Les Enfants du chemin de fer

Les Enfants du chemin de fer
Edith Nesbit,

Traduit (anglais) par Amélie Sarn
Novel, 2024

Un classique anglais chaleureux

Par Pauline Barge

L’année 2024 marquait le centenaire de la disparition d’Edith Nesbit, l’occasion de (re)découvrir cette autrice. Son chef-d’œuvre majeur, Les enfants du chemin de fer, est traduit pour la première fois en français.
Roberta, Peter et Phyllis vivent confortablement avec leurs parents à Londres. Lorsque leur père disparaît mystérieusement, ils partent vivre à la campagne, dans un modeste cottage. Leur mère met tout en œuvre pour que la famille ne manque de rien, et réussit tant bien que mal à gagner quelques sous en publiant des histoires. Comme elle s’enferme souvent pour écrire, la fratrie, livrée à elle-même dans cette campagne isolée, se prend de passion pour le chemin de fer et sa gare. Ils y rencontrent divers employés et passagers, avec qui ils se lient d’amitié. Si l’absence du père est le fil rouge du récit, c’est avant tout le quotidien du trio et leurs péripéties qui occupent une place centrale. Il est impossible de s’ennuyer : les enfants nous amusent, et l’intrigue autour de la disparition du père maintient le suspense.
C’est un roman vivant et fluide, dans lequel on s’immerge facilement. Les enfants nous entraînent dans leurs découvertes et aventures. Ils sont attachants, avec des personnalités bien différentes. Roberta, l’aînée, est plutôt raisonnable et sage, tandis que son cadet Peter est têtu et la jeune Phyllis très maladroite. Si leurs disputes sont récurrentes, ils restent soudés, empreints d’une innocence enfantine et d’une profonde gentillesse, que ce soit entre eux ou envers leurs amis et les inconnus qu’ils rencontrent. C’est une lecture très chaleureuse, qui propose de jolies leçons de vie et qui transmet des valeurs intemporelles.

Les Oublieux

Les Oublieux
Antonio Da Silva
Rouergue 2025

Les morts aux trousses

Par Michel Driol

Billy vient d’être assassiné d’un coup de couteau. Il se retrouve au Père Lachaise, en compagnie de Mirai, jeune morte japonaise, et d’autre morts illustres, tous guettés par les oublieux, qui veulent leur voler leurs souvenirs. Pendant ce temps, dans le monde des vivants, la sœur de Billy va accoucher, et de redoutables jeunes nervis grecs, au service d’un mystérieux Client, tentent de récupérer l’objet pour lequel Billy est mort.

En alternant les chapitres, côté vivants, côté morts, le roman tisse une intrigue serrée qui mêle les deux univers autour d’un objet bien mystérieux, aux pouvoirs magiques, permettant sans doute de relier le monde des vivants et celui des morts. Côté vivants, on est dans un thriller, avec ses personnages sans morale, son héroïne orpheline, une fliquette courageuse, et deux patronnes de bar prêtes à aider. Les péripéties et les morts s’enchainent, avec un rythme soutenu et nerveux, dans le décor parisien, des quais, des immeubles haussmanniens, et bien sûr, des catacombes. Côté morts, on navigue entre le Père Lachaise et le Panthéon, on aperçoit Jim Morrison, mais aussi Rosa Bonheur et l’une des fusillées de la Commune… C’est peut-être là que le roman déploie le plus sa fantaisie et son imaginaire, en construisant une société de l’éternité avec ses rites, ses hiérarchies, et une façon de vivre dans les souvenirs tout en étant doté de pouvoirs extraordinaires.  Par là, le fantastique du roman crée un autre monde, dans lequel les morts continuent à vivre, à éprouver des sentiments, des regrets, et à tenter d’aider les vivants tout en échappant à ceux qui leur veulent du mal, ces fameux oublieux qui donnent le titre du roman. Ajoutons que, non sans humour, l’auteur les apparie : le couple Molière – La Fontaine fait écho au couple Joséphine Baker – Marie Curie, composant ainsi des personnages hauts en couleurs et pleins de ressources !

Un roman à la fois haletant et délicat, dans lequel se lisent la soif de vivre et l’importance de l’amour,  au-delà de la mort.

 

Cache noisettes

Cache noisettes
May Angeli
Editions des éléphants 2025

Qui aidera le petit écureuil ?

Par Michel Driol

Un petit écureuil ne retrouve plus ses noisettes. Il va questionner d’abord la taupe, qui l’adresse au mulot… et ainsi de suite jusqu’à la fin heureuse, grâce au cerf. Et toute la famille écureuil, repue, peut s’endormir.

C’est un conte en randonnée classique, qui conduit le petit écureuil à questionner différents animaux, chaque fois avec une formule différente, et chaque animal de renvoyer l’écureuil à un autre, dont il souligne une caractéristique montrant qu’il a surement la réponse. Comme dans tous les récits en randonnée, la répétition offre un cadre rassurant, et prévisible, tandis que la variation langagière ouvre sur les différentes possibilités d’expression de la même demande. Chemin faisant, le tout petit lecteur découvre les différents animaux de la forêt, des plus petits (la taupe) aux plus gros (le cerf), avec un de leurs attributs (la ruse, les dents…). Et tout se termine heureusement, grâce à l’entraide, dans la cellule familiale de l’écureuil, havre de paix, d’amour et de réconfort car l’on découvre alors que l’écureuil ne cherchait pas pour lui ses noisettes, mais pour ses enfants…

Les illustrations sont remarquables, faites à partir de gravure sur bois, elles laissent apparaitre les veines de ce matériau totalement en harmonie avec le récit. Les couleurs, tendres et chaudes, évoquent la forêt en automne. Les personnages sont expressifs et pleins de dynamisme, tantôt de face, tantôt de dos…

Un beau conte en randonnée, aux illustrations pleines de poésie, à destination des plus jeunes, pour dire les valeurs de solidarité, d’entraide et d’amour familial au sein de la nature.

L’Enfant au poisson rouge et autres contes d’apprentissage

L’Enfant au poisson rouge et autres contes d’apprentissage
Muriel Bloch – Illustrations de Phileas Dog
Gallimard Jeunesse 2024

Quand celui ou celle qui marche fait le chemin…

Par Michel Driol

L’ouvrage commence par une belle préface de Muriel Bloch, qui, prenant appui sur de nombreux contes, de nombreux conteurs, montre d’abord à quel point les contes de toutes origines sont préoccupés par l’enseignement de la vie, en multipliant les figures d’apprentis, les uns sages, les autres fous. C’est à cette rencontre avec tous ces élèves que nous convie le recueil de 23 contes.

Il s’agit de contes du monde entier, que Muriel Bloch raconte ou adapte dans une langue très agréable à lire, pleine de vie, sachant ménager les surprises et les effets de chute. Ses héros sont des princes ou des enfants, des cordonniers ou des samouraïs, des hommes ou des femmes.  Les uns cherchent à apprendre, comme cet empereur chinois qui se sent incapable d’agir, d’aimer et de vivre. Les autres veulent gagner leur vie, comme ce paysan grec. D’autres sont rusés, comme cet apprenti tailleur qui ne veut, comme prix de son travail, que le poids de son mouchoir. D’autres encore sont pleins de contrariété, comme ce pêcheur  breton. C’est toute une humanité diverse et variée, de caractère, de condition que ces contes nous proposent. On peut y rencontrer le roi Salomon mais aussi le diable, et, parfois même, des héros animaux, un tigre et un chat, ou un coyote et une sauterelle.

Qu’est-ce qui caractérise ces élèves dans ces contes ? Les uns, comme ce prince géorgien, ont besoin qu’on leur explique, car ils ne comprennent pas ce qui est dit de façon trop cachée. Les autres, comme le paysan grec, se ruinent  pour apprendre des choses qu’ils ne comprennent pas, mais qui lui apporteront la fortune.  D’autres encore, comme l’enfant au poisson rouge, se perdent dans la contemplation d’un poisson qui tourne en rond dans son bocal. D’autres enfin ne comprennent pas les messages que la mort leur envoie, signes universels du vieillissement.  Car, si philosopher c’est apprendre à mourir, il en est peut-être autant de la lecture des contes, leçons de vie, leçons de mort. On y apprend à bien vivre, c’est-à-dire à s’interroger sur l’amour, l’amitié, la valeur du travail, le valeur de la parole. On y apprend à lutter contre les traditions avilissantes, comme le sort de ces jeunes filles mauritaniennes qu’on engrosse pour les marier.

Ce recueil propose donc une grande variété de contes, de par les origines (tradition juive, bretonne, soufie, chinoise, iranienne…), de par les situations qu’on y rencontre, provoquant à chaque fois l’étonnement et la surprise du lecteur. Celui qui ne sait pas signer son nom devient plus riche que s’il l’avait su.  Celui qui croit conseiller le diable se fait emporter par lui. Les chutes sont souvent étonnantes, révélant alors tout le mystère de la sagesse.

Chaque conte est illustré par Phileas Dog, jeune plasticienne qui excelle en sérigraphie. Elle multiplie, sur une même page, les regards, les situations, dans de couleurs vives, montrant des personnages expressifs dans des décors stylisés, souvent entourés d’une frise.

Toute la sagesse du monde est dispersée aux quatre vents, et personne n’en a le monopole, dit le conte d’Anansi. C’est bien ce que montre cette recension, qui invite à la chercher partout., chez les plus sages comme chez les plus fous, pour apprendre à vivre.

Le vaillant soldat de plomb au pays des yõkai

Le vaillant soldat de plomb au pays des yõkai
Muriel Bloch – Photographies de Pierre-Jacques et Jules Ober
Seuil Jeunesse 2025

Andersen à Kyoto

Par Michel Driol

Chacun connait l’histoire du petit soldat de plomb unijambiste d’Andersen, amoureux d’une ballerine.  Cet album la transpose fidèlement au Japon, les adversaires du petit soldat étant les yõkai, dont la préface précise – heureusement – qu’il s’agit de créatures surnaturelles peuplant l’imaginaire japonais, à la frontière du bien et du mal. Une postface présente, à la façon d’une encyclopédie, ceux qu’on aura rencontrés dans le texte. Le lecteur familier d’Andersen reconnaitra toutes les péripéties, l’amour envers la ballerine, devenue ici petite demoiselle en kimono, le voyage en bateau de papier, le retour dans le ventre d’un poisson, et la mutation finale des deux protagonistes en un cœur… Le lecteur qui ne connaitrait pas le conte source éprouvera un autre plaisir, à découvrir à travers quels dangers passe le petit soldat unijambiste échappé d’une guerre napoléonienne, et la fin pleine de poésie.

Le texte de Muriel Bloch, dans une langue vivante, épouse au plus près le point de vue du petit soldat, donne à entendre ses pensées, son monologue intérieur, ses pensées, ses sentiments, ses peurs aussi, contribuant à faire de ce jouet un véritable personnage, doublement étranger, étranger au Japon, étranger dans un monde merveilleux où tout peut arriver. Le récit transpose l’enfant du conte source en un marchand d’antiquités japonais, faisant aussi de ce dernier un véritable personnage. Si c’est lui qui ouvre le récit en trouvant le soldat dans un marché aux puces, et c’est lui qui le clôt en vendant la bague sertie du cœur de plomb à un jeune couple, il reste comme étranger aux mésaventures du soldat, et à ce qui se passe chez lui la nuit.

Le texte est ici magnifiquement illustré par des photographies, comme cela se pratique encore trop rarement en littérature pour la jeunesse, plaçant le lecteur devant un objet hybride, entre album et roman photo. La mise en page propose parfois des photos pleine page, mais le plus souvent des strips faisant avancer l’action, juxtaposant ou confrontant les images de façon très expressive. Des photos dont les couleurs très saturées et les contrastes forts rendent bien compte de cet autre univers qui est celui du conte. Le Japon propose ici des décors de toute beauté, qu’il s’agisse du parc automnal dans lequel glisse le navire du soldat, des rues et des vieilles maisons. Mais le décor le plus fabuleux et le plus riche est sans doute celui du magasin d’antiquités et de jouets, magasin surchargé de bibelots de toutes les couleurs, véritable caverne d’Ali Baba propice aux rêves. Les objets photographiés en gros plan qui peuplent ce magasin ont diverses origines : soldat de plomb occidental, poupée japonaise, personnages sortis de mangas ou d’une culture populaire. La porcelaine raffinée côtoie le plomb et le plastique bon marché, à l’image d’une humanité bigarrée. Quant aux yõkai que l’on rencontre, ils sont des personnages hauts en couleur, inquiétants à souhait Le montage, le choix des cadrages, des lumières font de cet album une véritable réussite esthétique.

Un album qui ose utiliser la photo dans ce qu’elle a de plus artistique pour offrir au vaillant petit soldat et au lecteur un voyage dépaysant au Japon.

Petit abécédaire de la désobéissance civile

Petit abécédaire de la désobéissance civile
Bruno Doucey
Calicot 2024

Eloge du non

Par Michel Driol

26 lettres, 26 articles, comme dans tout abécédaire, sagement rangées dans l’ordre alphabétique, pour explorer un concept, celui de désobéissance civile, entendons par là, tout acte de résistance à une loi injuste (article Injustice). L’ouvrage en explore les grands noms, Henry David Thoreau, Martin Luther King, Sophie Scholl, Cédric Herrou… impossible de tous les citer. Il explore aussi les contours du concept : rébellion, pacifisme, injustice, féminisme. Il évoque aussi les figures littéraires, Antigone, Lysistrata, Zorro. Il abonde d’exemples concerts : tantôt fort médiatisés, comme  les faucheurs d’OGM ou  les bateaux de sauvetage de migrants, tantôt plus discrets. L’auteur réussit ainsi à présenter des situations, des réflexions, des actions qui couvrent tous les continents, toutes les époques, avec toujours un axe fort : ouvrir les portes de la liberté.

Commençant par évoquer la figure d’Antigone, l’ouvrage s’adresse bien aux adolescents qui peuvent se reconnaitre en elle. L’ouvrage est écrit dans une langue facile à comprendre, claire et sans ambiguïté.  Toutefois, il ne s’agit pas de donner des leçons de morale, mais plutôt de susciter l’adhésion à telle ou telle figure historique ou contemporaine, en exposant aussi clairement que possible ses motivations, son combat. Il s’agit avant tout de faire appel à la conscience de chacun, et donc de susciter la réflexion sur la dialectique entre le légal et le légitime. Il s’agit de combattre l’impression que tout cela ne sert à rien, que tout est perdu d’avance, en montrant en quoi la désobéissance civile a pu faire évoluer la législation, tout cela sans violence. Il s’agit aussi de montrer à quel point cette attitude peut dépasser les clivages sociaux – à ce titre l’article Zorro est éloquent, qui montre à la fois en quoi le personnage respecte totalement certaines formes d’organisation sociale et se bat pour plus de justice. Façon de dire qu’il n’est pas besoin d’être révolutionnaire, de vouloir tout changer, pour faire bouger un peu les lignes pour défendre des droits sociaux. Bruno Doucey n’oublie pas un instant qu’il est poète, attentif aux mots autant qu’aux êtres et aux choses, et cela se sent aussi bien dans l’écriture que dans la façon d’associer les termes (pour O, dit-il, il  a longtemps hésité entre ordre et obéir, avant de voir qu’il s’agit des deux versants d’une même chose), mais aussi dans la façon de faire place aux textes littéraires, ou aux chansons comme le Déserteur, ou encore dans sa façon d’être empathique avec celles et ceux dont il parle, qu’il s’agisse de Sophie Scholl, de Marianne Cohn, ou du Général de la Bollardière. L’auteur y apparait dans sa singularité, son histoire personnelle, ses conviction – il n’hésite pas à dire « je » – et entame le dialogue en s’adressant à ses lecteurs.

Un ouvrage facile à lire, qui, comme tout abécédaire, peut se commencer n’importe où , pour convaincre tous les ados de la légitimité de se dresser contre les lois injustes, que ce soit dans le domaine social, qu’il s’agisse d’autoriser l’avortement ou de lutter contre les discriminations raciales, ou encore de se battre pour un accès de tous aux ressources naturelles comme l’eau Un riche abécédaire universaliste, encyclopédique, et accessible à toutes et tous. .

Les étoiles seront les mêmes

Les étoiles seront les mêmes
Céline Claire – Valérie Michel
Saltimbanque 2025

Une histoire à quatre voix

Par Michel Driol

Lou et son grand-père vivent dans un quartier que des bulldozers détruisent. Ils sont obligés de partir, et se retrouvent dans deux barques différentes, que le fleuve sépare. Lou arrive dans une ville où il est recueilli par 3 enfants qui l’hébergent dans une grange, et se débrouillent pour faire publier ses dessins dans le journal local, ce qui permet à son grand père de le retrouver.

Quatre voix qui se relaient pour raconter cette histoire dans un ordre non chronologique. Le récit commence avec l’arrivée de Lou dans la ville, et les réactions diverses du groupe d’enfants, moquerie de Nils et Hans, compréhension de Galia qui permet d’établir la communication, malgré l’obstacle de la langue. Quatre voix qui sont celles de Nils et de Galia d’une part, de Lou et de son grand-père d’autre part. Cette polyphonie permet de rendre compte à la fois des différents aspects de l’histoire des deux réfugiés, que le lecteur découvrira lorsque la communication sera établie entre les enfants, à partir de dessins, mais aussi permet d’illustrer la différence de perception des choses, de la langue, inconnue et nouvelle pour Lou. L’originalité de l’ouvrage est de parler de migrants au rebours de certains stéréotypes et hors de toute géographie.  En effet, Lou est un garçonnet blond, sur l’illustration, dont les yeux bleus sont soulignés dans le texte. Il arrive dans un pays enneigé dont les habitants sont plutôt bruns de cheveux. Le voyage se fait non pas en traversant la mer, mais en suivant le cours d’un fleuve. Le danger qui menace les habitants du pays de Lou et de son grand-père est matérialisé par des bulldozers qui détruisent les maisons… Un lecteur adulte transposera, verra des images de différents conflits, des maisons détruites par des colons, des traversées périlleuses sur des barques. Le lecteur enfant se laissera porter par cette géographie imaginaire et très parlante. Le récit dit les dangers, dit la douleur du départ, dit les séparations, dit la perte involontaire des adresses indispensables. Là est l’essentiel pour faire ressentir le drame de l’exil et de la perte de repères et de famille. Là est aussi l’essentiel pour dire à quel point l’élan vers l’autre et l’amitié sont possibles en tous lieux.

Le texte, qui entrelace les différents points de vue, est très attentif au regard de chacun sur l’autre, à sa tentative de comprendre au-delà des mots et exprime les sentiments, les impressions de chaque personnage. Le titre du livre, qui revient comme un leitmotiv dans l’ouvrage, est la phrase dite par le grand père au moment du départ,  phrase qui relie les deux personnages sous le même ciel. Les illustrations, très fouillées, ont un côté très réaliste dans la représentation des lieux, des objets, des personnages. Elles opposent la nuit du départ, couleurs froides et sombres, au blanc de la neige du nouveau pays, à la lumière du printemps et de l’été. Les visages, en particulier celui du grand-père, y sont très expressifs.

Un album poétique, humaniste et émouvant sur l’exil, sur les migrants, sur l’amitié montrant la nécessité de l’entraide et de la générosité.

Entre terre et eau

Entre terre et eau
Eva Moraal, Marieke ten Berge (gravures)
Traduit et adapté (néerlandais) par Catherine Tron-Mulder
Rue du monde, 2024

Tout un monde gravé

Par Anne-Marie Mercier

Cette superbe encyclopédie des animaux est aussi très représentative de ce règne : les uns sont terrestres (blaireau, putois, lièvre et lapin, hérisson, campagnol, d’autres aquatiques (castor, triton, grenouille, taupe, chevreuil…), d’autres aériens (hirondelle, oie sauvage, héron, martinet, faucon, chouette chevêche, gorge bleue à miroir blanc…). Ajoutons quelques insectes (Anax empereur ou libellule, grand sphinx de la vigne), un serpent (couleuvre helvétique), un escargot (le vertigo de des Moulins), et après le parcours de cet album on aura appris bien des choses.
Chaque animal a sa double page, une image pleine page à gauche, le texte à droite (c’est inhabituel et cela montre bien l’importance de celui-ci). Composé en petits pavés de courts paragraphes qui facilitent la lecture, il est rédigé sur un ton alerte, s’adressant souvent au lecteur pour souligner les choses étonnantes ou embrayer dès les premières lignes avec un détail qui va capter l’attention. Par exemple, pour l’avocette élégante : « ne t’inquiète pas, mon aile n’est pas cassée. Je fais juste semblant d’être blessée pour éloigner ce renard de mes poussins ». Ou pour le vanneau huppé : « Eh, toi ! Ne t’approche pas trop de mon nid ! Je vous connais, vous les humains. Pendant des siècles vous êtes venus voler nos œufs pour les manger. Aux Pays-Bas on fêtait même l’arrivée du printemps en présentant au commissaire du roi, au maire ou à la reine, le premier œuf de vanneau huppé ». Quant au martinet il affirme : « je suis un sportif de haut niveau ». L’oie interpelle : « tu as vu ? c’est moi qui vole en tête ».
Parfois avec humour, parfois avec fierté, un peu à la manière de la revue La Hulotte, l’animal révèle les traits essentiels de son espèce : habitat, alimentation, chant ou cri, parade nuptiale et reproduction, élevage des petits, dangers, espace de vie, et pour certains les menaces actuelles liées à l’activité humaine.
On trouve quelques records qui plairont également aux encyclopédistes en herbe, comme celui de la taille du plus grand barrage de castors (800m), le nombres d’insectes attrapés en une journée par le martinet (20 000), ou des bizarreries comme le cri de la bécassine imitant le bruit d’un cheval au galop à la saison des amours, les mœurs curieuses des faeders, sous espèce primitive d’un oiseau appelé combattant varié, etc. tout est passionnant et écrit avec brio.
Mais c’est aussi par ses images que cet album captive. Les gravures de Marieke ten Berge sont magnifiques : belles couleurs, souvent en camaïeu, postures variées des animaux montrés dans leur habitat ou en pleine activité, seuls ou en groupes, tout est beau. L’impression est d’une remarquable qualité, la reliure solide. C’est un livre fait pour durer, n régal pour les yeux et l’esprit, un trésor à mettre entre toutes les mains.

En vadrouille

En vadrouille
Daniel Carlsten
Helvetiq 2025

La vie secrète des chats

Par Michel Driol

Dès l’incipit, la question est posée : les chats vadrouillent souvent plusieurs heures, voire plusieurs jours. Que font-ils durant ce temps ? Le livre apporte une réponse quelque que peu décalée, en montrant une quinzaine de chats dans des activités à la fois familières et surprenantes. Celui-ci a attrapé un poisson, celle-là voulait voir un oiseau, tel autre a trouvé place au soleil, et, quant au dernier il n’est jamais parti bien loin… Si la légende évoque souvent des activités bien félines, elle part parfois dans un imaginaire où il est question de la buvette du coin, de suivre un cours, ou encore de faire une virée au musée d’art…

Mais ce qui fait l’humour et la valeur de cet album, c’est le décalage entre ces légendes, en bas de page, bien sages, et les illustrations qui font des chats des créatures plus humaines que félines. Ainsi, c’est en poussant un caddy au supermarché que Poppy a attrapé son poisson, et c’est en se servant de longues vues que Luka recherche un copain. Luna part découvrir le monde dans un scaphandre, clin d’œil à celui de Milou dans On a marché sur la lune, et contemple la terre de loin. Des chats attablés au restaurant, des chats au cinéma, des chats dont les pratiques et les attitudes très humaines ne peuvent que faire sourire les lecteurs. Les illustrations, à la fois minimalistes, géométriques, avec leurs grands aplats de couleurs vives contribuent à cette vision d’un monde figé que les chats animent et dont ils sont maitres. Transposées dans un univers fantaisiste, on reconnait bien leurs pratiques habituelles, leurs attitudes fréquentes, leurs méfaits ordinaires : le coup de griffe sur les murs par exemple, converti ici en geste artistique dans un musée… C’est bien cet écart entre ce qu’on sait des chats et les prétendues révélations de l’album qui fait le sel de l’album. La chute, qui prend la forme d’une page à rabats, rend hommage au caractère imprévisible des chats, à leur totale liberté…

Un album qui séduira sans doute les amateurs de chats, mais dont le regard sur le monde plaira à tous les lecteurs friands d’un humour percutant et pince sans rire.

L’Affaire Petit Prince

L’Affaire Petit Prince
Clémentine Beauvais
Sarbacane, 2025

Dessine-moi un chapeau…

Par Anne-Marie Mercier

Voilà Pierre Bayard, critique, professeur de littérature française, psychanalyste, transformé en personnage de roman. Il l’aura bien cherché, lui qui se permettait de réécrire des œuvres ratées (2000), de proposer des lectures vagabondes pour parler d’œuvres qu’on n’a pas lues (2007), et de dénicher les zones d’ombres dans des textes aussi célèbres que Le Chien des Baskerville de Conan Doyle et Le Meurtre de Roger Ackroy d’Agatha Christie. Si Le Petit Prince de Saint-Exupéry n’est pas un roman policier contrairement aux œuvres citées, le livre de Clémentine Beauvais qui met en scène P. Bayard en « déteXtive privé » relève à la fois de ce genre et de la critique littéraire.

Au début de l’intrigue, Pierre Bayard et sa fidèle (!) adjointe, Edith, sont forcés à l’inactivité car pour un forfait qu’on ignore ils sont interdits d’enquête. Or, un client se fait annoncer, arrive devant leur porte, puis disparait (ça rappelle vaguement quelque chose, non ?), ne laissant qu’un chapeau et un dessin dans la poussière. Qui est-il ? quel danger le guette, qui est ce personnage mystérieux qui espionne sous leurs fenêtres ? Bayard et Edith ne peuvent que se mettre en quête de réponses. Ils seront aidés par un jeune garçon, inventeur et amoureux des livres, Minuit-Pile, et une jeune rebelle en skate-board, nommée Bas de Casse.
Leur quête les conduira à explorer Le Petit Prince, car (bon sang mais c’est bien sûr !) les indices laissés par le mystérieux visiteur, un chapeau et un dessin représentant un vague chapeau, les conduisent au fameux dessin représentant un boa ayant avalé un éléphant.
L’enquête est un jeu de piste, un jeu aussi pour le lecteur. C’est un régal où le brio et l’inventivité accompagnent un travail rigoureux sur le texte, beaucoup moins simple qu’on ne le croit. Des figures de style et des bribes de narratologie sont les outils de ces bricoleurs qui affrontent la redoutable Elise Mieux, reine de la confrérie de la CLEF (les quarante « Chevaliers de lecture experte de France », allusion narquoise à l’Académie française, à ses rites et à ses normes), protégée par le fidèle et féroce roman Noir, et le non moins redoutable et caricatural Lucien Voldenuit, curateur de l’exposition consacrée à l’auteur du Petit Prince à la Bibliothèque nationale.
Si le début du roman accumule les blagues et jeux de mots avec brio, mais sans beaucoup avancer, la deuxième est menée tambour battant ; elle entre aussi plus avant dans les entrailles du texte et de ses images, et propose un atelier d’intertextualité passionnant. C’est drôle, intelligent, plein de clins d’œil et ça ne se prend pas au sérieux. C’est aussi une série de belles leçons sur la lecture et ses pièges, la première étant donnée au lecteur à travers l’entrée du personnage d’Édith (mais chut, on de divulgâche pas !), l’indispensable assistante du détective. Le Petit Prince est démonté de façon certes irrévérencieuse, exhibant tous ses trous et ses absurdités, pour être rétabli ensuite dans son statut de grand texte irrigué par l’esprit d’enfance. Ainsi, le débat proposé par Voldenuit (titre d’un roman pour adultes de St -Ex) pour savoir si l’auteur est un auteur sérieux (pas pour enfants) ou si Le Petit Prince est un texte négligeable à cause de son inscription dans la littérature de jeunesse est nul et non avenu.
D’autres enquêtes sont annoncées puisque ce volume est le premier d’une série : Pierre Bayard-Sherlock Holmes et sa fidèle Édith- Dr Watson ne s’arrêteront pas de sitôt !

On en parle sur France Culture…
et sur le site de l’éditeur, on vous propose de PROLONGER LA LECTURE
« Afin que tous et toutes s’emparent de l’enquête littéraire, des kits d’enquêteurs, des fiches suspects, et un appareil pédagogique exceptionnel conçus et rédigés par Clémentine Beauvais sont mis à disposition gratuitement sur l’espace pro de ce site »