Paris. Petit Pop up panoramique

Paris. Petit Pop up panoramique
Sarah McMenemy
Casterman, 2012

Voir Paris…

par Anne-Marie Mercier

Traduction d’un ouvrage édité en anglais par Walker Books, imprimé en Chine, ce petit pop up offre une vision hyper touristique de Paris, la ville étant conçue comme une collection de monuments « à voir », disséminés dans un espace inexistant ou du moins très théorique : les vélos, vespas et piétons peuplent les rues davantage que les rares voitures, lesquelles ont des allures d’années 50 acidulées. C’est donc un Paris mythique d’aquarelle qui se déplie dans ce tout petit format, exceptionnel pour un pop up.

Cela dit, c’est une bonne introduction pour un jeune enfant à qui on montrerait la ville ; certains détails indispensables pour cet âge amateur de précisions seront précieux : la tour Eiffel fait 324 m et accueille 7 millions de visiteurs/an ; le sarcophage de Napoléon est en porphyre rouge ; Toulouse Lautrec et Modigliani ont fréquenté Montmartre, la flamme du soldat inconnu est ravivée chaque soir sous l’Arc de triomphe…

Les trois petits cochons

Les trois petits cochons
Orianne L’allemand, Marianne Dubuc
Casterman, Mon tout premier conte, 2012

Par Caroline Scandale

Eloge du pragmatisme

A l’origine, le conte des trois petits cochons est violent; Le loup dévore les deux premiers cochons insouciants et le troisième plus rusé le mange à son tour… Bettelheim, dans Psychanalyse des contes de fées, interprète cette histoire comme une façon de prévenir les enfants des dangers du principe de plaisir. À celui-ci il oppose le principe de réalité, représenté par une maison solide, pour lutter contre les   aléas de la vie, personnifiés par le méchant loup.

Cet album Casterman, collection Mon tout premier conte, en propose bien évidemment une version édulcorée, à la sauce Walt Disney, puisqu’ici point de petits cochons tués… En revanche il s’en démarque sur la fin, en suggérant que le couvercle de la marmite se referme sur loup, lui laissant donc peu de chance de survie.

Le petit plus de ce livre cartonné réside dans la scène finale de la cheminée proposée sur une page double qui s’ouvre vers le bas. Ce procédé permet un panorama vertical de la chute du loup dans le conduit d’où s’échappe la fumée, ce qui retient l’attention des enfants et les amuse beaucoup.

De quelle couleur est le vent ?

De quelle couleur est le vent ?
Anne Herbauts
Casterman, 2011

 aux aveugles

par Anne-Marie Mercier

A cette question posée par un enfant aveugle, « De quelle couleur est le vent ? », Anne Herbauts répond en couleurs, en touchers et en poésie ; l’enfant de l’album part en quête d’une réponse et interroge un vieux chien, la montagne, le village, une fenêtre, une pomme… chacun réponde à partir de son point de vue : couleur du temps, du soleil, sève et grenadine… (on pense au dispositif de la grande question de Wolf Erbruch)

Les illustrations très colorées mêlent les techniques (papiers et tissus découpés, dessin, peinture… ) et offrent de discrets effets tactiles, du rugueux au lisse, vernis et embossages proposent tout un parcours de sensation.

Anne Herbauts a recueilli pour ce livre les conseils des Doigts qui rêvent (maison d’édition spécialisée dans les albums tactiles pour enfants mal voyants) et a bénéficié d’une bourse de l’association « les Enfants de Sylvie ».

Le Coffre enchanté

Le Coffre enchanté
Jean-François Chabas, David Sala
Casterman, 2011

Fable désenchantée

par Anne-Marie Mercier

« Ce que nous croyons posséder ne compte-t-il pas autant à nos yeux que ce que nous possédons vraiment ? »

Cette conclusion à la fable proposée ici est fort bien illustrée par le texte de Jean-François Chabas dans un récit très classique, sous forme de randonnée avec de belles variations subtiles, un peu d’humour et de cruauté. Les illustrations de David Sala (inspirées de Klimt)  mêlent les techniques et les couleurs de façon somptueuse.

Enfin, tout cela est bien « habillé », comme le coffre de l’histoire, avec une couverture évidée en forme de fenêtre à ogive et une tranche dorée. Cet habillage n’est pas là pour masquer du vide, mais donne une belle allure à la morale finale. Celle-ci est cependant peut-être trop cynique pour être comprise et acceptée par de jeunes enfants.

L’Ours de la bibliothèque

L’Ours de la bibliothèque
Katie Cleminson
Traduit (anglais) par Remi Stefani
Casterman, 2011

Tous les ours s’appellent Otto

Par Yann Leblanc

Otto est non pas un ours en peluche, comme dans l’album de Tomi Ungerer, mais le personnage d’un livre illustré. Cela ne l’empêche pas de connaître un destin similaire : perdu, il erre dans la ville, sans amis et sans lieu où se réfugier, lorsqu’il arrive à la bibliothèque de la ville (superbe bâtiment néo-classique à l’américaine) et trouve d’autres amis sortis des livres.

On retrouve ici le thème devenu assez classique des héros sortis des fictions (voir Les Aventures du livre de géographie). L’histoire est sobre et bellement illustrée à l’aquarelle.

Castro

Castro
Reinhard Kleist

Traduit de l’allemand par Paul Derouet
Casterman, 2012

« Celui qui se consacre à la révolution laboure la mer » (Simon Bolivar)

Par Dominique Perrin

 « S’il est, dans l’histoire contemporaine, un personnage dont la vie exige, au-delà du livre et du film documentaire, d’être racontée sous forme d’une histoire en images, c’est bien Fidel Castro. Une vie tirée d’un roman d’aventures latino-américain, à cette nuance près qu’elle n’est pas fictive, mais vraie. […] Le guide de la révolution cubaine fut et reste un des acteurs les plus intéressants et les plus controversés de l’histoire récente […]. » C’est ainsi que le biographe allemand Volker Skierka (Fidel Castro. Eine Biographie, 2001) ouvre sa préface au manga créé à partir de ses travaux par Reinhard Kleist, traduit en France par Casterman dans la prestigieuse collection « écritures » aux côtés d’œuvres aussi différentes que celles de Taniguchi ou de Kim Dong-Hwa.
Féru ou non d’histoire politique, le lecteur se voit emporté (sa surprise peut en être grande) dans une épopée collective des plus tumultueuses. Le médiateur de ce voyage est un personnage inventé, Karl Mertens, journaliste allemand parti à Cuba en 1958 avec le désir de « suivre » – au sens de couvrir mais aussi de soutenir – le mouvement d’émancipation cubain. Ce personnage fictif, marqué par le passé proche de son propre pays, fasciné par la révolution cubaine et par son leader, fait au lecteur le double récit du parcours de Castro et du sien, résolument solidaire du premier.
La magie de ce récit tient au caractère objectivement passionnant de la vie politique cubaine durant la seconde moitié du 20e siècle – la révolution castriste ayant fait face, on le sait, à dix présidents états-uniens successifs ; si Castro apparaît comme l’homme de discours qu’il a effectivement été, ce sont ici les actions et les faits – paroles comprises – qui font la trame du récit, et sont ainsi rendus accessibles aux amateurs de littérature graphique. L’autre grande force de l’œuvre réside dans son point de vue. Le journaliste Karl Mertens, représentant potentiel de l’européen de bonne volonté et de ses difficultés de positionnement, est ici le vecteur d’une mine d’informations de type factuel, mais aussi un sujet doué d’angles morts, non exempt de romantisme politique. Il n’apparaît cependant jamais – pas plus que Castro lui-même – comme justiciable d’un jugement facile et moins encore définitif, assumant jusqu’au bout à ses propres dépens sa fidélité à la révolution comme ascèse individuelle et collective.
« Pourquoi précisément Cuba ? », s’auto-interroge Reinhard Kleist au terme de l’ouvrage, évoquant son entreprise graphique et son premier voyage sur l’île en 2008 ; à cette question à la fois importante et subsidiaire, il répond successivement par les mots, et par une ultime série de dessins issus, sans médiation fictionnelle ni même narrative, de son carnet de voyage.

 

Furari

Furari
Jiro Taniguchi

Casterman, 2012
traduit du japonais par Corinne Quentin

« Pleinement debout marcher droit
comme l’herbe courir 
»

Par Dominique Perrin

Et même si c’est très modestement…
…Je continue à chercher ma propre expression.
Comme un combattant avance en rampant sur le champ de bataille,
Je continuerai à dire mes poèmes.

« Déjà un siècle qu’il a disparu » : sans doute se trouvera-t-il au 22e siècle prochain des amateurs de poésie visuelle pour commémorer l’œuvre de Jiro Taniguchi avec une piété semblable à celle des personnages de Furari évoquant Bashô, maître du haï-ku du 17e siècle. Transcripteur et transfigurateur du Japon contemporain, le mangaka à l’esthétique familière à l’Occident offre ici le fruit de trois nouvelles années de travail consacrées à faire revivre Edo – autrement dit l’ancien Tokyo –, et un personnage historique de la fin de la période isolationniste du Japon – dite « ère Edo », de l’aube du 17e siècle à 1868 environ.

Le résultat se situe à la même hauteur que, notamment, L’homme qui marche (trad. 1995) ou L’Orme du Caucase (trad. 2004) ; au merveilleux du voyage dans l’espace des cultures et des regards s’ajoute ici comme dans Au temps de Botchan (trad. 2002-2006) celui du voyage dans le temps. L’ancien Tokyo vit ici d’une vie autonome, d’une intensité et pourtant aussi d’un calme inouïs, doublement sublimée sans doute – et par le regard du personnage principal, et par celui de son auteur -, et pourtant réaliste, minutieusement documentée et mise en scène. C’est en effet le personnage historique étonnant de Tadataka Ino, arpenteur invétéré de la région d’Edo, que l’œuvre ressuscite avec une acuité saisissante – que le lecteur occidental relie au dynamisme éclatant du titre : Furari, « au gré du vent ». Vigueur historiquement probable du premier cartographe moderne du Japon consacrant sa jeune retraite à relier le décompte incessant de ses pas à l’observation des étoiles – vigueur artistique de Taniguchi, peintre de l’impassibilité sensible, historien du quotidien et poète complet : la révélation de cette superposition réside dans l’harmonie, peu fréquente dans l’Occident contemporain, du chiffre et de la vision, dans une œuvre qui exauce le désir, cher à l’humanité, de voir aussi bien la Terre d’en haut, d’en bas.

Up! Lapin, poussin & cie

Up! Lapin, poussin & cie
Godeleine de Rosamel

Casterman, 2011

Je fais mes jeux

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve ici l’idée des livres d’activité du Père Castor: l’enfant n’est pas lecteur mais acteur, il n’est pas consommateur mais fabrique ses propres jeux.

Ici, dix animaux prédécoupés à colorier sont proposés pour plusieurs utilisations possibles : cartes, marque-places, étiquettes cadeaux, mobiles, marionnettes… Le cadre de chaque animal pouvant servir de pochoir pour en réaliser d’autres identiques, cela peut durer indéfiniment : voila du divertissement « durable » (à tous les sens du terme)  en action.

Qui a piqué les contrôles de Français ?

Qui a piqué les contrôles de Français ?
Nicolas de Hirsching, Fanny Joly

Casterman, 2011

Délire pédagogique

Par Anne-Marie Mercier

 Cet album propose la réédition d’un titre publié en 2000 et épuisé depuis. Un dossier retrouvé dans une poubelle est apporté au commissariat de police; il contient des rédactions corrigées à l’encre rouge et notées. Le sujet de ces devoirs est « vous passez un après-midi avec votre grand-mère, racontez »…

Les devoirs des élèves sont d’une très grande variété et de longueur variable, de trois pages à deux lignes (« moi je ne passe pas de mercredi avec ma grand-mère, elle est morte »). Même dans ce cas, le professeur est très en verve et a réponse à tout, que ce soit sur la forme ou sur le fond. On rit beaucoup en lisant les devoirs des enfants : trouvailles de langage, dialogues savoureux, situations extravagantes ou, à l’inverse, platitude scolaire consternante (obtenant de fort bonnes notes). Pour en lire des extraits, voir la chronique de Catherine Gentile sur ricochet (http://www.ricochet-jeunes.org/livres/livre/44217-qui-a-pique-les-controles-de-francais). Mais ce sont les remarques dans les marges et en fin de devoir qui sont les plus cocasses. L’institutrice n’est pas en peine de discours moraux (« c’est pas beau de rapporter », « n’as-tu pas une notion de l’amour trop intéressé ? » « Il n’est pas bien de se moquer des infirmités des vieux », « tu pourrais parler à ta grand-mère sur un autre ton ! », « Et tu trouves ça drôle ! » « Je suis atterré par ton manque de morale et de conscience »).

Elle prononce des jugements sur les familles (« une grand-mère inexistante, une mère souvent absente, un père exhibitionniste et violent, je comprends maintenant pourquoi tu écoutes si peu en classe ! ») ou au contraire félicite parents et enfants (« Continue, charmante enfant » « Ah Ah Ah, je me régale ! »), Elle donne son point de vue (« Quel fumiste, ce Picasso ! »), se fâche lorsqu’on parle d’elle ou lorsqu’elle croit qu’on parle d’elle, se raconte un peu (son enfance, ses relations avec son petit-fils…).

Enfin on a un exercice de réécriture savoureux lorsque l’institutrice recopie en bon langage un torchon écrit par un enfant afin de pouvoir lui mettre une très bonne note (la grand-mère de cet enfant est une institutrice à la retraite).

Dans cette nouvelle édition chaque copie est imprimée en caractères imitant une écriture manuscrite correspondant à la personnalité de chaque élève, l’ensemble est relié sous la forme d’un dossier à élastique un peu fatigué, les pages sont en papier quadrillé séyès, enfin c’est un bel emballage pour un ouvrage très drôle et néanmoins utile pour réfléchir sur le genre de la rédaction scolaire. La caricature n’est-elle pas un reflet déformé et exagéré du réel ? Ici, c’est un « réel » très daté, mais qui peut alerter sur les dangers d’un retour possible et les dérives possibles du métier de professeur… et d’élève, sans parler de celui de grand parent.

Henderson’s Boys, t. 4: Opération U-Boot

Henderson’s Boys, t. 4: Opération U-Boot
Robert Muchamore
Casterman, 2011

Plouf !

par Anne-Marie Mercier

Cette série raconte les aventures du fondateur de Cherub, l’école de jeunes espions qui a donné son nom à une série hélas désormais «culte».

Le cadre est celui de la deuxième guerre mondiale, dans la France occupée. Les jeunes gens sont très héroïques, l’ennemi très méchant. La possibilité d’être torturé est une obsession qui rappelle le goût des romans d’espionnage les plus douteux pour les scènes de ce genre. Seule originalité, le héros adulte est peu recommandable sur le plan moral, se saoulant et cherchant à séduire une de ses très jeunes coéquipières le jour même de la naissance de son premier enfant. Certes, Les adultes sont rarement des modèles en littérature pour adolescents, mais ici le problème est que ce personnage est Le modèle.

Ajoutons que les dialogues sont affligeants et que ce roman manque parfois de rythme et souvent d’intérêt.