Mon Grand-Père

Mon Grand-Père
Anthony Browne
Kaléidoscope, 2024

Un amour de toutes les couleurs

Par Anne-Marie Mercier

Anthony Browne complète sa galerie de portraits de famille. Après les fameux Mon Papa, Ma Maman, Mon frère, Notre fille… voici le grand-père, ou plutôt les grands-pères. En effet, chaque double page propose un type de grand-père : jeune ou vieux, gros ou maigre, sportif ou contemplatif… chacun a un rôle particulier auprès de son petit-fils ou de sa petite fille, représenté/e sur fond blanc en page de gauche (on peut jouer à trouver des ressemblances intergénérationnelles ou vestimentaires).
Sur la page de droite, un portrait très coloré, à fond perdu, avec le style caractéristique de Browne, comportant des motifs, des imprimés étonnants ou des échelles fantaisistes (un très grand chat, un petit grand-père). L’un joue, l’autre lit, un autre écoute… L’un est d’origine africaine, un autre d’origine asiatique, européenne, etc.  La dernière double page célèbre le point le plus important, l’amour qui unit l’homme âgé et l’enfant et affirme une belle confiance : « je sais qu’il m’aimera toujours ».

Monsieur le lapin blanc

Monsieur le lapin blanc
Benjamin Lacombe
Margot, 2024

Lapin vedette

Par Anne-Marie Mercier

Le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles est sans doute le personnage secondaire le plus réutilisé de cette histoire (il y a aussi Madame le lapin blanc, le superbe album de Gilles Bachelet). Et on a vu récemment que les lapins étaient très bien représentés en littérature pour enfants. Benjamin Lacombe le prend au berceau (et même avant, in utero) pour développer sa caractéristique carollienne (il est toujours en retard) et son avenir social (il deviendra la majordome de la terrible reine de cœur).
Dans un grand format presque carré, ses aventures malheureuses se déploient largement, couvrant parfois des doubles pages à fond perdu dans des océans de vert, de bleu, de rouge : en retard en naissant, en retard à l’école… jusqu’au happy end : c’est son retard qui lui donnera son emploi et lui permettra de développer ses talents de fantaisiste.
Une fin qui lui fait rencontrer son alter ego inversé, toujours en avance, arrive de manière inattendue et pas très nécessaire. Ils adoptent ensemble plein de petits lapins sans toit et reconstruisent pour les abriter la maison détruite par Alice. Tout cela est un peu trop sage sans doute pour l’univers d’Alice.

Grands Méchants

Grands Méchants
Marie Desplechin, Elsa Oriol
Kaléidoscope, 2024

Fais-moi peur ! (ou pas)

Par Anne-Marie Mercier

La sorcière de Blanche-Neige et celle de Hansel et Gretel, la belle-sœur de Cendrillon, Dracula, le Capitaine Crochet, le loup du Chaperon rouge… les plus célèbres des méchants du patrimoine littéraire pour la jeunesse ont ici chacun leur double page. Celle de droite les représente à fond perdu dans un beau portrait coloré où les rouges et les bleus dominent ; ils nous regardent avec un air renfrogné ou distant.
Le texte raconte leur histoire et conteste la doxa : ils n’étaient pas si mauvais, non : on a mal compris leurs intentions. On a caricaturé. Et puis, est-ce un crime de vouloir se nourrir (le loup) ? Les humains tuent pour manger eux aussi et Dracula au lieu de cela donne une espèce d’éternité à ses fidèles. Cendrillon a d’emblée refusé de se lier à ses belles-sœurs, Blanche Neige s’est crue persécutée… Le texte, qui donne la parole aux personnages, est souvent drôle, toujours un peu déstabilisant. Malgré ces justifications, il reste ce qu’il faut de méchanceté pour laisser des aspérités aux histoires et certaines images inquiétantes laissent place au frémissement.

Occupé !

Occupé !
Joëlle Écormier, Claire de Gastold
Seuil jeunesse (Le grand bain), 2024

« Je peux pas, j’ai solfège… »

Par Anne-Marie Mercier

La fin du premier trimestre scolaire approche, et avec elle l’échéance de bien des parents qui ont fait promettre à leur enfant de se tenir à l’activité à laquelle ils les ont inscrits au moins jusqu’aux vacances. Ce livre sera-t-il pour eux ou pour leur enfant rebelle?
Lundi, solfège. Le narrateur traverse le parc pour s’y rendre et rencontre les Triplettes, un garçon et deux filles, qui lui proposent de jouer au ballon avec eux, tout simplement. Mais il ne peut pas : il a solfège.
Le lendemain, natation, il fait grève en s’enfermant dans les toilettes (d’où l’autre sens du titre), pareil pour les cours qu’il aime bien. Impossible d’expliquer aux parents ce qui se passe. Mais le médecin qu’on l’envoie consulter lui révèle un passage secret à travers le petit réduit au fond du jardin de sa maison. Il l’emprunte avec son chat et plusieurs voyages lui font retrouver ses amis dans le bois, ne pas les trouver, s’y endormir et rêver… Il découvre un monde magique lié à la nature et vit une vie parallèle faite de petits bonheurs et de grands mystères : le serpent rouge qu’ils ont tracé avec des fleurs existe-t-il, pour avoir les pouvoirs que les Triplettes lui accordent ? Un dessin ou un poème peut-il influer sur la réalité ? La tentation de rester toujours dans ce monde le happe de plus en plus…
La collection « Le grand bain » est une jolie surprise : avec l’idée de faciliter la lecture pour les lecteurs de 8 ans et plus, elle joue sur plusieurs tableaux : de belles images, nombreuses et colorées, une jaquette qui se déplie en affiche, une typographie claire et aérée, et, dit-on dans la présentation, des « récits forts ».
Mon premier essai s’avère très concluant ; c’est un sujet fort que celui de la surcharge d’activités prévues dans l’emploi du temps des enfants, et il est bien traité, sans ton moralisateur, à travers un récit prenant et étrange.

Dark Glory

Dark Glory
Thibault Vermot
Sarbacane, X’, 2024

Conte de Grimm à Hollywood, ou « quand la peur sort des livres »

Par Anne-Marie Mercier

Thibault Vermot avait montré dans un roman précédent (La Route froide) qu’il était très fort pour fabriquer des scènes inquiétantes avec pour décor l’Ouest ou le Nord sauvage. Ici, il en fait à nouveau la démonstration de manière originale. C’est tout d’abord un récit enchâssé dans une histoire a priori banale : en 1949, à Durango, un groupe d’adolescents de douze ans se retrouve tous les dimanches dans leur « cabane ». Il y a le raconteur, Michael, son petit frère de 6 ans Calvin, George, Don, Durham et Suzy, seule fille de la bande. Et puis il y a un volume des contes de Grimm qui semble traîner là par hasard :  George l’a emprunté à la bibliothèque ; on comprendra plus tard que c’est important car ce volume revient à plusieurs reprises. Michael raconte une histoire de chercheurs d’or devenus anthropophages à faire dresser les cheveux sur la tête.
Au chapitre suivant, on est en 1955, Suzy est partie faire des études à Denver, Don a eu un enfant, George est policier et Michael qui rêve de devenir scénariste part pour Hollywood. L’histoire suit son cours et on pense être confortablement installé dans un récit de formation qui au passage nous ferait découvrir les « métiers du cinéma ». Michael devient coursier puis à force de ténacité et de culot devient l’ami d’une actrice, puis scénariste à l’essai. Il y a une scène « explicite » dont Michael ne sait pas s’il l’a rêvée après un quasi coma éthylique – très improbable : on se demande si la présence de scènes de ce type ne fait pas partie maintenant du cahier des charges de la collection, ce qui serait assez drôle : Anastasie [nom de la censure], faut pas énerver les éditeurs !
J’abrège : le scenario est plein de rebondissements, de scènes tragi-comiques, de poursuites et de suspense. L’alternance avec le récit de Michael hanté par l’anthropophagie se poursuit, faisant monter l’inquiétude. Elle est remplacée par des chapitres qui montrent George, enquêtant sur la disparition d’une enfant de huit ans, retrouvant son vélo, sa robe jaune et un livre de contes qu’elle avait emprunté à la bibliothèque, le même volume qu’au premier chapitre. Ceci rappelle à George et aux habitants un cas non élucidé : l’enlèvement d’un enfant, cinq ans plus tôt au même endroit (j’essaie de ne pas trop divulgâcher mais je vais en dire sans doute un peu trop…).
D’autres chapitres mettent en scène le petit garçon qui a échappé au monstre de justesse après des horreurs dont il ne se souvient pas, mais boiteux et avec un doigt en moins. Depuis, il ne dort plus et la figure du monstre mangeur d’enfants plane sur la ville, le temps de 1949 et de l’enfance insouciante est loin, un temps « ou la peur n’était pas encore sortie des livres ». On voit cet enfant qui tente de conjurer sa peur entrer dans la bibliothèque. Il y est attiré par une musique : quelqu’un joue au piano, au sous-sol (il n’y a jamais eu de piano à la bibliothèque lui confirme la bibliothécaire, un peu inquiète) une musique qu’il n’identifiera que plus tard : les Kindertotenlieder (chants pour les enfants morts)…  George enquête avec l’aide de Suzy, Michael, alerté par sa mère affolée est route pour Durango, avec son nouvel ami coursier, tandis qu’un enfant semble bien être en train de se jeter dans la gueule du loup.
Comme un bon feuilletoniste, Thibault Vermot nous laisse au milieu du gué. C’est risqué de sa part : les fils sont si multiples que le lecteur pourrait bien se perdre au deuxième volume après avoir oublié ceux du premier. Mais cette incursion dans le monde du cinéma est drôle et dynamique et son autre versant, l’univers des contes plein de mangeurs d’enfants entrelacé avec le plus noir de la réalité, est particulièrement intéressant. Le rappel des raisons de la fureur d’Alma Mahler au moment où son mari composait cette œuvre, également. Quand George, qui est devenu policier à cause d’une histoire entendue quand il était enfant, retrouve le livre perdu par la fillette, celui-ci s’ouvre par hasard sur le conte de « La Sage Elsie » : « l’histoire ressemblait vraiment à ce qui était en train de se passer. Est-ce que le réel engendre les histoires ? Est-ce que les histoires sont capables d’engendrer une sorte de réel ? » (À suivre !)

6 Phares

6 Phares
Dominique Ehrard, Anne-Florence Lemasson
Les Grandes Personnes, 2024

Grands mats

Par Anne-Marie Mercier

S’il y a un sujet qui méritait d’avoir son pop-up, c’est bien celui des phares. Cordouan, Chassiron, Les Poulains, Ar-Men, Eckmühl et Les pierres noires, sont ici célébrés et déployés. C’est beau, inventif, et bien informé : chaque double page est accompagnée d’un commentaire donnant les caractéristiques du phare, en données chiffrées (dates, localisation, latitude, longitude, hauteur, portée et surtout feux, chaque phare ayant un éclairage et un rythme particulier).
Chaque phare est aussi implanté dans son sol, tantôt fixe et herbeux, tantôt mouvant et écumant, comme celui des Pierres noire et celui d’Ar-Men flanqué à sa base, en relief, d’un petit bateau de papier relié par un fil au sommet du phare. Délicatesse, précision, grandeur, couleurs vives, verts tendres, bleus océan et noirs d’encre, un régal.

 

 

Celle qui reste, L’Été de la reine bleue, Le Roi des sylphes

Celle qui reste
Rachel Corenblit, Régis Lejonc
Nathan (Court toujours), 2024

L’Été de la reine bleue
Estelle Faye
Nathan (Court toujours), 2024

Le Roi des sylphes
David Bry
Nathan (Court toujours), 2023

Une belle collec’

par Anne-Marie Mercier

Je découvre la collection de romans chez Nathan, «Court toujours», au titre intriguant. Oui, c’est court (pour celui-ci, il est écrit qu’il se lit en moins d’une heure et c’est exact). C’est joli, aussi, avec un format original, allongé, un graphisme travaillé, une esthétique inspirée par le style art nouveau de Charles Rennie Mackintosh (1868-1928) dont s’inspirent les belles couvertures de la série Blackwater de Michael McDowell, chez Monsieur Toussaint Louverture. Quant au contenu, la collection rassemble des auteurs bien connus de la littérature pour adolescent allant du réalisme à la SF dystopique (F. Hinckel, C. Roumiguière, C. Ytak, S. Servant, J. Witek, S. Vidal, T. Scotto, M. Causse, F. Colin, etc. On dirait que Nathan a passé commande à presque tout le monde). Les textes sont tous accompagnés d’une version audio accessible avec un QR code et certains sont aussi en version numérique

Celle qui reste est tiré de l’histoire d’Antigone. Celle-ci est la narratrice, et elle est « celle qui reste » et qui fait face. Elle commence à raconter ce qu’elle a entendu et vu depuis le moment où son père, Œdipe s’est aveuglé jusqu’au moment où elle part avec lui dans son errance en acceptant son destin. Le récit est sobre malgré l’horreur des faits. Chaque « acte » est une pierre de plus dans la dévastation d’une famille. Elle raconte comment elle a découvert son père ensanglanté, et comment celui-ci lui a expliqué son geste . Un autre acte la montre découvrant le corps de sa mère, pendue, un autre lui fait voir la brutalité et l’ambition de ses frères qui causeront ainsi indirectement sa propre mort dans un temps hors du récit, un autre l’oppose à Ismène sa sœur qui ne sait que sangloter. Le dernier est un temps de dévoilement de qui elle est, de ce qu’elle veut être. Après avoir été perdue dans la révélation de son origine, née d’un inceste, elle s’affirme dans sa vérité, se révoltant contre les dieux, « ces déments qui pensent que la vie n’est qu’une tragédie ».
La dignité d’Antigone et celle de son récit trouvent un écho parfait dans les beaux dessins de Régis Lejonc qui tracent des décors et des silhouettes en lignes épurées, comme dans les vases grecs peints,  et les rehaussent avec une palette réduite de blanc, noir et rouge.

 

L’été de la reine bleue se déroule dans un futur peu éloigné dans lequel les conditions de vie en Ile-de-France sont devenues difficiles : le niveau de la mer a englouti les zones côtières (et sans doute la Bretagne et les îles britanniques), les plus fortunés vivent à Paris, sous une coupole transparente qui les protège de la pollution, les autres sont relégués en périphérie, et sont très exposés au contraire ; les enfants souffrant de problèmes pulmonaires sont soit sont soit équipés d’implants, que l’on commence à expérimenter avec des succès variables, soit envoyés en centre de cure à la campagne. C’est ce qui arrive à la narratrice, désespérée d’avoir dû se séparer de son amie Chloé. Elle raconte, et en même temps elle écrit à Chloé, sur son téléphone, de longs messages qui ont du mal à partir, le réseau étant mauvais.
Dans un premier temps, portés par l’écriture fiévreuse de celle dont on ne connait pas le nom, ce qu’on lit est proche des récits d’enfants envoyés au loin en pensionnat : déchirure de l’éloignement, découverte des lieux, brimades, intervention d’une personne providentielle… C’est une fille, Jill, qui la sauve. Elle a son mystère, on la traite de monstre : elle a fait partie des premiers sur lesquels les fameux implants ont été installés. La suite est surprenante et belle, portée par la générosité de Jill et les choix de la narratrice. Nous allons de surprise en surprise, je n’en dirai pas plus.
En peu de pages l’autrice a pu installer un monde dystopique, une micro-société, des liens qui se défont dans le deuil et d’autres qui naissent, et presque un espoir de futurs possibles. La densité du récit n’empêche pas les moments méditatifs, comme les temps de plaisir face à l’océan que la jeune fille découvre, si proche enfin.

Le Roi des sylphes se situe dans le genre de la fantasy, par ses personnages. Il comporte le même nombre de pages mais est beaucoup plus léger – l’auteur abuse des alinéas, ceci explique en partie cela. L’intrigue est simple : la reine des sylphes veut que son fils, adolescent passe son initiation pour abandonner sa part humaine et se préparer à lui succéder. Le garçon ne veut pas, il est amoureux d’une humaine et pour vivre la vie qu’il souhaite il participe au complot qui va causer la fin de son peuple. Peu de surprises, peu d’épaisseur des personnages, on a du mal à s’intéresser à l’adolescent boudeur qui n’a rien compris, les couples peinent à exister, autant celui des deux jeunes gens que celui de la reine et de son ex amante, comme les personnages secondaires. L’ensemble est bien léger, à l’image du vent qui balaie tout dans le monde des sylphes, mais la couverture est superbe.

 

Mon Petit Père Noël

Mon Petit Père Noël
Gabrielle Vincent
Grasset jeunesse, 2024

Bon anniversaire Père Noël !

Par Anne-Marie Mercier

Gabrielle Vincent n’est plus, mais comme le Père Noël elle semble inoxydable. La nouvelle édition de l’une de ses œuvres offre aux enfants d’aujourd’hui un album qui n’a pas pris une ride. Publié par Grasset en novembre 1994, il y a donc tout juste trente ans, avec une couverture légèrement différente, il apparait aujourd’hui comme un beau livre de collection (ou de prix comme autrefois), comme Perce-Neige de Solotareff (voir chronique précédente) avec un dos toilé rouge estampé, comme la couverture, de lettres dorées.
Un 24 décembre, dans l’après midi, alors qu’il fait encore grand jour, un père Noël atterrit en parachute devant les yeux ébahis d’une petite fille, Magali. Le sol est couvert de neige, les arbres dénudés. A Magali qui demande s’il est bien le vrai Père Noël, il répond que non, puisqu’il n’a rien : « pas un jouet, pas un bonbon, pas un cadeau. Je n’ai rien ».
Magali court vers sa maison et revient avec sa poupée préférée, qu’elle lui offre. Le Père Noël repart, enlevé par son parachute vers les airs, la poupée dans ses bras, en promettant de revenir le même jour, à la même heure, au même endroit. Tout est dans le rituel et Magali a acquis un merveilleux cadeau, la promesse d’une rencontre tous les ans, à Noël avec celui qu’elle appelle « mon petit Père Noël ».
Les dessins sont merveilleux de délicatesse, les personnages sont très expressifs, la poupée également, et le décor hivernal est esquissé à la perfection. Enfin, cette histoire de Père Noël avec « rien » fait un contraste heureux avec cette période de trop de tout. Un lien, la promesse d’une attente comblée et c’est tout. Merveilleux, non ?
Mais en réalité, ce n’est pas tout : il reste un très joli livre à ouvrir tous les 24 décembre.

 

 

 

Perce-neige, un conte de Noël

Perce-neige, un conte de Noël
Grégoire Solotareff, Emmanuel Lecaye
L’école des loisirs, 2024

Joyeux Noël !

Par Anne-Marie Mercier

Oh le beau cadeau que nous font les Éditions de l’école des loisirs ! Cela ressemble à un vieux livre d’étrennes, avec sa couverture en fort carton, toilé de rouge et estampé de lettres et de motifs dorés, mais c’est tout neuf et signé d’auteurs bien vivants, dignes représentant de la dynastie Lecaye (Olga la mère, Nadja, Alexis et Grégoire les enfants, et d’autres encore donc).
C’est aussi un vrai conte de noël, avec le père Noël, un traineau, des lutins… Mais comme on est chez les Solotareff – Lecaye, ça déraille : le Père Noël a des frères. Ils sont tous plutôt sévères. Et puis il y a un homme en rouge qui rôde et veut prendre le pouvoir (on rejoue ici l’histoire de Lucifer, disciple en révolte contre le maitre) : Noël risque de ne pas avoir lieu cette année, ni plus jamais… après l’empoisonnement des frères Noël, le vol du traîneau par l’homme en rouge, la révolte et la fuite des lutins, et surtout à cause ce qui les a motivés : le renvoi cruel par les frères de la jeune orpheline réfugiée chez l’un des leurs.
Les nombreuses péripéties et la complexité de l’histoire sont éclaircies par les superbes dessins et les peintures en pleines pages où les rouges flamboient et les bleus sont profonds comme une nuit polaire. Brrr !

Adia Kelbara à l’académie des chamans

Adia Kelbara à l’académie des chamans
Isi Hendrix
Traduit (anglais, USA) par Rosalind Elland-Goldsmith
Seuil, 2024

Parcours laborieux

Par Anne-Marie Mercier

Comme c’est souvent le cas, cette série qui évoque les aventures d’un/e apprenti/e sorcier/e passe par bien des clichés. La jeune héroïne est orpheline. Elle est élevée par un oncle et une tante peu compréhensifs qui l’exploitent et l’empêchent de choisir son propre destin. Elle finit par leur échapper, moitié par ruse, moitié par rage, déployant des pouvoirs destructeurs qu’elle ne se connaissait pas et qui l’effraient. Elle se croit alors maudite, habitée par des pouvoirs monstrueux. Partie en apprentissage comme cuisinière à l’école des sorciers, elle cherche quelqu’un qui pourra la guérir.
Les traits d’originalité commencent là : les scènes en cuisines sont intéressantes, l’école est un organisme vivant qui souffre ; elle cache bien des secrets, notamment une bibliothèque où personne ne va (sauf Adia) ; les apprentis chamans ne sont que des enfants de la haute société sans aucun talent ; enfin, le jeune empereur qui va venir visiter l’école est parait-il possédé par un démon ancien que l’on croyait vaincu définitivement. Un sort, à la manière de celui de Cassandre, fait que toute personne qui le dénoncera ne sera jamais crue et déchainera la violence de tous, y compris de ses proches.
Adia souffre du mépris des élèves et se réfugie dans la bibliothèque où, un jour, elle surprend une conversation qui lui révèle le secret de l’empereur. Elle est peu après renvoyée de l’école et c’est dans sa fuite honteuse qu’elle retrouve la déesse venue combattre le vrai démon, une jeune fille qui deviendra son amie, un soldat maladroit qui voudrait bien l’être, etc.
Il y a de l’imagination, un univers cohérent et de belles trouvailles mais c’est malheureusement écrit de façon très lourde. De plus, tout est explicité et l’on a l’impression de lire avec une voix off qui nous explique en continu qui pense quoi et quand et pourquoi. Le récit, malgré toutes ses péripéties se traine et l’on a hâte de voir tous les pouvoirs d’Adia se révéler enfin à cette héroïne décidément un peu simplette pour tourner définitivement la page (mais, il y aura deux autres volumes pour les amateurs).