Clarence Flûte et le secret de Sybille : le systême solaire modélisé

Clarence Flûte et le secret de Sybille
Sandrine Bonini
Autrement jeunesse, 2011

Physicien en herbe cherche âme soeur

Par Anne-Marie Mercier

Clarence flûte et le secret de Sybille .jpgCe titre annonce une nouvelle série, mais aussi l’introduction d’Autrement jeunesse dans le roman pour enfants. A travers un héros fort sympathique, le lecteur va découvrir qu’on peut s’intéresser aux sciences ailleurs que dans la salle de classe. Le parti pris est intéressant. On regrette cependant qu’il ait fallu passer par le cliché du garçon solitaire à lunettes, premier de la classe qui n’ose pas parler aux filles, donc un personnage qui sera perçu comme un peu ridicule par les jeunes lecteurs.

Pour le reste, le projet est assez réussi : Clarence, huit ans, après avoir réalisé un système solaire en marshmallows tente d’en créer un autre qui serait une image de son propre entourage. Les conditions de réalisation de l’expérience miment celles qu’installerait un vrai scientifique, ou un professeur des écoles qui souhaiterait faire comprendre la démarche scientifique à ses élèves. L’imbrication de questions sentimentales ou relationnelles dans le projet de Clarence est savoureuse tout comme les illustrations. Elle propose les plans, schémas, listes et donnent les étapes du « cahier d’expérience » qui scandent les perplexités du personnage.

Mon P’tit Vieux

Mon P’tit Vieux
Jo Hoestland
Syros (Mini) , 2010 

Chute de vieux

Par Anne-Marie Mercier

Mon P’tit Vieux.jpgJo Hoestland fait parler le jeune Tim, en un langage populaire, imagé et gouailleur, une imitation d’oral un peu datée. Elle passe également par ses impressions pour évoquer sans trop de misérabilisme ni trop de condescendance une histoire bien misérable, celle d’un vieil homme, le voisin d’en face de Tim, solitaire, sale, méchant, radin et mystérieux.

Le regard de l’enfant est très juste : un mélange de crainte, de dégoût et de pitié, et quelque chose de plus, qui s’affirme à la fin : comme un remord. Le texte est très court mais efficace et traite avec pudeur un sujet sensible, celui de la solitude et de la misère de certains et de l’indifférence ou de l’ignorance des autres.

Clarence Flûte et le secret de Sybille

Clarence Flûte et le secret de Sybille
Sandrine Bonini,
Autrement, 2011

Les scientifiques : des êtres incompris?

Par Olivier Morin

Ce texte drôle et plein de malice nous entraine dans l’univers imaginaire de Clarence, un petit garçon amoureux de sciences et … de Sybille, sa jolie voisine. De bricolages astucieux en expériences originales, nous découvrons comment Clarence représente son monde dans son carnet de recherche, à l’abri de son laboratoire sécurisé. Hélas, Sybille est une énigme pour Clarence : elle collectionne des petits animaux en verre colorés, elle aime le dessin et elle manque totalement de rigueur et de méthodes ! Fort heureusement, l’esprit créatif de Clarence a mis au point un système révolutionnaire qui lui permettra de comprendre les individus les plus secrets.

A travers cette lecture, on pourra aborder la question des stéréotypes (en classe, ce serait en cycle 3). Les scientifiques sont-ils des êtres incompris vivant dans un monde à part ? Ont-ils un langage bien à eux ou peut-on espérer comprendre ce qu’ils disent ? Faut-il vraiment des pierres précieuses pour intéresser les filles ?

Ce roman est aussi une belle occasion de se demander ce que la science peut nous apprendre, et ce qu’elle ne nous apprend pas. Mais que faut-il donc pour qu’une expérience marche ?

Mademoiselle de Maupin

Mademoiselle de Maupin
Théophile Gautier

Abrégé par Marie-Hélène Sabard
L’école des loisirs (classiques abrégés), 2011

L’amour masqué

Par Anne-Marie Mercier

Théophile Gautier,androgyne, féminisme,romantisme,travesti, homosexualité,bisexualitéL’école des loisirs (classiques abrégés),Anne-Marie Mercier   Quelle bonne idée que de proposer cette version abrégée aux élèves des lycées ! En effet, on ne lit plus de Mademoiselle de Maupin que sa préface où Gautier se moque des critiques, de la littérature vertueuse, du goût pour la couleur locale, des modes littéraires de tout poil et s’interroge sur l’ « utilité » du roman, de l’existence même… pour conclure qu’il « n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines ».

Quelle est l’utilité de Mademoiselle de Maupin ? C’est, comme toute belle œuvre, d’être inutile et superflue, donc nécessaire. C’est aussi d’offrir un récit dans lequel points de vue particuliers, journaux, lettres se croisent et s’entrelacent avec une narration neutre et distante.

Il propose une aventure singulière, proche d’une situation de comédie de Marivaux : un jeune homme, Albert, cherche l’amour absolu et ne le trouve pas, malgré la perfection de sa liaison avec Rosette. Arrive Théodore, que Rosette aime et qu’il a repoussée pour des raisons mystérieuses. Albert tombe amoureux de Théodore, puis il devine que c’est une femme déguisée. On apprendra les causes de ce travestissement, et le roman devient doublement féministe : d’abord par le thème du travestissement, ensuite par les raisons évoquées par le personnage, dénonçant l’attitude des hommes vis-à-vis des femmes.

Contrairement à la comédie, rien ne rentre dans l’ordre. La fin est troublante, inexpliquée et permet de s’interroger sur ce qui n’est pas dit.

La toute pleine de grâce

La toute pleine de grâce
Adeline Yzac

L’amourier, 2011

Récit d’enfance pour adultes

par Anne-Marie Mercier

Adeline Yzac est conteuse, et ça s’entend : son récit, écrit à la première personne, fait naître une voix très particulière, attachante, entêtante. Elle connaît aussi les « ficelles » du métier : elle ménage l’attente, calcule ses effets, fait varier les atmosphères et les lumières, mélange noirceur et beauté.

Elle entrelace deux temps : le temps de son enfance martyrisée au Chili, où, petite métisse bossue, petite-fille et fille de militants français assassinés, fille issue d’un viol, violée elle-même et prostituée, elle trouve dans la langue une porte de salut : mélangeant la langue du sud-ouest de la France, celle de sa mère, à la langue de son monde, elle invente, elle chante, elle charme son public de la rue. C’est grâce à cette langue qu’elle retrouve le reste de sa famille et échappe à l’enfer. L’autre récit s’étire dans un temps bref, celui du moment où elle s’installe au jardin au-dessus de la vallée de la Vézère, dans le Périgord, un livre à la main, se remémore, contemple. Les deux récits s’entrelacent, unis par un même travail de la langue.

L’auteur invente un langage mêlant formules surannées et termes patoisants ou modernes. La syntaxe fantaisiste imite celle d’une qui aurait appris  le français d’abord oralement, puis en lisant Montaigne.

On l’aura deviné : ce n’est pas un livre qu’on peut recommander à de jeunes lecteurs, même s’il retrace un récit d’enfance. Les situations sont scabreuses, cruelles, le vocabulaire archaïque. La narratrice elle-même prend congé de sa génération en condamnant leur manière de vivre et de parler :

« tout entassés les uns contre les autres, les jeunes gens de ma saison se croient chacun libre et chacun roi alors qu’ils vont entravés tous ensemble, je le crois bien ; et parqués ; points méfiants ; et denrées eux-mêmes pour les marchands qui se rient bien d’eux ; et eux, pauvre jeunesse, en sont rendus à ne voir pas plus loin que le nez ; et eux, pauvres illusionnés, croient que leur, manière est la seule, la véritable, l’unique loi et qu’ils en sont les auteurs ; et que bien fou et indigne celui qui respire d’une autre façon. C’est qu’arrivant en France le pays en quoi « la langue et la plus belle », je découvris bien vite que les boutiquiers sont ici habiles (…). Les marchands savent y faire sans douleur et glissent aux jeunes gens quantité d’offrandes, ornements, douceurs, passementeries, drogues et jolis joujoux qui ne leur sont d’aucun bel usage sinon de jouir sur-le-champ et de pleurer plus tard. »

Le Jour où j’ai abandonné mes parents

Le Jour où j’ai abandonné mes parents
Agnès de Lestrade
Rouergue (DACODAC), 2011

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes… et catholiques !

 par Sophie Genin

9782812602221.gifLa collection « Dacodac », petite soeur de « Doado » au Rouergue, se voit dotée d’un nouveau roman réaliste dans lequel Karla-Madeleine (en hommage à Karl Marx, du côté de son père, et en référence à la religion catholique de sa mère) part pour la première fois en vacances avec ses parents, très très différents l’un de l’autre, pour ne pas dire à l’opposé. Il faudra à la jeune fille rencontrer, par hasard et pour la première fois, sa tante et sa cousine ainsi que fuguer, l’espace de quelques minutes, pour connaître enfin les raisons de la rencontre complètement improbable de ses géniteurs : son père, « du chocolat fondu sur un chamallow », à l’intérieur, et sa mère, qui sait « qu’on ne se ballade pas en sandalettes sur un volcan en éruption » (le volcan en question étant son mari tentant vainement de ranger une tente « pop-up » !).
Le ton adopté par Agnès de Lestrade est juste et l’histoire fait mouche : la narratrice est touchante et pourrait faire penser à Josiane Balasko enfant dans Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, sachant que c’est encore plus délicat dans cette famille puisqu’il faut concilier les deux fois incompatibles de ses parents !
Des perles qui permettent de s’initier à l’art délicat de la politique à partir de 9 ans ponctuent le texte :
« Je savais bien que beaucoup de gens sur cette Terre portent des sacs de chagrin bien plus lourds que les miens. Quand on grandit avec un communiste et une catholique pratiquante, si on ne sait pas au moins ça, on est la championne des tartes. Mais j’avais treize ans et les chagrins de la Terre, je les avais tétés avec le sein de ma mère. J’avais droit à l’insouciance. Oui, l’insouciance. J’allais créer un syndicat de l’insouciance. » (p. 26)

La Mèche : Petite métaphysique de Noël

La Mèche
Fabrice Vigne

illustrations de  Philippe Coudray
Le fond du tiroir, 2010

Petite métaphysique de Noël

Par Anne-Marie Mercier 

Meche.jpg À travers un court récit à la première personne, raconté par une enfant devenue grande, Fabrice Vigne aborde une question aussi essentielle que difficile : « le Père Noël existe-t-il ? »

Toute la difficulté est d’évoquer ce secret sans «vendre la mèche» à un jeune lecteur qui croirait encore à l’existence du bonhomme en rouge. Fabrice vigne réussit ce tour de force en insérant dans le récit, de manière cachée, le texte : « le Père Noël n’existe pas. Le Père Noël c’est chacun de nous ». D’autres contraintes que l’on peut chercher à deviner sont inscrites dans le texte : n’oublions pas que Fabrice Vigne se réclame de l’Oulipo. La solution, pour ceux qui ne la trouveraient pas, se trouve sur le site du fond du tiroir:http://www.fonddutiroir.com/blog

Ce tour de force s’inscrit dans un récit charmant et enlevé. La narratrice revient sur ce qui s’est passé lors du Noël de ses six ans, sur le secret qui lui a été révélé et qui a changé sa vie. Préparatifs, rencontres familiales, liste de cadeaux et catalogues de jouets, tout est là pour donner à ce Noël une allure familière. L’une des révélations : « Noël est un rite », donne à ces détails dans lesquels chacun reconnaîtra une part de vécu, une certaine banalité, tout un relief, un poids d’humanité et d’histoire.

raptout.pngUne lecture absolument recommandée pour la période qui s’ouvre ce mois-ci. Ajoutons que c’est drôle, profond et simple, et fort bien écrit comme tout ce que fait Fabrice Vigne (auteur de TS, superbe roman pour adolescents, de Jean 1er le posthume et Jean II le bon, écrits pour de plus jeunes lecteurs) et d’une belle protestation contre des déclarations  anti-littérature de jeunesse comme on en lit encore trop souvent.

Lire : http://www.fonddutiroir.com/blog/?p=6903

Le Journal d’Aurore

Le Journal d’Aurore
Marie Desplechin
école des loisirs (médium), 2011

« jamais contente », « toujours fâchée », etc.

par Anne-Marie Mercier

Le Journal d'Aurore.jpg Voici réunis en un volume les trois volets du journal d’Aurore, intitulés « jamais contente », « toujours fâchée » et « rien ne va plus », parus entre 2006 et 2009. Aurore est le prototype de l’ado insupportable, version « fille », bien sûr.

Mécontente de tout, et surtout de sa famille (parents qui ne comprennent rien, petite soeur bonne en classe, grande soeur rebelle mais sans ambition…), elle passe une partie de l’année chez ses grands-parents qui tentent de l’aider.

Amitiés décevantes et pourtant indispensables, amours ridicules et pourtant vitales, fugue virtuelle, catastrophes scolaires… la vie d’Aurore est bien sombre. Mais elle est éclairée par l’humour de la narratrice qui met dans ce journal la quintessence de la négativité adolescente au point qu’elle en devient comique et que tout ado pourra s’y reconnaître. On y trouve aussi quelques éclaircies: un miracle ( un professeur de mathématiques qui a deviné sous le cancre hostile le talent caché), la découverte de la musique et du travail dans un groupe, une complicité enfin.


Je m’appelle Mina

Je m’appelle Mina
David Almond
Traduit (anglais) par Diane Ménard
Gallimard Jeunesse (grand format), 2011

Folle de mots

par Anne-Marie Mercier

Je m’appelle Mina .jpgMina aime la nuit, et aussi les mots. Elle les utilise en toute liberté, au grand dam de son institutrice, ignorant les règles et la logique ordinaire. Elle écrit son journal avec sa fantaisie, mêlant réflexions et notations prosaïques, questions et rêveries. Elle raconte aussi son histoire qui a fait qu’elle a été retirée de l’école, pour comportement trop « bizarre », la scène de terreur qui a tout déclenché, l’ombre d’un père disparu, son passage par un établissement spécialisé.

Le journal de Mina est un livre hors-normes par sa forme : pages noires, pages vides, listes, « activités hors piste » qu’elle se propose : « observer la poussière qui danse dans la lumière », « écrire un poème qui répète un mot, qui répète un mot, répète un mot, jusqu’à ce qu’il perde pratiquement son sens », inventer des mots, refuser les évaluations… Le texte est très bien traduit, un tour de force, vu son originalité et sn inventivité verbale. Les pages sont tantôt sages, tantôt couvertes de mots en très gros caractères ou en encadrés. David Almond joue avec l’espace de la page en toute liberté.

Excellent dans la peintures d’adolescences masculines tourmentées par la violence (superbes Le Jeu de la mort, Imprégnation… parus en collection Scripto), Almond explore ici l’enfance et la frange de la folie avec délicatesse. Prix Andersen pour l’ensemble de son œuvre, prix sorcières en 2011 pour Le Sauvage, il avait aussi reçu la Carnegie Medal et le Whitbread Chidren’s book of the year pour son premier roman pour enfant, Skellig, auquel Je m’appelle Mina fait écho avec une grande poésie.

Angie M

Angie M
Rascal
, dessins d’Alfred
L’édune (empreinte), 2011

Liaisons dangereuses en roman graphique

Par Anne-Marie Mercier

 Angie M.gifAngie, c’est le titre d’une chanson des Stones, une chanson sur un amour perdu. Le personnage de ce  court roman graphique s’appelle Angie Monde, tout un programme. Et c’est bien une part du monde qu’elle représente. Elle est dans un lit d’hôpital. A son chevet, un  policier, Etienne Bufka, attend qu’elle parle et qu’elle explique. Il est question de choses graves : de la trahison en amour, du désarroi des très jeunes filles (Angie a tout juste 15 ans) devant une grossesse inattendue, non voulue, du déni, et de ce qui s’ensuit ; plus largement il est question d’enfances à la dérive, d’adolescents trop seuls qui vivent « comme des grands » mais sont incapables d’être adultes. « C’est la vie qui est terrible », dit l’inspecteur à celle qui reste au niveau du fait divers

Ce livre traite de tout cela, de façon assez crue parfois, mais toujours juste, sans en rajouter ni s’appesantir sur un discours moral. Peu de paroles échangées : le policier est dans ses pensées, attendant que les paroles viennent. Angie se repasse son film d’amour et son film de drame. Tout cela est rythmé par le temps de l’hôpital. Les dessins sont sobres, tous orientés vers le concret du décor et des objets, celui que le texte, tout entier dans l’intériorité des personnages, ne dit pas : le lit, le plateau, le drap, la chaise, le tableau. C’est sur l’évocation du tableau de Van Gogh que se noue et se clôt le dialogue, lesté de non-dit que le lecteur doit détricoter pour essayer de comprendre un peu plus Angie.

Ce petit roman-BD réussit un tour de force : il se tait. Les personnages se taisent ou échangent des paroles banales. Le sens est au-delà des mots, dans le secret et la pudeur de chacun. Le lecteur est ainsi au chevet d’Angie Monde, constatant (comme madame de Rosemonde dans Les Liaisons dangereuses) que face à certains malheurs, il n’ y a plus qu’à pleurer et à se taire.

Rappelons que Laclos a écrit son roman pour prévenir les jeunes gens ­– et surtout les jeunes filles – des dangers de la vie, « terrible ». Ce très beau texte joue le même rôle, mêlant poésie et crudité.

La collection « l’empreinte est dirigée par Régis Lejonc dont on connaît les exigences artistiques et la volonté d’être en prise sur la dureté du monde. D’autres volumes sont parus, avec le même principe de mélange entre roman illustré et BD, et avec le même ancrage sur des thématiques sociales : misère, maladie, violence… et des auteurs et illustrateurs de talent.