Robêêrt (Mêêmoires)

Robêêrt (Mêêmoires)
Jean-Luc Fromental
Hélium, 2017

La condition animale vue par Robêêrt (ou Mémoires d’un mouton)

Par Anne-Marie Mercier

« Mouton, en principe, ce n’est pas un métier. Pas comme chien. On peut être chien de chasse, chien d’avalanche, chien d’aveugle, de berger, de cirque, de traineau, chien des douanes ou chien policier, une multitude de carrières s’offre à vous quand vous êtes chien.
Mais mouton…
Certes, nous sommes utiles en tant qu’espèce : couvertures, chaussettes, cache-nez, vestes de tweed et pull douillets, tout ça vient de nous… Ce n’est pas pour rien qu’on appelle « moutons » les petits tas de poussières qui trainent sous les meubles des maisons mal tenues.
Déjà, sans me vanter, il est rare qu’un mouton ait un nom. Tout le monde ou presque a un nom, quand on y réfléchit. Les chiens et les chats ont des noms, les poissons rouges en ont, une tortue peut s’appeler Janine ou Esmeralda, même votre ours en peluche jouit d’un patronyme.
Mais les moutons… »

Sans se vanter, avec une belle simplicité, Robêêrt nous raconte son histoire : comment, simple agneau, il a appris à parler chien auprès de celui qui assurait la garde du troupeau, puis cheval, puis humain… comment il a appris divers métiers : d’abord chien de berger, avec un certain succès, mais dans une grande solitude (les moutons n’aiment pas que l’un de leurs pareils « monte » en hiérarchie et donne des ordres) ; puis animal domestique dans la « Grande Maison », auprès de petites filles qui jouent avec lui, puis animal de compagnie d’un cheval de course un peu fou, et enfin chômeur en quête d’un travail à sa mesure (mais en dehors de la filière « laine-viande »…).
Au passage, on apprend beaucoup de choses sur le milieu hippique, les règles des courses et leurs coulisses : rencontres de propriétaires, jockeys, entrainements, déplacements en Angleterre ou ailleurs (Etats-Unis et Japon), sur la tricherie et les paris.

C’est très drôle, surtout à cause du petit ton sérieux utilisé par le narrateur pour raconter son histoire, et dans le détail de nombreux épisodes (comme le récit des techniques qu’il utilise pour calmer son cheval, et l’évocation des lectures qu’il lui fait – toutes sur le thème du cheval avec notamment la série des Flicka…). Les situations sont variées, c’est intéressant, avec un zeste d’aventure policière, un soupçon d’amour (tout le monde, chevaux et moutons, se marie à la fin), et une pointe de féminisme.
Les dialogues sont spirituels, tout comme le style qui emprunte souvent au thème lexical du mouton ou plus généralement de l’animal et ne craint pas de jouer avec les formes de l’autobiographie, comme dans le récit du voyage au Japon où concourent les chevaux :
« A l’arrivée à Tokyo nous étions déjà copains comme cochons. […] Je ne garde de cette nuit dans le « monde flottant », comme les poètes appelaient l’ancien Tokyo, qu’un souvenir très flou zébré d’images brutales, de la même matière que ces rêves qui vous secouent toute la nuit pour vous lâcher pantelant au réveil. Je me revois dans une rue bondée, stridente de bruits et de néons, j’entends des applaudissements, on crie sur notre passage, une forêt de smartphones se dresse, les flashes nous éclaboussent de leurs glorieux halos… »
Les jeunes lecteurs, que Robêêrt ne prend pas pour des agneaux de la dernière pluie, ne seront pas rebutés par le le style, tantôt original, tantôt recourant aux clichés, on peut en faire le pari : l’histoire de ce sympathique personnage les portera, comme son ton et son écriture.

Voir un  article dans Libération, par Frédérique Roussel, intitulé « Robêêrt, le vaillant petit mouton », qui classe avec justesse ce roman dans les romans initiatiques.
On connaît bien les éditions Hélium pour leurs albums, on oublie parfois qu’ils ont aussi une belle collection de romans et de romans illustrés (ici par Thomas Baas).

 

Histoire du chien qui avait une ombre d’enfant

Histoire du chien qui avait une ombre d’enfant
Hervé Walbecq
L’école des loisirs, 2015

Formules magiques[1]

par François Quet

Les pêcheurs de larmes « vivent au fond de nos yeux et sortent seulement quand on pleure » ; un soir, un étranger « avale une tempête » ; pendant la récréation, un groupe d’enfant joue à mélanger et échanger ses doigts ; un jour, les ongles décident de se révolter et d’envahir le corps des hommes qui se couvre d’écailles ; « mes cheveux parlent » (et se disputent).

Dans ce nouveau recueil de contes (après Histoires d’enfants à lire aux animaux, Histoires du loup qui habite dans ma chambre, Histoires de la maison qui voulait déménager), Hervé Walbecq réinvente le corps humain, partie après partie. On a l’impression que l’auteur s’inspire du binôme imaginatif de Gianni Rodari (Grammaire de l’imagination, réédité chez Rue du Monde) : on associe deux mots, par exemple troupeau et genou ou jardin et tête, postillons et multicolores, ride et vagabond, on agite dans tous les sens et on invente une histoire.

Les récits d’Hervé Walbecq sont à la fois farfelus et tendres. Comme les troupeaux de genoux, ils peuvent impressionner, mais « il ne faut pas avoir peur. Ils ne sont pas méchants. Ils ne font de mal à personne ». Ils nous laisseront un peu perdus, « c’est tout ». Un peu émerveillés, aussi. Un peu amusés. Enchantés.

On ne peut qu’encourager à la découverte du monde décalé de Walbecq. Le dépaysement incite à la rêverie et à la poésie. Et pourquoi pas, à l’écriture.

[1] Les rides de mon grand-père sont « comme des petites formules magiques pour comprendre sa vie » (p.72).

Le Journal d’Aurore

Le Journal d’Aurore. Jamais contente, toujours fâchée
Marie Desplechin, Agnès Maupré
Rue de Sèvres, 2016

L’Ado en BD

Par Anne-Marie Mercier

Les amours (en général imaginaires et catastrophiques), la famille (bien réelle, dans laquelle la grande sœur en rébellion, la petite sœur parfaite et les grands parents compréhensifs supportent avec plus ou moins de philosophie les humeurs d’Aurore tandis que ses parents ont renoncé), le collège (pas pour le meilleur) et principalement les amies (qui elles aussi supportent avec plus ou moins de philosophie, etc.), on voit le quotidien d’une ado typique, prise entre prétention et mal-être, qui ne s’aime pas, mais se sent incomprise et injustement mal aimée par les autres.

Le journal suit le déroulement du calendrier, avec ses fêtes et ses rites ; il commence au jour des morts, se poursuit avec Noël, les vacances d’été, à nouveau l’automne… jusqu’au Brevet (Aurore redouble). La météo principale est celle des humeurs changeantes d’Aurore, tantôt pleine d’enthousiasme, tantôt abattue (souvent) : c’est un portrait aussi juste que celui de la version romanesque, mais comme elle un peu décalé par le fait que les téléphones portables n’existent pratiquement pas et les ordinateurs sont encore hors d’atteinte pour les adolescents; mais on peut dire en le lisant  : « peu importe l’outil, l’ado boude »…

Les images aux couleurs acidulées et les postures et mimiques données aux personnages, les angles de vue privilégiant la plongée, tout cela nous entraîne dans l’univers plombé d’Aurore, si plombé qu’il en est comique : une méthode pour aider les ados à se regarder avec une certaine distance ?

La fée des Maamouls

La fée des Maamouls
Jean-François Chabas
Magnard Jeunesse, 2016

L’eau à la bouche

Par François Quet

Si vous ne connaissez pas les maamouls, il serait temps de vous renseigner. En tous cas, ce livre aura pour premier effet de vous faire chercher la pâtisserie orientale la plus proche ou bien, sur un site internet, la recette de cette délicieuse confiserie libanaise. Le problème c’est que, quelles que soient les qualités de votre fournisseur ou vos talents de pâtissiers, vous n’arriverez pas à égaler les maamouls confectionnés par Razane, l’héroïne de ce petit roman de Jean-François Chabas.

Voici un bon moyen de savoir si vous avez réussi vos gâteaux aussi bien qu’elle : la fée des maamouls, qui n’apparaît que si la recette est tout à fait réussie, se présente-t-elle devant vous ? Sinon, vous devrez faire une nouvelle tentative.

Ce n’est finalement pas très compliqué pour l’excellente cuisinière qu’est notre héroïne, de faire apparaître la fée des Maamouls. Ce qui l’est plus, c’est d’obtenir d’elle qu’elle réalise le vœu auquel a droit la reine des pâtissières. Et les obstacles sont nombreux : il faut trouver le bon moment et le calme nécessaire, il ne faut pas perdre de temps en bavardages inutiles, et surtout, il ne faut être fâché(e) avec personne, mission quasi impossible quand on a le tempérament de Razane.

Jean-François Chabas a imaginé, dans la tradition des Mille et une nuits, un conte de fée très léger et plein de fantaisie.  Si le récit ne manque pas d’humour et de situations amusantes, il vaut surtout pour le portrait de trois femmes : la grand-mère, la mère et sa fille, tempéraments forts et que tout oppose dans cette comédie explosive.

L’intérêt pour le Liban se manifeste aussi dans le vocabulaire qu’emploient tous les personnages (y compris, bien entendu, la fée) au point qu’un bref glossaire s’avère nécessaire : instrument efficace mais aussi source d’imaginaire exotique, et belle introduction à une culture étrangère.

Enfin, c’est la cuisine et l’amour des bonnes choses qui met l’eau à la bouche du lecteur. Construire un roman (si petit soit-il) sur la gourmandise et la passion de cuisiner, ce n’est pas si courant !

 

Mes vacances à Pétaouchnok

Mes vacances à Pétaouchnok
Olivier Pouteau
Le Rouergue, 2016

Marcello

Par François Quet

Au départ c’est une histoire policière : on est à la recherche d’une femme dont on n’a plus de nouvelles depuis des années. Il y a des rencontres, des interrogatoires, une sorte d’enquête, il y a un voyage Paris-Province et un retour vers le passé.  Mais tout le monde sait bien que, dans les bons romans policiers, l’objet de la quête, ce n’est pas tant le coupable ou le magot caché, que la connaissance de soi. Mes vacances à Pétaouchnok est justement un bon roman policier, c’est-à-dire que le héros, en pleine crise sentimentale et d’adolescence, fait un sacré plongeon qui lui fera découvrir quelques secrets de famille, oublier Léa et rencontrer Ève.

Reprenons. Le jeune héros n’est pas très en forme. Son grand-père est malade, sa copine vient de le plaquer et voilà que Richard, le meilleur ami de son père l’embarque dans une drôle d’aventure : retrouver son premier amour dont il vient de rêver qu’elle lui avait jeté un sort. Un mot de ce Richard : c’est manifestement un double du père mais un double inversé, un double de fantaisie ou de comédie, un être instable et farfelu, amusant parfois, lassant le plus souvent, assez fou en tout cas pour entraîner le jeune garçon dans un petit village de montagne près de l’Italie (« On est partis de Paris sur un coup de tête sans prévenir personne, juste pour retrouver son premier amour. Un truc comme ça pour mon père, c’est de la science-fiction ». p.120). La quête subit ainsi un premier déplacement parodique. Tout cela ne paraît pas très sérieux. Richard est un peu fou, la fille n’existe peut-être pas ou plus, les rencontres sont plutôt comiques.

Mais un jour, Richard disparaît et le père du narrateur apparaît. À ce moment, la quête prend un tour plus mélancolique. Le village est celui de l’enfance fraternelle des deux hommes : « On écoute les bruits de la montagne. Il y a un peu de vent. Autour de nous, les sapins grincent en se balançant » (p. 152). On comprendra peu à peu que ce retour au source est une odyssée réparatrice à des degrés divers pour chacun des personnages engagés dans l’aventure.

L’hommage final à la comédie italienne des années 70 donne une autre couleur à ce roman à la fois léger et doux-amer. En reconnaissant sa dette à la drôlerie parfois un peu triste des films de Dino Risi ou de Luigi Comencini, Olivier Pouteau, par la seule évocation de Marcello Mastroianni, ressuscite un cinéma et un monde disparus. Le jeu excessif de Richard, la silhouette de Cruella, la beauté pure d’Ève, le retour mélancolique des quadragénaires vers leur jeunesse : pas de doute, derrière ces montagnes, il y a l’Italie d’Amarcord.

Suikiri Saïra

Suikiri Saïra
Pepito Mateo, Bellagamba
Winioux, 2014

Vingt prénoms… pour la vie ?

Par Anne-Marie Mercier

Comment appeler un enfant qui vient de naître ? Grande question, qui trouve des réponses diverses selon les temps et les cultures. Les auteurs ont choisi de traiter cela avec humour en situant leur histoire au Japon, ce qui fournit un prétexte à de nombreux jeux avec les sons et les mots.

M. et Mme Dupuits, c’est-à-dire M. et Mme Ido (« puits » se dit Ido en japonais) ont un fils. Le père décide de l’appeler Suikiri Saïra, ce qui signifie selon lui « bonheur infini ». La mère trouve que c’est bien mais un peu abstrait : elle propose Padera Taderi Chotatami. Le grand-père, un voisin, tout le monde s’en mêle pour proposer chacun à son tour un nom qui reflète son idée des conditions du bonheur : intelligence, amour de la nature, sagesse… les parents, trouvant tout cela bel et bon et voulant tout offrir à leur enfant, lui donnent un nom qui n’en finit plus, composé de tous ceux qui ont été proposés. Les difficultés rencontrées par le petit garçon en diverses circonstances, drôles ou tragiques conduisent à un heureux dénouement…

Le texte loufoque, le jeu d’accumulation, les répétitions, tout cela en fait une histoire aussi drôle qu’intéressante. Les images qui proposent avec des papiers découpés et des aquarelles de belles scènes japonisantes et stylisées sont parfaites. Le CD joint à cette édition livre-CD de l’album déjà publié en 2013, est un enregistrement du conte narré devant un public d’enfants et d’adultes… Kiribocou !

On les comprend, tant la répétition de ce nom à rallonge jubile.

 

 

 

 

 

 

 

Que du bonheur !

Que du bonheur !
Rachel Corenblit
Rouergue 2016

2 minutes 35 de bonheur…

Par Michel Driol

L’année de seconde d’Angela. Tous les malheurs fondent sur elle : nez cassé, divorce des parents, trahison de la meilleure amie, redoublement annoncé, vacances chez le grand-père en Ariège puis au camping avec sa mère, et rentrée de l’année suivante. Et pourtant, si elle se prénomme Angela, c’est en hommage à Angela Davis…  Le roman se présente comme un journal d’ado, avec des photos, des dessins, des notes marginales.

Ce n’est pas l’histoire qui fait l’intérêt du roman : Angela n’est pas la première adolescente, mal dans sa peau à 15 ans, un peu boulimique, se confrontant à l’amour et à la trahison, dont la littérature de jeunesse fait le portrait. L’intérêt vient du ton, décalé et humoristique, avec lequel Rachel Corenblit raconte cette histoire à travers une série de scènes toutes plus drôles les unes que les autres. Cet humour plein d’entrain, rythmé, marque une prise de distance salutaire avec la difficulté à vivre l’adolescence et la grisaille du quotidien. Parmi les morceaux d’anthologie, citons la liste de ce que je peux manger (comme un hommage à Perec), la typologie des bouletus hominus souffre-doulourus (communément appelés « boulets »), l’analyse littéraire de la chanson de Sylvie Vartan 2 minutes 35 de bonheur, et la critique des textes que l’on doit lire pour passer le bac, de Madame Bovary aux Misérables, en passant par les Fleurs du Mal et l’Amour au temps du choléra : de quoi préparer des générations de traumatisés, tant ces textes ne parlent que de malheur ! Cet humour n’empêche pas l’expression des sentiments, comme ceux, contrastés, qu’éprouve Angela pour son grand-père paternel, un veuf qui vit dans une ferme inconfortable de l’Ariège, ou pour sa mère qu’elle découvre luttant contre le temps avec ses crèmes.

A la fois un roman de l’échec (échec du couple des parents, échec de l’identification à Angela Davis, échec d’une année scolaire…) et de l’espoir (la dernière scène montrant que la roue de la fortune peut tourner) narré par une anti héroïne, victime sympathique dont l’humour est la politesse du désespoir.

 

Réclamez des contes !

Réclamez des contes !
Delphine Jacquot
Les Fourmis rouges, 2016

Belle salade de contes ! achetez ma belle salade, bien fraîche !

Par Anne-Marie Mercier

Pinocchio, la Petite Sirène, Barbe-bleue, la Petite marchande d’allumettes, la Reine de Blanche-Neige, enfin tous les personnages, héros ou ennemis de héros, des contes classiques ont eu un problème à résoudre. La magie n’étant plus de mise dans notre siècle matérialiste, on leur propose à travers des « réclames » à l’ancienne le produit miracle : le loup n’a plus faim, la reine narcissique ne doutera plus de sa beauté, Cendrillon ne perdra plus sa chaussure, le vilain petit canard sera sûr de grandir, la Petite Sirène aura le prince à coup sûr et sans douleur… le conte s’achèvera paisiblement, ou plutôt n’aura pas lieu d’être puisqu’il n’y aura plus de difficulté à résoudre.

La fausse magie du progrès matériel et les illusions qu’on nous vend sont vues ironiquement à travers ces pages de texte qui vantent les qualités d’objets, potions, lotions, ou entreprises, et livrent des slogans définitifs. Il sont accompagnés de superbes images en pleine page qui relèvent davantage de l’art que de la « réclame » et montrent des héros heureux et satisfaits, vivant en paix avec leurs ennemis, confortablement, ou s’« évadant » sans risque, comme la chèvre du professeur Serein, dans un univers virtuel.

 

Gouniche

Gouniche
Delphine Durand
Rouergue, 2016

Gouniche et ses amis

Par Anne-Marie Mercier

Après Les Mous, voici le retour de Gouniche, apparu dans Ma maison en 2000. Gouniche n’est pas un mou, mais il leur ressemble avec son allure de patate et ses petites habitudes. C’est un genre de Gibi (voir le monde des Shadoks de Jacques Rouxel), gentil comme eux, préoccupé de choses simples comme : que faire quand on s’ennuie ? comment emmener en vélo un ami qui n’en fait pas ? comment savoir si son chat est un chien ou l’inverse ? comment communiquer avec une fleur qui vient d’une autre planète ?

Ses amis, la fleur, le caillou, le chien, le poisson rouge, font avec lui toutes sortes de sports et de jeux : ils jouent au Mounoploli, font des acrobaties, regardent ensemble leur feuilleton préféré…

En images séquentielles, images pleine page ou vignettes, fiches techniques, photo-montages… avec un sens de lecture qui varie, chaque situation est absurde et quotidienne à la fois, les images sont loufoques à l’avenant, l’art du documentaire bien mis à l’envers : on aime Gouniche !

D’où viens-tu Petit sabre ? / Qui es-tu Morille ?

D’où viens-tu Petit sabre ? / Qui es-tu Morille ?
Hélène Vignal
Rouergue (« Boomerang »), 2016

Jeux de lecture

Par Clara Adrados

dou-viens-tu-petit-sabreLe jeu suit le même principe que les autres ouvrages de cette collection : deux histoires, une par personnage, chacune suivant un point de vue, et quelques points de rencontres entre elles ou seulement dans l’imaginaire du lecteur. A cela s’ajoute pour ce livre, le choix du titre, une question que l’on peut facilement imaginer posée par le personnage principal de l’histoire, et s’adressant au héros de l’histoire parallèle. Le lecteur est donc directement confronté à la rencontre avec l’autre : l’histoire de la Princesse Loba commence par l’interrogation « D’où viens-tu Petit-Sabre ? »

Dans la première histoire, il s’agit de Princesse Loba qui s’ennuie dans son domaine. Elle n’est pas une princesse comme les autres : elle a une magnifique et abondante chevelure… grise ; elle aime s’asseoir par terre sur l’herbe ou dans la terre, elle préfère les morilles aux fleurs, au grand désespoir de sa mère qui la voudrait gracieuse. « Si tu ne souris pas, tu (…) ressemblera [à une morille] » prévient sa mère. Soit, la princesse a trouvé qui elle était : une morille. Elle fait alors la rencontre de Petit-Sabre, qui trouve ses cheveux blancs très beaux. Mais une princesse ne parle pas avec un jardinier. Si elle ne peut devenir une princesse gracieuse, on en fera une travailleuse : elle est dès lors recluse dans la cuisine.

Qui est Petit-Sabre ? Il est l’enfant d’une pirate morte en couche. Il va apprendre à devenir pirate et à n’avoir peur de rien sauf des sirènes. Lors d’une attaque, il se retrouve fait « prisonnier » par des prêtres… ll apprend alors à travailler comme jardinier et est engagé chez la Princesse Loba. Son bateau et la mer lui manquent. Lorsqu’il rencontre Loba, il prend peur : serait-ce une sirène ? Non, c’est une fille farfelue comme lui. Mais les jardiniers ne l’entendent pas comme cela : il doit rester à sa place et repartir pour la mer.

La « contrainte » formelle imposée par la collection – deux personnages qui sont à tour de rôle, selon le sens dans lequel le lecteur décide de lire le livre, le héros ou le personnage secondaire de l’histoire – laisse au lecteur tout le loisir de réinventer l’histoire au gré des choix de lecture qu’il fait : Connaître l’histoire de Petit-Sabre avant celle de Morille ? Relire les deux histoires dans le sens inverse ? Le lecteur imagine les blancs suivant la lecture de la nouvelle histoire et cela donne une place à l’étonnement, et permet surtout de revisiter la première lecture que l’on a faite d’une histoire au vu de la nouvelle histoire lue, du nouveau point de vue montré. Plus qu’une place à l’imaginaire, cela donne place à une remise en cause des impressions premières, une distance sur nos impressions d’un évènement, d’une personne, toujours soumises à notre subjectivité.