De quelle couleur est le vent ?

De quelle couleur est le vent ?
Anne Herbauts
Casterman, 2011

 aux aveugles

par Anne-Marie Mercier

A cette question posée par un enfant aveugle, « De quelle couleur est le vent ? », Anne Herbauts répond en couleurs, en touchers et en poésie ; l’enfant de l’album part en quête d’une réponse et interroge un vieux chien, la montagne, le village, une fenêtre, une pomme… chacun réponde à partir de son point de vue : couleur du temps, du soleil, sève et grenadine… (on pense au dispositif de la grande question de Wolf Erbruch)

Les illustrations très colorées mêlent les techniques (papiers et tissus découpés, dessin, peinture… ) et offrent de discrets effets tactiles, du rugueux au lisse, vernis et embossages proposent tout un parcours de sensation.

Anne Herbauts a recueilli pour ce livre les conseils des Doigts qui rêvent (maison d’édition spécialisée dans les albums tactiles pour enfants mal voyants) et a bénéficié d’une bourse de l’association « les Enfants de Sylvie ».

Sequoyah

Sequoyah 
Frédéric Marais
Thierry Magnier, 2011

 Sequoyah   (1770-1843) : ceci n’est pas un arbre

Par Anne-Marie Mercier

Ceci n’est pas un arbre, ce n’est pas non plus un « pied de porc », bien que ce soit le sens littéral de ce mot en langue cherokee. C’est un enfant de cette culture, confronté au handicap, puis c’est un adulte qui invente, après un long travail, le syllabaire cherokee. Les deux histoires se succèdent, mettant chacune en valeur la solitude et l’obstination de ce héros très particulier.

Toutes deux se déroulent dans un décor de western sombre et stylisé (noir et bleu, noir et vert, gris…) où le personnage ocre se détache fortement. Les images empruntent aux scènes de western par leur cadrage, par les angles de vue et l’utilisation de la profondeur de champ. L’album est superbe; c’est une belle réalisation de Frédéric Marais (qui vient d’illustrer chez Sarbacane un album de Dedieu, La Guerre des mots).

Les lecteurs français découvriront ainsi ce héros de la culture cherokee (il semble qu’on ait donné son nom à l’arbre et il est avéré que de nombreux lieux en Amérique portent son nom) et de la culture tout court. Il verront aussi ce beau syllabaire de 85 articulations, reproduit en entier dans les dernières pages. Autant dire que c’est un album qui devrait être entre les mains de tous les écoliers.

Sur Wikipedia, un article bien documenté.

 

Loin de la ville en flammes

Loin de la ville en flammes
Michael Morpurgo

Traduit (anglais) par Diane Menard
Gallimard jeunesse (hors série littérature), 2011

Adieux à Dresde (avec un éléphant)

Par Anne-Marie Mercier

Michael Morpurgo,Gallimard jeunesse (hors série littérature),guerre,bombardement,éléphant,handicap,allemagneMichael Morpurgo poursuit son exploration de la deuxième guerre mondiale en prenant cette fois le point de vue des civils et des vaincus : une famille de Dresde, la mère, la fille de 16 ans et le jeune garçon handicapé de 8 ans (le père est au front) fuit la ville bombardée… accompagnée, et c’est la touche de fantaisie de ce roman sombre, de Marlène, une jeune éléphante.

Presque tout le récit relate leur marche épuisante dans les bois, la faim, la peur et l’angoisse. En chemin, ils rencontrent un aviateur canadien et le sentiment de haine est suivi par l’entraide et même l’affection et l’amour, très progressivement. D’autres rencontres sont lumineuses : d’autres réfugiés, une vieille châtelaine, une chorale d’enfants… tous séduits par Marlène.

Cette histoire est celle de la narratrice, la jeune Lizzie. Agée, en maison de retraite, elle raconte cela à son infirmière et au fils de celle-ci qui a cru tout de suite à son histoire d’éléphant dans le jardin.

Et c’est bien la position du petit Karl que Morpurgo nous demande d’adopter, celle d’une suspension totale d’incrédulité, parfois difficile (un éléphant dans les neiges allemandes de février, on a un peu de mal…). C’est tout le paradoxe d’un conte de guerre cruel.

Le roman de Sofia

Le Roman de Sofia 
Henning MANKELL

Flammarion (tribal), 2011

Vous avez dit …sens de la vie ?

Par Chantal Magne-Ville

 L’épaisseur de ce roman ne doit pas faire hésiter le jeune lecteur qui, dès les premières pages, se retrouve emporté par la vie de Sofia, une fillette qui a fui le Mozambique, et traverse des épreuves terribles. Que ce soit pendant sa longue rééducation pour réapprendre à marcher avec des béquilles après avoir sauté sur une mine, ou lors de l’agonie de sa sœur à cause du sida, Sofia fait front avec un appétit de vie étonnant. Le récit est passionnant grâce à l’art du suspense dont Henning Mankell fait montre d’habitude dans ses polars ; de plus, comme il vit en partie au Mozambique, il sait aussi rendre palpables les valeurs des plus démunis d’Afrique. Ainsi, par exemple, suivant les conseils d’une vieille voisine pleine de sagesse, l’héroïne ne cesse d’interroger le feu pour tenter de comprendre en quoi la pauvreté est une fatalité, ou bien quelles sont les conditions pour le bonheur, ou même comment la mort choisit ses victimes. Bien que certaines considérations plus philosophiques soient parfois un peu redondantes dans la dernière partie, le personnage de Sofia marquera fortement le lecteur, d’autant plus qu’elle existe réellement.

Rico et Oskar, t.1 : Mystère et Rigatoni

Rico et Oskar, t.1 : Mystère et Rigatoni
Andreas Steinhöfel

traduit (allemand) par Barbara Fontaine
Gallimard Jeunesse, 2010

Les Mystères de Berlin: policier et handicap

 Par Anne-Marie Mercier

Andreas Steinhöfel,Gallimard Jeunesse,handicap,amitié,surdoué,ville,Anne-Marie Mercier   On ne sait si dans ce premier volume d’une trilogie l’histoire policière est la part la plus importante. C’est aussi un récit autour du handicap. Le narrateur, Rico, est un jeune berlinois qui se décrit comme « maldoué ». Toute l’histoire est vue à travers son regard étonné, souvent naïf, et son caractère à la fois craintif et ombrageux. On voit comme des symptômes ses difficultés face aux chiffres et à l’espace, ses problèmes face à l’implicite, ses rêveries devant les bizarreries de la langue, ses définitions de dictionnaires re-bricolées avec sa propre logique.

Le récit commence comme son journal de ce qui s’est passé durant ses premières journées d’été. On découvre les habitants de son immeuble, son quartier parmi lesquels se cache un ravisseur d’enfants qui terrorise Berlin. La rencontre d’Oskar, surdoué craintif et hardi, ouvre les perspectives de Rico et le conduit à découvrir le criminel. Le portrait du jeune garçon est touchant, les dialogues savoureux, et les rencontres toutes assez déjantées (à croire que Berlin est un condensé d’originaux…).

On retrouve ici des éléments qui ont fait le succès du Bizarre incident du chien pendant la nuit, enquête policière menée par un enfant autiste. Andreas Steinhöfel ajoute à la greffe policier+handicap un zeste de sociologie urbaine et beaucoup de fantaisie naïve.

Mongol

Mongol
Karin Serres
L’école des loisirs (Théâtre),

Moi ?   Différent ?….

Par Chantal Magne-Ville

mongoltheatre.aspx.gifmongolroman.gifDans cette adaptation théâtrale du roman éponyme, Karine Serres met en scène Ludovic, un enfant différent qui se fait souvent insulter par ses camarades de classe. Un jour ils le traitent de « mongol ». Le dictionnaire lui apprend qu’il s’agit d’un peuple d’Asie, et il n’a alors de cesse de trouver des informations sur ces hommes dont il découvre la culture. Il en apprend les expressions, la géographie, et rêve sur leurs noms de lieux. En s’identifiant à ces guerriers, et en tentant maladroitement d’en adopter les coutumes, il se singularise et génère l’incompréhension autour de lui. Seul le spectateur perçoit la logique de ses nouveaux comportements, ce qui fait ressortir l’inadaptation des réponses de l’entourage. Cependant Ludovic acquiert progressivement de l’assurance et parvient à tenir tête à ses persécuteurs. Les échanges sont nerveux et très percutants, mimétiques de la montée de la force intérieure du héros, dont nous partageons les conquêtes par le  point de vue interne qui prend souvent la forme de monologues décoiffants où l’humour est souvent présent ainsi que la poésie. Une œuvre attachante, pleine d’humanité, qui sait toucher tout spectateur, quel que soit son âge. La découverte de l’altérité se fait avec une très grande justesse psychologique, sans misérabilisme, délivrant un message résolument optimiste.