La catcheuse et le danseur
Estelle Spagnol
Talents hauts, 2010
On a compris
par Christine Moulin
C’est le problème avec beaucoup de livres des éditions Talents Hauts : à force de vouloir prendre le contrepied des stéréotypes de genre, ils finissent par tous raconter la même chose. L’ouvrage qui nous occupe ne déroge pas à la règle : c’est l’histoire d’une petite fille qui veut devenir catcheuse (et fleuriste, il est vrai, mais on oublie très vite cette concession aux goûts supposés féminins) et d’un petit garçon qui veut devenir danseur (Billy Elliot est loin, malgré tout…). Ils sont, bien sûr, en butte aux moqueries de leurs petits camarades et ils sont réhabilités grâce à l’intervention d’une grand-mère qui à un beau mariage avec un médecin a préféré la vie d’aventurière. On la voit au Pôle Nord et dans la jungle, juchée sur un éléphant : voilà un destin que même les hommes n’accomplissent que rarement, n’est-ce pas ?
Et voilà : la démonstration est finie, même si l’album se clôt sur un joyeux spectacle où chacun peut se transformer en ce qui lui plaît. La quatrième de couverture proclame : « Des livres pour les filles ET pour les garçons ». Des livres, oui, mais de la littérature ?
La chauve-souris sur la couverture a l’air très mignonne et gentille. Et elle l’est, vous verrez pourquoi. Mais passée la page de garde (où l’on trouvera la dédicace qui a donné son titre à cette chronique), le cauchemar commence. Les illustrations se répandent, fascinantes et obsédantes et le texte distille son fiel.
Les auteurs nous offrent une très jolie variation sur les albums et poèmes répétitifs fondés sur l’enchâssement, à l’image du célèbre poème d’Eluard, « Dans Paris ». La couverture, découpée, ouvre une fenêtre en forme de cœur sur l’image d’une maison, fil directeur de cette comptine. Comptine ? Non, pas vraiment, et on se prend à le regretter car le nombre des habitants aurait pu augmenter ou diminuer au fil de l’album. Mais peut-être cela aurait-il été trop évident, trop « instructif ». Seuls les couleurs sont au rendez-vous et les animaux et peuvent donc, avec les tout-petits, faire l’objet de découvertes. Et ce qui est vraiment très amusant, c’est de repérer les différents procédés utilisés dans l’illustration pour insérer les maisons les unes dans les autres. La chute de cette « nursery rhyme », reste dans la tradition mais la réinterprète subtilement, en usant de la magie des répétitions. Cet ouvrage est la preuve que le petit bruit discret d’un cœur qui bat peut grandement réjouir les lecteurs.
Au début il y a une planète, Aïeaïeaïe. Comme elle s’est livrée sans frein aux excès de la consommation, elle est très vite menacée par un méchant nuage qui lui enlève ses couleurs. Ses dirigeants vont voir ceux de la planète Oulàlà, leur voisine. Mais celle-ci n’est pas « aideuse », c’est là son moindre défaut.
Le procédé narratif, sans être original (on songe au superbe Je t’écris, j’écris d’Eva Caban), est intéressant : une petite fille écrit dans son journal intime des lettres à son grand-père décédé. Il y a des moments émouvants : celui où elle manque de garder pour lui le gros bout crémeux de la bûche, celui où elle retrouve le papier où il avait écrit les scores d’un jeu auquel ils avaient joué.
Lily est une vache. Pas bleue. Et c’est là tout son drame car le bleu lui rappelle sa Bretagne natale. Heureusement, un elfe va venir à son secours, s’inspirant vaguement des leçons de Pélagie la sorcière qui passait son temps à perdre son chat noir dans sa maison noire.
Idée originale : ce sont les mois de l’année les héros de cet album. Personnifiés, ils font des niches au narrateur, en lui cachant ses jouets que le jeune lecteur doit s’amuser à retrouver dans l’illustration. Ce qui n’est pas si facile : les détails sont nombreux et les jouets n’apparaissent jamais en entier. D’ailleurs, je cherche encore le « vieux ouistiti »… Il semblerait que la couleur du mot indiquant le mois soit un indice : par exemple, « mai » est écrit en bleu et on peut découvrir l’avion dans un cadre bleu ; « juillet » est en rouge et le ballon est sous un tiroir rouge. Bon, d’accord, si ma théorie est juste, l’ouistiti devrait se trouver sur le couvre-lit rose puisque « avril » est écrit en rose. Mais bernique… pas d’ouistiti ! A cela s’ajoutent des clins d’œil, telle l’affiche (à la page de l’ouistiti, justement) qui annonce une exposition de l’illustratrice ! Le texte, lui, est fondé sur des assonances qui font songer à une comptine anglaise. On retrouve un peu le plaisir des imagiers : reconnaître dans les images très réalistes des fragments de vie quotidienne. Finalement, voilà un album qui sait se faire apprécier au fil des (re)lectures.
Pas plus de dragon dans cet album que de cantatrice, chauve ou non, dans la pièce d’Ionesco. Quoique : le dernier poème explique en quelque sortte le titre, sous le signe de l’absence, il est vrai, mais une absence qui donne sa chance à l’imaginaire : « Dans la forme/ Des nuages/ Je n’ai pas vu/ Des dragons fumants […]/ Tout ça/ Je l’ai vu dans ma tête/ Juste en fermant les yeux ».