Danse, Petite Lune !

Danse, Petite Lune !
Kouam Tawa – Illustrations Fred Sochard
Rue du Monde

La plus merveilleuse des danseuses

Par Michel Driol

Tout commence par une adresse au lecteur : « Regardez, regardez ». Ce que l’album nous donne à voir, c’est une vieille dame qui marche, courbée sur sa canne. Mais cette vieille dame a été une grande danseuse dans son village, et l’album raconte alors sa vie et sa danse, dans toutes les circonstances de la vie. Son espoir aussi de danser la plus belle des danses le jour de son mariage… Mais qui oserait épouser la plus belle danseuse du village ? Si elle ne danse plus maintenant, elle donne, par son maïs, la force aux oiseaux de danser.

Tout se passe, dans cet album, comme si un griot racontait la vie de Petite Lune, s’adressant à plusieurs reprises aux auditeurs. De fait, le recueil mime l’oralité, dans ses reprises et ses anaphores, dans ses structures syntaxiques. Tout est fait pour suggérer la profération du texte dans cet  album qui met l’art en abyme : Petite Lune nait dans une famille d’artistes, son père est joueur de tamtam et sa mère chanteuse. Il est donc « naturel » qu’elle devienne danseuse. Mais l’album parle aussi de la solitude de l’artiste, être un peu à part, isolé, à la fois apprécié et craint pour sa capacité à faire naitre des émotions. Petite Lune devient alors une légende dans son village, et on lui prête des pouvoirs surnaturels.

On voit se déployer ici une poésie narrative, qui raconte la vie d’un personnage féminin, dans une forme qui se veut proche des contes et des généalogies africains. Les illustrations, presque toujours en double page, accentuent ce côté africain, en reproduisant, sans le copier, un art naïf et débonnaire, d’une Afrique quasiment idéalisée.

Cet ouvrage fait partie de la sélection pour le prix de la poésie Lire et Faire lire 2018

Paris/Dakar Le grand voyage de petit Mouss

Paris/Dakar Le grand voyage de petit Mouss
Lucie Depauw
Koïné éditions, 2016.

    « Sans papiers tu n’es pas un homme / rien un trou noir »

Par Hélène Dérouillac

Mouss et sa famille vivent à Paris. Le dimanche matin son grand-père l’emmène avec lui au marché aux puces de la porte de Clignancourt. Odeurs de poulet yassa, manioc, batiks à admirer…  Pour le grand-père « venir ici c’était un peu comme partir en voyage / se sentir un peu chez soi ».  C’est le même rituel tous les dimanches, jusqu’au jour où Mouss se fait interpeller par une statue cloutée Nkondé en forme de chien (Les clous font partie du rituel magique. Planter un clou, c’est solliciter la protection du fétiche). La statue fétiche  a repéré un « taxi » pour Dakar, en fait le coffre de la voiture de Maguaï qui s’apprête à faire le trajet de Paris à Dakar. Elle cherche un gamin qui aura le cran de l’accompagner dans son voyage de retour au pays. Or Mouss veut justement retrouver son grand frère, expulsé vers le Sénégal sans avoir pu dire au revoir ni à sa famille ni à sa petite amie Elisa.

« Oui mon mon grand frère me manque
maman m’a expliqué :
ton grand frère est reparti en Afrique
c’est compliqué d’expliquer
qu’il n’aurait jamais dû avoir 18 ans
qu’il n’est plus un enfant
on a fait une petite fête pour son anniversaire
maman avait préparé du mafé
maman l’a prévenu
maintenant il faudra faire très attention
oui mon grand frère me manque »

Commence alors un grand voyage, fait de rencontres et de prise de conscience. Mouss, et avec lui le lecteur, découvrent les conditions de vie précaires de sans-papiers anonymes, les périls du voyage clandestin et les rêves déçus de l’Eldorado européen, mais aussi l’amitié et la solidarité. Le monde n’est ni tout blanc ni tout noir.

Cette pièce aborde un sujet de société grave qui peut toucher les adolescents. La situation du frère adolescent arraché brutalement à sa famille, son lycée, ses amours naissantes sert de point de départ à une histoire présentée sous forme de tableaux où se mêlent différentes voix. À la voix de Mouss, personnage principal mais aussi parfois narrateur, répondent les lettres que son frère ainé lui écrit, du centre de rétention, de l’avion, puis de Dakar. Le discours est fort, dur parfois, mais la présence d’un chien-fétiche doué de parole fait glisser la pièce vers l’univers du conte. Et si la fin est marquée par la séparation, la présence tutélaire du chien clouté laisse imaginer des retrouvailles futures. Entre réalisme et merveilleux, l’écriture de cette pièce humaniste est intéressante pour aborder le sujet des migrants et des sans-papiers avec des adolescents.

 

De la terre à la pluie

De la terre à la pluie
Christian Lagrange
Seuil Jeunesse 2017

Chaque seconde dans le monde une famille quitte sa terre

Par Michel Driol

Comment parler d’exil aux enfants ? Christian Lagrange montre trois femmes, à différents âges de la vie, condamnées à l’exil depuis l’Afrique, faute d’eau. Représentées par des statuettes de glaise,  sur fond parfois d’images graphiquement très épurées, on les voit, accompagnées d’un oiseau, traverser un désert, une clôture grillagée, la mer, pour se retrouver, sous la pluie, dans une ville aux allures de New York et finalement, dans une espèce de cabane. Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière, ce vers de Hugo sert de conclusion dans une dernière page plus optimiste : la lumière troue les nuées et semble promettre une vie meilleure.

Le dispositif est à la fois sobre et efficace : extrême concision du texte, une courte phrase par double page,  comme pour ne pas prendre le pas sur la puissance évocatrice des statuettes, véritables figures tragiques, perdues dans un monde qui n’est pas fait pour elles, mais debout et en marche.   De fait, l’album suggère, donnant à voir les conditions de vie et d’exil sans chercher à se substituer aux migrants, sans vouloir jouer le registre du réalisme ou du psychologisme. C’est au lecteur de construire les non-dits, à partir de cet avion de chasse qui vole vers le pays quitté, ou de ce grillage que les trois femmes franchissent. Les couleurs de fond – blanc pur pour l’Afrique, grisaille de la traversée de la mer, de l’arrivée dans la ville, et noir de la nuit  qui envahit petit à petit album disent, elles-aussi, un monde d’où la lumière semble s’être retirée. Ainsi, chacun pourra interpréter, à sa façon, l’errance et la quête d’une vie meilleure, au péril de sa vie, dans un univers hostile.

Un album d’une grande force qui sait émouvoir sans pathos, et conduit à réfléchir sur l’exil.

 

Madame Livingstone

Madame Livingstone
Barly Baruti,  Christophe Cassiau-Haurie (Ill.)
Glénat, 2014

Par Edwige Planchin

Madame LivingstoneA peine entré dans le livre, nous comprenons que nous nous immergeons dans un univers complexe, construit, riche et profond. Pendant la première guerre mondiale, un aviateur belge, Gaston Mercier, est chargé de couler, sur le lac Tanganyika, un cuirassé allemand. On lui assigne pour cela un guide énigmatique : un métis en kilt surnommé « Madame Livingstone ». Outre l’intérêt historique (l’exportation jusqu’en Afrique de cette guerre), la rencontre de ces deux hommes dans un conflit qui n’est pas le leur suggère des questionnements philosophiques sur l’identité, l’appartenance à une patrie, la perception de l’autre… On apprécie particulièrement la personnalité fine, intelligente et assumée dans sa singularité du métis, rompant ainsi avec l’image du « noir » dans la BD. Ainsi que l’évolution psychologique de Mercier. Un travail énorme et particulièrement réussi qui provoque avec force du dégoût pour la guerre et l’envie de rencontrer l’autre au-delà de toute forme d’appartenance à un groupe.

La peau d’un autre

La Peau d’un autre
Philippe Arnaud
Sarbacane, Ex’prim   2012,

 Prise d’otage à l’école,  thriller haletant et tragique

Par Maryse Vuillermet

la peau d'un autre image Thriller   haletant, car il s’agit d’une prise d’otage, dans une école maternelle : un individu armé d’une mitraillette prend en otage toute la classe des petits ainsi que la maîtresse Anna. Le kidnappeur est bizarre, très silencieux, presque doux, le soir, il ne réclame pas de  rançon, il commande des pizzas pour tout le monde. Un interminable face à face commence, une journée, une nuit et encore une journée. L’institutrice essaye de protéger les enfants, de les occuper. Mais c’est Manon, une des élèves qui a l’incroyable intuition de tracer une ligne à la craie  au sol et de faire  comprendre au tueur que cette ligne  ne sera pas franchie mais qu’il doit les autoriser à bouger à l’intérieur de ce territoire.

Le lecteur entend trois voix, celle du tueur, celle de l’institutrice et celle de Manon, la petite fille si intelligente. En étant dans la peau du tueur, peu à peu, au fur et à mesure que son monologue intérieur se déploie, on est amenés à comprendre et connaître son interminable calvaire. Il est un enfant albinos né en Afrique, donc traqué et frappé par ses camarades, retiré de l’école pour être protégé puis exfiltré de son village car même les adultes veulent sa mort. Il arrive en banlieue parisienne  chez un oncle, fréquente quelque temps un collège, il croit avoir trouvé la paix mais,  là aussi, il est ostracisé, et évité. Seuls Léa une jeune fille, dont il tombe amoureux et Serge, le musicien, le considèrent comme un humain.  Il va d’ailleurs quelque temps être parolier du groupe de rock de Serge, il écrit des chansons aux paroles horribles de solitude et de haine. Mais ce bel instant prend fin aussi et il décide  alors de passer à l’acte.

Nous suivons aussi le cheminement  intérieur de  l’institutrice  qui a sauvé tant d’enfants cassés, un moment, elle croit qu’elle va sauver aussi celui-là,  l’enfant blessé  qu’elle perçoit à l’intérieur du colosse menaçant.

Une réussite  pour un premier roman et un texte qui résonne étrangement avec l’actualité !

Camp Paradis

Camp Paradis
Jean-Paul Nozière
Gallimard, Scripto, 2013

 

Que les hommes sont cruels !

Par Maryse Vuillermet

camp paradisLe narrateur Boris, orphelin,  est amené au Camp Paradis par un complice de son père,  trafiquant d’armes. « Eclopé de la vie » comme quatre autres enfants qu’il va y rencontrer, il est aimé et sécurisé par Pa et Ma, les responsables du camp  qui se sont donné la mission de sauver ces enfants.  Chacun d’eux a un passé horrible qu’on découvre par bribes, enfant esclave, enfant soldat,  enfant handicapé  et martyrisé ou affamé.  Dans ce camp, les règles sont strictes, pas de religion,  pas de prières,  pas de race, on travaille et on s’entraide. Mais les guerres tribales de religion ou de pouvoir sévissent tout autour et se rapprochent.

Le lieu et le camp sont imaginaires  et le récit présente quelques invraisemblances, mais c’est un roman tendre et violent,  qui se lit avec  terreur. Il tient bien sa place dans la collection Scripto.

 

Yakoubwé

Yakoubwé
Thierry Dedieu
Seuil jeunesse, 2012

Je suis mon lion 

Par Christine Moulin

YakoubwéOn se souvient sûrement de Yakouba, ce jeune homme dont le courage avait consisté  à refuser de paraître courageux,  à braver l’opprobre, pour rester juste et généreux. Le revoici. Il lui arrive quelque chose de terrible: Kibwé, son ami lion, est tué par les hommes de sa tribu (Kibwé qui avait eu, lui aussi, droit  à son album).

Sa souffrance est de celles dont on ne peut pas donner la mesure: c’est pourtant ce que Thierry Dedieu parvient à faire, par les mots et les traits qu’il crache sur la feuille. L’histoire, sauvage, se contente, au fond, d’expliquer le titre, qui unit Yakouba et Kibwé. Elle a la simplicité d’une tragédie et parle pour toutes les douleurs injustifiables que provoque l’esprit de vengeance. C’est un conte de désolation et de mort, mais aussi d’apaisement, qui nous ramène aux premières lignes de la première histoire, celle de Yakouba, nous signifiant que derrière l’impression d’éternel recommencement, gît peut-être la possibilité de refuser la fatalité de la violence.

Et l’on emporte en soi le magnifique regard de l’ami lion.

 

L’œil du loup

L’œil du loup
Daniel Pennac
illustré par Catherine Reisser, mis en musique par Karol Beffa, orchestre de chambre de Paris, Gallimard jeunesse/Nathan, 2012

Le chant des mondes

Par Anne-Marie Mercier

Le célèbre récit de Pennac se suffit à lui-même, certes et il était déjà dans sa première édition bien illustré. Tout développement aurait pu sembler inutile. Et pourtant, cette version illustrée et accompagnée d’un CD, loin d’être superflue, lui donne une nouvelle vie: les dessins sobres de Catherine Reisser (qui avait illustré la version pocket) encadrent le texte, s’y inscrivent parfois, l’aèrent.

Le narrateur est parfait : c’est l’auteur lui-même et il le dit aussi bien qu’un acteur professionnel, sobrement, marquant des pauses. On échappe ainsi aux dialogues portés par des voix enfantines, rarement justes. La musique est belle et colle à l’atmosphère du récit sans être envahissante; elle s’inscrit dans les temps de silence de la voix et prolonge la force du dit. L’ensemble est parfait.

Ma

Ma
Louis Atangana
Rouergue,
Collection Doado,  2012

Amitiés  et douleurs africaines  

  par Maryse Vuillermet

Les héros, Félix et Magali, sont deux jeunes africains. Félix rêve de partir en Europe, surtout depuis que Jonas est rentré d’exil avec une valise pleine de livres. Sa mère Ma essaye de l’en dissuader, elle n’a que lui,  et,  pour une raison inconnue, elle est rejetée par tout le village sauf par Jonas et considérée comme sorcière.  Magali est  une enfant trouvée, qui,  venue de très loin,  a atterri au village. Elle est mystérieuse et sauvage.

 Un  jour, Félix suit Magali dans la forêt interdite, découvre son domaine, une case et un  jardin et,  peu à peu,  l‘apprivoise. Elle lui confie son passé terrible ; la guerre a fait d’elle une enfant soldat.  Félix reste avec elle dans la forêt, sa mère Ma souffre et lui en veut. On apprend en fait que Ma, stérile et abandonnée par son mari  l’a enlevé dans une maternité, que lui aussi est donc un enfant trouvé.

Les deux jeunes aiment lire  dans les livres de Jonas. Jonas  a d’ailleurs fait venir un instituteur de la ville et des livres pour les enfants.

Toute l’histoire, très réaliste, qui nous montre l’irrépressible désir des jeunes Africains de quitter leur village, leur vie ennuyeuse et laborieuse est aussi imprégnée de magie, par exemple, Ma emmène Magali une nuit dans la forêt et la délivre de sa tension et de sa  haine. Jonas  et Ma ont des visions, dialoguent avec les morts.

 Ma et Jonas meurent tour à tour et Félix vit avec Magali, retenu par elle, il ne part pas, il enseigne à son tour aux enfants,  et il  écrit ses rêves dans son cahier.

C’est donc un roman de formation à l’africaine, qui montre qu’à travers les rages et les désirs d’adolescents, on devient  peu à peu adulte.

Les poulets guerriers

Les poulets guerriers
Catherine Zarcate, Elodie Balandras
Editions Syros (Album Paroles de conteurs)

par Aurélie Caruso et Céline Rican

Il était une fois, en Afrique, des guerriers… Oui, de vrais guerriers Massaï à quelques détails près : ce sont de jeunes poulets dont la crête se dresse vers le ciel grâce à la magie du gel coiffant ! Déterminés, ils traversent le village pour emprunter le sentier de la guerre. Un petit poussin souhaite les accompagner : pas question, bien trop petit ce poulet là ! Soudain, dans la brousse apparaît l’ennemi : un chat tigré qui se lèche les babines en comptant les jeunes poulets. L’esprit guerrier cède alors la place à la panique chez les gallinacés. Ils sont pris au piège, ils ont peur… Comme vous le savez, les chats ne conçoivent pas un régal sans jeu. Alors, le chat sauvage de la brousse se délecte à l’idée du repas qui l’attend, en grattant un petit air à la guitare. Mais que se passe-t-il quand les petits poussins connaissent des chants guerriers capables d’effrayer le plus redoutable félin de la brousse ?

L’histoire est drôle et touchante : de jeunes poulets s’appliquent à faire les coqs pendant qu’un petit poussin devient un héros sans le vouloir. L’auteur porte un regard aussi amusé sur l’adolescence qu’attendri face à la capacité d’émerveillement qui caractérise l’enfance.

L’objet livre est beau, c’est un album grand format qui met en valeur le travail d’illustration d’Elodie Balandras. Les illustrations, pleine page, avec des couleurs chaudes, des personnages expressifs et drôles s’accordent parfaitement à l’humour et à l’enthousiasme de la conteuse. La composition du texte est elle-même travaillée de manière à rendre au conte, toute sa vitalité communicative. Les petits et les grands auront sans doute envie de jouer avec les différentes voix des personnages, et les enfants seront désormais convaincus qu’on a toujours besoin d’un plus petit que soi.