L’Homme qui voulait rentrer chez lui

L’Homme qui voulait rentrer chez lui
Eric Pessan
Ecole des Loisirs Medium + 2019

Dis-moi où est la maison de mon ami 

Par Michel Driol

Jeff est un adolescent qui vit avec Norbert son frère ainé et ses deux parents dans une tour près de Nantes. Son père est au chômage et sa mère, préparatrice de commandes. Leur tour va être démolie et chacun, dans la famille, prépare, – ou ne prépare pas – le déménagement pour leur nouvel appartement. Un jour, les deux garçons découvrent dans la cave un fugitif albinos, aux yeux sans pupille. Difficile de communiquer avec cet étranger qui ne s’exprime que par des claquements de langue. Cet homme est traqué par d’autres hommes – qui semblent parler russe. Les deux frères décident de le cacher. Qui est-il ? D’où vient-il ? Pourquoi le pourchasse-t-on ?

Eric Pessan livre ici un roman complexe qui offre différents niveaux de lecture. D’abord un thriller pour tenir le lecteur en haleine : il s’agit d’aider le fugitif à échapper à ses poursuivants dans un décor de rénovation urbaine, de tour qui se vide petit à petit de ses habitants. Qui est cet individu, qui compte à rebours les jours, cet Alien comme le nomme le frère ainé – un humain ou un extra-terrestre ? Est-on dans le polar ou dans la science-fiction ? La force narrative du livre est de jouer des codes de l’un et de l’autre genre, avant de basculer franchement vers l’un à la fin.

Mais c’est aussi un roman de découverte familiale. Le lecteur n’en sait pas plus que Jeff, le narrateur, sur sa famille : son père toujours au chômage, sans volonté, grande gueule à la maison, mais inexistant ailleurs, la mère fatiguée et usée avant l’âge, le frère ainé, qui s’est fait exclure de nombreuses écoles et  semble zoner dans le quartier. Jeff ne sait rien de sa famille, et c’est l’une des forces du roman de révéler progressivement l’histoire de chacun, de raconter ces vies minuscules, et, avec beaucoup d’humanisme, d’expliquer le présent par le passé des personnages à travers un album de photographies. Un roman qui dit les espoirs déçus et la vie qui brise les individus.

C’est aussi un roman social – entendons par là un roman qui parle de la société, des quartiers en rénovations, c’est-à-dire des tours qu’on abat, sans prise en compte de ce que les habitants ont pu y vivre durant un demi-siècle. Le roman évoque toute une réalité sociale, faite des discours trompeurs de politiques aux mots manipulateurs, des reportages anxiogènes des journalistes. Il décrit au plus juste la vie simple de ceux qui sont invisibles, qui se contenteront d’une semaine de camping pour toutes vacances et pour se retrouver, mais qui sont confrontés aussi à ceux qui viennent d’ailleurs et ont encore moins qu’eux. Le père de l’un des personnages secondaires aide les migrants. Des gardiens de chantier sont solidaires aussi de cet alien, possiblement un migrant venu d’Afrique Centrale. Un homme traqué à protéger, sans se poser plus de questions.

C’est enfin un roman sur la littérature et les rapports entre le réel et l’écriture. A travers un personnage d’auteur en résidence conduisant un atelier d’écriture sur la transformation du quartier, Eric Pessan, non sans humour parfois, décrit des samedis après-midi dans un centre social et livre, par bribes, quelques éléments de réflexion sur l’écriture et la littérature, sous le haut patronage de Perec… Et, dans une belle mise en abime, on y voit Jeff écrire les premiers mots du roman.

Un roman riche et puissant, dont les numéros de chapitre vont décroissant, à la fois signe d’un compte à rebours avant explosion ou lancement, et tentative de retrouver l’origine perdue du bonheur familial. Roman d’apprentissage enfin, aux personnages d’adolescents positifs incarnant la solidarité.

L’île aux panthères, La presqu’île empoisonnée

Les Jaxon, t. 2: La presqu’île empoisonnée
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Les Jaxon, t. 1: L’île aux panthères
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Comment décoiffer le club des cinq

Par Christine Moulin

La quatrième de couverture de l’opus 1 l’indique clairement: « Signant le renouveau du polar de clan, en version 2.0, L’île aux panthères jette cinq adolescents au destin singulier dans les sous-sols obscurs d’un monde contemporain dangereux et réaliste ». De fait, ce roman, tout comme le second, met en scène une bande de collégiens dotés de pouvoirs extraordinaires mais pas surnaturels (l’un est un hacker surdoué, l’autre est hypermnésique, etc.). Et elle les plonge dans des complots qui leur font affronter la mafia calabraise, les Triades chinoises, des trafiquants en tout genre, des  spéculateurs immobiliers, j’en passe et des meilleurs.

Le premier tome se déroule à Nantes, le deuxième à Lyon : les deux villes sont mises à l’honneur et jouent un grand rôle dans l’intrigue. Pour ceux qui les connaissent bien, il est très réjouissant de voir comment l’auteur en fait le cadre de luttes souterraines et impitoyables. D’une manière générale, les deux histoires sont en prise directe avec le réel et évoquent, sans faux semblant et avec une grande précision, nombre de problèmes politiques contemporains (notamment l’environnement: le désherbant Cleanfields, au cœur du problème à résoudre dans La Presqu’île empoisonnée, cache mal sa ressemblance avec le Roundup, par exemple). Cela dit, ces deux romans restent des romans car nos cinq héros, malgré leur âge, accomplissent des exploits que ne renierait pas un agent aguerri du FBI et la vraisemblance est sans cesse oubliée: l’une des héroïnes n’est-elle pas engagée dans un combat « visant à abattre le système de prédation financière et écologique imposé par certaines multinationales »? Et en gros, elle revient pour le goûter…

L’invraisemblance ne touche pas, toutefois, les relations entre les membre du groupe qui sont finement décrites et ressemblent, finalement, à ce que vivent des jeunes « normaux ». Ce qui fait qu’on s’attache aux héros et que la lecture est très agréable, voire, par moments, addictive, du moins celle du tome 2 car l’intrigue du premier ouvrage est un peu embrouillée.
Mais surtout, surtout, c’est le style qui est remarquable (là encore, sans doute plus nettement dans le second opus): il y a de l’humour, beaucoup d’humour, fondé notamment sur des formules surprenantes (exemple: « Xavier l’attendait porte ouverte avec, sur le visage, un air qu’Oscar ne lui avait jamais vu. Une boule de papier journal chiffonnée qui essaierait de sourire était ce qui s’en rapprochait le plus »). Mais il y  aussi des descriptions fortes et frappantes, comme dans cette évocation de Lyon: « Et autour de tout ça, la main invisible et puissante de l’argent toxique et l’énergie brute des quartiers sous pression dont la rage pulsait dans la ville comme des vibrations sorties d’un caisson de basses. Lyon était opulente, baroque, géniale, vulgaire, industrieuse, moderne, expansive, gourmande, explosive et dangereuse ».  Il y a souvent, enfin, des passages d’écriture quasi fragmentaire particulièrement bien venus: « Lucas avait appris cette histoire par hasard – porte mal fermée, mère tourmentée « ce n’est pas cet homme que j’ai épousé », lui réveillé… ».

Bref, si l’auteur s’en était tenu au premier volume, on aurait pu penser qu’il s’était contenté de revisiter (avec talent) le club des cinq, en ciblant, il est vrai, un lectorat plus âgé. Mais le deuxième volume, à l’intrigue épurée, séduit par son rythme et par son écriture et acquiert une tout autre dimension : vivement la parution des Jaxon 3!

Le mystère de la chambre froide

Le mystère de la chambre froide
Simon Bailly, Julia Billet
Les éditions du Pourquoi pas ? 2016,

Quand la prison n’est pas le problème !

Par Maryse Vuillermet

Ce roman graphique est réalisé par la même équipe que Mo sur le même sujet,  mais cette fois dans le monde des cuisiniers et des prisons. Le titre parodie un titre de Simenon Le mystère de la chambre jaune mais l’intrigue policière n’est pas le seul moteur de l’histoire.
C’est l’histoire de Jeannot Cabane, chef cuisinier, qui terrorise ses employés. Un jour, un critique gastronomique particulièrement désagréable mange en salle et le lendemain matin, il est retrouvé gelé dans la chambre froide.
A ce moment-là, un long retour en arrière nous fait découvrir l’enfance difficile et la scolarité chaotique de Jeannot, en particulier les humiliations que lui a fait subir son institutrice. Il n’a donc jamais aimé l’école mais son oncle cuisinier lui a appris son métier et lui a redonné confiance en lui
Retour au présent, tout accuse Jeannot Cabane, car on découvre le carnet de notes du critique gastronomique qui comportait des remarques désastreuses sur son restaurant, ce qui aurait détruit sa réputation. Jeannot est jugé et emprisonné. Mais en prison, il exerce ses talents, améliore le quotidien des autres, pas seulement en les nourrissant bien pour pas cher, mais encréant  aussi une bonne ambiance entre tous.
Un éditeur lui propose d’écrire un guide de cuisine Recettes de cabane.
Jeannot refuse, maugrée et finit par avouer à son professeur de français de la prison ce qui l’effraie. Le professeur l’aide à rédiger le recueil.
Jeannot sort de prison, son livre a du succès, il retrouve son restaurant et on comprend qu’il est innocent mais qu’il s’est laissé accuser pour ne pas avouer qu’il ne savait pas lire : « Si j’avais dit la vérité, qui est-ce qui m’aurait respecté ? »

C’est l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, plus que sa sortie de prison et la réouverture du restaurant, qui va le libérer.
C’est la même libération que pour Mo, des hommes pleins de tous les talents mais paralysés et honteux de leur illettrisme finissent par s’en libérer grâce à d’autres  hommes et femmes compréhensifs.
J’apprécie que ces histoires se passent dans des milieux modestes, ceux des métiers, gardiens d’immeubles, cuisiniers, des grands ensembles et des arrière-cuisines, que ce sujet soit abordé avec  justesse, grâce au dessin plein de tendresse  de Simon Bailly et à la vison fantaisiste de Julia Billet.

Détroit

Détroit
Fabien Fernandez,

Gulf Stream, 2017

Le roman d’une ville à l’agonie

Par Maryse Vuillermet

Detroit, motor city, la ville de Ford et de l’opulence américaine, désormais à l’agonie, sert de décor à ce roman urbain. L’extrême misère sociale, les zones de non-droit, les gangs ultraviolents, les combats de chiens, la prostitution des gamines…
Trois narrateurs s’expriment tour à tour, Ethan, journaliste photographe, fasciné par le passé industriel et les immenses friches de Détroit, Tyrell, jeune lycéen black, qui attend avec impatience la fin du lycée pour fuir l’endroit, et peut-être oublier ses accès incontrôlés de rage. Et, une curiosité narratologique, la ville de Détroit elle-même, narratrice, observe, commente le destin de ses habitants et espère malgré tout en sa propre résurrection.
D’autres personnages sont attachants, Sonya lycéenne, que Tyrrell aime, mais qui se prostitue pour faire vivre sa famille et qui est terrifiée par le chef du gang des Crisps, la mère de Tyrrell, infirmière de nuit dont on découvrira le drame à la fin, la policière, le clodo, ex chanteur déchu, ils hantent cette ville,  impuissants à la quitter, désespérés et ils nous restent en tête.
L’ambiance est ultra violente, l’univers romanesque inédit, le style intéressant, qui se déploie parfois en images très puissantes mais les interventions de la ville-narratrice tournent parfois au procédé, en tout cas,  ralentissent l’intrigue qui est peut-être un peu vite résolue.
C’est le seul bémol à ce roman trash mais audacieux et attachant.

Pline, t. 2 : Les Rues de Rome

Pline, t. 2 : Les Rues de Rome
Mari Yamazaki, Tori Miki
Traduit (japon) par Bureau des Copyrights Français,
Casterman, 2017

Au cœur du sujet

Par Anne-Marie Mercier

Suite d’un premier tome qui prenait son temps, le second nous plonge dans le vif de l’action : les caprices de Néron, après ceux du volcan, sont tout aussi dangereux et le calme de Pline demeure olympien. Quant à Euclès, il découvre les rues de Rome, et leurs dangers, les conditions de vie des habitants, souvent misérables, livrés à la prostitution (à laquelle Néron participe) et à divers trafics, comme celui de l’eau qui promet des développements futurs pleins de rebondissements. Il tombe amoureux, de qui il ne faut pas évidemment.

Pline résiste aux fureurs de l’empereur, mais pour combien de temps ? On voit le philosophe subir des crises d’asthme, occasion de développer les différentes façons de le soigner ou pas. Quant à Néron lui-même, son histoire se déroule, allant vers davantage de sang et de toute puissance, tandis que Popée tente de se faire épouser (allez, une occasion de réentendre/ revoir  le magnifique couronnement de Popée de Monteverdi).

Le manga encyclopédie devient roman policier, développant une intrigue sombre, tandis qu’il propose de belles vues de la ville, de ses hauteurs à ses bas-fonds, et même ses souterrains… A suivre!

L’Homme du jardin

L’Homme du jardin
Xavier-Laurent Petit
L’école des loisirs, 2016

Peurs, terreur et terrorisme

Par Anne-Marie Mercier

Amélie, dite Mélie, 13 ans, orpheline de mère, est grosse et vit dans la solitude des exclus des cercles de l’amitié scolaire. Elle est grosse parce qu’elle a peur. Elle a peur parce qu’elle est seule : son père, médecin, travaille de nuit aux urgences, et parfois les week-ends. La nuit, incapable de s’endormir à cause des multiples bruits de la grande maison vide, elle allume toutes les lumières, la télévision, la radio, et elle vide le frigo. Tout cela, jusqu’au jour – ou plutôt la nuit – où elle entend de « vrais » bruits dans le jardin et trouve au matin le corps d’un homme couché dans l’herbe.

La suite (qu’on ne dévoilera pas) relève du thriller mais aussi du roman psychologique : Amélie découvre, en vivant des peurs véritables, l’origine de ses peurs imaginaires et de son vide intérieur. Les personnages sont forts, même lorsqu’ils sont à peine esquissés, et leurs contradictions sont notées sans manichéisme ; les rares dialogues sont percutants. Le récit, écrit à la première personne, est efficace, intéressant, sans surcharge et sans pathos ; il avance en livrant pas-à-pas des indices ; tout cela fait une belle machine romanesque.

Scaraboy

Scaraboy
M. G Leonard
traduit (anglais) par Amélie Sarn
Seuil-jeunesse , 2016

Gros plan sur les coléoptères…

Par Marion Mas

Orphelin de mère, Darkus emménage chez son oncle Max après la mystérieuse disparition de son père, le directeur scientifique du Muséum d’Histoire naturelle de Londres. Il se fait rapidement trois amis : Bertold, Virginia et… un scarabée géant et étonnamment intelligent, qu’il baptise Baxter. Celui-ci semble adopter le garçon. En compagnie de ses nouveaux camarades, Darkus se met à la recherche de son père car, contrairement à la police, il est persuadé que celui-ci a été enlevé. La rencontre d’une femme étrange dans le département d’entomologie du muséum où son père faisait des recherches, la révélation que cette femme s’intéresse à la maison mitoyenne de celle de son oncle, la découverte, dans cette maison, d’une pièce remplie d’insectes mutants, achèvent de le convaincre.

L’intrigue, riche en rebondissements, se déploie sur fond de manipulations génétiques et de réflexion écologique. On peut regretter une écriture essentiellement composée de dialogues, qui, de surcroit, ne sonnent pas toujours juste. Mais l’originalité du récit tient au regard porté sur les insectes. Décrits avec une grande précision (un glossaire, en fin d’ouvrage, vient, le cas échéant, au secours du lecteur), dotés d’un rôle décisif dans l’intrigue, ils deviennent de véritables personnages, qui attirent la sympathie. Progressivement, en même temps que les jeunes héros, le lecteur apprend à se familiariser avec les coléoptères et à distinguer différentes espèces de scarabées. Et par-là, peut-être bien, qu’il apprend à regarder.

 

 

 

 

 

 

Sauveur et fils (saison 1)

Sauveur & fils (saison 1)
Marie-Aude Murail
L’école des loisirs, 2016

Cas cliniques entre Orléans et Martinique

Par Anne-Marie Mercier

sauveurSauveur Saint-Yves est psychologue; il reçoit en consultation des enfants et des adolescents, seuls ou avec leur famille, des adultes… Dans les séances que l’on voit se dérouler régulièrement, à raison d’une par semaine, on suit les problèmes de scarification, de maltraitance, de désamour, de familles recomposées (hétéro et homo), de folie douce ou furieuse, et tout çela est fort intéressant. Chaque séance est un épisode d’un feuilleton dont on n’a la suite qu’après avoir lu entre-temps celles des autres patients. Le sous-titre s’explique ainsi.

Sauveur Saint-Yves est père. Sa femme est morte depuis des années; il élève seul son fils, Lazare. Il lui donne beaucoup d’amour et d’attention, mais peu de temps, les pizzas surgelées comblant ce manque d’une part, les silences sur la mère disparue le creusant d’autre part. Lazare a découvert le moyen d’écouter en cachette les confidences des patients de son père. Il apprend beaucoup sur la vie en combinant ces propos avec ce qu’il trouve sur internet. Il a un ami, un seul, mais c’est une relation forte. Cet ami à une mère qui, divorcée, l’élève seule elle aussi, et s’intéresse à Sauveur. Les relations entre humains sont doublées de façon comique par les aventures du hamster de Lazare, madame Gustavia, et de sa portée.

Sauveur Saint-Yves est noir, d’origine martiniquaise. Lazare est un peu plus clair, sa mère était blanche comme les parents adoptifs de Sauveur. Les questions sur les origines, le racisme, le langage pour en parler sont diffuses tout au long du récit et explosent vers la fin.

Ce roman, doublement psychologique, est sous-tendu par une intrigue de thriller : des objets maléfiques issus de la sorcellerie martiniquaise sont déposés devant la porte des Saint-Yves, un homme rôde, Lazare est en danger de mort… Le dénouement passe par une scène pleine de suspens suivie du récit d’un séjour à la Martinique où le père fait découvrir au fils la culture, la faune et la flore de l’île, tout en lui révélant les secrets qui lui ont été cachés jusque là – et que le lecteur découvre avec lui.

Tous ces ingrédients se mélangent bien, le thriller prenant le relais lorsque les énigmes posées par les patients commencent à se résoudre. Les drames sont évoqués sans top de pathos, l’humour du psy, sa réflexion sur les mots et les postures créant une légère distance. C’est riche et passionnant, à tous points de vue.

Menace sur le réseau

Menace sur le réseau
Laurent Queyssi
Rageot Thriller 2015

Hacker : entre réalité virtuelle et menaces réelles

Par Michel Driol

menaceVoici le tome 3 des aventures d’Adam Verne – le hacker en fauteuil roulant engagé par les services secrets – et de Clotilde Weisman. (Voir notre chronique du tome 1). Engagé comme consultant  sur le tournage d’un film en Califonie, Adam en profite pour visiter la Silicon Valley, lorsqu’il apprend que son amie Emma vient d’être enlevée, et qu’on lui demande, en échange, de perfectionner un ver informatique qui permettra l’accès à tous les fichiers stockés dans le cloud…  LA CIA s’en mêle… et s’engage une course poursuite, à moto et à l’aide d’engins pilotés à distance. De retour en France, la menace n’est pas écartée, et Adam devra faire face à son alter-ego, et découvrir les secrets qui entourent la mort de son propre père, et l’accident qui l’a paralysé.

On retrouve tous les codes du thriller : enlèvements, poursuites, menaces, suspense, dans une narration vive et enlevée, qui conduit le lecteur de Paris aux Etats Unis, puis à Genève. L’une des forces de cette série est d’avoir choisi un héros en fauteuil roulant, qui n’hésite pas à prendre des risques, mais a besoin des autres pour se déplacer. Si le hacker agit seul, c’est uniquement dans le domaine de l’informatique, où il montre son inventivité et son génie, mais cela ne l’isole pas des autres : son frère, sa petite amie, les acteurs américains qu’il côtoie et avec lesquels il lie des liens. Sur fond d’antagonismes entre les services secrets américains et français, ce roman pose la question du secret des données que l’on confie aux grands groupes dans le cloud, et la tentation des états de s’en emparer. Big Brother est plus que jamais parmi nous.

Un thriller efficace situé dans des problématiques contemporaines.

 

L’Homme qui dessine

L’Homme qui dessine
Benoît Séverac
Syros, 2014

Crimes en série chez sapiens sapiens

Par Matthieu Freyheit

lhommequidessineMounj est un homme-qui-dessine : il a été missionné par sa tribu (les hommes de Neandertal) pour courir le monde, l’explorer, l’appréhender, et le rapporter sous forme de récits, mais aussi de dessins rudimentaires tracés sur des écorces de bouleau. Et, peut-être aussi, pour trouver une femme de son espèce : car les hommes de Neandertal, dits hommes-droits, s’éteignent peu à peu, victimes d’un mal que personne n’est capable de définir.

Au cours de son voyage, Mounj est fait prisonnier par une tribu d’Hommes-qui-savent, autrement dits sapiens-sapiens, qui l’accusent d’avoir assassiné plusieurs membres de leur clan. Mounj organise sa défense, et offre de découvrir le véritable meurtrier, dans un délai que lui octroie le chef.

L’enquête, cependant, n’est qu’un prétexte, qu’un support. Le roman de Benoît Séverac est d’abord celui de la rencontre. Entre deux peuples aux coutumes et connaissances différentes. Mais surtout entre un peuple amené à survivre (nous), et l’un voué à la disparition. L’espoir de la survie et le sentiment de l’inéluctable se répondent, et s’éclipsent parfois pour jouir de cet étonnant moment, symptomatique d’une « inquiétante étrangeté ». Car si le récit semble simple et limpide, notamment sous l’effet d’une économie de style (l’auteur échappe aux clichés à la fois du bon sauvage et du barbare préhistorique, mais aussi à nombre d’images éculées), il n’est pas sans faire écho à certaines problématiques brûlantes : fantasme conspirationniste du « grand remplacement », réflexions sur le dépassement de l’humain par le posthumain, angoisses d’extinction et scénarios catastrophes, etc. L’auteur rappelle avec finesse que nos peurs de disparition ne datent pas d’aujourd’hui, que le coupable est toujours tout trouvé, que de la rencontre naissent autant de craintes que de possibles renouveaux, et, certainement, son lot d’incompréhensions.

En outre, précisions que le roman a le mérite de ne pas chercher, comme beaucoup d’écrits liés à la préhistoire, une portée documentaire superficielle : le récit prime, et Benoît Séverac est avant tout un bon romancier.