Le Colimaçon maçon

Le Colimaçon maçon
Véronique Massenot, Christine Destours
L’élan vert (Pont des Arts), 2023

Une randonnée autour des petites bêtes entre poésie et architecture

Par Edith Pompidou-Séjournée

Avec le titre et l’illustration de la première de couverture, le ton est donné : balade dans la nature entre réalisme et imaginaire parsemée de jeux de mots. En effet, il ne s’agit pas d’un vulgaire escargot mais d’un colimaçon. Cette dénomination peu courante et soutenue, qui lui confère automatiquement sa profession de manière drôle et poétique, est reprise au fil des pages accompagnée d’un vocabulaire précis et recherché sur le monde des insectes mais avec une construction toute en légèreté. De même, les illustrations foisonnent de détails, elles sont faites avec une multitude de collages de papier aux couleurs vives et saturées et de petits objets de récupération dont la plupart sont issus de la nature.
C’est un album en randonnée sur la semaine, chaque jour le petit escargot bricoleur va construire une maison adaptée à l’un de ses amis et la structure se répète comme dans une ritournelle qui permettrait de mieux connaître les insectes rencontrés. Chaque maison aussi originale que luxuriante est surtout le reflet d’une œuvre architecturale singulière dont les détails sont explicités à la fin du livre. Le lundi, la maison « idéale » des abeilles se rapproche du Palais du Facteur Cheval ; le mardi, la demeure de la coccinelle ressemblera à La maison de celle qui peint de Danielle Jacqui ; le mercredi c’est un mélange du Cyclope de Jean Tinguely et de La tour aux figures de Jean Dubuffet qui constitue la tour fabriquée pour les fourmis ; le jeudi, il s’agira d’une caverne pour les gendarmes aussi peu rassurante que l’entrée du Musée Georges Tatin qu’il a lui-même conçue ; le vendredi pour que la chenille puisse se transformer en papillon, elle aura un pavillon en forme de cocon comme les structures éphémères nommées Plaisirs simples par Patrick Dougherty. Le samedi, le colimaçon rassemble tout ce qui lui reste pour construire une salle des fêtes à la façon de Pierre Avezard et son Manège, dans laquelle tous pourront s’amuser. Le dimanche ? Le petit maçon se repose évidemment, dans sa coquille qui lui sert de maison et se transforme à l’occasion en un gros édredon étoilé. Puis, il va au musée tout en chantant « Girouette, galipette »… La boucle est bouclée, l’illustration le montre dans un avion comme le petit homme de la chanson…
Ce magnifique album, aux références multiples, peut donc s’adresser à de nombreux lecteurs des plus petits aux plus grands entre promenade musicale de l’escargot dans un univers enfantin et découverte d’installations architecturales contemporaines françaises de l’Art Brut notamment, à travers le mode de vie de certains insectes.

Le Doudou des bois

Le Doudou des bois
Angélique Villeneuve – Amélie Vidélo
Sarbacane – 1ère édition 2016

Le doudou perdu

Par Michel Driol

Une forêt, dans les somptueuses couleurs de l’automne, où Georgette se promène avec son doudou lapin gris… doudou qu’elle installe au milieu des feuilles et qu’elle oublie. Le lendemain, elle repart chercher son doudou. Ne le retrouvant pas, elle décide de la remplacer…par quoi ? une feuille ? une châtaigne ?une flaque ? non, par un petit loup gris.

On est d’abord frappé par le chatoiement des couleurs de l’album : c’est un automne lumineux, où la nature explose dans des teintes chaudes, dans une profusion de feuillages, de plantes, mais aussi d’animaux plus ou moins cachés. Gouaches, papiers découpés occupent la totalité de l’espace de la page : on est vraiment au cœur de la nature, de la forêt, au point que la chambre elle-même de Georgette est comme située à l’intérieur d’un terrier, ou d’un tronc d’arbre.

Ces illustrations accompagnent un texte qui fait appel aux différents sens : la vue, avec l’évocation des couleurs, les odeurs si particulières de l’automne et de l’enfance, le toucher, avec ce qui est doux, piquant…  Revient de façon régulière le « ça », un pronom pour désigner la nature, mais aussi les choses et les animaux. Ça sentait, ça n’était pas assez doux… et à la fin, au lecteur de deviner quel est ce « ça » que Georgette a ramené chez elle… avant qu’il ne soit nommé. Ce jeu des pronoms, entre le « elle » de Georgette et le « ça » de la nature met en texte la confrontation  / fusion entre le personnage et son environnement,  au point d’oublier le « il » du doudou lapin.

Mais cela parle aussi, avec émotion, de perte, perte d’un doudou et de résilience. Georgette ne pleure pas sans fin son doudou, elle cherche assez vite à le remplacer. C’est bien de séparation et de réparation qu’il est question ici, dans cette quête d’une odeur complexe, odeur de dodo, mais aussi odeur de dehors. Il est important que tout soit ici senti au travers d’une odeur qui importe plus que l’objet recherché. Le loup gris représente à lui seul la synthèse de deux aspirations, celle du dedans, de la maison, du lit, et celle du dehors, de la nature. Comme l’union entre microcosme et macrocosme, intérieur et extérieur.  Un mot enfin sur Georgette, petite fille si indépendante et décidée qu’on la voit toujours seule, sans ses parents, en toutes circonstances.

Une histoire à laquelle de nombreux enfants s’identifieront – qui n’a jamais perdu son doudou ? qui refuse qu’on le lave pour qu’il ne perde pas son odeur ? et qui fera rêver, sourire, imaginer en nous faisant passer du doudou au loulou…

Mythiques. Icones de légende

Mythiques. Icônes de légende
Françoise Rachmühl, François Roca
Flammarion jeunesse, 2023

Comme des stars

Par Anne-Marie Mercier

 « Pourquoi consacrer un livre aux femmes de la mythologie ? ».
La préface de Françoise Rachmühl, qui a beaucoup adapté la mythologie pour la jeunesse, répond intelligemment à la question : elles sont en effet peu mises en avant dans les récits, mais ont un rôle « primordial », « maitresses ou servantes, de noble naissance ou d’origine servile ». La seule héroïne active qui tienne un rôle de premier plan pose problème : il s’agit de Médée, femme délaissée, meurtrière de ses propres enfants.

La vie de chaque héroïne est relatée en deux ou trois pages accompagnées d’un très beau portrait, une peinture subtile réalisée par François Roca qui leur donne à toutes une allure différente et une parenté : elles ont superbes. Hélène, Andromaque, Pénélope, Euryclée (représentée, comme Pénélope, dans sa belle jeunesse), Antigone, Ariane, Antiopé (l’amazone), Médée, Alceste, Electre, toutes ont une belle prestance, fière, douce, rêveuse, selon l’histoire racontée. Leurs vies sont bien résumées, y compris celle de Médée, qui révèle la finesse et l’intelligence de l’auteure qui parvient à tout dire sans édulcorer ni condamner.
C’est une belle « galerie » d’images attachantes pour s’initier à une partie de la mythologie.

Le vieux qui aplatissait les enfants

Le vieux qui aplatissait les enfants
Thomas Grand
Askip 2023

A la croisée des chemins

Par Michel Driol

Au fin fond de la forêt, un vieil homme aplatit les enfants à l’aide d’une presse pour les conserver entre les pages de ses livres. Jusqu’au moment où une petite fille le confronte à la monstruosité de son acte, le conduit à réhydrater les enfants, et tout le monde joue ensemble.

Ce premier album d’un illustrateur et graphiste suisse frappe par son originalité. S’il reprend tous les codes de nombreux contes et albums : la petite fille qui sauve les enfants (Zeralda), le vieil homme ronchon et bourru dans une cabane au milieu des bois, la cruauté envers les enfants (Hansel et Gretel), c’est pour les mettre à distance avec brio. D’abord en faisant du vieil homme le personnage principal et le narrateur de  cette histoire qui se présente comme sa confession, avec, dès les premières lignes, un ton plein d’humour désabusé qui fait penser aux meilleurs polars. Cette « voix off » dans les premières pages accompagne des images qui disent autre chose : une forêt en pleine nuit, et une fillette qui avance, lampe torche à la main, et qui découvre la scène d’horreur de l’autre côté de la fenêtre de la cabane. Ensuite, en motivant les actions du vieil homme. Celui qu’on a pu d’abord prendre pour un monstre, un avatar d’ogre, figure du mal absolu, qui tient des propos contradictoires (ne dit-il pas aux enfants aplatis qu’ils sont désormais à l’abri tout en leur souhaitant de faire de beaux rêves effrayants et bien bizarres) est en fait une victime. Un être hypersensible, seul et effrayé dans la jungle des villes, qui a trouvé refuge au cœur de la forêt, et n’a que ce moyen de se faire des amis. C’est en cela qu’il est inquiétant, monstrueux et quelque peu psychopathe : Se faire des amis, se les attacher, est-ce les conserver comme des feuilles séchées sous le fallacieux prétexte de les mettre à l’abri du monde ? L’enfer n’est-il pas pavé des meilleures intentions ? C’est bien là toute l’ambiguïté de ce personnage et de cet album qui n’a rien de simpliste. Rencontrer la petite fille qui ose s’opposer à lui le conduit à se remettre en question, à redéfinir implicitement ce qu’est l’amitié et à éprouver enfin la joie de vivre.

Les illustrations – aquarelle et crayon de couleur – nous conduisent symboliquement de l’univers sombre de la nuit à la clarté du jour. Elles sonnent ici comme un hommage, dans leur facture, à Tomi Ungerer ou à Quentin Blake. On y cherchera avec soin un personnage muet et récurent, une sorte de pintade, cachée, montrée, qui à la fin s’observe dans le miroir comme la reine dans Blanche Neige, comme une façon de clore avec ironie et de façon décalée ce récit.

Cette histoire poétique et inquiétante d’une rencontre salvatrice parle de folie, de solitude, mais aussi d’espoir et d’amitié avec humour et tendresse.

Le Voyage de Shuna

Le Voyage de Shuna
Hayao Miyazaki
Sarbacane, 2023

Vers l’enfer du « pays des êtres divins »

Par Anne-Marie Mercier

La postface de ce roman graphique, très intéressante, le présente en indiquant sa place précoce dans l’œuvre de Miyazaki, et ses liens avec Nausicaa de la vallée du vent et avec certains de ses films d’animation. Ce voyage est à la fois une matrice pour d’autres récits et une œuvre tout à fait singulière. Une note de l’auteur signale qu’il s’est inspiré d’un conte tibétain intitulé « Le prince qui fut changé en chien » et montre toutes les libertés prises avec le conte d’origine (son héros ne subit pas de métamorphoses, par exemple). Ici, conte, fantastique et Science-fiction se rejoignent dans un mélange très réussi.
Shuna est le fils du roi d’un pays misérable des montagnes, qui ressemble au Tibet, et l’héritier de la couronne. Un vieil homme, un étranger arrivé épuisé, meurt en lui confiant un secret : il y a une céréale qui donne beaucoup de nourriture, il faut aller chercher ses graines à l’ouest, « là où s’arrête la terre ». Shuna part sur son yakkuru (un genre de cerf). Il rencontre des débris de civilisations disparues, des villages dévastés ; il souffre de la faim et de la peur. Il lutte contre des femmes mangeuses d’hommes, puis contre des chasseurs d’hommes pour des marchands d’esclaves. Il délivre Thea et sa petite sœur, deux très jeunes filles, de l’un d’eux, puis les laisse partir vers le Nord sur son yakkuru, vers la sécurité, tandis qu’il poursuit son chemin jusqu’au bord du monde.
Il voit passer la « lune volante » (le lecteur y voit une soucoupe volante) qu’il avait déjà vue dans le ciel, il découvre la mer, le pays des dieux où règne l’abondance, et enfin l’horreur que dissimule cet apparent paradis. On pense au film Soleil vert : l’humanité du futur, affamée se nourrit, sans le savoir, d’autres humains.
La fin ouvre vers un possible futur heureux (Shuna revient vers Thea, épuisé, aphasique et amnésique… mais avec les fameuses graines), mais entretemps tout est bien noir. Bien que jeune, Shuna est un guerrier et il livre de nombreux combats sanglants contre des adversaires terrifiants. La fin de son voyage tient du cauchemar et offre des images saisissantes de la monstrueuse terre des « êtres divins ». Ce Miyazaki n’est donc pas pour les petits malgré la beauté des images et des paysages et le rythme soutenu du récit.

 

L’Héritage de Judith Blackwood

L’Héritage de Judith Blackwood
Nathalie Somers
Didier jeunesse, 2023

Échec et polar

Par Anne-Marie Mercier

Roman victorien inspiré de Jane Austen montrant la difficile situation des jeunes filles sans fortune ? Remake du Petit Lord, dans lequel un orphelin – ici une orpheline,, les temps changent –  arrive à se faire reconnaitre par un ancêtre bourru et riche qui avait déshérité ses parents ? Le roman est un peu tout cela dans un premier temps, peinant parfois à se démarquer de ses grands modèles, mais excellant dans la description d’architectures du temps.
Il s’en émancipe rapidement pour devenir un intéressant roman policier, parfois un thriller dans lequel le morts s’accumulent : qui a tué l’irascible grand-père de Judith ? qui cherche à la faire accuser ? qui tue successivement ceux qui vivent sous le même toit qu’elle ? Enfin, pourquoi hérite-t-elle d’un échiquier avec une partie en cours avec l’interdiction de déplacer les pièces ?

Les joueurs d’échec et les amateurs de stratégies se régaleront; ceux qui n’ont pas joué aux échecs depuis longtemps prendront une furieuse envie de s’y remettre…

Mon Beau Sapin de noël

Mon Beau Sapin de Noël
David A. Carter
Gallimard jeunesse, 2023

Sapins pop Up !

Par Anne-Marie Mercier

Quand l’un des maitres du Pop Up s’attache à un sujet aussi banal que le sapin de Noël, cela donne forcément du jeu aux conventions, et c’est heureux.
David A. Carter propose plusieurs types de sapins, des grands et des petits, des sobres (tout blancs) et des fantaisistes, des ébouriffés et des compacts, des surchargés de décorations et des sobres, des stables et des mouvants…
Tous sont superbes, avec une mention spéciale pour le dernier, que Carter a construit comme un mobile, domaine dans lequel il excelle, le sapin qui danse (NB : il faut travailler un peu pour le déplier délicatement et libérer les fils qui pourraient entraver son mouvement.).

Mieux qu’un calendrier de l’Avent : vous pouvez changer de sapin tous les jours !

 

 

 

Les Moufles rouges

Les Moufles rouges
Illustrations de Chioki Okada – texte de Kirin Hayashi
Seuil Jeunesse 2013

Une séparation

Par Michel Driol

Les deux moufles d’une petite fille – Petite Puce – lui tiennent chaud lorsqu’elle fait un bonhomme de neige, et, pendant la nuit, elles sèchent devant le poêle. Mais lorsque Petite Puce perd Moufle Droite, un renard la trouve, et l’accroche à une branche. La tempête la fait tomber, et c’est un lapin qui la ramasse : elle devient couvre-théière, puis bonnet pour les lapereaux. Les cousins mulots sont envieux, et la récupèrent pour en faire un sac de couchage. Volée par une chouette, bien détricotée, elle devient le pull d’un écureuil qui la met à sécher sur un arbre. C’est là que les deux moufles se reconnaissent.

Cette histoire en randonnée est illustrée par Chioki Okada qui entraine le lecteur au cœur d’une lumineuse forêt enneigée, où le blanc bleuté de la neige contraste avec le gris marron des branches, et les taches rouges des moufles ou des baies. Forêt merveilleuse qu’on dirait de légende où vivent des animaux adorables.  Animaux anthropomorphisés, vivant dans une maison confortable comme les Lapins (on se croirait chez Beatrix Potter), un peu plus rustique chez les mulots. Animaux qui se dressent sur leurs pattes arrières comme le renard ou l’écureuil pour attraper la moufle. Des images pleines de vie, dans lesquelles les cadrages mettent en valeur la moufle rouge dans son périple.

Ces images accompagnent un texte dans lequel les deux moufles sont nommées, personnalisées et dotées de pensées et de sentiments. Elles s’unissent, prennent soin des mains de Petite Puce, Moufle Gauche se sent triste d’être séparée de l’autre moufle à laquelle elle pense. En revanche, on suit les tribulations picaresques de Moufle Droite, mais on ne sait rien de ses pensées et sentiments.  De sujet (comme Moufle Gauche), elle est devenue objet dans des phrases où agissent comme sujets les différents animaux. Ces non-dits laissent au lecteur le soin de les remplir, de s’interroger. Victime du sort, subit-elle sans se plaindre ? Ou se sent-elle utile dans une nouvelle vie qui la meurtrit, l’use petit à petit, mais où elle remplit un nouvel office au service des autres ? La fin affirme qu’elles sont aussi heureuses l’une que l’autre… C’est bien la question du bonheur et de l’acceptation du destin que pose cet album avec subtilité et délicatesse.

Un mot tout de même de la fillette, à qui sa maman tricote une nouvelle Moufle Droite, et qui semble avoir oublié la première. Elle n’était qu’un objet, perdu, qu’on a cherché, qu’on n’a pas trouvé…  Ingratitude des enfants tout à leurs activités? A la fin, elle ne voit pas l’ancienne Moufle Droite…

C’est bien d’une double séparation que parle l’album. Au niveau des Moufles, une vraie séparation, mais qui entraine l’acceptation du sort de chacun, et le plaisir de la rencontre éphémère. Au niveau de la fillette, oubli d’un objet vite remplacé. Double niveau de lecture donc dans ce bel album plein de douceur poétique.

La Maison sur la dune

La Maison sur la dune
Niels Thorez – Odile Santi
Editions courtes et longues 2023

Ce qui nous lie

Par Michel Driol

Comme toutes les années, Lou – la narratrice –  et ses parents rejoignent la maison sur la dune. Mais, cette année, c’est  après le décès de celle qui l’occupait, la grand-mère de Lou. La fillette observe  sa mère triste qui erre sur les dunes, dans la forêt, sur la plage. Elle joue un peu avec son père, sans enthousiasme, regarde de vieilles photos de sa mère enfant avec sa propre mère. Lou se décide alors à accompagner sa mère, refaire le geste qu’elle a vu sur les photos pour ôter le sable des bottes… avec la promesse de revenir l’année suivante.

Superbement illustré de tableaux en pleine page par Odile Santi, Niels Thorez propose ici un album tout en retenue et en douceur sur le temps du deuil. Tout ici y semble à la fois réaliste et symbolique. Le lieu, un lieu frontière entre la terre et la mer, la dune, qui grandit, grandit, grain de sable après grain de sable, comme l’inverse du sable qui s’écoule dans le sablier. Lou fait l’expérience de la découverte que tout est à la fois semblable et différent : les mêmes objets, les mêmes odeurs, mais l’absence de la grand-mère change tout. Au « comme toujours » récurrent du texte s’oppose le récit des premiers jours, dans lesquels la fillette, silencieuse, observe sa mère  – jours qui semblent s’étirer tandis que l’illustration montre soit un décor sans personne, soit des personnages disjoints avec des échelles de plan bien différentes les isolant chacun dans leur monde. La vie revient à partir de la découverte des photos, magnifiquement montrées en noir et blanc. A partir de là, les illustrations présentent la mère et la fille unies, voire sous le regard protecteur de la grand-mère dans un cadre au-dessus d’elles. Au-delà d’être un album sur le deuil, sur la mort, c’est avant tout un album sur la transmission : transmission d’une maison, transmission de gestes, passage d’une génération à une autre dans une sorte de complicité, d’intimité féminine gardienne de secrets ou de rites à préserver.

Cet album  prend le parti de la lenteur. Lenteur du rythme qui isole de courts fragments de texte – donc de récit –  sur des pages qui se donnent à contempler, pages sur lesquelles on voit souvent un personnage contempler la mer, voire la mer seule. L’album sait magnifier l’instant qui passe, et comme le figer, pour toujours, pour l’éternité.

Un album plein de tendresse, sans aucun pathos, qui raconte avec sobriété une histoire simple, pour aborder des questions profondes : ce que c’est que faire famille, ce que c’est que transmettre ou hériter, ce que c’est de perdre un être cher, ce qui lie les générations.

Le Costume du Père Noël

Le Costume du Père Noël
Christelle Saquet et Eric Gasté
L’élan vert, 2023

Tout est-il seulement une question d’apparence ?

Par Edith Pompidou-Séjourné

Un album de Noël au début assez classique : c’est le soir de Noël, un traîneau rempli de cadeaux, tiré par des rennes, qui tournoie dans le ciel… Mais tout va trop vite et c’est l’accident ; rien de grave à priori, seule la manche du costume du Père Noël est arrachée. Pourtant, pour lui c’est une catastrophe : comment ne pas porter son costume pendant la nuit la plus importante de l’année ? Il espère que son lutin champion de couture pourra réparer son costume, mais le temps presse et c’est impossible. Le lutin lui propose alors à la place d’autres vêtements qu’il a créés.
Le lecteur assiste alors à un défilé de mode dont le Père Noël est le mannequin principal mais aucun autre costume ne lui correspond Les images viennent appuyer le texte pour démontrer les situations incongrues que provoquerait un changement de vêtements : du blanc trop salissant, un costume à carreaux qui lui donnerait un air de clown, un autre qui le transformerait en sapin clignotant et hilarant tellement drôle que les rennes ne s’arrêtent plus de rire, un costume paquet-cadeau ou pyjama, enfin un costume avec de belles cerises que les oiseaux veulent picorer !… Les situations sont de plus en plus cocasses mais le Père Noël finit « rouge de colère » C’est alors que son lutin lui propose son costume de l’année précédente et tout est arrangé !
Cet album peut paraître simple et drôle mais ne transmet-il pas aussi un message ? L’apparence du Père Noël semble déterminante et tous les enfants seront d’accord Pourtant, il n’a finalement pas besoin d’un nouveau costume… Y aurait-il une remise en question de la société de consommation et une volonté de faire comprendre aux enfants (et aux parents !) que réutiliser ou réparer plutôt que de changer est souvent la meilleure solution ?…