L’oiseau noir (La maison sans pareil, 1)

L’Oiseau noir (La Maison sans pareil, 1)
Elliot Skell
traduit (anglais) par Alice Marchand
Flammarion (grand format), 2012

Maison, douce maison?

Par Anne-Marie Mercier

lamaisonsanspareilLa thème de la maison en littérature de jeunesse mériterait une étude poussée – et pourquoi pas une thèse –, tant il est riche, surtout depuis quelques années. Il surprend par sa plasticité et sa richesse, de la maison qui s’envole, mais juste déplacée, du Magicien d’Oz (1900) à celle, beaucoup plus complexe, du Château de Hurle (1986, superbe roman de Diana Wynne Jones qui a inspiré Le Château ambulant de Murakami), aux maisons à géométrie variable de Coraline (2002) de Neil Gaiman et des Olivia Kidney d’Ellen Potter (publiés en français au Seuil, 2006, 2007), ou aux maisons ouvrant sur une infinité de mondes, dans la trilogie de Pierre Bottero (L’autre, 2006-2009), ou la maison fermée de celle d’Yves Grevet, (Méto, 2008-2009), dont le premier volume est intitulé « La maison »… On peut trouver de multiples raisons à la récurrence de ce thème : la maison est ce qui structure le dehors et le dedans, la famille et l’étranger, ce qui protège mais aussi ce qui cache : on y vit en famille, entre voisins, on s’y aime ou on se déteste, il y a des « cadavres dans les placards », des trappes, des caves et des greniers… La maison est sans doute le premier « monde » qu’un enfant explore, avec ses lieux réservés, espaces interdits ou dangereux, ses zones d’intimité et de collectivité, les lieux pour être ensemble et pour être seul.

La maison sans pareil, château bizarre et pseudo-gothique est presque une ville entourée d’une enceinte : tours, cours, couloirs et coursives, ailes abandonnées, jardins ou forêt intérieurs, rivière souterraine, parc… jusqu’au cimetière appelé le Champ des rêves. « Au delà des tours, des grandes salles, et des longues ailes des bâtiments occupés par les Capelan, il y avait encore d’autres tours, d’autres salles et d’autres ailes qui n’avaient jamais été habitées, et certains endroits bâtis par le Capitaine étaient encore des sortes de pays attendant d’être découverts. Il y avait des centaines, sinon des milliers de pièces dont on n’avait jamais ouvert la porte. »

Les Capelan, une famille devenue elle aussi tentaculaire l’habite depuis deux cents ans. On y vit en autarcie : la fortune léguée par le fondateur, le Capitaine, est si grande que chacun peut satisfaire tous ses désirs sans travailler, faisant venir de l’extérieur ce qu’il lui faut sans rien avoir à débourser. On s’occupe cependant : chacun développe un talent ou un goût qu’il a choisi (artisanat, inventions, sciences et littérature, collections…). Les Capelan adorent les fêtes et il y en a souvent. L’école, qui se déroule dans le Hall des inclinaisons (au lieu de « inclinations », erreur qui détermine l’architecture…) n’est pas obligatoire, mais tous les enfants y vont avec plaisir car les cours sont faits de façon très variée – ils portent d’ailleurs tous sur la Maison car aucun autre savoir n’est nécessaire. On y est gourmand aussi et des banquets délicieux se déroulent dans la Nef mauve ou dans le Hall des humeurs, immenses salles qui font penser au réfectoire de Harry Potter. Le service est assuré par les domestiques de la ville la plus proche qui s’est vidée de ses habitants au profit de la maison et eux mêmes se sont reproduits et occupent des fonctions héréditaires.

Personne ne sort de la Maison : pourquoi partir d’un lieu si parfait ? Mais parfois des personnes extérieures arrivent de loin pour épouser l’un des Capelan et y restent à tout jamais. Le début se rapproche d’un lieu utopique, parfait pour les citoyens à part entière. Mais bien vite, c’est la dystopie qui l’emporte, au moment de la mort du chef de la tribu, le « capitaine » (on devine qu’il a été assassiné) qui ne désigne pas de successeur affirmant : « Je suis mort, maintenant, alors je me fiche de ce qu’il va se passer. Je n’en ai jamais aimé un seul d’entre vous de toutes façons. » Dans ce temps d’incertitude quant à la légitimité du pouvoir, l’héroïne, Omnia Capelan, découvre par hasard des vérités cachées et sa curiosité (caractéristique étrange pour une Capelan) l’amène à explorer la Maison et son histoire, beaucoup plus noire qu’elle ne l’imaginait. Le roman devient alors une enquête policière labyrinthique et passionnante, sur fond de complot. Le côté sombre est souvent désamorcé par des scènes comiques, sans doute pour ménager les plus jeunes lecteurs qui auraient l’âge de l’héroïne (douze ans et quart), ce qui fait du roman un mélange un peu curieux : je partage l’avis de Sophie Pilaire dans Ricochet quant à la dispersion des effets tout en étant impressionnée par le monde inventé.

Les noms des personnages est une autre trouvaille : les noms des hommes commencent tous par Eter : Etergrand, Eterpiaf, Etersonge… ceux des femmes imitent le latin : Artésia, Basilica, Pedagogia… Et une question, posée deux fois à Omnia, propose une énigme : « est-ce le nom qui fait la personne ou la personne qui fait le nom ? » Question qui est ici davantage de l’ordre de la fabrique littéraire que de l’être. Vu le nom de l’héroïne (féminin pluriel de « tout » en latin, toute chose, toutes les choses) fait augurer pour elle un grand destin, à suivre dans les prochains volumes (le prochain est annoncé pour mars 2013).

 

La Bande à Grimme

La Bande à Grimme
Aurélien Loncke
L’école des loisirs (neuf), 2012

Conte de Noël

Par Anne-Marie Mercier

la bande a grimmeLes personnages de ce court roman, une bande d’enfants errants et voleurs grelottant de froid sous la neige, ont peu à voir avec les contes de Grimm malgré le titre et les allusions fréquentes à cet univers. On est dans un récit réaliste, entre Oliver Twist, conte de noël et roman policier où les petits luttent (avec succès) contre une bande de méchants très affreux qui ont enlevé un illusionniste – ou un magicien – qui faisait leurs délices.

L’histoire est charmante, les enfants attendrissants, cela fait un très joli récit volontairement naïf où les allusions à d’autres histoires connues sont semées comme des petits cailloux, mais un peu gratuitement.

Infiltrés

Infiltrés
Laurent Queyssi

Rageot (Thriller), 2012

Hacker : l’union du livre et de l’écran

Par Matthieu Freyheit

InfiltrésLes personnages ont leurs classiques ; le roman de Laurent Queyssi pourrait en donner un au hacker, pourvu qu’il ne soit pas noyé dans l’immense océan de la littérature de jeunesse. À vos librairies donc, voilà un livre à lire.

Adam, adolescent hacker, réussit à la suite d’un pari une passe informatique dont il se souviendra. Pour cause : elle est à l’origine de son enlèvement et d’une succession d’aventures qu’il n’avait ni cherchées, ni souhaitées. Espionnage, argent, haute technologie et, surtout, menace pour l’humanité, tout est là, contemplé depuis la hauteur réduite d’un héros rivé à son fauteuil roulant. Nous n’échappons certes pas à un certain lot de clichés et à une extrapolation des motifs qui n’aurait pas été toujours nécessaire. Mais enfin, l’auteur fait ici le compte de ce qui fonde l’imaginaire du personnage de hacker et les restitue intelligemment ; et avec style.

Comme nombre de hackers de la production romanesque, Adam est un petit génie de l’informatique, et sa passion l’entraîne bientôt au-delà des limites qu’il s’était fixées, au-delà des fictions qu’explorent les jeux vidéo en ligne dont il se repaît. Attention pourtant ! Adam n’est pas un héros adolescent comme les autres. Non pas qu’il soit plus doué sur son clavier d’ordinateur, pas non plus qu’il soit, handicapé, cloué à son fauteuil quand son frère parade en skate dans les rues de la ville. Non, tout ça est somme toute assez banal. Mais Adam est bon élève, a une mère professeur de lettres, et résout une importante énigme en faisant appel à ses souvenirs de lecteur et à la fameuse Lettre volée d’Edgar Allan Poe. Si ça vous épate, moi aussi. L’opposition classique entre l’écran et le livre est enfin balayée par un auteur qui, dans une morale scolaire sans doute plus originale que les marges contre-culturelles trop à la mode, a la finesse de rapprocher les contraires et de rappeler au passage que oui, la lecture c’est aussi bien pour les garçons.

On regrette peut-être un manichéisme qui ne rend pas compte de la réalité du hack : car le cracker est l’autre visage du hacker, et mériterait, simple pincée de mister Hyde dans ce docteur Jekyll de la toile, d’être restitué pour une figure plus complexe. Cela reste cependant peu de choses devant un roman brillant au style enlevé et, pour ne pas se perdre en palabres, véritablement réussi.

Venenum

Venenum
Charlotte Bousquet
Gulf Stream Editeur,  2012

Roman de cape et d’épée,  philosophique et policier

Par Maryse Vuillermet

 

venenum_imageCe roman est à la fois un roman d’aventures, de cape et d’épée plus exactement, un roman historique,(il se passe au XVII° siècle), un roman philosophique, il expose et illustre  la doctrine cartésienne, et enfin un roman policier. En effet, l’héroïne Jana, pupille de Descartes,  dix-sept ans, est chargée par le philosophe agonisant de trouver les causes de sa mort et ses assassins. S’en suit une course poursuite  à travers l’Europe, en bateau,  en diligence, et à cheval, à  bride abattue, jusqu’à Paris. Elle a pour protecteur un ancien soldat  Conrad Von Vries. En chemin, le monde du XVII° est décrit, ses auberges, ses villes coupe-gorge, ses ateliers, ses imprimeries, ses complots contre Mazarin, et la Fronde parisienne.

La jeune fille ne doit faire confiance à personne, elle mène l’enquête grâce à son intelligence, à la logique apprise auprès de son tuteur, mais aussi grâce à sa force physique et son audace,  acquises pendant son enfance misérable dans les rues. Les leçons d’escrime données par son compagnon de voyage sont également bien utiles,  les duels succèdent aux rencontres, les guets-apens, les retournements de situations, rendent le récit haletant.  Mais c’est le personnage de Jana qui l’illumine, il est très attachant, une écorchée vive qui veut préserver sa liberté et pour cela,  se déguise  en homme, et connait ainsi travestie une aventure amoureuse très troublante, l’homosexualité féminine es à peine esquissée mais bien présente.

C’est un  roman à conseiller aux jeunes curieux (ses)  car la langue et le contexte historique ne sont pas toujours  assez expliqués mais ils, elles  ne le regretteront pas.

Red code, la brigade des fous

Red code, la brigade des fous      
Philip Le Roy
Rageot Thriller 1013

  Catalogue et liste

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

cvt_La-brigade-des-fous--Red-Code_2696 imageJ’ai beaucoup de mal à accrocher à ce policier, le deuxième de la série  Red code après Blackzone.  Pour moi, le procédé est trop visible : six jeunes  choisis pour leurs qualités exceptionnelles mais aussi pour leur handicap,  un autiste savant,  une bipolaire séductrice, une hyperactive championne d’arts martiaux,  une dépressive insensible au danger, un addict aux jeux vidéo, et un trisomique  exceptionnellement musclé sont entrainés dans un camp appelé La Citadelle pour mener des actions d’enquête dangereuse et classée secrète.  Dans ce cas, il s’agit d’infiltrer un réseau de terroristes afghans. Ces terroristes ont la particularité d’être  jeunes et lycéens et de passer inaperçus. Il s’agît donc pour nos six détectives de s’inscrire dans leurs lycées,  de s’en faire des amis et de les arrêter avant qu’ils ne fassent exploser   le centre nucléaire ITER. Mais le réseau  qui les a fait venir en France est aussi un réseau de  vente d’êtres humains, de prostituées, les méchants sont aussi des adeptes de l’extraction des gaz de schiste, enfin  ils présentent eux  aussi un catalogue de perversités.

Je dis liste, car à chacune des sorties du camp,  les six agents  s’adonnent a une liste complète de coups  et tortures, d’exactions en tous genres, explosions, destructions de bus,  de voitures,  d’immeubles, enfin, tout ce qu’il est possible de faire sans tuer vraiment. Les personnages  ont à la fois des talents exceptionnels et   sont des malades qui pourraient être à nouveaux enfermés à tout moment. On devrait s’attacher à eux, mais ils sont trop caricaturaux. Dans ce style, j’ai préféré Les infiltrés ou A comme association de Bottero.

Red code, la brigade des fous

Red code, la brigade des fous      
Philip Le Roy
Rageot Thriller 1013

  Catalogue et liste

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

J’ai beaucoup de mal à accrocher à ce policier, le deuxième de la série  Red code après Blackzone.  Pour moi, le procédé est trop visible : six jeunes  choisis pour leurs qualités exceptionnelles mais aussi pour leur handicap,  un autiste savant,  une bipolaire séductrice, une hyperactive championne d’arts martiaux,  une dépressive insensible au danger, un addict aux jeux vidéo, et un trisomique  exceptionnellement musclé sont entrainés dans un camp appelé La Citadelle pour mener des actions d’enquête dangereuse et classée secrète.  Dans ce cas, il s’agit d’infiltrer un réseau de terroristes afghans. Leur particularité, ils sont jeunes et lycéens. Il s’agît donc pour nos six détectives de s’inscrire dans leurs lycées,  de s’en faire des amis et de les arrêter avant qu’ils ne fassent exploser ITER. Mais le réseau est aussi un réseau de  vente d’êtres humains, de prostituées, les méchants sont aussi des adeptes de l’extraction des gaz de schiste, enfin  ils présentent eux un catalogue de perversités

Je dis liste, car à chacune des sorties du camp,  les six agents  s’adonnent a une liste complète de coups  et tortures, d’exactions en tous genres, explosions, destructions de bus,  de voitures,  d’immeubles, enfin, tout ce qu’il est possible de faire sans tuer vraiment. Les personnages  ont à la fois des talents exceptionnels et  ce sont des malades qui pourraient être à nouveaux enfermés à tout moment. On devrait s’attacher à eux, mais ils sont trop caricaturaux. Dans ce style, j’ai préféré Les infiltrés ou A comme association de Bottero.

L’étonnante disparition de mon cousin Salim

L’Etonnante Disparition de mon cousin Salim
Siobhan Dowd
Traduit (anglais) par Catherine Gibert
Gallimard jeunesse (folio junior), 2012

Autiste détective

Par Anne-Marie Mercier

Publié pour la première fois en français en 2009, ce roman fait penser très fortement au Bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon, publié en 2004, qui a connu un grand succès et a été beaucoup exploité par les enseignants et tous ceux qui cherchaient à développer la compréhension et la tolérance vis-à-vis des enfants handicapés (voir un article sur ce livre paru dans Repères)

Dans les deux cas il s’agit d’une enquête policière menée par un jeune autiste. Si le héros de Haddon, Christopher, atteint du syndrome d’Asperger, était à sa façon un génie, celui de Siobhan Dowd est plus intégré. Il a une sœur, deux parents, va au collège (et y est malheureux). Mais, comme Christopher, il a des manies (la météo), des gestes incontrôlés, des difficultés à comprendre les émotions des autres et à les partager. L’intrigue policière est ici plus développée, autour d’un événement plus dramatique, une disparition d’adolescent. L’évocation de l’angoisse de la famille et de l’appareil policier et médiatique qui se met en place crée de vrais moments d’angoisse. Le texte, bien traduit, rend bien les raisonnements de Ted et ses difficultés de langage et d’adaptation. Le duo qu’il forme avec sa sœur est parfois comique et crée des pauses qui allègent le récit.

C’est une belle façon de faire entrer les jeunes lecteurs dans une pensée différente. Le désir de Ted d’avoir des amis autres que ses parents et son éducateur est émouvant et fait comprendre, au-delà du  problème de l’autisme, le drame des adolescents en mal de communication.

Siobhan Dowd est décédée prématurément mais est présente dans l’actualité littéraire par la parution d’un très beau livre de Patrick Ness, Quelques minutes après minuit, sur une idée de roman qu’elle n’a pas pu achever (voir notre chronique parue le mois denier).

Département 19

Département 19
Will Hill

Traduit (anglais) par Frédérique Fraisse
Seuil, 2011

Gore rose

Par Anne-Marie Mercier

Will Hill a réalisé un croisement a priori monstrueux, donc intéressant entre deux genres fort éloignés : le roman d’espionnage et le roman frénétique hanté par les vampires, loups garous et autres créatures. Il a ajouté au passage des personnages tirés de romans classiques, Frankenstein et Dracula. Des chapitres alternés racontent soit les aventures modernes du jeune Jamie, soit celles de son ancêtre, valet du héros du roman de Bram Stoker. Il y a donc une certaine ambition littéraire dans le projet. Des vers de Robert Frost mis en exergue fondent des espoirs de lecture, hélas en partie déçus.

Si le mélange est vraiment intéressant (l’ambiance James Bond – le héros ne s’appelle-t-il pas James ?– est pimentée par la terreur face aux créatures maléfiques) de nombreux passages laissent perplexe, tant on insiste souvent et lourdement sur les blessures infligées par les vampires, les tortures et démembrements. Il y a une jouissance du sang qui donne la nausée à ceux qui ne la goûtent pas et qui leur fait s’interroger sur ceux qui la goûtent. En outre, le roman manque de rythme et s’attarde sur des descriptions précises et gratuites qui donnent l’impression d’être davantage face à un synopsis de cinéma qu’à une fiction qui laisserait au lecteur un peu d’initiative (on sait jusqu’à la marque et la couleur des chaussures de Jamie).

Enfin l’intrigue est timide sur bien d’autres points : le père de Jamie n’est pas le traître que l’on croyait, la belle jeune vampire dont Jamie est amoureux n’est pas le monstre assassin qu’elle feignait d’être. Et ce héros qui gémit « maman ! » toutes les dix pages (oui, sa mère a été enlevée et il va la délivrer et sauver la réputation de son père…) est une tête à claque qui croit –malheureusement avec raison – rester maître de son destin quand tout s’y oppose.

Amateurs de vraie noirceur, allez vers celle de Patrick Ness (voir plus bas, chronique précédente) ou du chilien Roberto Bolano, lisez 2666 qui illustre la déclaration de son auteur :

« Qu’est-ce qui fait une écriture de qualité ? Savoir s’immerger dans la noirceur, savoir sauter dans le vide et comprendre que la littérature constitue un appel fondamentalement dangereux ». (discours d’acceptation du Prix Romlo Gallegos, 1999)

Matilda à l’heure d’été

Matilda à l’heure d’été
Marie-Christophe Ruata-Arn
La joie de lire (Hibouk), 2012

Esprit frappeur ?

Par Chantal Magne-Ville

Avec Matilda, jeune fille bien sous tous rapports, mais qui aime mener des enquêtes, à l’instar de son policier de père, le lecteur se trouve plongé dans une intrigue à rebondissements, qui retrace les péripéties d’une broche appartenant à un ancêtre qui est volée et réapparaît à plusieurs reprises, au point que les explications rationnelles finiront par ne plus suffire, rendant le recours aux esprits nécessaire. D’où le titre qui interroge sans en avoir l’air : que fait le temps durant le passage à l’heure d’été ? Que peut-il se passer pendant « l’heure escamotée » ?

L’intérêt du livre vient curieusement du cadre, pourtant banal, d’une Cité, de la personnalité de Matilda, si différente des autres jeunes qui l’entourent, au point qu’elle est le rédacteur en chef incontesté du journal de l’école, et surtout des personnages attachants qu’elle côtoie, camarades de classe, vieilles demoiselles désargentées et un peu folles dont elle promène le chien, personnel municipal…

Ecrit de manière fluide et rythmée, le livre est cependant long, au risque de voir parfois la tension retomber un peu. Cependant, les titres des trente-cinq chapitres, commençant tous invariablement par : «le jour où…», demeurent suffisamment généraux ou énigmatiques pour attiser la curiosité du lecteur, qui trouve vite réponse à ses interrogations. Ces courts chapitres balisent la progression de l’enquête, ce qui favorise singulièrement la mémorisation des faits.

Pour les lecteurs à partir de 9 ans, qui aiment que l’héroïne soit une fille et que l’histoire au long cours lui fasse vivre plein d’aventures tout en demeurant relativement sage.

La nuit des mis bémols

La nuit des mis bémols 
Manuela Drager

L’école des loisirs (« Medium »),  2012

Univers très fantaisiste

                                                                          Par Maryse Vuillermet

Voici le dixième livre de Manuela Drager où Bobby Potemkine, le personnage central de cette histoire étrange et poétique, mène une enquête farfelue dans un monde où tous les personnages, qu’ils soient humains, animaux ou végétaux, ont une  vie propre,  selon une logique qui pourrait nous échapper.

Cette fois, Bobby est assis au bord du quai, observant les icebergs qui dérivent quand un  corbeau transparent, Jean Gouanodon,  l’alerte sur une étrange affaire de clafoutis rebelle. Le gâteau s’agite et mordille, affectueusement certes, toute personne souhaitant le déguster.  Bobby est également troublé par la ravissante Lili Nebraska, qui peine à jouer sa Cantate golde depuis que tous les mis bémols ont disparu, et par Lalika Gul qui confectionne  des gâteaux délicieux. Billy lui-même vit  un terrible problème,  le temps lui échappe, le jour et la nuit se succèdent  toutes les heures, il ne peut les retenir.

Au début, quand on s’embarque dans cet univers, on cherche une logique, et on attend d’avoir parcouru une dizaine de pages,   pour se dire que non, il n’y a aucune logique, on navigue dans un univers parallèle, personnel, loufoque, gentil, affectueux, original et l’enquête n’est qu’un prétexte pour se poser des questions : Rêve-t-il ? Les pluies de météorite et le défilé des icebergs sont-ils un message d’alerte pour nous annoncer des dérèglements climatiques majeurs, ou ne sont-ils là que pour leur étrange beauté ? Les amours  de Bobby et de Lilli à l’odeur envoutante de savonnette au gingembre seront-ils récompensés ?  Je crois qu’il faut accepter ces énigmes non résolues.

Si on entre, on laisse sa rationalité à la porte. Ce livre peut s’adresser à de jeunes lecteurs  amateurs  de loufoque et de fantaisie.