L’invité surprise

L’invité surprise
Géraldine Barbe
Rouergue

Devine qui vient à ton anniversaire, maman !

Par Michel Driol

inviteEtre fils d’une famille « normale », avec une sœur gothique, et des parents profs, ce n’est pas le fun pour Louis, Certes, il y a de bons côtés, comme les vacances au ski. Mais la visite d’expos, l’écoute de chanteurs aussi ringards que Jo Dassin ou Benjamin Biolay, et la télévision parcimonieuse, c’est trop ! Surtout quand, dans la classe, d’autres sont nés au Vietnam, ou ont une mère brésilienne. Ce sont surtout les enfants de divorcés que Louis envie :  deux familles, de nouveaux frères et sœurs, une nouvelle vie, plus de libertés… Une seule solution : faire en sorte que ses parents divorcent. Et Louis va tout faire pour que ce plan diabolique s’exécute… jusqu’à inviter Benjamin Biolay, ex-camarade de classe de sa mère, pour son anniversaire !

Voilà un premier roman avec un angle original : d’habitude, le divorce en littérature jeunesse est surtout vu comme une épreuve, la famille unie restant le modèle. L’auteure montre un jeune garçon en passe de perdre ses repères en souhaitant que ses parents divorcent, tout en continuant de s’aimer : Qu’est-ce que s’aimer ? La routine est-elle à l’opposé de l’amour ? Où est le bonheur ? Avec humour, ce récit à la première personne – le narrateur est, bien sûr, Louis – montre les désarrois du héros, sa naïveté et sa bonne foi, sa rouerie dans l’invention d’un plan étonnant que ne renierait pas Marivaux pour faire en sorte que ses parents tombent amoureux chacun d’une autre personne. La morale – en grande partie énoncée par Benjamin Biolay, guest star de cet ouvrage – est une leçon de sagesse et permet au héros de grandir et de comprendre un peu de la complexité des sentiments et du monde des adultes.

Un roman léger et drôle, qui ne manquera pas de conduire ses lecteurs à se questionner…

 

 

Les affreusement sombres histoires de Sinistreville

Les affreusement sombres histoires de Sinistreville
Hubert très très méchant
Christopher William Hill
Flammarion

Fais aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse.

Par Michel Driol

sinistrevilleSinisitreville… rien que le nom fait frémir ! Sur le plan de la ville, à l’ouverture du roman, on relève l’Allée de l’Empoisonneur ou la maison de redressement pour enfants inadaptés… Hubert a la chance d’être admis à l’Institut tant convoité, dont les méthodes d’éducation semblent sorties d’un roman de Dickens… Alors qu’il est brillant élève, le directeur, par brimade, l’accuse de tricherie, lui interdit d’avoir le violon de prestige, et le renvoie. Du coup, toute la famille entre en dépression, car elle est chassée de son logis et de son emploi par le tout puissant Institut. Cela suffit pour déclencher une envie de vengeance chez Hubert, qui ligote un des professeurs… lequel sera retrouvé mort quelques jours plus tard. Puis Hubert décide de supprimer, par des méthodes de plus en plus sophistiquées, les autres professeurs, avant d’être capturé par la trahison de la seule fille sympathique…

Le décor décrit est particulièrement  sinistre : on y travaille dans des usines de colle pestilentielles,  Les officiers aimés par la gouvernante sont tous morts tragiquement,  on boit de la bière tiède…, et le cimetière est bien sûr un des hauts lieux du roman.  Hubert trouve du travail chez un volailler et y apprend à tuer les poulets… Bref, on assiste à un summum du sombre, du glauque et du gothique, dans la lignée de certains romans ou dessins animés qui peignent aussi un univers sans gaité. Mais le tout est raconté avec un humour particulier, noir et grinçant.

Certes, mais faire d’un enfant de douze ans un meurtrier  ingénieux, sans remords, cela pose problème. Les professeurs de l’Institut, à l’exception d’un qui se fait renvoyer, sont certes des notables tout puissants, usant de leur pouvoir pour terroriser et martyriser les enfants qui leur sont confiés. Mais est-ce suffisant pour justifier le désir de vengeance personnelle à travers des meurtres perpétrés de sang-froid, avec préméditation, et un certain sadisme ? La question morale mériterait au moins d’être posée. Le personnage féminin d’Isabella s’avoue à la fin tout aussi amoral que celui d’Hubert, pour avoir le violon en sa possession. Seul le professeur Lomm et, dans une moindre mesure, les parents d’Hubert apparaissent comme positifs.

L’imaginaire, la légèreté du ton, l’humour, permettent-ils de subvertir les valeurs ?

 

Le Méli-mélo des cadeaux

Le Méli-mélo des cadeaux. Une histoire de Noël
Taro Gomi
Autrement jeunesse, 2014

Tout le monde peut se tromper, même le Père Noël !

Par Yann Leblanc

Un derniLe Mélimélo des cadeauxer cadeau à acheter ? Une solution pour traiter avec humour les ratés du Père Noël ? Ou tout simplement pour le plaisir d’une histoire pleine d’humour et d’inventivité, cela fait trois temps pour offrir ce livre.

Un Père Noël tout en rondeur en combinaison et bonnet fuchsia, avec une moustache blanche mais sans barbe, atterrit en hélicoptère et fait sa distribution dans les maisons des animaux endormis. Des découpes au niveau des fenêtres lui font apercevoir leurs habitants et lui permettent de choisir le cadeau adéquat pour chacun. Sauf que… les apparences sont parfois trompeuses : le père Noël voit un petit animal alors que c’en est un fort gros,  il en voit deux quand il n’y en a qu’un, un quand il y en a trois, point quand il y en a un…

Au lendemain, tout s’arrange, avec des échanges entre amis et des détournements d’objets : même à Noël, savoir s’adapter et partager reste une belle règle pour être heureux. Jolie « leçon » pleine de fantaisie et portée par de beaux contrastes de couleurs, tandis que le père Noël parcourt une nuit bien noire semée d’étoiles blanches.

L’accumulatôr à bidouilleries

L’accumulatôr à bidouilleries
Leïla Brient, Julie Grugeaux
Winioux , 2013

 Drôle d’album, album sérieusement drôle

Par Anne-Marie Mercier

Curieux album a priori, d’abord pL’accumulatôr à bidouilleriesar son format haut et très étroit (on se demande où on va pouvoir le ranger), puis par son graphisme composite fait de papier découpés, gravures, photos, journaux collés, bandes de tissus, petits objets récupérés (façon Christian Votz). A l’intérieur ça se complique encore, on pense à Béatrice Poncelet. Et puis, au fil des pages, on ne cherche plus de références, le style prend, bien à elle (Julie Grugeaux), tandis que l’histoire contée par Leïla Brient se déroule en dévoilant peu à peu ses mystères, sa pertinence et sa drôlerie.

Hector et Archibald vivent dans une petite maison au milieu des gratte-ciels, c’est petit mais ils ont tout ce qu’il leur faut : deux hamacs, un potager, des livres, une guitare, deux verres à citronnade ; le temps passe agréablement jusqu’au jour où Hector découvre une publicité proposant une offre super-spéciale qui le jette dans une spirale de consommation. Les objets envahissent l’espace malgré les protestations d’Archibald, obligé de dormir dans des lieux de plus en plus bizarres et étriqués (Archibald est un chat, on l’apprend progressivement). Tout cela progresse jusqu’à l’arrivée du diabolique accumulatôr et l’explosion finale. La morale est claire, le message utile, et on s’amuse beaucoup en chemin.

Bravo aux auteures et à Winioux !

Winioux a été créé par Marion Fournioux et Rafaele Wintergerst en 2010, et vit entre Lozère et Bruxelles.

Pool!

Pool
Pascale Petit,  Renaud Perrin (ill)
Rouergue  2014,

  Jeux avec les mots  et les lettres

Par Maryse Vuillermet

Pool image  Pool comme poule sans « e » ou comme équipe en anglais.  En effet une écrivaine et un dessinateur se sont associés  pour parler de la poule et jouer avec les mots, les proverbes, les fables, les noms d’oiseaux, tout en respectant une consigne oulipienne : écrire sans « e ». Cela donne des jeux sur le langage, et sur toutes les figures autorisées. La recette de la tortilla sans e, des petites annonces de rencontres d’oiseau sans « e », des fables ( par exemple Le renard et le corbeau deviennent boss corbac and boss goupil) et des pages de Tintin revisitées, beaucoup de clins d’œil à l’OULIPO, à Georges Perrec dont on reconnaît le visage dessiné par Renaud Perrin, ou encore des références au cinéma de Hitchcock.

Le dessin et le texte  sont très inventifs, intelligents, drôles. A  recommander  aux enfants débrouillards et même aux parents rigolards.

Livres

Livres
Murray McCain, John Alcorn (ill.)
Autrement Jeunesse, 2013

It’s a book !

par Christine Moulin

 9782746733480FSNombreux les livres qui vantent le livre, à l’heure où l’on craint ou feint de craindre les progrès de la lecture numérique. Leur ancêtre à tous semble bien être l’ouvrage Livres, publié par les éditions Autrement, dans cette judicieuse collection qui veut faire « découvrir […] des classiques injustement oubliés ou jamais publiés en France, qui se distinguent par leur force littéraire et leurs qualités graphiques ». En effet, il date de 1962 et annonce les jeux postmodernes dont nous sommes friands, ceux, par exemple, de Lane Smith, d’Emily Gravett ou d’Hervé Tullet. Même s’il figure dans la collection « Vintage », il n’est en rien démodé (que peut être la « mode », d’ailleurs, dans le domaine qui nous occupe?). Le graphisme, faussement vieillot, arbore des couleurs qui se rehaussent mutuellement pour aboutir à une atmosphère gaie et dynamique, à base de rouge, de rose et d’ocre. Mais surtout, cet ouvrage ravira les amoureux des listes: elles sont nombreuses et farfelues à souhait. C’est ainsi que l’on a, forcément, envie de compléter celle des sujets de livre (où se côtoient Picsou, le vent dans les saules et « ce bon vieux roi Arthur »), celle des mots épineux (où l’on trouve Grigrimenufretin mais aussi travailler…), celles des mots heureux, des mots rigolos, des mots pour réfléchir (où figurent, le linguiste étant prié de ne pas chipoter à propos de la notion de mot, tu ne devrais pas, tout un chacun mais aussi en douceur). Parfois, l’humour absurde est juste délicieux (voir la page… sur les pages). La joyeuse mise en abyme finale est à l’unisson et fait de cet album un livre réjouissant.

L’Année du Mistouflon

L’Année du Mistouflon
Anne-Marie Chapouton

Flammarion, Castor poche (romans) 2014

La « Bête » de Lourmarin

Par Anne-Marie.Mercier

lAnnée du MistouflonParu en 1975, ce Mistouflon avait fait bien des heureux, tant la fantaisie accompagnait la peinture d’un village (Lourmarin dans le Lubéron), de son école, des enfants et de leur famille. Irrévérencieux, amateur de Picole (recette jointe dans le livre) et mangeur de tabac, le Mistouflon sème la panique, tantôt adoré, tantôt détesté par les habitants, jusqu’au jour où l’on découvre l’existence de la Mistouflette…

Ce grand classique des lectures de l’école primaire réparait après avoir une première parution en Castor poche en 1982. Les illustrations de Gérad Franquin sont… du Franquin : parfaites pour accompagner ce récit loufoque.

Quant au petit dossier ajouté au volume, s’il comporte quelques éléments intéressants, on conseille d’oublier les exercices de grammaire et d’orthographe, très opposés à l’esprit-misouflonesque !

L’Amazonie dans mon jardin

L’Amazonie dans mon jardin
J’ai fabriqué un chien méchant

Baum, Dedieu

Guff Stream (La nature te le rendra), 2014

Nature vengeresse

Par Anne-Marie Mercier

En ces tL’Amazonie dans mon jardinemps où l’on éduque les enfants au développement durable, la nature n’est plus une figure bienveillante et l’on finira par regretter les forêts inquiétantes et les loups, tant notre quotidien devient menaçant… Chacun des albums de cette collection se termine par la formule « Ce que tu fais à la nature, la nature te le rendra », nature représentée en bonhomme à la tête en forme de globe terrestre et cachant derrière son dos un genre de tomahawk…

Baum et DJaifabriqueunchienedieu traitent cela avec humour : commander un salon de jardin en bois exotique ou exhiber une pancarte « chien méchant » amènent toutes sortes de désagréments cocasses et l’on ne sait trop à quel degré il faut lire ces (més)aventures de l’habitant des zones pavillonnaires.

En tous cas, leur humour décapant réveille un thème menacé d’enlisement dans les sables du « politiquement correct » conçu comme un prêt-à-penser lénifiant.

C’est une surprisse que de trouver Gulf Stream sur ce terrain : on connaissait ses ouvrages pour adolescents (romans historiques, policiers, SF, fantasy) et ses albums historiques (Rose Valland, l’espionne du musée du Jeu de Paume d’Emmanuelle Pollack, illustré par Emmanuel Cerisier. (Coll. « L’Histoire en images »).

Sacrée Souris

Sacrée Souris
Raphaële Moussafir
Illustré par Caroline Ayrault
Sarbacane (pépix), 2014

Origines de La petite Souris et autres révélations importantes

Par Anne-Marie Mercier

sacréesourisTitre proche, mais rien à voir avec l’ouvrage présenté dans la chronique précédente, Sacrées souris de Lowry.

On découvre ici l’un des premiers titres de la collection Pépix, romans pour les 8-12 ans, « cocktail d’aventures, d’humour et d’irrévérence » dit le site de l’éditeur (Sarbacane), ambitieux par son volume, plus de 200 pages, très aérées, en gros caractères et remplies de dessins en harmonie avec le ton de l’histoire. Et on retrouve avec plaisir Raphaële Moussafir, auteur du décapant Du vent dans mes mollets.

Sacrée Souris est un peu moins décoiffant (mais vise un âge plus tendre aussi) et propose une histoire qui donne l’origine du rite de la dent perdue mise sous l’oreiller et remplacée au matin par une pièce mise par « la » petite souris. Léonore, l’héroïne et narratrice de l’histoire a un « retard de croissance » et incarne donc parfaitement le personnage de la « petite » souris de la légende enfantine. Elle a aussi un âge mental délibérément et caricaturalement enfantin, refusant de grandir, sauf quand cela devient vital.

Aventures garanties, comme l’irrévérence, bien que la morale reste sauve : si les chapitres de leçons qu’elle propose aux « petits édentés » sont au début « comment rendre tes parents chèvre », elle poursuit sur une leçon expliquant pourquoi il faut finir son assiette, ranger sa chambre, se laver les dents. Mais le « comment » reste impertinent et fera beaucoup rire, on le suppose, les enfants – peut-être un peu moins les parents, démasqué dans bien des impostures ( hors celle de la petite souris, rassurons nous !).

Le Vilo de Torticolo

Le Vilo de Torticolo
Michel Galvin

Rouergue, 2014

Fait divers philosophique

Par Anne-Marie Mercier

viloMichel Galvin, illustrateur pour le journal Libération, nous propose ici un fait divers, simple en apparence. La dispute entre M. Torticolo et sa voisine tourne au vinaigre et fait exploser littéralement le social comme les couleurs et les encres. Cette querelle pichocholine évoque, comme les jeux verbaux, les exubérances de Rabelais avec les explosions de poubelles et de gadoue de la fin qui remplacent un vocabulaire que l’on imagine aisément.

« Qui a raison ? qui n’a pas tort ? » Ces questions qui concluent l’album donnent à cette histoire loufoque une portée philosophique, et les images de Michel Galvin, alliant elles-aussi le loufoque au conceptuel, illustrent merveilleusement le propos.