Les Fleurs parlent

Les Fleurs parlent
Jean-François Chabas, Joanna Concejo
Casterman, 2013

Le langage des fleurs ou Ovide revisité

Par Anne-Marie Mercier

lesfleursparlentPas de métamorphose dans ces trois récits de Jean-François Chabas, mais une rêverie sur la signification qu’on attribue aux fleurs, sur ce qu’elles évoquent. Les commentaires d’un ouvrage sur le langage des fleurs (de G. X. Geissmann, paru en 1899) sur la tulipe, l’œillet blanc et la pivoine sont autant de départs d’histoire. La valeur de la tulipe nous transporte aux Pays bas où un vieil inventeur d’une variété rare découvre la cupidité de ses semblables et la dureté du monde. L’œillet blanc est l’histoire d’une amitié entre deux enfants d’une tribu indienne d’Amérique que tout oppose, jusqu’à leur rencontre avec un grizzli. La pivoine orgueilleuse est l’image d’une très belle enfant, puis jeune fille puis femme, Narcisse au féminin si folle d’elle-même qu’elle se perd.

Le texte est complexe, la vision du monde désenchantée et sombre ; l’ouvrage ne s’adresse pas aux enfants mais à des lecteurs confirmés prêts à méditer sur les questions de signification, sur les apparences et leurs pièges. Les illustrations de Joanna Concejo, délicates, montrent à travers ces correspondances la fragilité des belles choses.

Cherub encore (8 1/2)

Cherub, vol. 81/2 : Soleil Noir
Robert Muchamore

Traduit (anglais) par Antoine Pinchot
Casterman, 2012

Personnages mécaniques pour lectures univoques

Par Matthieu Freyheit

CherubSoleil NoirDans un billet publié le 22 février 2012 sur ce même site, Anne-Marie Mercier s’interrogeait sur le succès de cette série « enfin » publiée chez Casterman. À mon tour aujourd’hui de demander sobrement : pourquoi ? Des raisons, il y en a sans doute à foison, mais peu que nous ayons envie de prendre en compte, peu dont nous voudrions bien nous satisfaire, quitte peut-être à passer pour de vieux réactionnaires…

Cherub, pour les non initiés, désigne un département particulier des services de renseignements britanniques. Particuliers parce qu’il regroupe des agents mineurs (de 10 à 17ans) choisis dans les orphelinats du pays et soumis à un entraînement intensif. Les jeunes agents sont sensés intervenir lors de missions au cours desquelles des agents adultes ne pourraient passer inaperçu. Cet univers, qui caresse dans le sens du poil la part la moins riche de la culture des jeux vidéo, tente de se rendre fascinant – dans son absence de complexité – aux yeux de lecteurs et lectrices auxquel(le)s on n’explique pas que les enfants-soldats, ça existe, au sein d’une réalité nettement moins reluisante.

Bref, si le succès de cette série revient à révéler les désirs adolescents de violence, de guerre, de journées passées à l’apprentissage d’une multitude d’armes et de techniques de combat (c’est tellement plus fun que l’école…), alors oui : inquiétons-nous. Car Cherub, dans ce volume en tout cas, ne pose aucune question, n’autorise aucun autre degré de lecture, et ne sert finalement que son propre système : l’univocité. Le mauvais goût commun aurait-il lui aussi son idéologie ? En découlent des personnages mécaniques, surentraînés et inintéressants. Greg et Andy, dans cette mission 81/2, sont mis sur la piste d’une organisation criminelle appelée Soleil Noir. Objectif : se faire inviter chez un copain de classe de Greg (pour l’occasion infiltré dans un établissement classique) afin de pouvoir enquêter sur le père de celui-ci. Entre alcool, jeux vidéo et arts martiaux, l’auteur propose des personnages physiquement précoces mais intellectuellement et surtout émotionnellement retardés. Rien, on ne ressent rien. « Bien joué ! », s’amuse finalement l’un d’entre eux lorsque la nouvelle bibliothèque du campus de Cherub, à l’instant de son inauguration, est partiellement détériorée par de jeunes agents en mal d’action.

Pour les fans, tout de même, le site internet très complet comporte des interviews de l’auteur (« Ten minute guide to become a literary genius »…), un lexique spécifique à l’univers de Cherub, un descriptif des personnages, des cartes, des bonus, et autres goodies.

Par ailleurs, la série des Cherub se prête fort bien à la multiplication de fanfictions, i.e. écrits de fans qui visent à compléter une œuvre et ses personnages, en leur ajoutant des épisodes, des annexes. Une bonne manière, pour le coup, de réinvestir la série avec peut-être plus de sensibilité que l’auteur lui-même, et de prêter à l’ensemble un peu de cette humanité et de cette complexité qui lui font gravement défaut.

 

Lune Mauve. Tome 1 : la disparue

Lune Mauve. Tome 1 : la disparue
Marilou Aznar

Casterman, 2013

La lune, comme un point sur un i

Par Matthieu Freyheit

lunemauve Avis aux éditeurs : c’est vrai. C’est vrai que l’auteure, Marilou Aznar, cède à certains tics d’écriture. Que les regards sont trop souvent « insondables », que le froid est « mordant » et les silences « religieux ». C’est vrai aussi que Séléné (quoi ? vous avez trouvé un lien avec le titre ?), héroïne du roman, est une adolescente « élue » de plus, sur laquelle un destin plus grand qu’elle s’abat. Et que tout cela n’a rien, A PRIORI, de très original. Pour autant, fallait-il affubler ce premier roman de l’auteure d’une couverture à faire fuir tout lecteur sain d’esprit ?

Lectrices, lecteurs, jouez-la Cercle des poètes disparus et n’hésitez pas à arracher cette couverture qui ne fait honneur ni au bon goût ni au talent de l’auteure. Une couverture qui semble aussi faire la démonstration que l’histoire d’une jeune fille ne pourrait intéresser que…des jeunes filles, de violet vêtues comme il se doit. Cela fait, plongez-vous dans ce roman non seulement efficace mais plutôt intelligent, sensible et bien écrit (la plupart du temps). Un roman qui échappe avec finesse à certains stéréotypes et qui à ce titre ne mérite pas d’y être ramené.

Séléné quitte la Bretagne pour entrer en seconde au prestigieux lycée parisien Darcourt. L’intégration n’est pas facile pour cette adolescente  plutôt introvertie qui sera peu à peu mise sur les traces de sa mère disparue. Histoires de cœur, civilisations perdues, conflits adolescents, peines et trahisons, tout y est, mais sans fausse note. Marilou Aznar a le talent de la subtilité, du bon dosage. On est ému parce qu’elle n’en fait pas trop. On y croit parce qu’elle ne pousse pas le vice. On rit parce qu’elle entretient un recul intelligent avec sa propre écriture et avec le genre qu’elle choisit d’explorer. Et si l’on forçait un peu le trait, il semblerait que son héroïne a un petit quelque chose de l’Elizabeth de Pride and Prejudice : une main de, une main de sarcasme, un souffle de, un souffle d’ironie, et un soupçon de second degré (oui, j’assume la référence ciné-musico-gastronomique). De quoi distinguer déjà cette série d’autres succès moins mérités du moment. Ajoutez que Marilou Aznar propose une vision « normale » du milieu scolaire : pas (ou peu) de clichés, rien d’insupportablement bien pensant, aucune idée reçue – ou seulement pour en découvrir la vacuité. Et, enfin, last but not least, un personnage de père professeur d’université complètement réussi, parfois exagéré pour mieux émouvoir, cocasse et très attachant. Bref, exit les vampires insipides, les loups-garous qui ne connaissent pas le t-shirt et toutes les créatures qui peuplent nos librairies de la jeunesse : les Sumériens ont davantage à nous/leur apprendre. Il reste à espérer que le tome 2 ne démente pas l’intelligence et le talent d’une auteure forte avant tout d’un sens aigu de l’équilibre, et de la justesse.

Thermae Romae

Thermae Romae
Mari Yamazaki
Casterman, 2012

 Plouf !

Par Anne-Marie Mercier

ThermaeromaeOn pouvait espérer beaucoup de ce livre, un Grand prix du manga 2010, une vision de la Rome antique sous une forme qui pouvait la rendre intéressante à de jeunes lecteurs. On aurait dû se méfier en lisant l’argumentaire : « et si le Japon moderne avait influencé la Rome antique ? ». Le résultat est petit.

Un architecte romain, Lucius, en tombant à plusieurs reprises dans l’eau, émerge dans des bains du Japon du XXe siècle. Il en ressort avec de « grandes » idées pour améliorer les thermes romains (idées minimes qui relèvent davantage du gadget ou de la déco plutôt que de l’architecture). La qualité dominante est l’humour : Lucius ne comprend jamais rien à ce qui lui arrive, est nationaliste… comme un japonais, et ses apparitions provoquent des émotions cocasses. A part cela, il est inutile de chercher l’âme romaine : ce sont plutôt des japonais déguisés, et l’unique obsession des bains prêtée à ces personnages finira sans doute par lasser le lecteur français comme il m’a lassée.

Féroce

Féroce
Jean-François Chabas, David Sala
Casterman (Les albums Casterman), 2012

Qui sommes-nous donc ?

Par Frédérique Mattès

feroceFenris était un loup, un loup aux yeux rouges, un loup terrifiant. Il  s’était construit dans le regard qu’on lui renvoyait. Il était fidèle à son image : un loup féroce qui suscitait l’effroi, semait la terreur. Même les siens l’avaient banni tant il était cruel. Sa solitude renforça sa cruauté et construisit sa légende, il était celui qui faisait fuir jusqu’aux ours, celui qui faisait s’écarter les basses branches des arbres, celui dont on évitait même de parler. Une petite fille partie cueillir des fleurs croisa son chemin par une  printanière journée ensoleillée. Sûr de son effet, il émit en préambule un grognement sinistre, lui offrit un sourire affreux. Mais contrairement à toutes ses certitudes, la petite fille n’eut pas le moindre sursaut de crainte. Elle osa même se moquer de lui tant il était interloqué. Ainsi naquit…. une belle histoire entre le loup  et la jeune fille.

Un superbe texte de Jean François Chabas qui au-delà de ce beau récit accessible dès 5 ans, interroge sur la construction de soi, les certitudes, la force du regard neuf porté sur les choses et les êtres, le pouvoir de changement… Petits et plus grands pourront à loisir se projeter dans les blancs du texte.

C’est également un très bel objet, le texte, imprimé à droite sur une page blanche ou parsemée de délicates surimpressions ton sur ton, fait contraste avec les illustrations flamboyantes qui s’exposent  en pleine page. Les gros plans, les cadrages audacieux et les images qui se déplient renforcent également puissamment le pouvoir des mots … L’illustration de David Sala nous rappelle avec bonheur l’univers de Klimt.

A relire des mêmes auteurs : La colère de Banshee

Louisette la taupe, mouton circus,

Louisette la taupe, mouton circus,
Bruno Heitz

Casterman, 2007

Le succès d’un mouton

Par Clémentine Marques master MESFC Saint-Etienne

mouton circusEncore une nouvelle bande dessinée de Bruno Heitz où Louisette la taupe emmène le lecteur dans une aventure qui n’est pas de tout repos, pleine de rebondissements et d’anecdotes. En effet Louisette partant profiter de l’air pur de la montagne pour soigner son rhume, se retrouve à travailler dans un cirque allant de village en village, accrochée sous la toison d’un bélier. Sa connaissance des grands classiques tels que les contes de Charles Perrault et les fables de La Fontaine va lui jouer des tours.

Cette bande dessinée très colorée, avec une grande simplicité des dessins, met en avant des références littéraires pointues telles que les contes de Grimm. Ces références seront appréciées par les connaisseurs, tandis que les autres auront envie d’en savoir plus. Cette histoire à l’humour décalé d’une taupe connaissant toutes ces grandes histoires, connait une fin moralisatrice à la manière des Fables de Jean de La Fontaine.

Theferless

Theferless
Anne Herbauts
Casterman, 2012

Pure beauté

Par Christine Moulin

theferless« Bonne journée qui commença mélancoliquement
Noire sous les arbres verts
Mais qui soudain trempée d’aurore
M’entra dans le cœur par surprise ».

Ces quelques vers issus du poème « A Pablo Picasso » (Les yeux fertiles), de Paul Eluard, pourraient en quelque sorte dessiner le parcours proposé par le splendide album d’Anne Herbauts. Tout commence dans la sombre forêt des contes, dans une maison « étroite et carrée », à la fenêtre faite de « peau de chagrin », installée dans le ventre d’un 8, qui finira par libérer l’infini qui est en lui.

Les personnages, sans nom, représentent plus qu’eux-mêmes : la Très Vieille, le Père, l’Enfant, la Mère-Giron, la Mort, le chat Moby Dick. Ne nous y trompons pas : ce n’est pas une histoire qui nous est racontée là. C’est l’histoire au cœur de toutes les histoires, c’est l’origine de tous et de chacun. C’est à l’échelle du mythe qu’il nous faut nous hausser, comme nous l’indiquent les nombreuses litanies, les merveilleuses listes qui scandent le récit. La première page ressemble à un prologue. Tout est en place, chacun tient son rôle, celui qui lui a été assigné de toute éternité: « La Mère tricote et brode. La Vieille s’en va lentement. La Mort rigole et joue aux dominos ».

Ce qui met en branle le cours du Temps, c’est une hirondelle, non pas celle qui fait le printemps mais au contraire, celle que le chat a attrapée, un jour d’automne, celle qui repartira, une fois soignée, car elle doit « retrouver le bleu » et tracer « l’espace, les saisons, le temps, le lointain, l’ailleurs » . Et l’on comprend alors pourquoi il est si important d’avoir, une fois dans sa vie, tenté, avec sa mère, de sauver un oiseau.

Toutes les phrases du texte sont ciselées et en même temps, si simples. De la simplicité des grandes évidences (« La chaise vide remplissait par son attente la moitié de la pièce », « La Mort racontait comment le jour était, de tout son long, un beau jeune homme », « Ils ont un ciel entier à travers la gorge, le cœur »,…) Chaque illustration est à sa manière un tableau, sans pour autant perdre de sa force narrative et symbolique, dans le chemin qui mène de l’ombre à la lumière. Un absolu chef d’œuvre qui éclaire la vie et donnerait presque un sens à la mort.

Je fabrique mes livres

Je fabrique mes livres
N. Palmaerts, M. Paruit
Casterman, 2012

Par Caroline Scandale

On n’arrête plus le progrès…

Je fabrique mes livresA l’heure où les enfants manient les tablettes numériques mieux que certains adultes, prient leurs parents de regarder Tchoupi sur le Ipad et lisent leurs revues en mode 2.0, ce documentaire leur rappelle de façon ludique que les livres sont avant tout des objets en papier dont la valeur réside dans le soin, l’attention et le temps passé à les rédiger et à les fabriquer.

Je fabrique mes livres foisonne d’idées de livres à créer et d’astuces pour les réaliser. Il propose des tutoriels et des croquis explicatifs pour chaque type de livre (le livre de ma semaine, le livre d’une couleur, le livre « j’aime », le livre des collages, le livre à histoire, le livre pop up…). Cerise sur le gâteau, il débute par un cours synthétique sur l’objet-livre, présente ses différentes parties, en dresse une typologie rapide, et explique très simplement comment relier les pages d’un ouvrage à partir du pliage de papiers de formats A2, A3 et A4.

Son autre point positif est la simplicité du matériel nécessaire à la réalisation des livres: des feuilles, de la colle, des ciseaux, une grosse aiguille à coudre, du fil, une photocopieuse et le tour est joué!

Un livre intelligent et stimulant à conseiller aux petits et aux grands, adeptes des loisirs créatifs.

 

100 jours en enfer

100 jours en enfer
Robert Muchamore, John Aggs, Ian Edginton
Casterman, 2012

Manga douteux

Par Anne-Marie Mercier

On a dit il y a quelques temps tout le mal que l’on pensait de l’idéologie portée par la série romanesque Cherub qui a commencé avec ce volume. On sait qu’elle compte environ 3 millions de lecteurs, 2 600 fans face book… Ces nombres vont sans doute augmenter avec la version BD.

L’esthétique proche des mangas malgré sa colorisation est bien adaptée au récit, le scénario est efficace, pour un peu on aimerait… Curieux comme les idées se « voient » moins en images…

Grosse peur!

Grosse peur!
Nathalie Dieterle, Patricia Berreby

Casterman, Drôles de têtes, 2012

Par Caroline Scandale

Le mouvement en trois dimensions

 

Dans cet album pop-up se cachent tous les standards de la peur enfantine, du monstre vert à la méchante sorcière en passant par Dracula. Plus qu’un simple livre qui s’anime en trois dimensions, cet objet littéraire est interactif et ludique. Grâce à des poignées découpées dans l’album et des trous à l’emplacement des yeux, l’enfant peut porter le livre devant son visage et devenir le personnage, caché derrière son masque… Chaque double page s’ouvre sur un monstre rigolo dont la bouche s’anime verticalement ou horizontalement, provocant ainsi un mouvement qu’il est plaisant de répéter en ouvrant et refermant plus ou moins l’album… Effet de mouvement 3D garanti!