Nom d’une sorcière !

Nom d’une sorcière !
Nathalie Kuperman, Soledad Bravi
L’école des loisirs (Moucheron), 2024

la métamorphose de la sorcière

Par Anne-Marie Mercier

Vous l’avez sans doute remarqué : dans les contes, de nombreux acteurs sont des rôles mais ne sont pas de vrais personnages. Ils n’ont pas de nom ni de passé. Ils sont La sorcière, Le roi et La reine… Nathalie Kuperman humanise sa sorcière, tout en lui laissant ses attributs traditionnels (cheveux roux, robe et grand chapeau noir, chat noir, petite maison bizarre dans la forêt). Un beau matin elle se dit qu’elle voudrait « avoir un nom comme tout le monde » et elle décide de demander de l’aide à ceux qu’elle rencontre, d’abord une tortue, puis un tigre, un cobra, une limace. Chacun, sous la menace, ce qui génère le comique des situations, ne peut proposer que son propre nom. Mais rien ne va…
Drôle, extrêmement lisible, tant par la typographie que par la structure en randonnée et la simplicité du texte, des dialogues et des images, ce petit livre est parfaitement adapté aux premières lectures.

 

Pur sang

Pur sang
Romuald Giulivo
Rouergue 2024

Au bout de l’enfer

Par Michel Driol

Luca, le narrateur, se retrouve en Italie pour faire un stage d’équitation auprès du maestro Trappola, dit Janus, une ancienne gloire des spectacles équestres et tauromachiques. Mais les méthodes de ce dernier sont un peu particulières, entrainements forcés, brimades, séduction, et Luca se retrouve entrainé dans un été dont il gardera longtemps le souvenir.

Après un premier chapitre, confession d’une grande intensité d’un adolescent en colère, adressé tant au lecteur qu’à sa voisine dans le car, une vieille italienne qui ne le comprend pas,  Pur sang est un vrai thriller noir et ambigu. Noirceur des situations, à l’image de ce début sous la brume, que le soleil ne parvient pas à percer. Ambiguïté des personnages, à l’image de Janus, aux deux visages. Le despote pervers, malsain et séduisant, sadique, exigeant, autoritaire, attiré par les jeunes garçons,  ou la gloire des spectacles équestres auréolé de prestige ? Son assistant Nazir, chrétien syrien, lecteur des textes sacrés, jusqu’à quel point est-il dévoué à Janus ? Le compagnon de caravane de Luca, aussi bon cavalier que lui, intrépide, audacieux, mais que l’on verra pleurer. Luca enfin, qui dès l’incipit, avoue préférer les chevaux dans son assiette, que va-t-il faire dans ce stage couteux ? Et que  dire de l’ambigüité du dernier chapitre, que l’on laissera les futurs lecteurs découvrir… C’est, bien sûr, un roman d’apprentissage, dans lequel le héros est confronté au mal incarné ici par Janus. Janus qui pousse à bout ses élèves pour obtenir ce que lui veut, le spectacle parfait, dussent-ils y être blessés ou pire. On est par-delà le bien et le mal, dans un univers où la fin justifie tous les moyens, sans pitié. Mais le roman vaut aussi par l’arrière-plan historique. C’est l’Italie de la fin du fascisme, celle de Salo, dont les déviances et l’ombre planent aussi bien sur le grand-père de Luca que sur Janus. C’est un roman sur la pédophilie, Luca ayant été victime d’attouchements de la part de son grand-père.

Un roman sans concession qui propose une mécanique bien huilée conduisant à réfléchir sur le comportement des personnages, sur la question du dressage des hommes comme des animaux, sur ce qu’est l’éducation, sur les liens entre l’embrigadement et la liberté…

Je recommencerai demain

Je recommencerai demain
Clémence G.
A pas de loups, juin 2024

Comment la persévérance et l’amitié peuvent-elles nous aider à vaincre nos peurs ?

Par Edith Pompidou-Séjournée

Encore une histoire d’ours qui ne veut pas hiberner et qui s’appelle Petit’O… Décidément ce personnage phare de la littérature enfantine continue à séduire les auteurs pour mieux captiver les petits. Mais la ressemblance avec l’album Ö de Guridi s’arrête là. En effet, les illustrations de « Je recommencerai demain » sont beaucoup plus enfantines et colorées. Il pourrait presque nous faire penser à « Petit Ours Brun ». Petit’O a peur du noir et chaque jour du lundi au samedi il cherche le moyen de décrocher une étoile pour éclairer sa tanière mais en vain. Si chaque soir il échoue, son goût de l’effort fait écho au titre de l’album, il ne se décourage pas et imagine un nouveau stratagème pour le lendemain. Ses idées sont de plus en plus drôles et farfelues : après l’échelle trop courte, il essaie l’avion en papier pas assez puissant, puis des ballons gonflables, une pile de boîtes, un trampoline mais chaque fois il chute de plus en plus lourdement jusqu’à tomber d’un arbre en se faisant une belle bosse. Alors il décide d’abandonner.
Son amie la souris qui s’inquiète pour lui à chaque nouvelle tentative lui prépare alors une surprise en installant chez lui le dimanche des guirlandes scintillantes. Il trouve alors le sommeil accompagné de sa complice : tout est bien qui finit bien ! À la fin de l’album se trouve une collection des portraits de petit ours qui reprend toutes les émotions et sentiments vécus par celui-ci dans l’histoire. Chaque enfant pourra ainsi s’identifier à ce petit ours et retiendra sans doute que la vie n’est pas linéaire et que, malgré les difficultés, il faut persévérer tout en acceptant ce qu’on ressent et en le partageant avec ses amis

 

 

La Princesse aux petites noix

La Princesse aux petites noix
Émilie Chazerand, Stéphane Kiehl
Sarbacane, 2024

Genre troublé

Par Anne-Marie Mercier

Un roi et une reine ont un fils, pour leur plus grand bonheur. Mais, comme souvent, l’enfant ne se développe pas comme ils l’auraient souhaité ; dans ce cas précis, la virilité du prince est très peu affirmée. Tout en ayant hérité d’un féroce aïeul le nom d’Otto, le prince n’a aucun goût pour les armes et adore s’habiller en princesse. Si son père accepte tout cela (l’enfant n’est-il pas honnête, gentil, en bonne santé, ce qui seul importe ?), sa mère s’inquiète, puis tout le royaume s’alarme après en avoir ri, car Baldur, le brutal fils du roi voisin vient un jour défier le prince (qu’on surnomme « la princesse aux petites noix ») dans un duel pour lui ravir le royaume.
La fin est surprenante (et heureuse).
Baldur est comme Otto, malgré leurs caractères opposés. Il est perçu par les autres comme étrange. Il dérange. Il n’a pas d’ami. Les deux princes, par un coup de théâtre amusant, se découvrent des points communs, et c’est le début d’une grande amitié.
Tout l’album fait l’éloge de l’acceptation de la singularité et remet en question les stéréotypes de genre des contes d’autrefois (on aura reconnu le détournement du titre de la « Princesse au petit pois ») et de la vie d’aujourd’hui. L’utilisation fine du bleu et du rose, de façon discrète, lui donne une belle cohérence graphique.

Méduse

Méduse
Jessie Burton
Gallimard Jeunesse 2024

Survivante, amoureuse, trahie…

Par Michel Driol

On est sur ile éloignée de tout, où vivent depuis 4 ans Méduse et ses deux sœurs. Méduse, la plus jeune, a refusé les avances de Poséidon, qui l’a violée dans le temple d’Athéna, avant de le détruire. Vengeance de la déesse, qui transforme les cheveux de Méduse en serpents, et lui donne le pouvoir de pétrifier les hommes. Mais lorsqu’arrive sur l’ile Persée, et qu’il discute avec Méduse, les deux adolescents comprennent que leurs histoires ont bien des points communs. Toutefois, Persée a une mission : rapporter la tête de Méduse… et Méduse sait qu’elle a le pouvoir de le détruire s’il la regarde…

Voilà une belle réécriture du mythe de Méduse. Ce personnage est surtout connu par l’iconographie monstrueuse, et le roman de Jessie Burton donne à lire un autre personnage, une jeune femme, humaine, tellement humaine. C’est elle qui est la narratrice, qui explique sa courte vie, et laisse percevoir sa détresse, ses sentiments, son désir d’amour. Elle est doublement victime, victime du désir de Poséidon, victime ensuite de la vengeance d’Athéna, qui s’en prend à elle, simple mortelle, et non au dieu coupable.  Les serpents sur sa tête ont tous un nom, une personnalité. Ses deux sœurs sont très aimantes et protectrices à son égard, constituant une structure familiale qui supplée à l’absence des parents.  On est donc très loin, avec ce personnage touchant, fragile, qui tente de se reconstruire son humanité, sa féminité,  après la double violence d’un viol et d’une métamorphose qui l’a privée de la beauté et des espoirs de ses 14 ans. Quant à Thésée, il est aussi une victime des dieux, victime qui tente de préserver et de sauver sa mère du tyran Polydecte. Sans jamais le voir, Méduse tombe amoureux de lui, à travers leurs discussions. C’est un premier amour, est-ce un amour impossible ? Elle le comprend, et il semble la comprendre. Elle se sent enfin en confiance, éprouvant pour la première fois un sentiment amoureux, tout en ne révélant pas sa véritable identité, jusqu’au moment où Thésée lui annonce quelle est la tâche qu’il doit accomplir pour sauver sa mère.  On perçoit alors tout le désarroi de la jeune fille…

Le roman parvient donc à proposer une relecture très féministe du mythe de Méduse, revisitant ainsi la mythologie, tout en restant fidèle à l’essentiel : les rapports entre des hommes et des dieux tout puissants, qui se jouent d’eux, la notion de destin, la mince ligne qui sépare l’humain du monstre. C’est aussi la question du récit qui est posée ici, lorsque Méduse apprend qu’elle est devenue la Méduse, et que d’une jeune fille on a fait un mythe monstrueux qui ne lui ressemble pas. Tout est affaire de discours, d’un logos qui nous échappe  Ce roman s’inscrit dans tout un courant contemporain qui cherche à repenser la mythologie et le rôle qu’elle fait jouer aux hommes et aux femmes. On y voit des hommes et des dieux, violents, tout puissants, agresseurs sexuels des femmes dont ils font des victimes : une société où règne un patriarcat sans partage. Cette réécriture invite à trouver l’humain au sein de chacun et de chacune, à ne pas se fier aux apparences, mais à chercher une beauté intérieure. Ayant survécu à la violence des dieux, amoureuse d’un jeune homme qu’elle n’a jamais vu, Méduse sera pourtant trahie par lui, puisqu’on le voit arriver, tout armé, pour la tuer. Lui, il a fait son choix. Sans révéler la fin du roman, on précisera juste que l’autrice prend des libertés avec le mythe, ce dont on pouvait se douter en voyant le récit à la première personne, avec son incipit si révélateur.

Il fallait l’oser : faire de Méduse une victime, des Gorgones trois sœurs attachantes et parler ainsi des rapports homme-femme, de la violence faite aux femmes, de pédophilie… le tout avec beaucoup d’empathie pour les personnages, et de sensibilité. Et c’est réussi !

Le Petit de la poule

Le Petit de la poule
Anne Fronsacq, Kiko
Flammarion (« Les Histoires du Père Castor), 2024

Petit croco deviendra grand

Par Anne-Marie Mercier

Publié sous couverture rigide en 1975 sous le titre « The chicken’s child » avec un texte et des illustrations de Margaret A. Hartelius, traduit en France et paru dans la même présentation en 1979, le revoilà, avec un changement d’auteure entretemps… Bizarreries de l’édition jeunesse. Il est regretable que les collections patrimoniales ne soient pas plus respectueuses des attributions (c’était déjà le cas pour La plus mignonne des petites souris d’Etienne Morel – également auteur illustrateur de La Petite Poule rousse – devenu Souricette veut un amoureux chez Didier jeunesse).
Anne Fronsacq a certes donné un texte à cet album fameux, mais on ne peut pas dire qu’elle en est la seule auteure : ce n’est pas parce qu’un album n’a pas de texte qu’il n’a pas d’histoire et donc d’auteur d’histoire. Notons aussi que sur le site sur lequel on peut voir les planches originales le nom de l’auteure première est mal orthographié (Hartelins au lieu de Hartelius).
Donc, il s’agit du petit de la poule. Non, ce n’est pas un poussin : Poulette, sans enfant et désespérant d’en avoir, a trouvé un œuf abandonné, l’a couvé et il en est sorti un petit alligator que, par amitié pour elle, le fermier et les autres animaux ont accepté, jusqu’au jour où…
Jolie fable sur l’amour maternel, souvent aveugle, sur l’acceptation de la différence et ses limites possibles (ici repoussées à la fin), sur les talents particuliers de chacun, elle est illustrées en images naïves aux couleurs vives. La couverture de Kiko a le mérite de créer et maintenir le suspens sur la nature de ce petit qui va sortir de l’oeuf.

 

 

 

Le Petit Théâtre des émotions

Le Petit Théâtre des émotions
Antonin Louchard
Seuil Jeunesse 2024

Lapin cabotin

Par Michel Driol

De l’envie à la fierté, en passant par la joie et le dégout, ce sont de nombreuses émotions qui parcourent le visage, toujours en gros plan, de ce sympathique petit lapin d’Antonin Louchard, qu’on commence à bien connaitre (le lapin et l’auteur !). Bien sûr, avec un titre pareil où il est question de théâtre, on se doute bien que l’auteur ne surfe pas vraiment sur la vague des émotions qui submerge la littérature de jeunesse… d’autant que la quatrième de couverture met l’accent, avec un sérieux très antiphrastique, sur le respect de la règle des trois unités et la performance d’acteur ici réalisée… Bref, tout ceci nous conduit à une chute désopilante, comme d’habitude dans cette série, chute qu’on aura le bon gout de laisser le lecteur, ou la lectrice, découvrir par eux-mêmes !

Le petit lapin n’a pas suivi les cours de l’actor’s studo… Il en fait des tonnes pour illustrer chaque émotion. Tout y passe : position des mains, position des oreilles, couleur du visage, cernes sous les yeux… Chaque émotion est ici amplifiée, comme si le petit lapin passait un casting dans lequel on lui demande d’exprimer différents états. Devant la caméra fixe, il joue, sur joue, jusqu’à un retour brutal au réel, là où le plan s’élargit pour montrer quelque chose comme l’envers – ou plutôt l’endroit – du décor. Une sorte de comédie ludique, solitaire et jouissive, avant de reprendre son rôle au naturel : l’éternel grincheux, râleur, protestataire…. comme on l’aime !

Un nouvel album décalé, drôle, qui illustre une nouvelle fois toute la créativité d’Antonin Louchard lorsqu’il s’empare d’un sujet aussi rebattu que les émotions… pour notre plus grand plaisir !

Micmac à New York, Vendetta à Venise

Micmac à New York
Vendetta à Venise
Fanny Joly, Laurent Audouin
Sarbacane, 2024

Détective à lunettes

Par Anne-Marie Mercier

Parus en 2011 et 2012, ces volumes de la série des « enquêtes de Mirette » sont réédités, ce qui confirme leur succès. Ils ont tout ce qu’il faut pour plaire : le genre tout d’abord, du roman policier pour enfants, sans trop de violence mais avec de vrais criminels, des policiers incapables, une enquêtrice enfant déterminée, et enfin un vrai décor, celui d’une ville qui change à chaque volume, comme dans les séries d’espionnage des SAS, OSS 117, etc.
Les termes de « vrai décor » seraient à nuancer : ces villes sont parcourues en alignant les clichés et les illustrations de Laurent Audouin fournissent de belles cartes postales colorées entre deux scènes d’action. Mirette se rend partout où vont les touristes, elle visite même des musées au passage. On peut imaginer que pour les enfants voyageurs ces petits livres faciles à lire et très illustrés peuvent servir d’incitation ou de remémoration.
La légèreté et le comique viennent en grande partie du personnage du chat, nommé Jean-Pat, intéressé surtout par la nourriture – particulièrement les chamallows.

Si tu regardes longtemps la terre

Si tu regardes longtemps la terre
Jean-Pierre Siméon – Laurent Corvaisier
Rue du Monde 2024

Contemplations…

Par Michel Driol

Une cinquantaine de phrases poèmes de Jean-Pierre Siméon, qu’on n’a plus besoin de présenter, qui viennent dialoguer avec les paysages peints par Laurent Corvaisier.

C’est d’abord un album à regarder, comme on peut regarder les catalogues d’exposition, ou les ouvrages consacrés à un peintre. On va de page en page, de la mer à la montagne, de l’été à l’hiver, des grands formats à l’italienne aux petits formats verticaux, qui se juxtaposent sur la page. On parcourt des paysages aux couleurs fauves éclatantes, des paysages pleins de ciel, d’eau, d’arbres, de mer, mais aussi parfois de maisons, de villes aussi. Avec quelque chose d’intemporel, qui fait que, parfois, on se croirait dans les tableaux de Matisse. Des pins parasols, des iris, le mouvement de l’eau qui coule, la verticalité des ifs, des tons, et l’horizontalité des champs, des plaines composent un univers où règnent le calme et l’harmonie. Un mot pour la qualité des photographies, signées Françoise Stijepovic, hélas décédée avant d’avoir pu voir l’ouvrage achevé. Des photographies qui laissent percevoir la matérialité et la fabrique du tableau, certains coups de pinceau ou encore les veines du bois.

Sur ces toiles, les mots de Jean-Pierre Siméon apportent un éclairage, un prolongement, comme un commentaire, tantôt inclus dans les tableaux, tantôt isolés sur une page, ou entre deux tableaux, ou dans les  marges, de côté, en haut, en bas… Il poursuit son exploration des formes brèves, comme dans Le Livre des  petits étonnements du sage Tao Li Fu, formes brèves ciselées, concises, dans lesquelles chaque mot pèse de tout son poids au service d’une phrase unique, d’une idée singulière. Dans ces textes, le je s’efface au profit d’un « on » ou un « tu », comme une manière de toucher à l’universalité et de s’adresser à un lecteur à qui on donne le conseil d’être là, présent au monde, comme dans le poème ultime qui donne son titre à l’ouvrage :

Si tu regardes longtemps la terre, arbres, vents, soleils et rivières couleront dans tes veines.

On est parfois proche de la maxime :

Il n’est de bonheur
que s’il fait le bonheur de l’autre

du conseil, du mode de vie

Plus tu donnes
de sourires,
plus tu t’enrichis

de l’interrogation sur le sens des choses

On ne sait jamais si on choisit son chemin
ou si c’est lui qui nous choisit

Se dit aussi le lien secret entre poésie et peinture

Fais comme le peintre :
cherche en tout la couleur cachée

Un bel album dans lequel on retrouve toute l’atmosphère, les valeurs, et l’esthétique de Jean-Pierre Siméon, qui fait dialoguer des poèmes qui parlent de poésie, de nature, comme autant de leçons de sagesse à destination des jeunes et des moins jeunes, et les tableaux qui montrent une terre à contempler, une terre donnée à voir à travers le regard d’un peintre.

Rêves de chercheurs

Rêves de chercheurs
Alexandra Zaba – Claore Czajkowski
Editions du Pourquoi pas ?? 2024

Quelque chose à changer

Par Michel Driol

Dans l’immeuble, il y a la gardienne, Mme Turpin, dévouée, aimant la propreté et l’ordre, prête à rendre service. Il y a aussi cinq chercheurs : Monsieur Blop qui rêve d’un aspirateur nettoyeur de mer, Madame Flac qui rêve d’un parapluie récupérant l’eau de pluie, les Lebon qui rêvent d’un autocuiseur solaire,  les Archi qui rêvent d’un vélo sèche-linge, et monsieur Lainard qui rêve d’un vêtement qui s’adapterait à la température de la peau. Tous ces géniaux ingénieurs ne s’occupent guère de l’entretien de la maison. Et lorsque Madame Turpin s’absence plusieurs jours, la maison est dans un tel état qu’ils doivent se mettre ensemble pour accueillir leur gardienne…

Voilà un album à la fois drôle et incitant à réfléchir.  Drôle, il l’est, par les noms de personnages, par les inventions toute plus farfelues les unes que les autres dont ils rêvent pour améliorer la prise en compte de la transition écologique… Drôle par le texte, qui ne ménage pas ses surprises, et charge le portrait des inventeurs. Drôle enfin par les illustrations dont il faut examiner chaque détail, et qui jouent de la surenchère et de la caricature.

Pour autant le texte aborde des problématiques bien sérieuses. Il est question du rapport entre le rêve et la réalité, des grands projets ambitieux et du quotidien ordinaire, bref, quelque chose comme l’opposition entre le souci de la fin du monde et celui de la fin du mois… Les grands penseurs n’ont cure des détails de la vie domestique, tout absorbés qu’ils sont par leur projet, aussi dément fût-il ! Ils ont bien besoin d’une petite main… Il est question aussi de la  conformité entre les valeurs que nous souhaitons défendre et notre mode de vie. En effet ces grands chercheurs, absorbés par un projet de nature écologique, ne voient pas leurs propres contradictions. Prétendant nettoyer les océans, Monsieur Blop lance ses brouillons à côté de la poubelle. Les Lebon, loin de leur autocuiseur solaire, se font livrer des plats tout préparés. Madame Flac, qui veut récupérer l’eau de pluie, oublie systématiquement de couper l’arrosage. Les Archi lavent du linge propre, et Monsieur Lainard vit dans un appartement si surchauffé qu’il doit ouvrir les fenêtres… Ces contradictions sont, bien sûr, abordées de façon bien humoristique, mais elles sont réelles et invitent à réfléchir au rapport entre la fin et les moyens. Enfin l’album aborde la question même du changement. Avant de penser à changer la planète, peut-être faut-il commencer par se changer soi-même, dans ses rapports avec les autres, dans cette façon de faire société au sein de cet immeuble, ici. Plutôt que de vivre les uns à côté de autres, en comptant sur la gardienne pour tout arranger, ne faut-il pas se prendre en main ensemble ? Plutôt que d’envisager de grands projets révolutionnaires, l’album plaide pour des petites actions responsables et collectives. Je fais ma part, dit le colibri…

Un album sous forme de comédie piquante pour corriger les mœurs par le rire… et nous conduire à nous interroger, sans moralisme, sur nos propres pratiques.