La Rue des étoiles

La Rue des étoiles
Bart Moyeaert,

Traduit (néerlandais) par Daniel Cunin
Éditions du Rouergue, 2013

Embrouillamini

par François Quet

Trois enfants assisetoile sur un mur regardent passer la vie. Les choses ne sont pas simples et la vie, parfois, c’est un embrouillamini. On se dispute. On se fâche. On fait des paris idiots. On se raconte des histoires. On est des garçons et on est des filles. On se défie. Il y a des personnes âgées qui finissent par mourir, des ferrailleurs bougons, un père tendre et lointain. Une maman qui ne reviendra pas. Peut-être pas. Peut-être que si. Bref, cette maman n’est pas pour rien dans l’embroullamini.

Bart Moyeaert raconte dans des chapitres courts comme des planches de BD le quotidien ordinaire de deux petits garçons, Oskar et Bossie, et de leur amie Camille (qui ne pense qu’à lire). On pense à Charlie Brown ou à Mafalda. Il ne se passe rien d’important, en tous cas rien de plus important que ce qui se passerait dans la vie réelle. Une vieille femme promène son chien, puis un jour disparait. Les héros se demandent si elle est morte ou à l’hôpital. Bossie adore raconter à son frère des histoires ahurissantes : l’histoire d’une vache tombée du ciel au Japon ou d’un chien naufragé sur un glaçon, qu’on finira par récupérer. Bossie taquine Camille, mais jusqu’où peut-on se montrer moqueur ? Une petite voisine joue les trouble-fêtes. Les ferrailleurs du quartier conduisent Oscar dans leur pick-up. Il découvre la saveur de la granita et la gentillesse de Phyllis. Bossie se demande si son père ne préfère pas le petit Oskar.

Ce sont à chaque fois de tout petits sketchs, des croquis ou des saynètes qui suscitent (ou rappellent au lecteur adulte) des émotions d’enfance, des peurs, des questions. La narration très elliptique, à la première personne — c’est Oskar qui raconte au passé composé —, laisse une large place au lecteur qui doit interpréter le comportement ou les sentiments des personnages.

Voici un petit livre délicieux, pas tout à fait un roman, pas tout à fait une chronique mais un beau texte, porté par un ton malicieux et tendre qui restitue l’imaginaire de l’enfance avec beaucoup de justesse.

Modèle vivant

 Modèle vivant
Carole Fives,
Ecole des loisirs, coll.  Médium  2014,

 

 Adolescente et artiste

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

 modele-vivant-carole-fives-9782211215435, imageCarole, quinze ans, mal dans sa peau,  est furieuse contre son père qui lui impose une belle-mère qu’elle déteste, contre le divorce de ses parents qui la sépare de son frère de plus de mille kilomètres, et contre la vie en général,  car elle s’ennuie  et  rêve de liberté. Heureusement qu’elle est une artiste, elle suit des cours  aux beaux-arts et dessine des modèles vivants, des modèles féminins, mais elle n’a encore jamais dessiné d’homme.

Alors,  quand lors d’un week-end, elle rencontre José, un jeune homme peintre qui comprend son art et vit déjà en artiste,  il a un atelier  de peintre, elle en tombe éperdument amoureuse. Elle réussit, pendant les vacances à le rejoindre chez lui et vit quelques jours enchantés dans son atelier. Là, ils travaillent, et s’aiment et elle peut enfin dessiner et peindre un homme, un modèle vivant,  ils sont heureux. Trop peut-être, car tout va s’arrêter brusquement.

Le personnage principal, la narratrice s’exprime à la première personne de singulier ce qui permet au lecteur adolescent une identification instantanée. Son mal de vivre est compréhensible et serait banal à cet âge, mais ce qui rend le personnage plus profond et le roman plus subtil, c’est  que nous sommes plongés au cœur des vertiges et des angoisses d’un artiste, puis d’un couple de jeunes artistes.

Et la fin nous permet de comprendre le pouvoir de recréation et de consolation de l’art.

Trois ânes (conte)

Trois Ânes (conte)
Michel Séonnet
L’Amourier (Thoth), 2009

Citoyens de la République

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un conTroisaneste bien moderne pour notre bonheur, et bien d’actualité pour notre malheur, bien ancré dans le monde réel, même si la vraisemblance est quelque peu suspendue, pour le plaisir de la fable et son exemplarité.

Il était donc… une nuit, dans une ville, on ne sait pas bien laquelle, avec ses pavillons, ses immeubles, ses boulevards déserts, il était un âne appelé Semper (qui signifie « toujours » en latin, ce qui n’est pas indifférent), échappé du garage où on l’avait enfermé. Derrière lui court Lino, fils du propriétaire de l’âne, puis l’ennemi de Lino, Samir, puis Sara qui ne les aime pas, puis monsieur Crouzon, le gardien du collège, haï des trois enfants et le leur rendant bien.

Tous courent, étrangement happés par la course de l’âne ; celui-ci suit un chemin mystérieux qui les fait passer par les étapes de leur histoire et de celle de leur famille pendant la dernière guerre où tous luttaient pour la même cause et le même camp, étapes où un âne joue le premier rôle. Chemin faisant, ils se racontent, se heurtent, se soutiennent, créent les liens qui manquaient. A « l’arrière », la police, les familles et les voisins, d’origine italienne, arabe, juive, s’alarment, s’accusent, et enfin s’entraident ; en retrouvant les enfants, ils renouent avec une histoire commune  oubliée, une histoire de libération et de fraternité.

Un beau conte, magnifiquement écrit, saisissant et touchant, et un livre à la fabrication soignée, sur beau papier crème.

http://www.amourier.com/les-collections/thoth/381-trois-anes.php

Et pour poursuivre la réflexion, un article de  Tramor Quemeneur,  paru dans L’Ecole des lettres – jeudi 8 janvier 2015): racisme et terrorisme

Rappelons aussi la très belle BD de sociologie sur l’immigration algérienne, Les Mohamed, de J Ruiller chez Sarbacane (2011) chroniquée sur lietje.

Papa, regarde !

Papa, regarde !
Hui-Ying Chiu, Sophie Roze

HongFei, 2014

C’est beau !

Par Dominique Perrin

regarde

« L’un réfléchit, l’autre voit » : ce quasi-aphorisme de quatrième de couverture résume à sa manière cet album calme et intense, et en annonce la grande classe plastique. C’est par un jeu de cadrage et de contre-champ, discret et spectaculaire à la fois, qu’est mis en scène un moment de côtoiement, « partagé » à sa manière, entre un enfant et un papa (ours) qu’une lecture absorbe, mais qui dialogue pourtant avec son rejeton sur ce qu’il ne regarde pas (d’étrangement belles « fleurs » sur le mur du jardin). La tourne des pages est aérienne, leur charge de formes et de couleurs étonne l’oeil et le réjouit : toute ressemblance avec des situations humaines étant purement fortuite, tout cela ressemble à un tanka iconotextuel dédié à la dignité du regard enfantin.

Ce n’est pas très compliqué

Ce n’est pas très compliqué
Samuel Ribeyron
HongFei, 2014

Pas compliqué… et pourtant

par Anne-Marie Mercier

Ce n'est pas très compliquéDans un format assez grand, c’est une histoire simple qui nous est contée, pas compliquée en effet, celle de deux enfants qui jouent ensemble dans leur rue, puis sont séparés ; mais l’essentiel est ailleurs : dans les deux épisodes où le garçon cherche à savoir ce qu’il a dans la tête et se demande s’il a un cœur, et ce qu’il y a dedans. La réponse est belle, discrète et forte : les émotions vraies ne sont pas forcément celles dont on a conscience. Curieux, n’est-ce pas? C’est une façon de dire aux enfants qu’ils ne savent pas ce qui, dans les émotions ressenties, restera ou non gravé dans leur esprit, installé dans leur « maison » intérieure.

Les illustrations mêlant différentes techniques (papiers découpés, pastels, encres, aquarelles…), sur un fond beige, ont un style très original et les doubles pages sur ce qu’il y a dans la tête de l’enfant  (une forêt, sombre silencieuse, secrète, douce…) sont pleines de poésie et de mystère et invitent à se perdre dans cette forêt intérieure.

Le samouraï et les trois mouches

Le samouraï et les trois mouches
Thierry Dedieu
Hong Fei, 2014

Sept d’un coup !, version japonaise

Par Dominique Perrin

samoDans une atmosphère de western « crépusculaire » au pays des samouraïs et des ronins (« anciens samouraï devenus brigands », précise une note de bas de double page), un Lucky luke du sabre, descendu dans une auberge pour répondre aux appels de son estomac, ignore placidement les agressions verbales et gestuelles de trois bandits, et les chasse finalement par la seule puissance intimidante de son adresse à étriper les mouches attirées par son potage. La quatrième de couverture rappelle que cette brève histoire illustre « comment l’intelligence l’emporte sur la force ». On peut se demander si elle est à la hauteur des enjeux plus prosaïques et bien réels de ce viel adage éducatif et civililisationnel dans la vie quotidienne des enfants. Cependant, cet album assez cavalier ne manque pas de sel, notamment par le travail original sur un texte composé d’imprévisibles haï-kus distillés de double page en double page.

La Cité des filles-choisies

La Cité des filles-choisies
Elise Fontenaille
Rouergue

Mourir pour l’Inca

Par Michel Driol

citeCe roman se présente comme un récit enchâssé. Le récit  enchâssant raconte la découverte, en décembre 1995, par des archéologues, d’une momie d’une jeune fille inca au sommet du mont Ampato, sacrifiée volontaire pour l’Inca. La partie enchâssée,  qui constitue l’essentiel du roman, est prise en charge par la jeune inca, Nina, qui raconte sa vie dans les rêves d’une des visiteuses du musée où on l’a exposée, Mina,  la loca, la folle…

Nina, tisseuse d’exception, élevée seule par son père après la mort de son père, est remarquée pour ses talents et emmenée au service de l’Inca, dans la cité des filles-choisies, choisies pour devenir concubines de l’Inca,  vestales ou prêtresses, ou se sacrifier pour lui. Nina raconte le voyage, puis sa vie à Cuzco, les relations avec lez autres filles, et comment tout bascule lorsque les Espagnols envahissent le pays pour la seconde fois. Elle consent alors à offrir sa vie au dieu soleil, l’Inti,  pour que vive l’Inca.

Elise Fontenaille raconte sans complaisance la colonisation espagnole, sa violence, sa brutalité et la destruction d’une civilisation qui n’avait que mépris pour l’or. Elle fait le portrait de cette civilisation, de sa grandeur, de son développement artistique, de sa religion aussi, insistant en particulier sur la croyance en la réincarnation.

Ce roman historique prend sans doute une autre teinte en cette deuxième décennie du XXIème siècle. C’est bien à un sacrifice humain consenti que l’on assiste. Nina n’hésite pas un seul instant à perdre la vie pour que vive l’Inca. Certes, Nina se sacrifie seule, sans entrainer des innocents dans la mort, mais il s’agit pour l’auteur, en adoptant le point de vue de son héroïne, sans aucun jugement, de montrer aussi comment la religion peut conduire au martyre, avec l’espoir d’une autre vie.

Un roman sensible racontant une histoire fascinante et terrible (enlèvement à la famille, sacrifice humain), dans lequel Elise Fontenaille dénonce avec vigueur un autre crime de d’histoire. (Voir Eben ou les yeux de la nuit)

Les Plus Belles Histoires pour l’école maternelle

Les Plus Belles Histoires pour l’école maternelle
Collectif
Gallimard jeunesse, 2014

 Par Yann Leblanc

lesplusbelleshisotirepourl'EMCe ne sont peut-être pas les plus belles (certainement pas, d’ailleurs) mais elles sont effectivement centrées sur l’école maternelle : dans une collection (le trésor de l’heure des histoires) de 15 volumes on peut imaginer qu’il y aura de l’excellent et du moins bon, enfin, pour tous les goûts.

Effectivement, il y a de tout : une histoire de l’âne Trotro (celle où il va à l’école évidemment), celle de « Timioche, le poisson qui racontait des histoires » (à l’école), une belle histoire d’ami imaginaire (qui empêche de se faire des amis à l’école) d’Anne-Gaëlle Balpe et Natalie Choux, des pages sur les apprentissages, des chansons, des exercices de gym, etc. De tout, c’est bien aussi, et ça rassure en répondant à quelques angoisses  : que se passe-t-il si on ne connaît personne à la rentrée ? comment se faire des amis et les garder ? qu’est-ce qu’une maîtresse ?

Liste (dans le désordre:

Timioche, Julia Donaldson et Axel Scheffler
La rentrée des animaux, Samir Senoussi et Henri Fellner
Pénélope connaît les couleurs, Anne Gutman et Georg Hallensleben
Timothée va à l’école, Rosemary Wells
La Reine Maîtresse-Maîtresse, Alex Sanders
Je veux un ami !, Tony Ross
La belle lisse poire du Prince de Motordu, Pef
Où est le petit chien ?, Mathew Price et Qin Leng
Gruffalo, Les contraires, Julia Donaldson et Axel Scheffler
S.M.A.C.K., de Colin McNaughton
De vrais amis, Anne-Gaëlle Balpe et Nathalie Choux
Trotro, Bénédicte Guettier
Juliette s ‘inquiète, Kevin Henkes
L’école maternelle, Charlotte Roederer
Je vais à l’école !, Delphine Gravier-Badreddine et Charlotte Roederer
À la cantine, Catherine Dolto et Colline Faure-Poirée, Frédérick Mansot
En sortant de l’école, Jacques Prévert et Jacqueline Duhême
L’école des poètes, extraits, illustré par Jacqueline Duhême et Monique Félix
Mes comptines de l’école maternelle, illustré par Charlotte Roederer
Le pilates pour les petits, extrait, Rida Ouerghi et Elsa Fouquier.

Bansky et moi

Bansky et moi
Elise Fontenaille
Rouergue

Street-art, cinéma et cake aux carambars

Par Michel Driol

banskyBansky, c’est à la fois le street-artist à qui on attribue une fresque, en face de l’appartement du héros, et le nom du rat apprivoisé du héros, Darwin, un adolescent qui vit seul avec sa mère, Somalienne exilée, chauffeure de taxi de nuit, dans un Paris populaire en proie aux expulsions. Darwin adore cuisiner et filmer, puis montrer ses vidéos sur Viméo. La rencontre avec Eva, jeune fille seule, vivant au sommet un château d’eau, va lui faire découvrir le plaisir de grapher, les catacombes, et l’Amour !

Ce roman urbain est une belle galerie de portraits contemporains, à commencer par ceux des deux héros adolescents, indépendants, l’une pleine d’initiatives et de débrouillardise (elle a dû s’exiler seule d’un pays qu’on devine d’Europe orientale, et apprendre à survivre en France), l’autre de Darwin, le narrateur, enfant sans père, plus timoré, mais qui va apprendre à vaincre ses peurs. Du côté des adultes, Ophélie la maman chauffeure de taxi de nuit, l’humanitaire Jibé, Isaac le cuisinier camerounais et quelques autres, hauts en couleur, incarnent une humanité savoureuse et protectrice.

Ce pourrait être un roman sombre et glauque, parlant de l’exil, des sans-papiers, des immeubles qu’on rase pour en construire de nouveaux, des camps de Roms qu’on ferme de force, des dangers (les skins dans les catacombes), mais, grâce à l’écriture d’Elise Fontenaille, c’est tout le contraire : un roman plein de légèreté, d’humour, de tendresse pour les personnages, un roman optimiste et confiant dans l’avenir, montrant la fraternité et la solidarité en action.

Enfin, c’est un roman qui se termine par les recettes de cuisine qu’il évoque ! Et c’est double plaisir !

Mon tout premier livre d’art. Tableaux célèbres

Mon tout premier livre d’art
Rosie Dickins, Sarah Courtauld

Usborne, 2011

Mon livre d’art. Tableaux célèbres
Rosie Dickins

Usborne, 2014

Manuels d’art…

 Par Dominique Perrin

mon tt prem« Tu es libre d’utiliser les couleurs que tu veux » : c’est sur ce type d’incitation idéalement explicite en ce énième siècle du rose et du bleu que repose ce « tout premier livre d’art » instructif, pratique et stimulant.Le projet est à la fois réaliste – il prend en compte le niveau de formation culturelle réel du plus grand nombre – et relativement ambitieux : il s’agit d’ouvrir en même temps les possibilités techniques et les représentations en matière d’arts plastiques. Partant, tout est inivitation ici : à empoigner résolument pinceaux et matières, mais aussi à explorer les multiples musées qui nous entourent, et plus globalement à regarder autrement le monde. Du coup, tout est « modèle » aussi, au meilleur sens du terme : le pari qui structure le livre est conforme aux acquis de la pédagogie contemporaine : des enfants cultivés et outillés sont des enfants actifs et émancipés.
tablxLe second et plus récent des ouvrages présentés ici apparaît sous ce jour nettement moins convaincant que le premier. Cette galerie de « tableaux célèbres », forcément aussi brève qu’arbitraire dans ses choix, et dont seuls les plus anciens sont situés dans le temps, ne relève assurément pas la gageure d’apprendre « tout », ou du moins quelque chose d’essentiel aux jeunes lecteurs sur les œuvres considérées. Elle tombe sous le coup, en tant que telle, des critiques percutantes formulées il y a longtemps déjà par Hannah Arendt à l’encontre du « philistinisme cultivé », attitude par laquelle la bourgeoisie s’approprie l’action artistique en la circonscrivant dans un discours technique et descriptif apte à en désamorcer la dimension de ferment social et existentiel.