Plus drôle que toi

Plus drôle que toi
Rebecca Elliott
Gallimard jeunesse 2021

Stand-up obsession

Par Michel Driol

Haylah est un en surpoids… d’où son surnom de Truie, qu’elle accepte, voire revendique. Elle adore faire rire, et rêve de faire du stand-up. Elle vit avec sa mère, infirmière de nuit, et son petit frère. Lorsqu’elle découvre, dans son établissement scolaire, que Leo, un jeune homme séduisant, doit participer à une compétition de stand-up à Londres, elle se débrouille pour lui faire passer des idées. Haylah tombe amoureux de Leo, les deux ados se voient pour lui écrire son nouveau spectacle. Mais Leo est-il amoureux d’elle ou profite-t-il d’elle ? Et Haylah osera-t-elle monter sur scène à son tour ?

Ce roman aborde bien les problématiques actuelles de la jeunesse : la question de l’attente sociale, à laquelle en particulier les filles doivent se soumettre : peut-on être trop grosse ? Trop intelligente ? Et si on est trop belle, n’est-on qu’une bimbo ? Cette question du regard des autres qui empêche d’être soi-même traverse et déchire le trio d’amies constitué de l’héroïne et de ses deux plus proches copines. C’est aussi la question du harcèlement scolaire, qui s’en prend aux plus vulnérables, à celles et ceux qui ne sont pas dans la norme (physique, sociale). C’est la question des rapports filles-garçons, de la confiance qu’on peut s’accorder ou de l’exploitation et de la manipulation dont les unes peuvent être victimes. Mais aussi l’arrière-plan d’une famille monoparentale, de la volonté de protéger sa mère, au risque de culpabiliser parce qu’on lui  a fait perdre un nouvel amour, et un nouveau départ. On le voit, ce roman parle de notre monde, d’un univers bien socialement situé dans des familles d’une petite classe moyenne (infirmière, patron de pub) sans complaisance, mais avec bienveillance et humour. Cela vient d’abord du récit, conduit à la première personne par l’héroïne, qui jette sur elle-même  et les autres un regard lucide, cherchant à travers le phénomène du stand-up un ton particulier pour rendre compte de la vie, des relations, un ton à la fois comique et distancié. Cela vient ensuite des situations qui s’enchainent avec rythme et montrent l’héroïne peu à peu faire sa mue, et de Truie devenir Haylah, murissant pour d’assumer sa véritable personnalité sur une scène de stand-up, prenant ainsi sa revanche contre toutes celles et ceux qui l’ont humiliée.

Un roman qui parle avec finesse de la difficulté d’être adolescente aujourd’hui, lorsqu’on ne ressemble pas aux autres. Un hymne à la différence, quelque part ! Une suite est annoncée, que l’on lira avec plaisir.

Tout va mal pour Tristan Quichon

Tout va mal pour Tristan Quichon
Anaïs Vaugelade
L’école des loisirs, 2021

Dans la famille Quichon, le grognon

Par Anne-Marie Mercier

Voila le portrait de l’un des soixante-treize enfants de la famille Quichon. Tristan est mécontent : pourquoi faire et refaire son lit tous les matins ? Pourquoi ses soixante-douze frères et sœurs préfèrent-ils tous faire leur lit en vitesse pour aller manger les crêpes promises au lieu de se révolter ? Il finit par bouder seul pendant que le autres mangent toutes leurs crêpes et se dire que la vie n’a pas de sens… jusqu’à l’arrivée de maman Quichon. Elle est capable de s’occuper d’un seul enfant avant le déferlement du retour du groupe. Elle est merveilleuse de tendresse et d’habileté pour ramener son petit vers la vie et la gaieté.

Illustration drôles et tendres, dialogues délicieux, tout est un plaisir.

Circé. Poèmes d’argile

Circé. Poèmes d’argile
Margaret Atwood
Bilingue anglais (Canada)/français; traduction de Christine Evain avec la participation de Bruno Doucey
Editions Bruno Doucey, 2021

L’épopée vue au féminin

Par Anne-Marie Mercier

C’est Circé qui parle. En magicienne qui sait les charmes elle est poète et connait le futur et le passé. Elle sait aussi l’éternelle histoire des hommes et des femmes, les arrivées, les découvertes, les départs, les retours et l’attente, les malentendus et les trahisons.

En mots simples, elle délivre sa version de l’histoire : les hommes transformés en animaux ? Ce n’est pas de sa faute :

 

« c’est arrivé
je n’ai rien dit, j’étais assise
et je regardais, c’est arrivé parce que je n’ai rien dit ».
Elle préfère ceux qui « ont de vrais visages et de vraies mains, [qui] ne se sentent pas tout à fait légitimes ».
Elle est la prêtresse des mots, extrayant ceux-ci de la terre, lettre à lettre, pour les donner aux humains suppliants.
Face à elle, Ulysse apparait comme l’homme qui demande tout et ne donne rien.
« Un jour tu es simplement apparu sur ton stupide bateau,
tes mains de meurtrier, ton corps désarticulé, brisé comme une épave,
[…] ton esprit, dis-tu
est comme tes mains, vide :

vide ne veut pas dire innocent. »

L’Odyssée est ainsi retournée : Ulysse n’est plus le héros de l’histoire, ou du moins c’est un héros mis à mal, mis en cause, magnifique et pitoyable. Il incarne une masculinité prédatrice et indifférente à ce qui n’est pas elle, l’argile étant à la fois la matière et la métaphore de ce qui satisfait son désir : malléable, soumise, fragile.

Cette édition des poèmes d’Atwood est proposée en édition bilingue. La traduction française est claire et fidèle. Entre les deux, on voit de manière évidente la différence des deux langues, l’anglais étant extrêmement concret, le français plus abstrait.
Le texte est percutant. On y entend le mâchonnement de Circé, la brutalité et la douceur de la rencontre. On y retrouve le rythme de l’épopée, mais cette fois pour porter la voix d’une femme.
La Préface de Murielle Szac, qui a publié plusieurs adaptations des mythes grecs dans une série d’ouvrages qualifiés de « feuilletons« , fixe bien les enjeux de cette prise de parole.

Une Autre Histoire de dinos

Une Autre Histoire de dinos
Emmanuelle Brillet

L’élan vert, 2021

Dinosaures : une aventure pas comme les autres ?

Par Matthieu Freyheit

On serait tenté, s’agissant de dinosaures, de balayer tout nouvel ouvrage d’une formule bien connue : « Tout est dit ». Mais en paléontologie comme en préhistoire, le mouvement règne : ainsi le sommeil du tyrannosaure, en couverture de cet album, est-il trompeur, et il suffit d’ouvrir le livre pour voir ce même dinosaure en coureur de marathon. Durer, voilà l’enjeu, et le paratexte se réclame à ce titre d’une perspective vaste : « Alors chères lectrices, chers lecteurs, gardez bien en tête que la terre est en perpétuelle évolution. » En d’autres termes : le mouvement seul, dure.
Cet album documentaire ne cache pas son ancrage écologique, le dinosaure étant depuis longtemps devenu une figure privilégiée de la « lecture verte » du monde. La Terre, qui devient « notre » planète, signifiant une appartenance qui dit à la fois l’intimité et la responsabilité, fait l’objet d’une morale que notre époque désignerait volontiers par ce mot qu’elle se répète : « care » – « Il faut en prendre soin », dit-on.
C’est ce paradoxal postulat a posteriori qui ouvre l’épopée terrestre : l’auteure ne se contente pas d’y présenter les dinosaures mais s’applique à situer leur règne, entre naissance des formes de vie et anéantissement d’une partie d’entre elles. Il faut de nombreuses aventures, et autant d’évolutions et d’adaptations qui sont leurs corollaires, pour en arriver à nos fameux dinos, dont nous connaissons déjà, plus ou moins bien, certains des acteurs les plus illustres : le tyrannosaure, le stégosaure, l’ankylosaure, l’iguanodon, etc. Un règne imposant, diront certains à la vue des bestiaux, mais l’auteure remet les choses en perspective : d’une part en rappelant que tous les dinosaures n’étaient pas des géants ; d’autre part en soulignant que les dinosaures n’ont jamais été seuls sur Terre : entourés de ptérosaures dans les airs, d’une vie marine riche et tout aussi impressionnante, mais également de mammifères, ils n’étaient qu’un ordre parmi d’autres.
À la fois documenté et ludique, précis tout en assumant les blancs de l’histoire et les questions en suspens, Emmanuelle Brillet signe un album qui ne sacrifie rien au plaisir graphique qui fait cohabiter sans tension le réalisme et l’imaginaire. C’est que « […] dans le ‘document’ paléontologique, le sens est entièrement à construire. Reconstituer un animal disparu, un dinosaure par exemple, est une opération singulière qui vise à produire l’image d’un être ‘inouï’, jamais vu de mémoire d’homme, qui fut jadis vivant mais dont jamais nous ne connaîtrons l’original », rappelle Claudine Cohen dans La Méthode de Zadig, pour qui l’imagination est partie-prenante de la méthode paléontologique.

Reste que nous savons comment s’achève l’histoire des dinosaures : mal. L’auteure soigne cependant la transition, fidèle à ce qui avait été annoncé : c’est le mouvement qui règne et, avec lui, la vie, qui cèdera la place à un nouveau héros : le mammifère.
Loin d’être anecdotique, cette mise en perspective revient sur l’idée que l’histoire des dinosaures n’est pas la nôtre. En effet, ce n’est pas parce que dinosaures et hommes n’ont pas cohabité qu’ils ne peuvent pas partager une communauté de destin.

Mais pour suivre le fil, le moment est venu de se plonger dans une autre « autre histoire » : celle des hommes préhistoriques, toujours chez l’Élan vert, et toujours avec Emmanuelle Brillet, dont le talent de la science et celui du dessin se conjuguent à l’art de la transmission.

Du platane au ginkgo. Histoires d’automne

Du platane au ginkgo. Histoires d’automne
Ianna Andreadis
Les Grandes Personnes, 2021

Ouvrir les yeux

Par Anne-Marie Mercier

De la naissance à 214 ans, cet album tout carton aux coins arrondis est à la fois une belle méditation sur l’automne et une mini encyclopédie.
Chaque double page présente une photo de plusieurs feuilles d’un même arbre posées sur une surface sombre, elle-même détail d’un décor urbain : pavés, gravillons, plaque en fonte… Ville et nature, textures douces et dures, couleurs, formes découpées et pleines, tout est, pour qui s’y plonge, d’une grande richesse. Les feuilles sont à un état différent de maturité, et offrent ainsi des dégradés de vert et de jaune ou des rouges francs.
La quatrième de couverture les présente toutes ensemble et donne la solution à la question de l’arbre qui portait ces feuilles : platane, châtaignier, chêne rouge, tulipier de Virginie, arbre de Judée, érable plane, copalme d’Amérique, marronnier d’Inde, tilleul argenté, cerisier du japon, parrotie de Perse et.. Ginkgo. Tous ces arbres aux noms qui peuvent nous sembler exotiques peuplent en réalité nos rues et nos parcs depuis longtemps.
Feuilleter sur le site de l’éditeur

Ianna Andreadis est l’auteur d’autres superbes albums chez le même éditeur : ça donne envie de s’offrir ou d’offrir toute la collection !

 

 

 

Avalon Park

Avalon Park
Eric Senabre
Didier Jeunesse, 2020

William Golding dans une grande roue

Par Christine Moulin

« Les enfants sont touchés. Mais ils ne sont pas concernés. En gros, on porte la maladie, sans la subir. On la transmet. On peut avoir de la fièvre quelques jours. Rien de méchant, et parfois, il n’y a rien du tout. »
Ce qui est bien avec la lecture, c’est que cela permet de se changer les idées…! Toute ironie mise à part, cela se vérifie une nouvelle fois avec ce roman d’Eric Senabre, qui nous emporte, dès les premières pages, dans un récit passionnant. Les ingrédients efficaces sont nombreux: sur une île où est installé un parc d’attraction consacré au thème du roi Arthur (thème malheureusement peu exploité), des enfants ont été abandonnés par des adultes paniqués devant la menace sanitaire qu’ils représentent. Les héros sont deux frères: l’un, Nick, a 16 ans, l’autre, Roger, deux ans de moins. Leurs réactions sont radicalement différentes devant cet univers qui ressemble un peu à l’île aux Plaisirs de Pinocchio et face à celui qui en a pris la direction Nunzio, un jeune Gavroche inquiétant. Bref, c’est un peu Sa Majesté des Mouches mâtiné de Stephen King et de COVID.
Ces ingrédients sont d’autant plus efficaces que la maîtrise narrative de l’auteur les expose avec une habileté jamais démentie :  nous les découvrons peu à peu à travers le point de vue de Nick mais aussi grâce à divers dialogues et à des extraits de témoignages à la première personne. Des événements savamment distillés sans agitation frénétique font doucement mais sûrement monter l’angoisse. Des effets d’annonce entretiennent le mystère et créent l’inquiétude.
Toutefois, ce qui aurait pu n’être qu’un roman d’aventures haletant mais superficiel débouche sur des perspectives qui en décuplent l’intérêt. Il y a d’abord les relations entre les deux frères, qui s’aiment, malgré de lourds non-dits que l’on découvre peu à peu, et s’opposent : Nick est raisonnable, « de bonne volonté » et s’appuie sur les valeurs héritées de son Britannique de père, avec l’intention de devenir un « gentleman »; Roger est plus génial, plus fou, plus cynique aussi. Cet aspect psychologique s’accompagne d’une constante interrogation qui irrigue toute l’intrigue : qu’est-ce qu’être adulte, qu’est-ce que la maturité, quand cesse-t-on d’être un enfant ? L’une des petites filles de l’île pose d’ailleurs le problème en ces termes : « On a l’âge qu’on veut ici ». Il y a la dimension sociale: Nick et Roger sont deux fils de très bonne famille alors que les autres enfants sont des enfants des rues pour qui l’île représente ce à quoi ils n’ont jamais eu droit. Il y a la dimension que l’on pourrait presque qualifier de politique : qu’est-ce que le pouvoir, qu’est-ce que la responsabilité ?
À cela s’ajoute la dimension éthique: comme dans les bonnes robinsonnades ou les histoires de zombies, très vite on en vient à se demander ce que l’on doit garder des lois et des principes habituels, ce qui de l’éducation subsiste d’intangible, une fois que le monde s’est écroulé, ce que résument crûment certains personnages: « Tout le monde fait ce qu’il veut ici, c’est la règle. » Les personnages expérimentent, sans que rien ne soit caricatural, ce que c’est que de dépasser les limites et se laissent transformer en profondeur par cette transgression, tout en amenant le lecteur à se demander, à leur suite, ce que c’est que le courage ou jusqu’où on peut accepter la violence. On pourrait même, enfin, par moments, entrapercevoir une dimension quasi métaphysique: qu’est-ce que la vraie vie ? Est-ce que la routine, comme l’appelle Nick, vaut qu’on se batte pour la retrouver ? Faut-il tout faire pour rétablir la « vie d’avant » ? Est-ce possible, d’ailleurs ?

 

 

 

 

Sous le soleil

Sous le soleil
Ariadne Breton-Hourq Laurence Lagier
MeMo 2021

Cycles naturels

Par Michel Driol

La nature laissée à elle-même est en parfait équilibre. C’est cette phrase de Masanobu Fukuaka, agriculteur japonais, connu pour son engagement en faveur de l’agriculture naturelle qui ouvre cet album singulier dans sa conception. Printemps, été, automne, hiver, quelques double-pages marquent le cycle des saisons. Les autres pages, de loin les plus nombreuses, sont conçues suivant le même schéma. Page de gauche, quatre vers évoquent la nature, animaux et végétaux. Page de droite, une chaine alimentaire, marquée par la répétition des « qui sera mangé par », montre le cycle de la nature, car le premier élément, végétal, est mangé par un animal, qui sera mangé à son tour, jusqu’au retour à la terre, après la mort du dernier prédateur, dont les insectes vont à leur tour se nourrir, nourrir la terre et nourrir une autre instance du premier végétal.

L’album est conçu de façon très abstraite, géométrique. Les animaux et plantes sont stylisés d’un trait de crayon dans une mise en page jouant à la fois du minimalisme et de l’abondance. On se plaira à les chercher sur les pages consacrées au changement des saisons.

Les textes des pages de gauche sont parfois proches des haïkus, non par la forme, mais par l’esprit qui les anime, celui de l’observation d’un instant dans la nature. Tout en abordant des contenus très scientifiques, il le fait sous une forme éminemment poétique. L’ouvrage a été récompensé par la mention spéciale dans la catégorie Fiction du Prix Ragazzi de Bologne en 2021. Voici ce qu’en écrit le jury : Un livre d’images ludique qui expérimente symboles, pictogrammes et typographie pour déconstruire la relation entre signifiant et signifié. Joyeuse, musicale et originale, elle raconte des cycles naturels et invite le lecteur à lire et relire le texte dans les deux sens. Un ouvrage qui combine les dimensions poétique et scientifique pour offrir aux lecteurs un aperçu de la fragilité – et de la résilience – de la nature. 

Un ouvrage pour apprendre aux enfants à respecter l’équilibre fragile qui s’établit entre les êtres vivants et à agir pour le maintenir.

Ça gazouille

Ça gazouille
Constantin Kaïteris / Kotimi
Møtus 2021

A bec et à plumes…

Par Michel Driol

Voici un bestiaire un peu particulier : il ne concerne que les oiseaux. Bien sûr, on y trouvera les oiseaux familiers, pigeons, mésanges ou fauvettes. Mais aussi d’autres aux noms plus exotiques…

De ces oiseaux, on n’apprendra pas grand-chose car ce bestiaire n’est pas ouvrage de naturaliste. Entre le compte tenu des choses et le parti pris des mots, l’auteur a choisi le second. D’ès l’ouverture où il question des noms d’oiseaux, dans leur précision, mésange plutôt que petit oiseau avec du bleu sur la tête. Ce qui conduit au second poème, se traiter de noms d’oiseaux… On le voit, c’est la langue qui est au centre de ce recueil, une langue souvent drôle, qu’on questionne, qu’on fait jouer dans tous les sens, avec des poèmes proches de l’Oulipo dans la construction ou la façon de traiter les mots et leur succession. Les mots sont là pour leurs sonorités,  lophophore ou encore tichodrome échelette. Les poèmes jouent donc avec la langue, évoquant les multiples cris d’oiseaux sous forme d’onomatopées, ou le verbe savant et incongru qui s’applique à leur chant. Ils se jouent des paronymes (sarcelle/sorcellerie), des calembours (coq de bruyère/ stock de gruyère), de l’exploration des syllabes (le canari a ri à Cannes). Mais ils jouent aussi avec l’intertextualité : clin d’œil à Prévert, on refait ainsi le portrait d’un oiseau, clin d’œil à la Fontaine, on revisite le corbeau et le renard, clin d’œil à Perrault et aux bottes de sept lieus (sic) de l’aigle botté… Ils jouent aussi avec nos expressions imagées, les prenant au pied de la lettre, triple buse, tête de linotte… Ils jouent enfin parfois avec la typographie, lorsque la mouette plonge…

Avec humour et tendresse, le recueil explore les lieux de prédilection des oiseaux : jardins,  ciel, ou leurs origines (Sénégal, Népal, Hymalaya) pour terminer sur un poème intitulé les oiseaux migrateurs, qui passent au-dessus les frontières, sans papiers, donnant ainsi une clé de lecture à l’ensemble du recueil. C’est de la liberté et de la diversité des oiseaux qu’il est question ici, comme une façon de les donner en modèle aux hommes…

Avec humour, Kotimi propose des oiseaux expressifs, toujours soulignés d’un trait de bleu, comme pour dire l’immensité du ciel, leur élément naturel.

Un recueil de poèmes dont l’écriture joue avec les codes de la langue pour mieux dire la richesse du monde des oiseaux, leur diversité, leur liberté.

Le Loup

Le Loup
Mai Lan Chapiron
La Martinière Jeunesse 2021

Pour briser le tabou de l’inceste

Par Michel Driol

Miette habite dans une maison heureuse, avec sa famille. Mais dans cette maison, il y a un loup, dont elle seule peut voir les oreilles et la queue, un loup qui force Miette à le caresser, qui veut la caresser, tout en prétendant que c’est un jeu. Comment trouver la force de dire non ? A qui parler de cette vie de plus en plus gâchée ? Heureusement, à l’école, il y a une grande personne qui écoute Miette et fait ce qu’il faut pour lui rendre le sourire.

Voilà un album à la fois courageux et utile. Courageux, car le sujet de l’inceste n’est pas de ceux qui sont faciles à aborder avec les enfants. Utile, car il présente les choses à hauteur d’enfant, avec des mots d’enfant qui a peur, se questionne, doute, au plus près de son vécu, de ses pensées, de ses sentiments. Ce n’est pas pour rien que Miette porte ce prénom : il lui faut se reconstruire. Par ailleurs, en passant par une métaphore filée, celle du loup, l’album met en avant le caractère animal, non humain, de l’agresseur, explicitant ainsi ce qu’il y a de sauvage dans l’inceste, et plaidant à la fin pour une humanité protectrice, vivant à l’abri dans sa maison, loin de la forêt qui devrait rester le lieu de l’imaginaire des contes. Il sait en dire juste assez pour qu’on comprenne ce dont il est question, mais laisse aussi les lecteurs faire leur part du chemin avec subtilité. Les aquarelles de l’autrice, aux couleurs tendres, illustrent bien les différentes phases par lesquelles passe l’enfant, montrent l’omniprésence du loup, derrière une fenêtre,  derrière une porte, comme une menace et un obsession renforçant l’inquiétude de l’enfant.

L’album est complété par quelques propositions de discussion, afin de mettre en relation ce qu’on a lu avec ce qu’on pense, ou ce qu’on vit, pour aider les enfants de leurs ressources et des adultes en qui ils ont confiance. Il se clôt par un cahier d’accompagnement, à destination des adultes, proposé par Coralie Diere, psychologue clinicienne, proposant aux adultes des pistes et des attitudes pour susciter et recueillir la parole de l’enfant. De façon plus large, enfin, une chanson de Mai Lan et un site internet compètent cet ambitieux projet de libération de la parole au sujet de l’inceste : https://www.leloup.org/

Sans doute véritable livre de prévention de de dépistage à l’usage des enfants et des adultes, Le Loup n’est en rien un livre médicament, mais un ouvrage dont l’écriture, les dessins, le point de conduisent les enfants à mieux comprendre que leur corps est à eux.

Quand Hadda reviendra-t-elle ?

Quand Hadda reviendra-t-elle ?
Anne Herbauts
Casterman 2021

L’absence, la voilà…

Par Michel Driol

Lancinante, la question qui donne son titre à l’album revient, sur toutes les doubles pages, en haut à gauche, tandis qu’en bas, à droite, revient comme un leitmotiv la réponse, « Mais je suis là », adressée à un personnage nommé tantôt mon amour, mon ange, bonhomme, ma mésange, ou mon tout grand…, suivie d’une petite phrase, écoute, regarde, va, tu as ma dignité, ma force, ma beauté… Sur l’autre page, une illustration pleine page montre un coin d’appartement, cuisine, couloir, balcon, rempli d’objets du quotidien, mais sans personne.

Anne Herbauts aime à dire qu’elle fabrique des albums, comme façon de faire dialoguer texte et illustrations, mais aussi façon de proposer au lecteur un objet dont il lui faudra combler les lacunes. C’est bien ce qui fait la force de cet album, de laisser le lecteur avec le sentiment d’une absence et des questions auxquelles il cherche la réponse dans le texte et les illustrations. Tout se passe dans un appartement que l’on dirait abandonné, alors qu’on y vivait il y a peu. Appartement aux carrelages un peu vieillots, aux meubles surannés.  Qui est Hadda ? Mère, grand-mère, peu importe. A qui s’adresse-t-elle ? Au même personnage, enfant, petit enfant ? Ou à plusieurs ? Qu’importe… Hadda est partout dans les illustrations, sans doute sur les photos que l’on voit reproduites dans un pêlemêle.  Dans les ustensiles et ingrédients de la cuisine. Dans le linge qui sèche. Mais dans les illustrations, ce qu’on voit aussi, ce sont les traces de l’enfance,  des chaussettes plus petites aux petites voitures sur la table, ou aux cartes et illustrés par terre. A chacun de construire son propre récit du lien entre les deux personnages évoqués par l’album… Hadda a donc disparu, avec toute la polysémie de ce mot, mais, à travers son appartement, elle continue de dire son amour à ses descendants, elle continue de vivre à travers eux, leur transmettant rires, force, beauté et ailes pour aller plus loin. Car c’est bien cette transmission de force vitale léguée par ceux qu’on aime et qui nous aiment que rend sensible cet album. Comme toujours avec Anne Herbauts ces questions existentielles sont traitées sans forcer, sans s’appesantir, avec à la fois gravité et légèreté. La poésie de l’autrice parvient, avec des moyens simples à rendre présente cette absence, à parler de ce lien intergénérationnel, de la façon dont les disparus continuent à vivre en nous, tout en disant aussi la liberté d’aller plus loin, de vivre sa propre vie, magnifiquement symbolisée par les oiseaux qui s’envolent dans les dernières pages.

Un riche album, qui fait appel à tous les sens, pour dire tout ce que nous portons en nous de ceux qui nous ont précédés, sans tristesse, sans pathos, mais avec une grande confiance dans les destinées individuelles.