école peuplée uniquement de cochons (maitres comme élèves), L’École est en feu et Le Trésor de Louis dans lesquels on retrouve le duo constitué de Louis (le petit loup) et Fanfan (son ami, un petit cochon), qui s’est constitué dans la première histoire.
Le monde de cochons, c’est celui de l’école avec tout ce qui l’entoure (les trajets où on peut faire de mauvaises rencontres, comme celle des trois grands cochons pour Louis), le refus d’école et ce qui peut l’adoucir, les récrés et la solitude, parfois partagée… et le dessin volontairement un peu cochonné et drôle.
Le volume s’achève avec les croquis préparatoires pour un autre récit, qui aurait pu être intitulé « La pirate ». Cette dernière partie est tout à fait passionnante et montre comment Mario Ramos travaillait, elle illustre son style rapide et les hésitations qui le nourrissent.

C’est un régal, comme d’habitude avec les histoires de Ramos, pleines de clins d’œil, d’humour et de justesse.

Rouli Rouli Roulette

Rouli Rouli Roulette
Cécile Bergame, Magali Attiogbé
Didier jeunesse, 2021

La victoire du petit pois

Par Anne-Marie Mercier

La fameuse galette de Roule Galette s’est ici transformée en petit pois et cette forme et cette couleur permettent de belles variations : pourchassé par la souris, puis le chat, le lapin, le cochon, etc., jusqu’au loup, le « petit pois sauvage » qui a échappé aux mains de Fillette a traversé la maison, puis la ferme pour arriver dans la forêt, revenir par le chemin… et se glisser dans un trou, où il germera et où Fillette le trouvera.

Le texte est idéal pour la lecture à voix haute, enchainant les lieux et les actions de façon dynamique. Les images sont vivement colorées, jouant sur les couleurs complémentaires, elles sont simples, tout en combinant différentes techniques dont certaines imitent les bois gravés.
C’est un album carré (forcément !) qui reprend joliment un grand classique. Et en plus l’histoire ici finit bien !

Le Rat, la mésange, et le jardinier

Le Rat, la mésange, et le jardinier
Fanny Ducassé

Thierry Magnier, 2022

Un rat parmi les fleurs

Par Matthieu Freyheit

« Miroir, miroir en bois d’ébène, dis-moi, dis-moi que je suis… » Nous connaissons la suite. Mais le rat de cette histoire n’est pas la marâtre des frères Grimm. Convaincu de sa laideur, l’animal prend refuge dans un grenier où il aménage une maison de poupée, décorée à son goût. Pourtant, la laideur ici n’existe pas : Fanny Ducassé fait le choix d’un style naïf où dominent les fleurs et les couleurs. Pour ce rat qui ne s’aime pas, la laideur n’existe en effet que dans son miroir : partout ailleurs, son regard ne voit que de la beauté – ainsi de cette mésange qui lui apparaît, dans un éclat de lumière, « tel un hydravion ». La beauté trop consciente d’elle-même est cependant une beauté étourdie : alors qu’il emporte le rat dans les nuages pour voir le monde d’en haut, l’oiseau lâche le rat, qui quitte le ciel des autres et retourne à sa terre…parmi les fleurs.

Recueilli par un blaireau-jardinier, le rat est alors dorloté, soigné, choyé comme le sont les fleurs elles-mêmes : « Le rat se sentit alors précieux et délicat. » On se souvient avec chaleur que l’amitié qui lie monsieur Taupe et monsieur Rat dans Le Vent dans les Saules (1908) faisait écrire à Kenneth Grahame : « L’invisible était tout. » De fait, la tendresse du jardinier pour le rat opère et invite discrètement ce dernier à poser un regard neuf sur son reflet et sur le beau brun de son pelage.

Le rat comprend ainsi qu’il n’est plus en porte-à-faux avec la délicatesse des illustrations, et le soin à l’œuvre agit doublement : le soin apporté par Fanny Ducassé à ses dessins agit comme une projection du regard émerveillé que porte le rat sur le monde qui l’entoure ; le soin apporté par le jardinier au rat amène celui-ci à se sentir bénéficiaire, comme tout ce qui l’entoure, d’un soin plastique qu’il suffisait de regarder.

C’est bien un album sur le regard que propose l’auteure : un regard minutieux et attendri, au nom de l’attention que méritent les belles choses. Ce livre en fait partie : souhaitons-lui d’être vu, comme il donne à voir.

 

Pas plus haut que trois pommes

Pas plus haut que trois pommes
Marine Schneider
L’école des loisirs, Pastel, 2021

Sans Boucle-d’or

Par Anne-Marie Mercier

Les aventures des trois ours (grand, moyen, petit) troublés par l’irruption de Boucle-d ’or dans leur maison sont ici joliment détournées, et reprises avec de multiples variations : c’est petit ours qui sème le trouble, levé avant tous les autres un beau matin : il boit le grand bol – et non le petit – , se peigne avec le grand peigne, et enfile le grand bonnet.
Le réveil de ses parents (en fait de « moyen » et « grand », qu’on identifie souvent comme père et mère) permet d’énumérer à nouveau les objets sous la forme de questions (« qui a bu… ? », etc.) et de les représenter par triplettes. Puis les adultes se lancent à la recherche de petit ours, ce qui permet de visiter les autres catégories (moyen et petit) pour finir, bien sûr, dans le grand lit, en évoquant toutes les tailles de câlins, jusqu’à l’énorme.
Les illustrations sont charmantes et très lisibles et le conte est revisité de façon intéressante, permettant ainsi de varier les supports pour la découverte des catégories de taille.
En outre, c’est une version rassurante (rien qui fasse peur ici), pour ceux qui auraient peur de confronter les enfants aux angoisses de la Boucle-d’or originelle, dont l’hisotire ressemble à un mauvais rêve.

Une Souris nommée Miika

Une Souris nommée Miika
Matt Haig, Chris Mould (ill.)
Traduit (anglais) par Valérie Le Plouhinec
Hélium, 2021

De l’intérêt en amitié

Par Anne-Marie Mercier

Après Un Garçon Nommé Noël, qui montre un garçon nommé Nicolas arriver dans le grand nord au pays du Père Noël, des fées et des lutins, voici développée l’histoire de son amie, la souris. On y découvre ses origines, son enfance malheureuse et son premier vol, auquel elle a été poussée par la faim (on passe successivement du merveilleux au réalisme à la manière de Dickens). Elle vit chez la fée Vérité, une fée qui ne dit que la vérité et à qui cela cause bien des ennuis : tout le monde la fuit, y compris (et surtout) les autres fées. Elle s’ennuie et s’est liée avec la seule souris présente dans les environs de Lutinbourg, Bridget, qui veut qu’on l’appelle Bridget la Brave. Pour satisfaire celle qu’elle déclare son amie, elle est prête à faire bien des choses et à courir de très grands risques. Mais cela en vaut-il la peine ? Est-elle vraiment son amie ?

L’histoire est pleine de rebondissements ; on y affronte des Trolls en furie, il y a de la magie, des poursuites… Mais c’est surtout sa morale qui est attachante : il y est dit par la voix de la fée Vérité qu’il faut être soi-même, ne pas chercher à se faire des amis en prétendant être autre, s’accepter avant tout.
« On ne choisit pas qui on est. Mais c’est comme ça, donc pas la peine de se détester. »
« Sois toi-même. Sois entièrement toi. N’essaie pas de te faire toute petite pour imiter quelqu’un. Et bien sûr trouver sa place c’est bien. Mais pas aussi bien qu’être exceptionnel. »
Fin de l’histoire : Miika est enfin heureuse d’être elle-même, et c’est un exploit bien plus grand que d’avoir vaincu des trolls, sauvé Bridget, etc.

Histoires comme ça

Histoires comme ça
Rudyark Kipling, May Angeli (ill.)

Seuil jeunesse, 2021

Comme ça ! gravées sur bois, et en couleurs

Par Anne-Marie Mercier

Les Histoires comme ça illustrées par May Angeli et publiées par les Editions du Sorbier, notamment dans la collection « Au berceau du monde », étaient épuisées, et c’était bien dommage car les gravures sur bois de May Angeli ont un charme particulier et conviennent parfaitement à l’esprit de ces récits, « histoires des hautes époques, contes du Grand-Autrefois ».
Voici donc à nouveau réunies les douze histoires de Kipling.  Si « L’enfant d’éléphant » et « Le chat qui s’en va tout seul » sont bien connus, dans la catégorie des contes étiologiques, on gagne à découvrir tous les autres, et notamment ceux qui concernent l’invention de l’écriture, et à méditer sur le dernier, étonnante anecdote sur la sagesse de la reine, Belkis, l’une des épouses du roi Salomon…
Liste des contes :

  • Histoire de la baleine et de son gosier
  • Comment il poussa une bosse au chameau
  • Comment le rhinocéros se fit la peau
  • Comme le léopard se fit des taches
  • L’Enfant d’Eléphant
  • Le refrain du vieux kangourou
  • Le début des tatous
  • La 1ère lettre
  • Comment on fabriqua l’alphabet
  • Le Crabe qui jouait avec la mer
  • Le Chat qui s’en allait tout seul
  • Le Papillon qui tapait du pied

Il est hélas trop tard pour visiter l’exposition que la BnF a consacrée aux œuvres de May Angeli mais on peut en voir quelques images sur le site.

 

 

Le Roi et l’enfant

Le Roi et l’enfant
Fabrice Colin, Eloïse Scherrer
Sarbacane, 2021

Du conte au roman

Par Anne-Marie Mercier

Un vieux roi dont tous les soldats sont partis en guerre part pour une destination inconnue en n’emmenant avec lui qu’un palefrenier, un orphelin qui n’a que dix ans. Ils font de nombreuses rencontres, et l’enfant doit devenir chevalier pour défendre son roi…
Il y a du conte dans cette histoire d’enfant bizarre qui a pour amis des chevaux, une grenouille et une cigogne, il y a de l’épopée médiévale dans le portrait de ce vieux roi isolé, il y a du roman dans toute l’histoire, et notamment dans sa fin, un peu convenue.
La richesse confine parfois au trop et l’album souffre un peu de toutes ces directions, avec des ellipses qui pourront dérouter les plus jeunes lecteurs. Mais on y retrouve un petit air de fantasy bien dans l’air du temps. Si les illustrations d’Eloïse Scherrer sont  saisissantes dans les moments épiques et mettent bien en valeur de belles rencontres comme celle d’une ourse et de ses oursons, elles prennent un style étrangement désuet en fin de volume, comme pour souligner le décalage entre les différents univers.