Le Serment des sœurs Fossil

Le Serment des sœurs Fossil
Noel Streatfeld
Traduit (anglais) par Jacques Martien
Novel, 2025

Fillettes en scène

Par Anne-Marie Mercier

Fausse fratrie, nom inventé, tout repose sur la fantaisie de Gom (pour Grand Oncle Matthew). Cet anglais excentrique et collectionneur ramenait dans sa grande demeure londonienne des fossiles et parfois des bébés, recueillis dans différentes circonstances. Il y en a trois: d’abord Pauline, puis Petrova et enfin Posy. Elles grandissent tranquilles et heureuses avec Sylvia la (vraie) nièce de Gom et Nana la gouvernante, dans une grande et belle maison, jusqu’au jour où, une absence de Gom se prolongeant, le souci d’argent modifie leur vie.
Pour recevoir une éducation et pouvoir travailler à partir de l’âge de 12 ans, elles intègrent une école où elles apprennent à la fois la danse et le théâtre. Quant à Sylvia, elle prend des pensionnaires pour faire durer le pécule laissé par Gom en attendant son retour.
Bataillant pour arriver à se distinguer, les sœurs font le serment qu’un jour leur nom sera célèbre. Si Pauline, dès ses douze ans, excelle vite sur la scène du théâtre puis plus tard au cinéma, et si Posy a un talent de danseuse exceptionnel, Petrova se cherche… Il faut dire qu’elle ne s’intéresse qu’aux voitures et à la mécanique, aidée par l’un des locataires, alors que les enseignants qui occupent les autres chambres louées les aident à compléter leur éducation.
Chacune a son caractère. Elles se heurtent, s’impatientent, se jalousent, mais elles ont bon cœur et, grâce aux conseils judicieux de leur entourage, elles arrivent à rester unies. Les ruses pour masquer leur pauvreté et pour avoir une robe correcte pour une audition sont touchants, comme et leurs scrupules et leur souci d’aider leur petite communauté. Heureusement, quelques moments comiques évitent que toute l’histoire ne tombe dans la mièvrerie, mais surtout la description des efforts nécessaires aux danseuses et actrices de théâtre ou de cinéma sont d’un réalisme intéressant.

Publié en 1936 sous le titre Ballet Shoes, ce roman qui a connu un grand succès en Angleterre mais n’était jusqu’ici pas traduit en France peut être considéré comme l’ancêtre des séries d’histoires de ballerines destinées aux filles (la collection « danse ! » ou le feuilleton de l’ Âge Heureux).

Le Cadeau de Minuit

Le Cadeau de Minuit
Hong Soon-mi
L’élan vert 2025

Des couleurs et des ombres…

Par Michel Driol

Ils sont cinq lapinous, Aurore, Matin, Midi, Soir et Minuit, fils de Jour et Nuit, petits fils de grand-mère Temps. Cette dernière offre à chacun d’eaux un cadeau : bleu pâle pour Aurore, bleu  pour Matin, jaune pour Midi, rose, orange et rouge pour Soir, mais, dans le noir de la nuit, Minuit ne voit rien, et pleure. Pourtant grand-mère Temps veille sur lui, et invite ses frères et sœurs à lui offrir quelque chose. Nuage de brume, brise, confettis de soleil, couleurs du ciel. Et Minuit de tendre à chacun un petit bout de lui-même pour faire naitre les ombres…

Voici la réédition d’un album paru en 2020, un album plein de douceur et de poésie. Douceur et poésie des illustrations, pleines de la sérénité de la nature à différents moments de la journée, habitée par cette fratrie de lapins représentés de façon si touchante… Des petits lapins que l’on voit côtoyer d’autres animaux, poissons, oiseaux, papillons, écureuils… autant de vie et de couleurs qui s’opposent à la nuit noire de Minuit  juste peuplée d’une lune et d’étoiles qui sont plutôt ses larmes… Douceur des lapins, des nuages,  des formes diverses représentées de façon duveteuse, cotonneuse, comme de gigantesques doudous moelleux…

C’est dans cet univers que le texte dépoile une mythologie bien loin d’un Chonos dévorant ses propres enfants. Dans cette cosmogonie, on en laisse personne de côté, et les plus anciens veillent sur les plus jeunes, afin de s’assurer une parfaite égalité des dons reçus. Dans ce conte en randonnée, il est question de la beauté originale de chacun des instants de la journée, pleine de sensibilité, de vie, avec sa couleur propre. Et, dans ce jeu, si les lapins de jour apportent à Minuit de quoi rêver, lui leur offre les ombres, comme une façon de donner de l’épaisseur aux choses. De cet échange nait un univers plus complet, les rêves étant le lieu de toutes les couleurs, façon de dire le pouvoir de l’imagination, de la poésie et de la création.

Un album poétique et philosophique à destination des plus jeunes, les invitant à profiter pleinement de chaque moment de la journée, et à prendre soin les uns des autres, au delà des différences.

Ceux qui nous gardent

Ceux qui nous gardent
Marine Régis-Gianas
L’école des loisirs (médium+), 2025

Une monde en lambeau

Par Anne-Marie Mercier

Le premier roman de Marine Régis-Gianas, crépusculaire et ambitieux, nous emporte dans un temps indéfini, post apocalyptique, dans lequel les humains sont revenus à une ère pré-technologique. Ana et ses deux frères vient à Brumenn, au milieu de la Grande forêt, dans une peuplade totalement isolée, soumise à de nombreux interdits et terrorisée par un mal qui touche les adultes, la Bara : dès que l’un d’eux se sent malade, ou a des pensées étranges, il doit disparaitre dans la forêt pour y mourir. D’où vient la Bara ? peut-on s’en délivrer ? Aucune de ces questions ne trouvera de réponse simple, mais d’autres secrets seront dévoilés.
Lorsque le roman commence, la mère d’Ana s’enfuit, touchée à son tour par le mal comme son compagnon avant elle. Peu après, Ana est enlevée avec deux autres villageois, par on ne sait qui, on ne sait pour quoi. Noé, l’aîné, part à sa recherche avec quelques compagnons et Lou, le plus jeune, est témoin d’étranges événements.
Le récit se divise en chapitres faisant alterner les points de vue des trois jeunes gens, tous trois dans le brouillard le plus épais sur ce qui est en train de se passer. Ils se raccrochent à leurs sensations, et le lecteur avec eux : bruits, odeurs s’associent aux réminiscences et ils tâtonnent dans le monde inconnu, jusqu’ici interdit, qui s’ouvre à eux.
On est un peu déçu que certains éléments soient peu développés alors qu’ils auraient pu apporter un peu de lumière à l’ensemble : ainsi de la proximité de Lou avec les animaux, avec les hyènes métamorphes qu’il a élevées, mais qui ne jouent pas un grand rôle, de l’apprentissage de la violence pour Noé, du destin qui s’annonce pour Ana.
Le lecteur doit lire entre les lignes pour découvrir les étranges destins des peuples qui s’affrontent, chacun prétendant vouloir sauver les autres, malgré eux.

Un Démon parmi nous

Un Démon parmi nous
Thomas Lavachery
L’école des loisirs (médium), 2025

Faux frère et vrai jumeau

Par Anne-Marie Mercier

Il y a du nouveau dans l’œuvre de Lavachery : un roman plus court que d’ordinaire, ancré dans l’histoire et dans le réalisme, loin donc des emprunts aux sagas nordiques et parcours de fantasy dans lesquels il a excellé (voir les aventures de Bjorn, Ramulf, ou les histoires de gentils Trolls). Même si le cadre, le royaume de Silvénie, est imaginaire, les événements s’inscrivent dans l’histoire européenne, et cela d’autant plus que chaque partie a pour titre les dates de la période dans laquelle elle s’inscrit. Du côté de la noirceur, on peut aussi évoquer un roman précédent, Henri dans l’île, dans un genre bien différent, celui de la robinsonnade.

L’action se déroule entre 1923 et 1937, avec un épilogue daté de 1982. La famille Mann, d’origine juive et convertie au catholicisme, adopte deux jumeaux orphelins que l’oncle et le père de Félice ont recueillis après un accident dans une mine. Felix et Oswald ont douze ans, et peu d’éducation. Ils en reçoivent une dans la famille, et des soins attentionnés. Ils sont après un temps adoptés et sont censés être comme des frères pour Felice. Mais ces frères ont deux faces : si Félix est parfait, Oswald, malgré son visage d’ange, s’avère être un démon, un mythomane et un traitre.
Tout est vu à travers le point de vue de la petite fille, puis de la jeune fille : ses hésitations, ses interrogations quant à Oswald, jusqu’au moment où il dénonce la famille dans un contexte d’antisémitisme grandissant. On voit la révolte de Felice, parfois tentée par la compassion. Mais on voit aussi ses amours, ses débuts difficiles dans une carrière d’artiste qui refuse l’académisme à la mode, sa rencontre avec les milieux de l’art, son départ vers les États-Unis….
Le mystère lié à un membre d’une famille qui soudain renie tout son passé, ou plutôt le relit à l’aune d’un sentiment d’injustice (feint ou non, on ne sait) est finement présenté, sans trop de pathos, mais avec ce qu’il faut de consternation mêlée de sentiments divers chez les uns et les autres (la mère critique, le père effondré, l’oncle furieux, le jumeau déchiré… et enfin Felice, moins surprise que les autres).
C’est aussi en résumé le portrait de toute une époque et à travers cette famille Mann (peu à voir avec celle de l’écrivain, à part les tourments du moment) : espoirs, progrès, efforts, échecs et réussites, tout cela ruiné par les crimes des nazis qui, envahissant la Silvénie, font se rejoindre la fiction et l’Histoire.

 

 

 

 

 

Tor et le troll

Les Enfants du chemin de fer

Les Enfants du chemin de fer
Edith Nesbit,

Traduit (anglais) par Amélie Sarn
Novel, 2024

Un classique anglais chaleureux

Par Pauline Barge

L’année 2024 marquait le centenaire de la disparition d’Edith Nesbit, l’occasion de (re)découvrir cette autrice. Son chef-d’œuvre majeur, Les enfants du chemin de fer, est traduit pour la première fois en français.
Roberta, Peter et Phyllis vivent confortablement avec leurs parents à Londres. Lorsque leur père disparaît mystérieusement, ils partent vivre à la campagne, dans un modeste cottage. Leur mère met tout en œuvre pour que la famille ne manque de rien, et réussit tant bien que mal à gagner quelques sous en publiant des histoires. Comme elle s’enferme souvent pour écrire, la fratrie, livrée à elle-même dans cette campagne isolée, se prend de passion pour le chemin de fer et sa gare. Ils y rencontrent divers employés et passagers, avec qui ils se lient d’amitié. Si l’absence du père est le fil rouge du récit, c’est avant tout le quotidien du trio et leurs péripéties qui occupent une place centrale. Il est impossible de s’ennuyer : les enfants nous amusent, et l’intrigue autour de la disparition du père maintient le suspense.
C’est un roman vivant et fluide, dans lequel on s’immerge facilement. Les enfants nous entraînent dans leurs découvertes et aventures. Ils sont attachants, avec des personnalités bien différentes. Roberta, l’aînée, est plutôt raisonnable et sage, tandis que son cadet Peter est têtu et la jeune Phyllis très maladroite. Si leurs disputes sont récurrentes, ils restent soudés, empreints d’une innocence enfantine et d’une profonde gentillesse, que ce soit entre eux ou envers leurs amis et les inconnus qu’ils rencontrent. C’est une lecture très chaleureuse, qui propose de jolies leçons de vie et qui transmet des valeurs intemporelles.

Grenouillette Grenouillon et le parapluie noir

Grenouillette Grenouillon et le parapluie noir
Denis Vanhecke – Audrey Martin
De temps à autre 2024

Deux grenouilles dans le vent

Par Michel Driol

Grenouillette et Grenouillon sont deux grenouilles frère et sœur. Un jour d’orage, agrippés à un parapluie, ils sont emportés dans les airs et atterrissent loin de leur mare. Un scarabée et des fourmis les reconduisent tandis que leur famille part à leur recherche. Tout se terminera autour d’une tarte aux pucerons.

Le récit s’inscrit dans une tradition de la littérature jeunesse qui cherche à distraire – en donnant vie, pensées et émotions à des batraciens et autres animaux aquatiques – et à instruire en nommant nombre de ces animaux qui vivent près de l’eau. Le récit prend l’aspect du conte, avec un narrateur s’adressant à son public, voire l’invitant à chercher tel ou tel détail sur l’illustration. Le tout a un côté délicieusement rétro, dans la caractérisation des personnages – une sœur posée et réfléchie, un frère intrépide, une maman grenouille à la cuisine, un papa chasseur cueilleur – dans l’utilisation du déterminant « nos » pour actualiser les personnages, ou encore dans la description de certains animaux peu connus, comme le scarabée. Cette fable animalière reprend les codes du roman d’aventure, d’une expérience loin de chez soi, et d’un retour à la maison, retour dont on tire une morale à double sens, faite de sagesse et de prudence et du plaisir de la découverte de nouveaux amis.

Les illustrations sont pleines de gaité et évoquent assez bien les films d’animation. On s’attend à voir bouger les personnages, insectes et batraciens anthropomorphisés, dans des couleurs très complémentaires, rouge et bleu, personnages saisis dans des poses pittoresques sur des fonds dessinés avec une vraie originalité.

L’ouvrage se veut peut-être un peu trop pédagogique, avec des mots écrits en rouge à chercher dans le dictionnaire, mais on prend plaisir à suivre ces deux petits personnages perdus dans le vaste monde, où tout le monde se décarcasse pour les aider. Belle leçon de fraternité entre les espèces!

Le Fantôme des Cévennes

Le Fantôme des Cévennes
Isabelle Renaud
Thierry Magnier 2024

Le rôdeur sur le toit

Par Michel Driol

Gaby et sa petite sœur Avril vont passer une semaine dans les Cévennes chez leur tante Colette et son épouse Francesca. Colette a souffert d’un cancer, et Gaby a un peu d’appréhension à l’idée de retrouver sa tante. Les propriétaires de leur mas sont des Parisiens peu sympathiques, mais, pas loin, il y a le gite d’étape Le Namasté, où habite Elsa, une petite fille ben dégourdie, ainsi qu’un jeune Suisse, Léonard,  à la recherche des tombes de ses ancêtres Huguenots. Mais quand la nuit on entend de drôles de bruits sur le toit, on se demande si ce n’est pas le fantôme de l’ancien propriétaire qui viendrait rôder. Les enfants mènent l’enquête…

On retrouve tous les ingrédients d’une bonne histoire de fantôme, dans un décor de montagne : une maison isolée, des bruits nocturnes, des objets qui se déplacent, la légende locale du draket que raconte Elsa, et des silhouettes blanches que l’on aperçoit en pleine nuit… Toutefois l’épouvante est ici mise à distance par l’humour dans une narration vive et dynamique prise en charge par Gaby, à la première personne. La chute de ce récit d’aventure, bien sûr, est d’une grande rationalité, montrant qu’il n’y avait rien de surnaturel derrière tout cela, que les enfants se sont laissé tromper par une série de faits et de situations que personne n’aurait devinés. Beaucoup de bruit pour rien ! Le récit s’inscrit au mieux dans les Cévennes protestantes, avec les tombes dans les propriétés, avec le souvenir des Camisards encore vivace, et la quête du passé  conduite par Léonard qui a conservé le livre d’heures de son ancêtre. Les personnages ne manquent pas d’intérêt : les propriétaires parisiens, avec leurs zones d’ombre et leurs secrets, les parents d’Elsa, gérants du gite, mais surtout la famille de Gaby. D’abord un couple homosexuel de deux femmes amoureuses et se souciant l’une de l’autre, l’une luttant contre sa maladie avec l’aide de l’autre, qui veille sur elle. Mais c’est surtout le personnage de Gaby dont on voit l’évolution entre le début et la fin. Il grandit, en apprenant à vaincre sa peur de la mort (il n’est pas allé à l’enterrement de sa grand-mère) et en comprenant comment la vie se perpétue, de génération en génération, et comment il peut cultiver le souvenir de celles et ceux qui l’ont précédé. Il comprend aussi comment il peut donner de la vigueur à sa tante malade, une force spirituelle liée à la nature.

Un récit d’épouvante, plein de drôlerie et de personnages attachants dans des situations dramatiques , qui est aussi un beau roman d’initiation.

 

Le Barrage

Le Barrage
Daniel Fehr – Mariachiara Di Giorgio (traduction de Laurence Gravier)
Editions des Eléphants 2024

Entre réel et imaginaire

Par Michel Driol

Faustine et Lily ont entrepris de construire un barrage près d’un étang. Arrive Eliot, le petit frère, qui vient les aider. Le barrage n’est jamais assez haut tandis que sur l’étang arrivent un bateau de pêche, Nessie, puis un vaisseau royal et un bateau de pirates. Tout ce beau monde contribue à la construction du barrage jusqu’à ce qu’Eliot veuille reprendre sa pierre… Et voilà le trio rentrant tout mouillé à la maison…

Les illustrations posent d’abord un décor unique, vu du même point de vue. Un paysage de montagnes illuminées, des arbres de part et d’autre, comme un rideau de théâtre, au milieu le lac et au premier plan  les pierres constituant le barrage, sur toute la largeur de l’album qui exploite au mieux le format à l’italienne. Sur ce décor essentiellement réalisé à l’aquarelle se détachent, collés, les pierres et les personnages, accentuant encore l’illusion théâtrale. Tandis que les enfants s’activent, ils ne semblent pas d’abord remarquer ce qui arrive sur l’étang, l’illustration anticipant le texte, ou lui ajoutant des éléments absents. Tout se passe comme si les enfants, absorbés par leur tâche, ne voyaient pas ce qui se trame derrière eux, ou plutôt comme si leur imagination les entrainait dans un univers où les époques se confondent. Après une page sans texte où les enfants regardent enfin le lac et les bateaux, le texte, toujours aussi concis et vivant, reprend, intégrant cette fois-ci les navires dans le dialogue des enfants. Un roi imbu de lui-même qui refuse de contribuer au barrage, mais crie A l’aide quand arrive le bateau de pirates. Avec humour, les enfants renversent cet appel à l’aide pour « faire cesser les jeux idiots des pirates » et réclamer à tous de l’aide. Le barrage devient alors le lieu du projet partagé, le lieu de la paix, de la concorde…  Utopie enfantine qui mêle les rôles, les époques, les statuts sociaux pour agir ensemble.

Alors que les illustrations anticipaient le texte, voilà que c’est le texte qui, au conditionnel, anticipe les illustrations pour amorcer la chute. Deux formules qui reviennent, C’aurait vraiment été une merveilleuse journée si… et annonce les catastrophes possibles. La destruction du barrage est illustrée de façon dynamique, avec un changement de perspective, l’eau emportant tout, enfants, pirates, pierres sur son passage. Qu’on se rassure, le retour à la maison, en dépit du texte menaçant, de la silhouette de dos de la mère, les mains sur les hanches, sur l’illustration, au premier plan, se passe si bien que les enfants se lancent un nouveau défi pour le lendemain, montrant que la construction du barrage devient un rituel. Mais le lecteur attentif aura repéré au mur une marine, une lampe couronne et surtout une silhouette très préhistorique dans le jardin, derrière la fenêtre. Où commence le réel ? Où s’arrête l’imagination ? L’album ne cesse de brouiller les pistes, comme dans les jeux enfantins où tout est possible.

Un album plein de rythme et de surprises, montrant que rien ne peut faire barrage à l’imaginaire enfantin !

Le Doudou partagé

Le Doudou partagé
Yves-Marie Clément, Anne-Isabelle Lucas
Sarbacane, 2024

Pour accueillir un bébé

Par Anne-Marie Mercier

Un « doudou partagé », quelle drôle d’idée !
Un bébé nait dans une famille qui a décidé de vivre de manière éco-responsable. On évite les achats inutiles et on réutilise les vêtements de l’enfant précédent, la narratrice, qui s’enthousiasme de la bonne idée : les pyjamas mille fois lavés sont plus doux, les livres qu’on a lus mille fois et gardés sont les meilleurs… elle va jusqu’à offrir d’elle-même son doudou lapin, revenant sur tous les beaux moments qu’elle a passés avec lui.
Si on peut avoir des doutes sur l’excellence de l’idée (on ne choisit pas un doudou, c’est l’enfant qui le choisit), la joie de la petite fille est charmante. Les images sont simples et belles, en bichromie sur le fond blanc qui ressort parfois dans la couleur : des pages jaunes, rouges ou vertes soulignées de tracés noirs (une page, celle qui évoque la transmission des jouets, est en quadrichromie). Les formes sont simples, et font voir tout un univers enfantin. Le texte, en cursive, semble porter la voix de l’enfant.
Il reste que malgré sa simplicité apparente, une ambiguïté demeure dans cet album. On peut supposer que ce partage est davantage une idée qu’une réalité, une projection sur une relation future plutôt qu’un accord réciproque : ce doudou est, d’après la narratrice, un « cadeau ». Mais l’image de couverture et une page à l’intérieur de l’album semblent montrer que le cadeau n’en serait pas un mais qu’il serait bien un « partage », un cadeau à la mode enfantine (je garde mais tu peux en profiter si je veux), en attendant le moment hypothétique ou le doudou serait véritablement transmis .

Quand on est au milieu

Quand on est au milieu
Anika H. Denise, Christopher Denise (ill.)
Kaléidoscope, 2024

Question de place en fratrie

Par Anne-Marie Mercier

Pour explorer le sujet de la place du deuxième dans une fratrie de trois, l’illustratrice a choisi trois petits lapins. Soit. Elle les a habillés (le plus grand semble être une fille, celui du milieu est clairement un garçon) et placés dans un cadre humain (gros fauteuils, pâtisserie, trottinettes, train électrique) même si l’école (le maitre est un hibou à lunettes) se déroule dans un arbre creux.
Le texte est l’élément le plus intéressant : il est bref et propose les avantages et inconvénients de cette position : on peut être celui qui suit ou celui qui guide, celui qui résiste ou celui qui plie  – l’intérêt étant ici est que le lapin médian plie devant le plus petit et non devant le grand. L’âge n’empêche rien donc. Tout cela est très juste et peut permettre de considérer cette question de place sous tous ses angles.
La dernière image montrant les trois lapereaux couchés ensemble dans un lit couvert d’une grosse courtepointe en patchwork insiste sur la chaleur de l’amour entre frères et sœurs. C’est mignon ; on ne peut qu’espérer que de nombreux lecteurs y verrons une image de leur fratrie. Pour les autres, cela fera un peu conte de Noël, comme le livre que lit le trio dans son lit, encore « une histoire de lapin » (voir Christophe Honoré dans Le Livre pour enfants, L’Oliver, 2005) : Le Lapin de velours de Margery Williams, publié en 1922 qui dit que tout peut arriver, même l’impossible, quand on aime : message paradoxal à destination des adultes ou simple référence lapine ?