Collection « Les classiques Flammarion »

Collection « Les classiques Flammarion »
Flammarion, 2025

Les Quatre Filles du Docteur March
Louisa May Alcott
Traduit (USA) par Maud Godoc
Le vent dans les saules
Kenneth Grahame
Traduit (anglais) par Jacques Parsons

« Bibliothèque idéale », vraiment ?

Par Anne-Marie Mercier

Après les deux premiers tomes de La Petite Maison dans la prairie, les éditions Flammarion poursuivent leur entreprise : une édition « collector d’œuvres intemporelles, avec une couverture rigide, des illustrations originales (par Amélie Dubois et Cécile Metzger) et un texte aéré, destinées à un jeune public à partir de 8 ou 10 ans ».
Voilà deux vrais « classiques » de la littérature de jeunesse à présent : on ne présentera pas ces titres si célèbres. Les couvertures sont belles, d’une joliesse un peu enfantine, mais il n’y a pas d’illustrations intérieures, ce qui ne gêne en rien la lecture du livre de L. M. Alcott mais est un peu dommage pour le livre de K. Grahame. La mise en page est un peu aérée et la typographie bien choisie pour sa lisibilité, mais le papier est un peu tristounet, vieilli avant l’âge : ce sont des classiques n’est-ce pas?
Ce sont certes des classiques, mais des classiques de quoi, pour qui ? Le prochain volume sera le roman de Jane Austen, Northanger Abbey. Ce ne sont donc pas des classiques de littérature de jeunesse (personnellement, je ne recommanderais pas ce livre avant l’âge de 14-15 ans, et sans doute plus pour être capable d’en savourer l’humour et les passages pastichant des romans « gothiques », en vogue dans la jeunesse de l’auteur). Le livre d’Austen n’est nullement une œuvre « intemporelle », pas plus que l’œuvre d’Alcott qui gagne beaucoup à être mise en contexte. Enfin, les textes choisis sont tous des traductions de l’anglais… pourquoi ? N’y a-t-il pas de classiques dans d’autres langues?
En somme c’est un peu décevant et la jolie couverture cartonnée ne suffit pas à justifier l’entreprise, qui apparait pour toutes ces raisons purement commerciale.

Le Chant de la baleine

Le Chant de la baleine
Sang-han Kim & Jung-in Choi – traduction Véronique Massenot
L’élan vert 2025

La fillette qui marchait avec des béquilles…

Par Michel Driol

Une fillette aux cheveux roses marche difficilement avec deux cannes orthopédiques, descendant le long escalier qui conduit, à travers les maisons du village, jusqu’à la mer, tout en s’adressant à un tu dont on découvre qu’il s’agit de la baleine peinte sur le mur. Grâce à elle, le chemin semble plus facile. En bas, assise sur un banc, elle regarde les autres enfants qui l’ignorent jouer au ballon, mais elle rêve que la baleine lui apprendra à nager, à chanter… C’est alors qu’arrive un garçon qui sans doute vient emménager dans le quartier, et qui l’accompagne jusqu’à la plage.

Peu de texte pour cet album qui fait la part belle aux illustrations pour raconter l’histoire, mais un texte dont la concision fait mouche. Un texte qui place d’emblée le lecteur dans la tête et dans l’imaginaire de la fillette, un texte court que la mise en page fragmente encore, comme pour dire la lenteur, les efforts à faire, le souffle court, et l’attente du but. Plus le texte est bref, plus les mots ont de la force pour dire, au travers des verbes en particulier, les souhaits de l’enfant : voyager, nager, plonger, sauter… tout ce qu’elle ne peut pas faire, tout cet apprentissage qu’elle attend d’une amie imaginaire. Il y a là quelque chose de poignant dans une grande simplicité syntaxique et lexicale. Reconnaissons là la valeur de la traduction signée Véronique Massenot dans le choix des mots et des rythmes.

Autant le texte se fait discret, autant les illustrations, réalisées à la gouache, en double page, imposent une vision, un univers qui fait alterner le réel dans sa brutalité et le rêve marin dans sa douceur. Réalisme de ce décor d’un village perché, avec ses maisons colorées, et surtout ses escaliers interminables. Violence silencieuse de cette image qui oppose la fillette, isolée, seule sur son banc, tête baissée, et les enfants qui jouent au ballon, sans se soucier d’elle. Cruauté de l’indifférence ainsi montrée. Pas besoin de texte. Mais c’est aussi les pages où se mêlent les flots bleus et les cheveux roses de la fillette, dans un univers onirique où tout devient possible, expression des rêves, des désirs de ne plus être différente, handicapée, mais semblable aux autres. Le séquençage des images est très cinématographique, faisant alterner plans d’ensemble (plongées, contre-plongées) et gros plans (sur le visage, sur les yeux, sur les pieds…). On suit ainsi au plus près la fillette dans ce chemin de croix descendant, semé d’embûches, cette fillette qu’accompagnent discrètement deux chats qu’on cherchera sur toutes les pages, comme ses seuls compagnons dans le monde réel…

La page finale laisse au lecteur la liberté de son interprétation. Après une séquence maritime, où le texte dit que l’amitié ça se partage à l’infini, la dernière image montre tous les enfants réunis face à un coucher de soleil. Deux groupes bien distincts. La fillette et son nouvel ami, page de droite, les enfants et leur ballon page de gauche. Certes ces derniers regardent vers les premiers, mais est-ce pour aller jouer ensemble ?

Un bel album qui évoque le handicap, l’indifférence, avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, qui conjugue avec beaucoup de poésie le rêve et la réalité, autour des figures bien contrastées d’une fillette touchante et d’une baleine majestueuse.

Un Jardin pour maman/Dédée

Un Jardin pour maman/Dédée
Claire Beuve, Tildé Barbey
Éditions du Pourquoi pas, 2025

Le vert et le bleu

Par Anne-Marie Mercier

Ces deux courts récits s’ancrent dans un lien fort avec la nature, et plus généralement le vivant. Dans l’un d’eux, Dédée, soixante-dix ans, a tout perdu : d’abord son mari, puis sa maison. Malgré son âge, et tant par choix que par nécessité, elle vit dans la rue et a pour toute possession un rosier… Autour de ce personnage et de ce destin le quartier vit, et progressivement se réveille. Dans Le Jardin pour maman, un homme s’est lié depuis longtemps à un bout de terrain. Après bien des années et des efforts, il en a fait un jardin, un jardin qui exclut la couleur bleue. L’explication de cette absence lui fait évoquer la figure de sa mère, femme battue courageuse.
Ces deux récits pudiques, pour de belles figures fragiles, célèbrent le lien d’amour entre humains et entre humain et nature.

L’Envers de nos décors

L’Envers de nos décors
Thomas Scotto – Carole Chaix
Editions du Pourquoi pas ?? 2025

Du pouvoir des mots

Par Michel Driol

Un lundi matin, le héros hésite quant au superpouvoir qu’il aimerait avoir, en réponse à la question d’une de ses professeures.   Puis, dans un long flash-back, défile toute l’année scolaire, rythmée par le début d’année, où il raconte ce qui est arrivé à un autre garçon que lui. Puis le milieu d’année, où il révèle qu’elle l’a choisi, lui. Et la fin de l’année, où l’on découvre toutes les phrases dures que la professeure lui adresse, jusqu’à cette phrase de trop. Et enfin la toute fin de l’année, ce lundi initial, où enfin il lui dit ce qu’il a sur le cœur.

C’est donc l’histoire d’une relation entre un adolescent un peu rêveur, un peu joueur, grand amateur des mots, qui n’a rien de particulier, et une enseignante qui l’a pris en grippe et l’humilie verbalement tout au long de l’année. C’est l’histoire d’une souffrance continuelle et d’une rencontre qui ne se fait pas, tout au long d’une année scolaire.

Le texte qui nous est donnée à lire a d’abord été texte de théâtre, pour un auteur (Thomas Scotto) et un circassien jongleur (Clément Dazin). Le voici sous une nouvelle forme, qui tient de la BD et du roman-graphique, fruit de la collaboration avec Carole Chaix cette fois ci. Il faut d’abord mettre l’accent sur la force dramatique et poétique de ce long monologue, tantôt découpé en petites séquences ralentissant le temps, quelques mots sous une vignette, tantôt se déployant sur une page entière, en face d’une illustration, pour raconter cette relation maltraitante en la faisant peu à peu apparaitre aux yeux du lecteur, jusqu’à cette double page, florilège de paroles humiliantes, blessantes adressées à un souffre-douleur. La force du texte vient de son écriture, de cette façon de donner la parole à un ado qui déborde d’un trop plein de mots, qui raconte, digresse, se dédouble, s’avère un narrateur prolixe en proie au doute, aux incertitudes, un narrateur qui tout en s’exposant masque un enfant qui souffre et qui se tait face à cette professeure. Dès les premières pages, c’est bien du pouvoir des mots qu’il est question : comment s’adresser à elle ? Madame ? Chère madame ? Comment les mots peuvent toucher profondément et blesser. Comment la parole de l’adulte – celui justement dans la relation qui devrait se maitriser -peut être violente à l’égard d’un enfant paisible, et comment la parole finale de l’enfant, pleine de dignité et de poésie, remet de l’ordre et rétablit la vérité, rappelant à l’enseignante qu’elle n’est que de passage, qu’elle sera oubliée, mais que le moi de l’ado se construit en allant vers ce qui fait du bien, patiemment.  Par ailleurs, le texte évite soigneusement l’écueil de la psychologie, de l’analyse des conséquences du harcèlement par l’adulte pour aller en un lieu plus littéraire, qqui met l’accent sur les notions d’histoire et de récit, façon, là aussi, d’expérimenter un autre pouvoir des mots.

A ce pouvoir des mots correspond aussi le pouvoir du dessin, puisque l’illustratrice a décidé de faire du héros un ado qui dessine des super héros, les affiche dans son casier, a une ombre de super héros aussi sur la couverture. Les mots, le dessin, deux formes de représentations artistiques du monde pour mieux le vivre.

Il faut enfin parler de la représentation de l’enseignante. Certes, on espère qu’est en voie de disparition ce comportement d’enseignante qui croit tenir son  autorité d’un abus de pouvoir, qui maltraite verbalement ses élèves, qui s’est choisi un souffre-douleur pour le plus grand plaisir des autres élèves qui, de ce fait, sont soulagés. Pour autant, il est bien des adultes maltraitants aujourd’hui. La dessinatrice a pris le parti de la montrer dans l’ombre, ou alors de lui donner différents visages, jusqu’à celui d’une héroïne de manga, façon de la renvoyer à l’anonymat que lui promet le narrateur à la fin. Si elle utilise de façon despotique son pouvoir, elle n’est, in fine, qu’une pauvre femme…

Avec des couleurs qui commencent dans la grisaille et qui se terminent de façon éclatante, un roman graphique très contemporain pour se questionner sur le pourvoir des mots : pouvoir maléfique ou pouvoir bénéfique ?

Avaler la lune, t. 1 : l’ascenseur

Avaler la lune, t. 1 : l’ascenseur
Lucie Castel, Robin Cousin, Grégory Jarry
Casterman, 2025

L’humanité d’après

Par Anne-Marie Mercier

Voilà une belle BD, qui évoque un peu Moebius par ses lignes et ses couleurs, tantôt flashy, tantôt glauques. Il y a aussi un peu de son style, dans la manière de nous plonger dans un monde à la fois prosaïque et étrange. Après deux lignes d’explications (« il y a 500 ans les humains ont fini par provoquer un gigantesque effondrement et la vie sur terre a presque entièrement disparu… »)., on voit l’héroïne, Agafia, en pleine action: elle calcule son saut dans le vide pour atterrir à son passage sur l’ascenseur qui l’amènera sur  la terre, tout en se disputant avec sa mère avec laquelle elle est en communication. Un peu plus tard elle se chamaille encore avec ses parents, cadavres plus ou moins conservés dans des cuves. Retour, 500 ans plus tôt où l’on voit un groupe de savants débattre pour trouver le moyen d’éviter la catastrophe. Un peu plus tard, on apprend comment l’héroïne, Agafia, a été conçue…
C’est un ascenseur fictionnel qui promène le lecteur d’une époque à l’autre, d’un ton à l’autre. Les pages se succèdent avec un rythme soutenu, faisant alterner vignettes aux cases sages et régulières avec des pages plus complexe, mêlant horizontalité, verticalité, images en pleine page…
Le suspens est permanent, l’univers instable, les personnages mystérieux… Beau et intriguant, c’est un bel opus de SF avec des ingrédients originaux mêlés à des schémas plus classiques.

 

Le Fan-Club des contes de fées.

Le Fan-Club des contes de fées. Lettres légendaires compilées par C. C. Cecily
Richard Ayoade, David Roberts (ill.)
Traduit (anglais) par Anne-Sylvie Homassel
Hélium, 2025

Lettres fictives

Par Anne-Marie Mercier

Pour ranimer une littérature qui s’endort, rien de tel que l’implication des lecteurs. Un fan-club permet à ceux-ci d’écrire aux auteurs, d’échanger entre eux, de commenter les œuvres ou de proposer d’autres versions. Mais que faire quand ce sont des contes, que les auteurs sont morts, ou ont transcrit des histoires qui circulaient déjà oralement bien avant eux ?
Richard Ayoade a eu la belle idée d’inventer un intermédiaire, C. C. Cecily, qui transmet les courriers, comme d’autres le font pour les lettres au Père Noël. Les courriers sont adressés aux personnages (Petit Poucet, Cendrillon, Petite Sirène…) et sont censés avoir été écrits par des enfants d’aujourd’hui avec leurs codes, leurs réseaux (sociaux), leurs humeurs et leur humour (?).
Le problème est que ce ne sont pas de vraies lettres, ni de vrais enfants, mais bien des textes écrit par un adulte qui les imite, et pas toujours de la meilleure façon. Les contes n’en sortent pas grandis, ni les enfants d’aujourd’hui, mais l’idée était bonne. La lecture est facile, parfois drôle, bien accompagnée par une illustration originale, et l’ouvrage est très joliment fait.

Le Phénix et le tapis volant

Le Phénix et le tapis volant
Edith Nesbit
Traduction (anglais) par Amélie Sarn
Novel, 2025

« Je me fiche des souvenirs ! Je veux qu’il se passe quelque chose »

Par Anne-Marie Mercier

Dans la fratrie des quatre enfants de ce roman, il y a tout ce qu’il faut pour que chaque lecteur se sente embarqué : des garçons et des filles, des enfants raisonnables (pas trop) et des déchainé/es, des craintif/ves et des hardi/es. Ils enchainent bêtises sur bêtises, à un rythme étonnant.
Au début du roman, ils évoquent leur aventure passée (La Dernière fée des sables, même éditeur), mais comme le Club des cinq (qui s’est dit-on inspiré de cette série) ils ont hâte d’en enchainer de nouvelles, plus étonnantes encore. Celles-ci prennent de l’ampleur lorsque, après avoir déclenché un début d’incendie en jouant à la magie dans leur salle de jeu, ils font éclore un œuf de pierre, un drôle d’objet qui avait été glissé dans le tapis acheté d’occasion par leur mère. C’est un œuf de phénix, et l’aventure commence… en outre, le phénix leur révèle que le tapis de leur salle de jeu est lui-même magique. C’est un tapis volant et il peut exaucer tous les désirs de voyage, mais avec des limites : on ne peut faire que trois vœux par jour : gare aux imprudents qui dépenseraient tous leurs vœux et se retrouveraient coincés au bout du monde sans pouvoir revenir ! C’est bien sûr ce qu’ils feront…
Les aventures s’enchainent, comme les catastrophes. Le roman est à la fois drôle et haletant. En même temps, on explore la société anglaise de l’époque, avec ses rituels, comme les ventes de charité, ses temples, comme le siège de la Phénix Fire Insurance cie, que l’oiseau croit être dédié à sa gloire et où se déroule une incroyable et hilarante cérémonie d’hommage des employés à l’oiseau. Ambiance Mary Poppins. D’ailleurs, il y a même des parapluies…
Le plus savoureux tient aux incursions fréquentes de la narratrice, à qui la traduction donne un ton un peu désuet tout à fait charmant. Elle s’adresse souvent aux lecteurs, elle commente aussi les actions de ses personnages, qu’elle décrit avec une indulgence amusée: « ni particulièrement beaux, ni particulièrement malins, ni particulièrement sages. Ça n’était pas pour autant des affreux jojos. En fait ils étaient probablement comme vous».

Lorsque les enfants allument un feu : « Ils étaient maintenant seuls dans la maison, avec le phénix et le tapis. Sans oublier les blattes du coffre à jouets. Robert alluma un feu dans la cheminée de la salle de jeux. A ce propos, je ne sais pas si vous savez allumer un feu, pas seulement quand le papier et le bois sont prêts et qu’il n’y a plus qu’à craquer une allumette.
Je vais vous expliquer, comme ça vous pourrez vous débrouiller si jamais vous en avez besoin ». Suit l’énumération des actions de garçon, un peu maladroit, qui se conclut par « Bien sûr, s’écorcher les mains n’est pas du tout obligatoire. Quoiqu’il en soit, les blattes du coffre à jouets furent ravies. Après quoi, les enfants préparèrent le thé. Enfin, ce fut un thé un peu spécial ».

De cette manière, tout est occasion de surprise, et comme les enfants le lecteur s’émerveille de toutes les choses étonnantes qui peuvent survenir, tout en les trouvant absolument normales, justement comme un thé qui serait « un peu spécial ». Les blattes du coffre à jouet (qui ne jouent aucun rôle et sont juste des blattes) côtoient ainsi un phénix, une vente de charité abrite un tapis volant.
Edith Nesbit a inspiré de nombreux auteurs de romans de fantasy pour enfants comme CS Lewis (Narnia), Diana Wynne Jones (Le Château de Hurle) et J.K. Rowling (Harry Potter). Les lecteurs français découvrent ainsi un classique anglais de 1904. Si de nombreux textes d’E. Nesbit ont été traduits, celui-ci, il me semble, ne l’avait pas été  jusqu’ici, ce qui est étonnant : aurait-il semblé trop excessif aux yeux des éditeurs?  Merci Novel !

Grand Canyon

Grand Canyon
Susan Lamb, Sean Lewis (ill.)

Gallimard jeunesse, 2025

Une invitation au voyage

Par Lidia Filippini

Sur la page de couverture, un condor majestueux s’élance à la découverte du Grand Canyon. Le lecteur se sent déjà irrésistiblement entraîné dans son sillage. Le paysage, dans des tons ocre et brique presque psychédéliques, se dessine à travers un dense brouillard qui lui confère un aspect mystérieux. Nous partons à l’aventure donc, à travers ce parc qui, selon une légende locale, aurait pour origine une jeune fille, Pukeheh, seule survivante d’un déluge provoqué par son oncle et qui aurait donné naissance aux deux premiers habitants du canyon, l’enfant du soleil et celle d’une cascade.
Merveilleux écrin de nature, le Grand Canyon occupe 4927 km2. Il est devenu Parc National protégé en 1919. Theodore Roosevelt le décrivait comme « le grand paysage que tout Américain devrait voir dans sa vie ». De fait, il est aujourd’hui un des lieux les plus visités du monde : cinq millions de personnes le parcourent chaque année grâce aux quatre cents employés – Rangers, scientifiques, pompiers, jardiniers, équipes de nettoyage, astronautes et bénévoles – qui l’entretiennent.
Susan Lamb, l’autrice, a justement travaillé comme Ranger au Grand Canyon pendant plusieurs années. Elle maîtrise donc parfaitement son sujet. Divisé en quatre chapitres, l’album aborde la formation du canyon, ses habitants au cours des siècles, sa faune et sa flore. Une dernière section s’intéresse au parc aujourd’hui, aux dangers qui le menacent et aux actions mises en place pour le protéger.
L’album fait la part belle aux superbes illustrations de Sean Lewis qui occupent souvent des doubles-pages entières. Le trait est réaliste, et en même temps enfantin. L’ocre, le brun, le rouge brique, qui se répondent d’une page à l’autre, font le lien entre les différents aspects du parc et entraînent le jeune lecteur dans cette nature grandiose et libre. C’est assurément un album qui donne envie d’aimer le monde et de le protéger !

Quand ils sont venus

Quand ils sont venus
Andrée Poulin, Sophie Casson
Editions de l’Isatis (Griff), 2024

Petite fable contre les grandes discriminations

Par Anne-Marie Mercier

« Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit.
Je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit.
Je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit.
Je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai rien dit.
Je n’étais pas catholique.
Quand ils sont venus me chercher,
Il ne restait plus personne pour me défendre. »

Le titre de cet album, « Quand ils sont venus » reprend les premiers mots du texte du pasteur Niemöller, évoquant les persécutions menées par le régime nazi contre les communistes, syndicalistes, etc. L’album reprend le même chemin, en généralisant et en universalisant le propos. Ce « ils », représenté par des personnages en habit militaire et à tête de loup est désigné comme les « Sans Entrailles » : ce n’est donc plus une question de régime ou de pays, mais un groupe de personnes déshumanisées, on aurait pu dire « sans cœur » s’il n’y avait ici la question la justice plus encore que de la compassion. Néanmoins l’histoire est convoquée de différentes manières à travers la représentation des camps de « rééducation » qui sont en fait des « camps de la mort ».
Le narrateur, représenté par un sympathique chien anthropomorphe, apostrophe le lecteur en s’excusant de devoir lui montrer des choses terribles : oui, « certains évènements angoissants et répugnants doivent être regardés en face ». Il commence en douceur, évoquant l’histoire de son grand-père, qui vivait au bord du Lac Paisible, en paix avec ses voisins, renards roux, loups, coyotes, fennecs, ou grands chiens comme lui. Il ne réagit pas lorsque chaque groupe est emmené sans motif. Il ne dit rien, parce que « ce ne sont pas ses affaires » et que, somme toute, lui-même trouve que les uns ont une mauvaise odeur, d’autres ont des mœurs trop libres, d’autres sont trop riches… Ainsi tout le mécanisme de l’oppression totalitaire est mis en lumière : il commence en chaque individu avant de gangrener la collectivité, jusqu’à ce qu’un groupe en profite pour s’approprier les richesses, le pouvoir et les corps.
Dans les dernières pages, on évoque l’espoir et la nécessité d’un combat permanent et de tous contre le racisme, le colonialisme, la persécution religieuse, l’homophobie, toute forme d’injustice. Ces notions sont expliquées et mises en contexte de façon simple et claire, même si le propos est adouci par la représentation de personnages animaux anthropomorphes vêtus de couleurs vives. Les images colorées aux pastels gras sur fond blanc sont belles, presque paisibles, comme ce lac au bord duquel vit le grand-père, enfermé dans ses certitudes. Presque trop beau, mais sans doute le faut-il pour que le lecteur accepte de « regarder en face » la triste histoire de l’humanité.

 

L’ Étincelle en moi

L’ Étincelle en moi
Miguel Tanco
Grasset jeunesse, 2025

L’Amour de la Physique à hauteur d’enfant

Par Anne-Marie Mercier

« Que feras-tu quand tu seras grand ? », cette question est bien agaçante quand ce sont des adultes qui la posent et qu’on a passé la période « pompier, infirmière, organiste ou gardien de zoo ». A lire cet album, on se dit que mieux vaudrait demander si l’on sent une étincelle pétiller prête à embraser un grand feu.
Une fillette s’interroge en voyant autour d’elle ses parents ou ses frères chacun avec un talent particulier, en formulant sa question à travers toute sortes d’interrogations : pourquoi l’eau est-elle transparente et la neige blanche, peut-on aller plus vite que son écho ? etc.
Un beau jour, elle pose toutes ces questions en classe et son enseignante lui répond que « toutes ses questions avaient une réponse, et qu’en cherchant bien tous mes rêves pourraient devenir réalité ». On la voit consulter des livres à la bibliothèque, expérimenter avec l’aide sa famille, et enfin arriver à nommer cette étincelle qu’elle sent en elle et qui aiguillonne sa curiosité : la Physique.
La suite de l’album présente le cahier de physique de la fillette. Elle y note les réponses qu’elle a trouvées et les illustre avec de charmants schémas, brouillons et naïfs. On y évoque la lumière stellaire, la gravité, le principe d’Archimède, le son… Les aquarelles du début, très colorées, également naïves, sont suivies de ces pages imitant un crayonnage sur fond blanc dans une belle continuité.